Intervention de Yannick Vaugrenard

Réunion du 26 juin 2013 à 15h00
Séparation et régulation des activités bancaires — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires que le Sénat examine aujourd’hui en deuxième lecture marque incontestablement un progrès à l’échelle de notre pays vers la reprise en main du secteur financier, ce qui était nécessaire. Ce dernier a fait la preuve de sa capacité de déstabilisation lorsqu’il fonctionne dans son intérêt propre, plutôt qu’au service des activités économiques réelles. C’est pourquoi il fallait poser des règles de nature à assurer que nos banques financent la production plutôt que la spéculation.

La portée du texte initial a été sensiblement renforcée pendant les débats parlementaires, ce dont je me réjouis. Tout en saluant l’ensemble des avancées que M. le ministre et M. le rapporteur ont déjà rappelées dans leur intervention liminaire, je veux mettre l’accent sur deux d’entre elles en particulier.

La première avancée concerne l’encadrement des rémunérations dans le secteur de la finance. En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, j’avais proposé, en première lecture, deux dispositions allant dans ce sens : l’une visait à impliquer personnellement les dirigeants et les traders, au travers d’un mécanisme de renoncement à leur rémunération variable, en cas de résolution bancaire ; l’autre consistait à introduire la règle du say on pay, qui consiste, rappelons-le, à consulter l’assemblée générale des actionnaires sur l’ensemble des rémunérations octroyées aux dirigeants, mandataires sociaux et traders.

Ces deux amendements de fond, adoptés par la commission des affaires économiques, ont été intégrés au texte par le Sénat en séance publique. Lors des débats, le Gouvernement s’était opposé à l’introduction du principe du say on pay au motif qu’une loi sur la gouvernance des entreprises était en préparation. Finalement, on le sait, ce projet de loi a été abandonné au profit, pour le moment, de l’adoption d’une simple charte par le MEDEF. Je ne regrette donc pas d’avoir maintenu cet amendement, le Sénat ayant choisi de suivre ma proposition et l'Assemblée nationale ayant, en deuxième lecture, confirmé le vote de notre assemblée : le principe du say on pay est donc désormais inscrit dans la loi pour l’ensemble des établissements financiers.

Néanmoins, j’aurais souhaité que le vote de l’assemblée générale des actionnaires soit décisionnel au lieu d’être simplement consultatif et qu’il se fasse a priori plutôt qu’a posteriori, comme l’a souligné M. le rapporteur. C’est cependant une étape indispensable, même si je considère qu’elle est encore insuffisante.

La deuxième avancée importante que nous pouvons souligner concerne la transparence des informations financières.

La loi obligera les banques à publier des données clés sur l’activité de leurs filiales situées à l’étranger. C’est une excellente mesure pour lutter contre les places offshore et l’évasion fiscale.

Cela étant, nous le savons tous, l’avancée la plus décisive reste encore à accomplir : mettre fin au scandale du secret bancaire. Nous nous trouvons devant une fenêtre d’opportunité unique pour franchir ce pas décisif.

Face à l’urgence de la crise des finances publiques, les principales puissances économiques de la planète semblent en effet décidées à faire progresser ce dossier et à faire plier non seulement les sociétés et les particuliers qui exploitent l’opacité des flux financiers pour se dispenser de l’impôt, mais également les États, qui leur accordent leur soutien et qui, dans une logique qu’on est bien obligé de qualifier de « parasitaire », attirent sans contrepartie chez eux des richesses produites par leurs partenaires.

M. le ministre de l’économie et des finances, en lien étroit avec l’Allemagne, a annoncé, dès le début du mois d’avril, le souhait que l’Europe se dote d’une loi analogue à celle dont disposent les États-Unis pour instaurer la transparence des opérations financières de leurs ressortissants, ainsi que plusieurs orateurs l’ont rappelé. Cette loi américaine, dite FATCA, votée en 2010, oblige en effet les institutions financières étrangères à déclarer les revenus versés aux contribuables américains, ce qui permet le recoupement des données déclarées par ces derniers. C’est donc une arme d’une extrême puissance.

Dès le mois de mai, l’initiative franco-allemande a été relayée par la Commission européenne, qui s’est adressée aux dirigeants des pays de l’Union pour leur demander de prendre des décisions en vue de renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Enfin, voilà quelques jours seulement, le G8 s’est engagé à mettre en place l’échange automatique d’informations fiscales.

