La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente.
La séance est reprise.
J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de Jean-Louis Lorrain, décédé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence de la vie publique (projet n° 688, texte de la commission n° 723, rapport n° 722) et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence de la vie publique (projet n° 689, texte de la commission n° 724, rapport n° 722).
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, « rien n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés dans les affaires publiques ». Ces mots de Jean-Jacques Rousseau, tirés du Contrat social, sont l’esprit des projets de loi qui vous sont aujourd’hui proposés.
Je sais que beaucoup d’entre vous – j’allais dire « d’entre nous » – s’insurgent contre les sondages qui révèlent une défiance grandissante et inquiétante des Français à l’égard de leurs représentants.
Je sais aussi que la faute de quelques-uns ne peut justifier l’opprobre que l’on jette sur tous les autres, qui exercent leurs mandats dans le respect des principes qui fondent leurs engagements.
J’ai la conviction que ces réactions légitimes ne répondent pas à l’attente d’une opinion publique nourrie par le doute à l’égard de ses représentants, alors que, comme toujours en période de crise, l’antiparlementarisme et, au-delà, la remise en cause des responsables publics constituent le fonds de commerce de l’extrême droite.
L’enjeu de ces textes est simple : retrouver le chemin de la confiance de nos concitoyens et rétablir une capacité d’écoute de la parole politique.
Combattre le poison du soupçon permanent par l’exemplarité républicaine : telle est la démarche que vous propose le Gouvernement.
J’ai, au fil des dernières semaines, acquis une conviction sur le mot « transparence », qui a tant cristallisé les interrogations, parfois les critiques. Cette notion de transparence n’est au fond que l’une des modalités d’exercice de la souveraineté du peuple : la démocratie, c’est précisément la délibération publique des représentants élus comme le pari de l’intelligence de nos concitoyens.
Il ne s’agit pas là d’une concession passagère à la mode ou aux nouvelles technologies, qui modifient d’ailleurs, dans un sens souvent heureux, l’information de nos concitoyens. Pour se convaincre de l’ancienneté de cette notion dans le débat public, il suffit de relire les échanges qui ont eu lieu ici même en février et en mars 1988, lors de l’examen de la loi relative à la transparence financière de la vie politique, présentée par le gouvernement de Jacques Chirac.
Jacques Larché était le rapporteur de la commission des lois, et le compte rendu intégral des débats publié au Journal officiel témoigne de débats de haute tenue. Je citerai, par exemple, les brillantes interventions de Michel Dreyfus-Schmidt et, pour le groupe communiste, de Charles Lederman.
En outre, la lecture de ces débats m’a conduit à considérer que nul ne pourra s’exonérer d’un constat gravé dans l’histoire des trois dernières républiques : chaque majorité, chaque gouvernement souhaite légiférer dans la sérénité. Pourtant, il convient d’observer que les grands scandales politico-financiers ont tous abouti à des modifications législatives.
Sans remonter aux affaires des républiques passées ni des temps antiques, il suffit de se rappeler le scandale de la Garantie foncière, en 1971, qui rendit nécessaire la mise en place du système des déclarations d’activité.
Faut-il également rappeler les circonstances qui conduisirent le président Nicolas Sarkozy à commander un rapport à la commission Sauvé sur la transparence de la vie publique, rapport qui demeura sans suite législative ?
Parlant de la peste, ce fameux mal répandant la terreur et envoyé par le ciel pour punir les hommes, La Fontaine écrivait : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. »
Convenons que ce mal qui touche régulièrement la vie de nos républiques est sans doute assez indissociable de la condition humaine et du fonctionnement des corps sociaux.
Convenons aussi qu’il nous appartient collectivement de lui administrer le meilleur des remèdes démocratiques : l’adoption de bonnes lois, qui seront bien appliquées.
Le Président de la République a demandé au Gouvernement de préparer quatre projets de loi, et d’en saisir sans délai le Parlement, lorsque les événements récents que vous connaissez, impliquant un ancien ministre du budget, ont profondément altéré la confiance des Français en leurs représentants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la démocratie représentative ne peut se comprendre et être acceptée si ceux qui détiennent un mandat du peuple l’exercent à leur profit et non pour le bien des citoyens qui leur ont accordé leur confiance.
