Intervention de Philippe Marini

Réunion du 26 juin 2013 à 15h00
Séparation et régulation des activités bancaires — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini :

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous entamons l’examen en deuxième lecture d’un projet de loi dont j’avais estimé ici même, le 20 mars dernier, qu’il ne méritait sans doute ni excès d’honneur ni excès d’indignité.

Certes, ce n’est pas un texte qui propose une grande réforme structurelle, ce n’est pas un texte qui mettra au pas le monde de la finance, mais c’est un texte réaliste, monsieur le ministre, constitué d’une série de mesures techniques – au demeurant utiles – ou de mises en conformité avec le droit communautaire.

C’est un texte qui s’inscrit dans la continuité de la loi du 1er août 2003 de sécurité financière ou de la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, et qui prolonge le travail incessant de perfectionnement et d’adaptation de notre droit financier, matière qu’il faut aborder avec modestie en raison du caractère très évolutif des règles qui la régissent. En définitive, en ce domaine, nous sommes amenés à faire de la législation à durée déterminée.

En outre, le droit financier est aujourd’hui caractérisé par une assez faible autonomie du législateur national, en raison du poids du droit communautaire, mais aussi, et peut-être surtout, de la propension à l’extraterritorialité des régulateurs américains, comme nous avons pu le constater lors de l’intéressante mission qu’une délégation du bureau de notre commission a effectuée aux États-Unis, au mois d’avril.

Entrant maintenant dans le vif de mon propos, je soulignerai que les deux principaux aspects du texte ne font plus l’objet de la navette. Nous n’avons plus à en délibérer, puisque les dispositions correspondantes ont été adoptées conformes par les deux assemblées.

L’élément principal du présent projet de loi est la règle de séparation des activités bancaires.

Après les règles Vickers, Volcker et Liikanen, il y aura désormais une règle française – la règle Yung ou Moscovici ! –, adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées et qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2015. Le dispositif voté vise à obliger les banques françaises, y compris pour leurs filiales à l’étranger, à filialiser leurs activités réalisées pour leur compte propre, celui-ci faisant l’objet d’une définition dans la loi.

Cette règle appelle deux remarques.

En premier lieu, espérons que sa mise en œuvre sera plus aisée que ne l’a été celle de la règle Volcker, annoncée avec force aux États-Unis, mais qui n’y est toujours pas appliquée en raison de sa complexité technique.

En second lieu, les grandes banques françaises devront concilier la création de ces nouvelles filiales cantonnées avec non seulement les nouvelles règles de la directive et du règlement CRD IV, mais aussi la règle américaine extraterritoriale dite « Tarullo », qui soumet les filiales américaines de banques étrangères aux mêmes exigences en capital que les groupes bancaires américains et conduira la Réserve fédérale à contrôler, de facto, la capitalisation des maisons mères européennes. Cela dénote, de la part de la FED, une attitude que je qualifierai de réservée à l’égard des superviseurs européens…

Il serait souhaitable, monsieur le ministre de l’économie et des finances, que le Gouvernement nous présente son analyse de cette règle qui, de notre point de vue, peut créer une distorsion de concurrence entre banques européennes et banques américaines, mais qui, surtout, constitue un empiètement du régulateur américain sur les compétences des régulateurs nationaux européens, en France l’Autorité de contrôle prudentiel aujourd’hui, l’union bancaire demain. Il y a là des enjeux commerciaux et de souveraineté – à l’avenir, il s’agira d’une souveraineté partagée – qu’il convient d’expliciter.

Puisque nous évoquons les règles américaines extraterritoriales, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous présentiez la position de notre pays sur un sujet très important, sur les plans tant politique que technique : la réglementation des dérivés.

L’Europe vient de légiférer pour mettre en œuvre les conclusions des sommets du G20 de 2009, notamment en adoptant le règlement EMIR. Or – je simplifie pour les besoins de ma démonstration –, les établissements financiers européens devront, à compter du 15 juillet, respecter également la réglementation de l’un des régulateurs américains, la CFTC, même lorsqu’elle n’est pas identique à la réglementation européenne, voire contradictoire avec elle, ce qui peut se produire.

Là encore, il serait utile de savoir quelle est la position du Gouvernement sur ce nouveau cas d’empiètement du régulateur américain sur les compétences des régulateurs européens.

Pourquoi l’Europe ne parvient-elle pas à endiguer l’expansionnisme réglementaire américain, alors même que, nul ne peut l’ignorer, c’est bien des défauts de la régulation américaine qu’est née la crise financière, qui fut si lourde de conséquences pour toutes nos économies ?

J’en viens au second volet essentiel du texte : la gestion des faillites bancaires, autrement dit la procédure de résolution.

Nous avons arrêté notre dispositif au niveau national, mais nous observons que l’Union européenne peine à se mettre d’accord sur sa conception d’un dispositif de résolution à l’échelle européenne. Monsieur le ministre, peut-être aurez-vous le temps, avant de rejoindre une réunion où l’on traitera sans doute de ce sujet, de nous livrer quelques informations à ce propos ? Le dispositif que nous allons voter est-il susceptible d’être remis en cause par les discussions engagées à l’échelle européenne ? S’il y a des débats et des désaccords entre États européens, sur quels points portent-ils et quel est votre pronostic pour la suite ?

J’aborderai maintenant les dispositions introduites par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, qui feront l’objet de notre débat.

