Vous ne serez certainement pas surpris qu'en tant qu'Européen convaincu, j'approuve entièrement la tonalité générale de votre rapport et l'ambition d'aller vers une défense européenne. Je partage également votre sentiment selon lequel la méthode des « petits pas » montre aujourd'hui ses limites.
Depuis l'échec de la Communauté européenne de défense en 1950, la défense européenne était considérée comme l'objectif ultime, le couronnement de la construction européenne, qui devait se faire par étapes, en commençant d'abord par l'économie pour contourner l'obstacle de la souveraineté des Etats. Or, il faut parfois envisager de « grandes enjambées » afin de faire avancer la construction européenne et cela me semble être le cas en ce qui concerne la défense. On peut d'ailleurs se demander si votre constat ne pourrait pas s'appliquer à bien d'autres domaines - je pense notamment au renforcement de l'intégration économique - qui me semblent aujourd'hui souffrir d'un manque d'Europe.
Nous sommes arrivés en réalité à un moment charnière de la construction européenne. Soit nous renouons avec l'esprit des « pères fondateurs » et relançons la construction européenne - en matière de défense et dans d'autres secteurs - soit nous assisterons à un repli de l'Europe, à la déliquescence de l'idée européenne, comme l'illustrent la montée des populismes et du nationalisme.
Ce « sursaut » nécessite une forte volonté politique qui soit portée par de véritables hommes d'Etat. Or, je doute que les chefs d'Etat et de gouvernement qui siègent aujourd'hui au Conseil européen soient véritablement à la hauteur des enjeux car ils s'apparentent davantage à des gestionnaires préoccupés avant tout par leur réélection.
Cela doit d'ailleurs nous inviter à nous interroger sur l'évolution actuelle de la politique et de la démocratie. Les hommes politiques sont désormais soumis à ce que j'appellerai le « carré tragique », formé par les sondages, le marketing, la tactique électorale et la communication. Ils ne sont plus porteurs d'un grand projet susceptible d'entraîner les peuples mais uniquement guidés par le souci de ne pas mécontenter leurs opinions publiques et d'être réélus lors des prochaines élections.
J'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à limiter la durée du mandat du Président de la République. Celui-ci serait désormais élu pour un mandat de six ans non renouvelable immédiatement ce qui permettrait de le libérer de toute préoccupation électoraliste au profit d'une politique à long terme exclusivement conforme à ce qu'il considère être l'intérêt supérieur de la Nation et l'image qu'il souhaite inscrire dans l'Histoire.
Les responsables politiques semblent paralysés face à la montée des nationalismes, des populismes et des séparatismes car ils craignent de s'opposer à ces tendances et de mécontenter les opinions publiques, alors que c'est au contraire notre faiblesse, notre inaction, notre pusillanimité qui constituent le meilleur terreau du populisme, du nationalisme et du séparatisme.
Après ces considérations d'ordre général, j'en viens à la question que je souhaiterais vous poser.
Compte tenu de la faible appétence et des maigres crédits consacrés à la défense par de nombreux pays européens, ne serait-il pas légitime de prévoir une sorte de « cotisation » pour ces pays qui ne participent pas à la défense européenne car il n'est pas normal que l'effort de défense ne repose que sur quelques pays alors qu'il bénéficie à l'Europe dans son ensemble. Une autre idée serait d'exclure tout ou partie des dépenses de défense de la règle des 3 % du PIB pour le calcul du déficit budgétaire. Pourquoi ne pas envisager par exemple qu'au-delà d'un effort minimal de 1,5 % du PIB en matière de défense, les autres dépenses militaires ne soient pas comptabilisées ?