Toutes ces initiatives vont dans le bon sens. Les intentions doivent à présent se concrétiser au plus vite. Les paradis fiscaux, y compris ceux qui sont situés en Europe – je pense en particulier au Luxembourg, à l’Autriche et à la Suisse –, doivent comprendre que le temps du secret bancaire est désormais révolu. Ils ne le feront évidemment pas de gaieté de cœur, mais nous avons pour nous à la fois la légitimité et le pouvoir pour ramener les pays insuffisamment coopératifs à plus de raison.

Les États-Unis – faut-il le rappeler ? – ont fait plier les banques étrangères, notamment suisses : soit elles se conformaient aux règles américaines en matière d’échange d’informations, soit elles étaient exclues du marché américain. Ce qu’ont fait les États-Unis, la France, l’Allemagne et l’Europe peuvent également le faire, en décidant que l’échange automatique d’informations devienne un véritable critère de l’inscription d’un pays sur la liste noire des paradis fiscaux. Les pays ne respectant pas ce critère, fussent-ils logés au cœur même de l’Union européenne, seraient alors considérés comme non coopératifs et subiraient les restrictions que cela implique.

Au moment où nous demandons à nos compatriotes et à nos entreprises des efforts considérables pour rétablir les finances publiques, l’opinion ne comprendrait pas, et elle aurait raison, que nous n’affichions pas une extrême fermeté vis-à-vis des pays opportunistes exploitant à leur profit l’opacité financière.

Madame la ministre, si une initiative unilatérale de la France est nécessaire pour avancer, je crois que nous ne devons pas nous interdire de la prendre, car il ne faut pas sous-estimer l’effet d’entraînement qu’une telle décision pourrait avoir sur l’ensemble de nos partenaires. Je pense vraiment que le choix de l’audace est aujourd’hui le choix de la raison. D’ailleurs, le parcours même du présent projet de loi en témoigne. Lors de son examen, plusieurs initiatives du parlement français ont été immédiatement reprises et intégrées dans le texte de la directive dite « CRD IV » de l’Union européenne.

Mais la portée réelle des dispositions que nous allons adopter se jouera aussi en grande partie dans la détermination des seuils réglementaires, notamment s’agissant de la filialisation des activités financières. Selon les choix que fera le Gouvernement, la réforme engagée pourra être au final soit très ambitieuse, ce que je pense, soit, au contraire, relativement timide. Il n’est certes pas absurde que le positionnement précis des curseurs se fasse par voie réglementaire, l’exercice du contrôle prudentiel supposant une souplesse aujourd'hui incompatible avec un cadre normatif trop rigide.

Toutefois, le Parlement devra suivre avec attention les mesures d’application de cette loi. Pour ma part, je souhaiterais qu’un rapport d’étape sur son application ou qu’un débat en séance publique dans le cadre des activités de contrôle du Sénat nous permette d’établir un bilan d’étape un an après la publication du texte.

J’aimerais dire un mot sur les droits des usagers des banques. En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a supprimé le plafonnement spécifique des frais d’incidents bancaires pour les publics les plus fragiles. La commission des finances du Sénat l’a rétabli, ce qui est une bonne chose. La question se réglera donc en commission mixte paritaire.

À cet égard, je rappelle mon soutien et celui de la commission des affaires économiques en faveur d’un dispositif de plafonnement spécifique pour les plus fragiles. À l’instar de notre collègue Jean-Pierre Caffet, je crains qu’un plafonnement homogène applicable à tous les clients des banques n’entraîne un effet pervers nuisible aux ménages les plus en difficulté : les banques agiront plutôt pour que le niveau du plafond, par opération et global, soit le plus élevé possible.

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, depuis 2008, la nécessité d’assainir le monde de la finance est devenue une évidence, tant il est vrai que celle-ci s’est globalement laissée aller à des dérapages spéculatifs outranciers, menaçant l’ensemble de l’économie mondiale.

Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires fait le pari d’une plus grande transparence et d’une meilleure sécurité. Il impose une plus grande responsabilité collective. Ainsi les banques devront-elles revenir plus sérieusement à ce qui est le cœur de leur métier : être au service de l’économie réelle. Cependant, la naïveté ne doit pas avoir sa place dans les processus engagés. Nous avons l’habitude de constater combien est forte, trop souvent, la volonté de contournement de nouvelles règles déontologiques. Cette loi bancaire ambitieuse nous imposera donc, par réalisme, une vigilance de tous les instants.

Nous comptons sur M. le ministre des finances et sur vous-même, madame la ministre, pour être des gardiens sourcilleux de l’esprit de la loi, par les dispositions réglementaires qui vont l’accompagner. Soyez également assurée de notre volonté d’exercer une veille rigoureuse de l’esprit qui a prévalu à son élaboration.

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