Nous le savons, les responsables publics de notre pays ne manquent ni d’honneur ni de vertu au sens où l’entendait Montesquieu. Mais je me suis forgé une solide conviction à cet égard au fil des mandats parlementaires que j’ai eu l’honneur de remplir. Les Français ne pourront nous écouter – si ce n’est nous entendre ! – que si la parole publique retrouve son prestige.
Il n’est pas là question d’affaires de parti, de droite ou de gauche. La démocratie est toujours une quête permanente. Elle doit se conforter par des pratiques et des mœurs faisant davantage place à la responsabilité de nos concitoyens.
Ces projets de loi font le pari de restaurer la confiance dans les institutions comme dans leurs serviteurs, en misant précisément sur la confiance en nos concitoyens.
Depuis le conseil des ministres du 13 mars dernier, je travaille à l’élaboration d’un projet de loi sur les conflits d’intérêts sur la base des recommandations du rapport de la commission Jospin mais, surtout, dans le prolongement des engagements pris par le Président de la République en faveur d’une République exemplaire.
Pour ce faire, j’ai pris connaissance, dès le début de mes travaux, de ceux de la commission des lois du Sénat et du groupe de travail pluraliste institué en novembre 2010, sous la présidence de Jean-Jacques Hyest.
Ce rapport, le premier du genre, est toujours une base de réflexion indispensable pour envisager le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
Sur ce socle, votre commission des lois s’est attachée à concilier plusieurs exigences d’égale importance, que ce soit la publicité des informations et le droit à la vie privée, le contrôle par un organe extérieur et la séparation des pouvoirs, ou l’indépendance de l’élu et la liberté de mener une activité de son choix. Elle a adopté 109 amendements, signe de sa contribution importante à l’amélioration de la qualité de la loi, dont le président Jean-Pierre Sueur, on le sait, a le souci permanent.
Ces projets de loi s’organisent autour de trois objectifs : de nouvelles déclarations pour favoriser la transparence démocratique, de nouveaux contrôles autour d’une autorité administrative d’un nouveau genre et des dispositifs répressifs ou contraignants modernisés.
Le contrôle des électeurs sur ceux à qui ils ont confié le soin de les représenter est une exigence démocratique ancienne. Ce regard citoyen est l’essence même de la démocratie représentative.
À cet égard, je vous rappelle qu’une telle préoccupation apparaît dès l’aube du régime parlementaire avec la première assemblée élue au suffrage universel que la France ait connue : la Convention nationale.
C’est en effet le 14 mai 1793 que la Convention nationale décrétait que les représentants du peuple sont à chaque instant comptables à la nation de l’état de leur propre fortune. Je cite la résolution révolutionnaire : « On nous parle souvent de corruption et de fortune scandaleuses. Pour connaître de quel côté a été la corruption, il est demandé que chaque député soit tenu de donner l’état détaillé de sa fortune, que cet état soit imprimé et que celui qui aurait fait un faux bilan soit déclaré infâme ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette exigence demeure d’une grande actualité.
S’agissant de la déclaration de situation patrimoniale, notre dispositif d’origine, ambitieux, a été remanié.
Concernant la question de la publication des déclarations, qui a fait l’objet d’un débat au cours des dernières semaines, je rappelle qu’il ne s’agit pourtant pas d’une question récente. Souvenons-nous, parmi les 110 propositions de François Mitterrand, de l’engagement n° 49 : …
… « La vie publique sera moralisée : déclarations des revenus et du patrimoine des candidats aux fonctions de Président de la République, de député et de sénateur ainsi que des ministres en exercice, avant et après expiration de leurs mandats. »
Ici même au Sénat, on relève, dès 1979, une proposition de loi de M. Mercier et des sénateurs radicaux de gauche pour organiser une telle publicité.
Les propositions de loi ou amendements relatifs à ce sujet émanant des groupes communistes, socialistes ou autres, furent également très nombreux au cours des trente dernières années. Nous y reviendrons au cours du débat.
