Intervention de Jean Arthuis

Réunion du 4 juillet 2013 à 15h00
Orientation des finances publiques — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat sur l’orientation des finances publiques est notre rendez-vous de prospective budgétaire. Il est le moment où les propositions de réformes et d’arbitrage doivent être confrontées. Or c’est peu dire que les contraintes économiques et financières n’ont jamais été aussi vives.

D’ores et déjà, nous savons que l’année 2013 présente de forts risques de dérives : le déficit public, qui avait été estimé à 3 % du PIB, pourrait s’établir aux alentours de 4 %. C’est la Cour des comptes qui l’affirme.

Notre endettement va poursuivre sa progression à un niveau tel que, en dépit de taux d’intérêt historiquement bas, la charge de la dette sera supérieure aux crédits de la plus importante des missions de l’État, à savoir la mission « Enseignement scolaire ». Si, malheureusement, les taux d’intérêt venaient à augmenter, je vous laisse imaginer les conséquences qui en résulteraient pour nos comptes publics.

On dit souvent que l’Europe nous oblige à mettre de l’ordre dans nos finances publiques. Permettez-moi de souligner que c’est peut-être l’Europe qui est responsable de certaines des transgressions que nous avons commises dans les années 2000 ; je pense que, sans l’euro, la France ne se serait pas autorisé de tels déficits autour des années 2003-2005. Nous avons ainsi participé à la transformation du pacte de stabilité et de croissance en une sorte de « pacte de menteurs et de tricheurs ». Il aura fallu l’avènement de la crise des dettes souveraines, dont la Grèce fait figure de symbole, pour mettre un terme à cette dérive.

C’est notre situation qui nous oblige à mettre bon ordre. Cessons ces procès contre la gauche, contre la droite ! Convenons, mes chers collègues, que nous avons tous participé à cette dérive de la gouvernance publique, à cet irréalisme, comme si toutes les promesses formulées pouvaient être exaucées.

Sans réformes structurelles profondes et courageuses, le retour à l’équilibre est une utopie. À cet égard, il me semble que nous avons deux priorités à assumer.

La première est de restaurer la compétitivité afin d’engendrer cette croissance dont nous avons besoin pour recréer enfin des emplois et inverser la courbe du chômage.

La seconde priorité est naturellement d’assainir nos comptes publics afin de parvenir à désendetter progressivement la France.

Ces deux impératifs sont indissociables.

Il n’y aura pas d’amélioration de nos comptes publics sans croissance économique. Et sans croissance, il n’y aura pas d’inversion de la courbe du chômage ! Or nous partons de loin. Le diagnostic cinglant établi par Louis Gallois dans le rapport qu’il a rédigé à la demande du Premier ministre est sans appel : il préconise un « choc de compétitivité ». Je regrette personnellement que son examen ne couvre que les dix dernières années, car s’il avait bien voulu porter son regard sur les cinq années précédentes, sans doute eût-il émis une appréciation critique sur les 35 heures.

Notre économie est en danger de décrochage. À cet égard, je voudrais rappeler que les marges des entreprises n’ont jamais été aussi faibles depuis 1985 et que, parmi les dix-sept pays de la zone euro, c’est en France que les marges sont les plus faibles.

Il faut impérativement rétablir ces marges pour retrouver des capacités d’investissement. On évoque souvent les difficultés de financement des entreprises. Permettez-moi de vous dire que les entreprises rentables n’ont pas de difficultés de financement. Le premier problème des entreprises, c’est la rentabilité !

Dans ces conditions, nous devons prendre des mesures fortes en matière de prélèvements obligatoires et cesser de financer notre protection sociale par des prélèvements sur les salaires, qui sont des impôts de production. Taxer la production à l’heure de la mondialisation, c’est organiser assez méthodiquement la délocalisation des activités et des emplois.

Je salue l’initiative que vous avez prise, messieurs les ministres, d’instituer un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi à hauteur de 20 milliards d'euros, mais, il faudrait aller, à mon avis, au moins jusqu’à 50 milliards d'euros. L’instauration de ce crédit d’impôt traduit toutefois deux avancées que je crois prometteuses. Pour la première fois, la gauche reconnaît que les charges sociales sont excessives. C’est un acquis important, que je salue comme tel. En outre, la gauche reconnaît que l’augmentation des taux de TVA n’est plus un chemin interdit, n’est plus un tabou de la République. Nous avançons dans la bonne direction, mais, de grâce, allons jusqu’au bout de ce chemin, renversons la table et donnons-nous les moyens de rétablir la compétitivité !

J’en viens à l’assainissement de nos finances publiques.