Premièrement, l’Assemblée nationale a donné une base législative aux règles de gouvernance dérogatoires du Comité de gestion des œuvres sociales des établissements hospitaliers publics, le CGOS. Le plus important à mes yeux est qu’elle n’ait pas remis en cause les dispositions relatives à l’information des affiliés de ce régime qui avaient été adoptées par le Sénat en première lecture.

Deuxièmement, l’adaptation de notre législation à la mise en œuvre de la loi américaine FATCA doit retenir l’attention.

Nous restons dans le domaine des réglementations extraterritoriales américaines. La France doit manifestement s’organiser pour recueillir auprès de ses banques toutes les informations demandées par la loi américaine sur les avoirs détenus par des contribuables américains et les transmettre aux États-Unis.

L’accord avec les États-Unis devrait théoriquement intervenir avant le 1er janvier 2014. Par le biais de l’adoption d’un amendement du Gouvernement, l’Assemblée nationale a donné un cadre légal à cette collecte d’informations.

À ce stade, trois séries de questions se posent, monsieur le ministre.

Tout d’abord, de quel véhicule juridique relèvera l’accord avec les États-Unis ? Le Parlement sera-t-il concerné ? Aurons-nous à nous prononcer par un vote ou par une ratification ?

Ensuite, quel sera le calendrier d’examen des accords et des textes qui constitueraient leur support juridique ?

Enfin et surtout, quelle réciprocité pouvons-nous attendre ?

Jusqu’à présent, la France observait une position exigeante, car nous aussi pouvons être intéressés par les soldes des comptes détenus aux États-Unis par des contribuables français. Or, il nous a été dit, lors de notre mission aux États-Unis, qu’il n’y aurait pas de réciprocité avant 2016, ce qui est très inquiétant. Pourquoi renoncer à la simultanéité de l’application de l’accord de part et d’autre de l’Atlantique ? Monsieur le ministre, il serait particulièrement utile que vous nous éclairiez sur ce point.

Troisièmement, je veux évoquer le say on pay, autrement dit le vote de l’assemblée générale des actionnaires sur les rémunérations versées dans les banques. Ce dispositif a été introduit dans le projet de loi sur l’initiative de la commission des affaires économiques du Sénat et de son rapporteur, notre collègue Yannick Vaugrenard.

L’Assemblée nationale, prudemment, a suivi les recommandations de l’AFEP et du MEDEF, en prévoyant que le vote de l’assemblée générale interviendrait a posteriori. Or, lors de notre mission aux États-Unis, nous nous sommes rendus chez Citigroup, une grande banque dont le paquet de rémunérations a récemment été rejeté par les actionnaires à la suite d’un vote préalable, et non point d’un vote a posteriori.

Voyons le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide : ces dispositions sont un premier pas, mais, sur le fond, je partage tout à fait, à titre personnel, le point de vue présenté voilà quelques instants par M. Richard Yung. Il est clair qu’un vote indicatif sur les rémunérations dans les banques n’a véritablement de sens que s’il est préalable.

Quatrièmement, l’Assemblée nationale a anticipé l’application du règlement CRD IV en prévoyant un plafonnement des rémunérations variables dans les banques au niveau des rémunérations fixes, sauf décision de l’assemblée générale.

Chacun est choqué par le montant des bonus parfois perçus dans le secteur financier. Il importe cependant de veiller à ce que des réglementations de ce type ne conduisent pas à des augmentations importantes des rémunérations fixes, ce qui pourrait être un effet pervers, ou pire à des transferts de personnel vers d’autres pays européens ou vers les États-Unis, qui semblent voir d’un bon œil cette réglementation européenne et ses exigences. Autrement dit, nous devons rester très attentifs à la compétitivité du secteur financier européen au regard notamment de celui des États-Unis.

Cette remarque me conduit à mon dernier point : l’avenir de la place financière de Paris.

Les enjeux sont bien entendu importants. J’évoquerai deux dossiers prioritaires : d’une part, les conséquences du rachat de Nyse Euronext – l’ancienne bourse de Paris fédérée avec d’autres bourses européennes – par le groupe ICE s’agissant de ses activités européennes ; d’autre part, la taxe sur les transactions financières dans sa version actuelle – peut-être deviendra-t-elle un jour européenne.

Les deux dossiers sont liés, car plusieurs acteurs français ont refusé de s’engager dans le rachat d’Euronext en raison de la taxe sur les transactions financières et, en général, du niveau de fiscalisation du secteur financier, qui, selon eux, conduit à douter de la volonté du Gouvernement de maintenir à terme un centre financier à Paris.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire si une solution de place est envisageable sur le dossier Nyse Euronext et si la Banque publique d’investissement est susceptible de jouer un rôle ? Son directeur général nous a en effet déclaré, lors d’une récente audition, qu’Euronext « fait partie du périmètre d’action de la BPI » et « qu’il y a potentiellement là un sujet intéressant et stratégique ». Cette déclaration est intéressante quant à son orientation, mais empreinte de la prudence qui sied au directeur général d’une institution financière.

En conclusion, sous réserve que notre discussion n’aboutisse pas à modifier substantiellement le texte établi par la commission des finances, j’estime, à titre personnel, qu’il n’y a pas lieu de s’opposer à ce projet de loi et qu’il serait préférable de le voter dans les termes du Sénat, de telle sorte que la commission mixte paritaire puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles. (

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