Tout en maintenant la publicité de l’ensemble des déclarations d’intérêts, la commission des lois a modifié le dispositif sur la publicité des déclarations de situation patrimoniale des élus et supprimé l’infraction sanctionnant la divulgation de leur contenu, se limitant à pénaliser une divulgation mensongère ou délibérément inexacte. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements qui ont été déposés sur ce sujet.
La solution de compromis élaborée par l’Assemblée nationale permettait, nous semble-t-il, d’offrir de nouveaux droits à nos concitoyens, tout en garantissant aux élus, sur le plan local, la protection de leur vie familiale.
Je pense, notamment, au droit d’alerte citoyenne, ...
… qui est maintenu, mais sans la disposition relative à la protection des lanceurs d’alerte, qui peuvent jouer un rôle utile, comme on l’a vu à l’occasion d’affaires récentes ; je pense au Mediator, par exemple.
La notion de lanceur d’alerte est une idée relativement récente en France.
J’ai bien noté que la commission des lois du Sénat a supprimé cette disposition, à laquelle le Gouvernement est attaché, mais nous y reviendrons ultérieurement.
La commission des lois a, en outre, prévu le dépôt par le Gouvernement d’un document budgétaire retraçant l’utilisation faite de la « réserve parlementaire » l’année précédente, et a adopté, sur l’initiative de Gaétan Gorce, des mesures visant à renforcer l’encadrement du financement de la vie politique et les moyens de contrôle. Ces évolutions ont le soutien du Gouvernement.
Concernant la prévention des conflits d’intérêts, nous vous proposons également une avancée démocratique qui fera date.
Pour la première fois dans notre histoire, un texte législatif va définir la notion de conflit d’intérêts et mettre en place des outils de nature à prévenir de telles situations.
Notre ambition est bel et bien de placer notre pays au rang des démocraties les plus avancées en la matière. Comme je l’ai souligné devant la commission des lois, la question des conflits d’intérêts se pose dans l’ensemble des sociétés démocratiques avancées.
Je sais que, derrière les appréhensions qui peuvent exister autour du mot « transparence », s’exprime en fait une réserve à l’égard de la notion de conflit d’intérêts. Pourtant, dans une société démocratique avancée, c’est cette marge grise de non-droit qu’il faut faire régresser afin que, au lieu d’être ignorées, certaines situations soient organisées et contrôlées par le droit.
C’est pourquoi le Gouvernement propose de rendre obligatoires des déclarations d’intérêts pour les personnes visées par le projet de loi organique et le projet de loi ; ces déclarations seront rendues publiques par la Haute Autorité de la transparence de la vie publique. Je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’on ne mesure pas les bouleversements qui résulteront de cette mesure !
La commission des lois a remanié les dispositions fixant le contenu des différentes déclarations, d’une façon qui me paraît tout à fait utile ; nous en débattrons dans la discussion des articles.
Au surplus, le projet de loi organique et le projet de loi organisent pour la première fois un système de déport, en vertu duquel, par exemple, les membres des autorités administratives indépendantes – ne réduisons pas le champ du débat aux seuls parlementaires – qui se trouveront dans une situation de conflit d’intérêts auront l’obligation de s’abstenir de prendre part à l’affaire ou à la décision en cause. Il s’agit d’une traduction moderne de la maxime de droit latin selon laquelle on ne peut être à la fois juge et partie.
Cette nouvelle obligation, elle aussi, est la matrice d’un profond renouvellement des pratiques. J’y reviendrai car le Gouvernement, même s’il a pris bonne note des interrogations de la commission des lois sur la situation des ministres, souhaite qu’une référence explicite à la situation de ces derniers figure dans la loi.
Le projet de loi prévoit également d’instituer un mécanisme nouveau de mandat de gestion pour les intérêts financiers détenus par les membres du Gouvernement et les membres des autorités administratives indépendantes intervenant dans le domaine économique. Quelle meilleure prévention des délits d’initié que des mandats de ce type, sans droit de regard des intéressés pendant toute la durée de leurs fonctions ?
Afin d’assurer le contrôle de ces différentes obligations, le Gouvernement vous propose de créer une Haute Autorité de la transparence de la vie publique disposant de pouvoirs effectifs, en remplacement de l’actuelle Commission pour la transparence financière de la vie politique, instituée en 1988.