Il convient de sécuriser à la fois nos prélèvements obligatoires et leur structure. Je pense que vous avez renoncé à aller plus loin dans ce qu’on pourrait appeler le matraquage fiscal. Sécuriser les ressources, réduire les risques de fraude et les dérives de l’optimisation fiscale, c’est simplifier la fiscalité, c’est supprimer cette kyrielle, cette mosaïque de niches fiscales qui coûtent si cher à nos recettes, qui inspirent tous les mécanismes possibles de défiscalisation et qui nous font perdre des ressources considérables.

Opérons une réforme fiscale qui cessera de taxer la production et imposera les produits. Je l’ai dit, imposer les produits, c’est avoir recours à un impôt de consommation, c'est-à-dire à la TVA, que vous appellerez TVA de compétitivité, TVA anti-délocalisation, pour ne pas l’appeler TVA sociale. De toute façon, que l’impôt porte sur la consommation, sur le revenu ou sur le patrimoine, il est toujours payé par les ménages !

Nous avons besoin d’assiettes plus larges avec des taux aussi faibles que possible, une fiscalité qui soit lisible, compréhensible, claire et prévisible. Or, messieurs les ministres, je vous rends attentifs au fait qu’en douze mois vous avez donné des signes très contradictoires, notamment en ce qui concerne l’imposition des plus-values immobilières. Il faut mettre un terme à cette instabilité permanente qui fait fuir les investisseurs.

Concernant la dépense publique, il nous faudra sortir de la méthode du rabot. Les limites de l’exercice sont aujourd’hui largement atteintes : ces coupes plus ou moins claires, ces annonces aux effets souvent optiques sur des milliards qui ne se transforment jamais en économies réelles ne permettent pas d’améliorer la situation de nos finances publiques. Des réformes structurelles sont donc nécessaires.

Le reflux de la dépense publique est vital, incontournable. Nous devons restructurer nos pouvoirs publics et mener une réflexion en profondeur sur leur rôle, notamment au regard des besoins de la société française, des citoyens comme du secteur marchand. Tous les acteurs publics doivent être mobilisés autour de cette exigence, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités territoriales et naturellement de la protection sociale. Oserai-je y ajouter l’Union européenne, qui a fait des efforts, messieurs les ministres ? M. Cazeneuve doit s’en souvenir : on a fait pression sur la Commission pour qu’elle réduise les frais administratifs, et c’est ainsi qu’elle a décidé de porter la durée du travail hebdomadaire des fonctionnaires européens de 37, 5 heures à 40 heures.

Voilà qui pourrait sans doute inspirer un autre sujet de réflexion, et peut-être de réforme. Je pense que nous ne pourrons pas tenir la réduction nécessaire des finances publiques si nous ne remettons pas en cause la durée du temps de travail dans les trois fonctions publiques, d’État, territoriale et hospitalière. Puis-je rappeler que, lors de l’institution des 35 heures, il n’était pas question d’appliquer cette mesure dans la sphère publique ? Le fait d’avoir étendu les 35 heures au secteur public crée chaque année plus de 20 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires.

En matière de dépenses sociales, nous devons également faire preuve de courage. L’évolution de la situation démographique nous fait obligation de réformer courageusement notre système de financement des pensions et des retraites. Je fais confiance à la commission des affaires sociales pour nous faire des propositions. Mais j’ai peur qu’une fois encore on aille d’atermoiements en hésitations, qu’il ne se passe pas grand-chose et que les décisions ne soient pas à la hauteur des problèmes que nous avons à résoudre.

J’en viens aux normes, si nombreuses, qui sont des activateurs de dépenses publiques et des freins à la compétitivité. Combien de chantiers, de travaux, d’équipements ont-ils été retardés parce qu’il y a des procédures à respecter ?

Avant-hier, lors du débat que nous avons eu sur la réforme de la politique agricole commune, on s’est interrogé sur la compétitivité de l’agriculture allemande par rapport à l’agriculture française. Pour construire des bâtiments d’élevage en Allemagne, il faut quelques mois, alors qu’en France il faudra cinq ou six ans avant d’aboutir.

Il peut arriver aussi que des exigences liées à l’archéologie préventive retardent certains projets. Monsieur le président de la commission des finances, je ne remets pas en cause l’archéologie préventive, mais je peux vous citer de très nombreux cas de chantiers routiers qui sont stoppés parce qu’on n’a pas trouvé le temps ou les moyens de procéder aux diligences nécessaires.

J’attends, messieurs les ministres, que vous donniez une impulsion décisive face à ces pratiques administratives trop lourdes. Il y a sans doute nécessité d’alléger les administrations centrales qui concentrent des experts, des agents publics qui sont des édicteurs, des rédacteurs de normes. Il y a là, me semble-t-il, des économies considérables à réaliser.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion