Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 9 juillet 2013 à 14h30
Transparence de la vie publique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

J’invite ceux qui s’inquiètent de cette évolution à regarder ce qui se passe chez nos voisins européens ou à constater la rapidité avec laquelle le débat s’est clos pour les ministres dès lors que la publication de leurs patrimoines a été effective. Alain Anziani rappelait tout à l'heure ce que le Sénat a déjà fait en matière de déclaration d’intérêts des sénateurs, et comment les mesures adoptées ont vite été considérées comme normales, en toute transparence.

L’exigence de transparence est une nécessité. C’est aussi une évolution inévitable pour une société dans laquelle certains aspects de ce qui constituait auparavant la vie privée relèvent aujourd’hui du domaine public. Les réseaux sociaux sont passés par là, et, même s’il faut en refuser la dictature, ils modifient les habitudes, les comportements et les réflexes. Accepter, accompagner ces nouvelles exigences, c’est répondre à de nouvelles attentes afin d’être audibles sur les idées, les valeurs, les projets que nous souhaitons défendre et pour lesquels nous sommes engagés en politique.

En ce qui concerne les activités parallèles des parlementaires, faut-il aller plus loin que la publication des déclarations d’intérêts, qui est déjà effective pour les sénateurs et le sera bientôt pour l’ensemble des parlementaires ? Profiter de son mandat de parlementaire pour développer une activité complémentaire qui relève du conflit d’intérêts est naturellement interdit. De telles pratiques, qui vont parfois jusqu’au trafic d’influence, tombent sous le coup de la loi.

Cependant, avoir la capacité de revenir à tout instant à son activité, à son métier initial, en continuant parfois à le pratiquer donne plus de facilité pour avoir cette liberté de ton qui est utile, et même indispensable, en politique. Y renoncer créerait également des situations inégalitaires. Cela poserait nécessairement la question du statut de l’élu, car il faudrait alors s’interroger sur l’égalité devant le mandat entre un salarié du privé, un travailleur indépendant, un praticien libéral et un fonctionnaire. L’inégalité est déjà patente.

La diversité des origines et des compétences des parlementaires est une nécessité absolue. Cette diversité est déjà trop faible. Nous devons donc la préserver et même l’augmenter autant que possible. Sur cette question, il me semble que la position qui émerge des travaux de l’Assemblée nationale et de notre commission des lois est équilibrée.

Un autre point doit être abordé : le statut de nos collaborateurs. La transparence de l’activité parlementaire doit porter sur la totalité des acteurs. Employeurs ou activités complémentaires de nos collaborateurs : tout cela doit être connu. Mais cette exigence nouvelle d’une déclaration d’intérêts doit s’accompagner de la reconnaissance d’un statut qui permettrait de sécuriser les collaborateurs des parlementaires et des groupes politiques. C’est le sens d’un amendement que nous sommes plusieurs à avoir déposé.

La défense de l’intérêt général : voilà le cœur de l’action politique. Pour le symbole, il est essentiel que les responsables politiques soient exemplaires. Mais pour qu’ils servent à quelque chose, il faut qu’ils puissent agir. Sur ces questions, nous devons tracer des pistes pour faire évoluer nos institutions tant dans les comportements que dans les textes. Parlementaires parfois passe-plats de l’administration, parlementaires notaires d’un accord conclu ailleurs ou de la législation européenne, parlementaires contraints entre le Conseil d’État et l’exécutif, parlementaires qui cèdent trop vite face à ces contraintes : voilà l’ensemble des constatations qui nous interrogent sur le sens de notre mandat, mais indiquent en même temps les principes qui peuvent faire de ce mandat un mandat utile.

La politique est en crise dès lors que nos concitoyens ont le sentiment qu’une alternance tant attendue ne permet pas d’élargir les chemins du possible, ne change rien à leur quotidien, et que toute espérance est vaine. Cela entraîne la remise en cause de la capacité du politique à agir sur le réel et parfois, plus prosaïquement, de l’autorité du politique sur l’administration et, par voie de conséquence, de l’utilité du politique. Réussir à conjuguer « Le changement, c’est maintenant » et la continuité de l’action de l’État, ce n’est pas facile. Mais si le sentiment est qu’il y a un vainqueur et un vaincu entre ces deux exigences, alors nous aurons perdu.

Dans cet hémicycle, nous sommes nombreux à avoir milité pour la VIe République. Conservons cette perspective, car avancer vers de nouveaux équilibres institutionnels est la condition de notre réussite. Chaque ministre doit être personnellement responsable devant le Parlement. Chaque nomination importante au plus haut niveau de l’administration mériterait d’être ratifiée par les commissions compétentes du Parlement. Et ces ratifications doivent se faire dans un esprit qui rompt avec la déférence habituelle et la règle dite des trois cinquièmes négatifs, selon laquelle l’impétrant doit seulement éviter d’avoir plus de 60 % des voix contre lui.

À travers ces deux projets de loi, il s’agit au fond de donner aux responsables politiques la capacité de mobiliser l’ensemble des citoyens du pays pour son redressement. La condition de notre succès, c’est d’abord de créer un climat de mobilisation générale face à l’urgence économique et sociale, afin d’arrêter les destructions d’emplois quotidiennes. Cela passe par la confiance. Et, en ce qui nous concerne, créer la confiance passe par l’exemple, par l’exemplarité.

Les textes que nous examinons touchent les parlementaires, mais aussi une grande partie des élus de la République. En effet, les règles de transparence prévues dans le projet de loi ordinaire concernent aussi les parlementaires européens, les conseillers régionaux, les conseillers généraux, les maires et les maires adjoints. À l’exception de ceux qui cumulent, ces élus ne pourront pas s’exprimer dans cette enceinte. Là aussi, il y aurait beaucoup à dire.

La décentralisation des compétences doit s’accompagner d’une profonde réforme qui permette de mieux lier compétences et capacité à déterminer et à lever les recettes pour y faire face. Dans le cas contraire, c’est le sens des mandats électifs qui risque de s’étioler progressivement, tout comme la capacité des élus locaux à peser sur la réalité. Et je ne parle pas des transferts de souveraineté au niveau européen, absolument essentiels afin de pouvoir peser sur l’évolution du monde, mais qui contraignent les marges de manœuvre réelles du débat national, celles de l’exécutif comme celles du Parlement. Tant que l’on refusera un véritable débat à l’échelon européen, la politique restera contrainte.

Tout cela nous mène loin de la transparence, mais ma conviction est que la transparence est un moyen de redonner à la politique la capacité d’agir. Les deux projets de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, constituent des outils qui feront de notre pays un modèle en la matière. Ils constituent aussi un vecteur pour affiner certains aspects du financement de notre vie politique. Ces projets de loi réaffirment le devoir d’exemplarité des élus, indispensable pour qu’ils soient audibles lorsqu’ils présentent un projet politique et pour qu’ils pèsent sur les décisions.

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