Les principaux responsables politiques et administratifs de notre pays devront lui transmettre les différentes déclarations prévues et les sanctions pénales en cas de non-respect des obligations de transmission seront renforcées.
Afin qu’elle forme un véritable organe indépendant de régulation, la Haute Autorité sera dotée de l’autonomie financière et pourra fixer elle-même son organisation interne ainsi que ses procédures par un règlement général.
Le président de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique sera nommé par décret, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution. Nous aurons quelques échanges sur la composition de ce collège, puisque la question sera soulevée par divers amendements.
La Haute Autorité de la transparence de la vie publique aura un rôle et des pouvoirs élargis par rapport aux missions de l’actuelle Commission pour la transparence financière de la vie politique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quelle est la valeur d’une règle lorsque les moyens de contrôle n’existent pas ou sont insuffisants ? Je rappelle que la Commission pour la transparence financière de la vie politique, dont certains demandent le maintien dans le cadre d’un statu quo du droit positif, a elle-même signalé, dans chacun de ses rapports annuels, que l’insuffisance des moyens juridiques à sa disposition ne lui permettait pas de remplir efficacement la mission que le législateur lui avait confiée.
Avez-vous déjà vu une commission satisfaite de son sort ? Vous découvrez des évidences !
Demain, la Haute Autorité de la transparence de la vie publique pourra demander la transmission des déclarations fiscales remplies par le conjoint. À défaut d’obtenir directement communication de ces déclarations, elle pourra en demander copie à l’administration fiscale.
En outre, la Haute Autorité pourra demander à l’administration fiscale d’exercer son droit de communication, ce qui représente évidemment une avancée très importante. Une sanction pénale d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pourra également être prononcée en cas de refus de communication des déclarations.
On le voit, le projet du Gouvernement est porteur d’une réelle ambition pour cette nouvelle autorité administrative indépendante, qui pourra être saisie par le Premier ministre, le président de l’une des assemblées parlementaires ou une association habilitée de lutte contre la corruption.
Enfin, le projet de loi organique et le projet de loi prévoient les évolutions normatives nécessaires à la construction d’une « culture déontologique », tâche ardue fixée par le rapport Sauvé.
Plus précisément, nous vous proposons deux séries de dispositions, touchant respectivement aux incompatibilités parlementaires et au renforcement de la répression contre les malversations.
Nos premières propositions consistent à protéger les parlementaires des intérêts particuliers.
Comme l’a souligné le rapport d’information du Sénat sur la prévention des conflits d’intérêts, publié en mai 2011, la logique des incompatibilités n’est pas d’interdire toute activité professionnelle.
Il s’agit plutôt de soustraire le mandat parlementaire aux influences susceptibles de l’écarter de la prise en compte de l’intérêt général.
Le Gouvernement propose d’interdire, par exemple, le cumul du mandat parlementaire avec l’exercice de fonctions au sein d’entreprises réalisant une part importante de leur activité commerciale avec l’administration.
L’indépendance des élus qui participent à l’exercice de la souveraineté nationale est un principe constitutionnel, qui doit être garanti par l’édiction de nouvelles interdictions évitant la confusion de l’argent et de la démocratie.
S’agissant des incompatibilités parlementaires, la commission des lois a maintenu le dispositif adopté par l’Assemblée nationale, en ajoutant une nouvelle incompatibilité, relative à la direction d’un syndicat professionnel. Une telle précision me semble utile.
Je tiens à souligner que, en ce qui concerne tant le contrôle des incompatibilités que les sanctions éventuelles en cas de conflit d’intérêts, les projets initiaux du Gouvernement comme les textes issus des travaux de la commission des lois du Sénat respectent pleinement l’autonomie des assemblées.
En effet, le dernier mot reviendra toujours au bureau des chambres, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement vous propose de mettre en œuvre l’engagement n° 49 de François Hollande en ouvrant la possibilité d’une peine complémentaire d’inéligibilité : ainsi, l’ensemble des élus du suffrage universel et les membres du Gouvernement seront passibles d’une peine d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à dix ans en répression des infractions portant atteinte à la moralité publique telles que la corruption, le trafic d’influence, la fraude électorale et la fraude fiscale.
Enfin, nous vous proposons de renforcer la répression du « pantouflage ». À cet égard, l’interdiction faite aux fonctionnaires par le code pénal de rejoindre, à l’issue de leurs fonctions, une entreprise avec laquelle ils ont été en relation du fait de ces fonctions sera étendue aux membres du Gouvernement et aux titulaires de fonctions exécutives locales.
Le projet de loi organique et le projet de loi que le Gouvernement vous présente s’attachent à fixer un cadre commun de la déontologie de la vie publique sans chercher à régir dans le moindre détail le comportement des responsables publics.
Comme lors des principales affaires qui éclaboussèrent les trois dernières républiques, l’inaction n’est pas une option, car ces questions sont au cœur du pacte républicain !
Les dispositions que le Gouvernement soumet à votre examen forment un ensemble conçu pour servir la démocratie en lui apportant un surcroît de transparence et de justice.
C’est d’abord aux responsables publics, élus ou non, que justice sera rendue. En réglementant les liens qui unissent argent et politique, le projet de loi organique et le projet de loi sont destinés à lever la suspicion qui pèse sur ces responsables dans l’opinion publique.
Ensuite, la justice sera assurée pour nos concitoyens qui, mieux informés et garantis, pourront distinguer le vrai du faux sans le filtre du soupçon.
Lors de l’épreuve de philosophie du baccalauréat de cette année, de nombreux lycéens ont planché sur ce sujet : « Peut-on faire de la morale si l’on ne s’intéresse pas à la politique ? »
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question qui nous est posée est d’une certaine manière inverse : peut-on faire de la politique sans s’intéresser à la morale ?
Montesquieu, dans De l’Esprit des lois, écrivait très simplement que pour pouvoir fonctionner une démocratie a besoin de personnalités vertueuses.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je suis convaincu que la Haute Assemblée saura promouvoir et améliorer la cause de la vertu publique !
Applaudissements
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la transparence, le contrôle et le respect de la vie privée…
… sont trois impératifs qui s’imposent à nous. De fait, c’est à nous, législateurs, qu’il revient de trouver, avec le Gouvernement, le meilleur dispositif pour concilier la nécessaire transparence, le contrôle qui s’impose et le respect de la vie privée auquel nous avons de bonnes raisons d’être fortement attachés.
Monsieur le ministre, le projet de loi organique et le projet de loi fixent les obligations de déclaration de l’ensemble des responsables publics : membres du Gouvernement, parlementaires nationaux et européens, responsables des exécutifs locaux au-delà d’une certaine taille pour les communes et les intercommunalités, membres des autorités administratives indépendantes et hauts fonctionnaires nommés en conseil des ministres, dirigeants d’entreprises publiques.
Il s’agit de pouvoir vérifier l’évolution du patrimoine de ces responsables pendant le temps de leur mandat, s’ils sont élus, ou de leurs fonctions, s’ils sont fonctionnaires, et de montrer qu’il n’y a pas d’enrichissement inexpliqué.
Comme M. le ministre l’a fort bien rappelé, ces projets s’inscrivent dans une lignée de lois : la loi organique du 24 janvier 1972 modifiant la législation relative aux incompatibilités parlementaires a instauré la déclaration d’activités, puis les lois du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique la déclaration de patrimoine ; enfin, en 2011, sur l’initiative des assemblées parlementaires, tout particulièrement du Sénat, la déclaration d’intérêts a été créée.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est dans cette évolution historique que viennent s’inscrire les deux textes que nous examinons aujourd’hui.
M. le ministre acquiesce.
Je vous rappelle aussi que la commission des lois du Sénat a publié un rapport d’information rédigé par MM. Jean-Jacques Hyest, Alain Anziani, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jean-Pierre Vial. Les conclusions de ce rapport, fruits d’un travail important, ont été approuvées par la commission. Elles m’ont servi de fil rouge dans mon travail.
De fait, dans les amendements que je présenterai, j’ai repris à mon compte un certain nombre des suggestions qui ont été avancées dans le cadre pluraliste ayant permis la rédaction de ce rapport.
Il s’agit, mes chers collègues, de la démarche d’élus, dont nous faisons partie, attachés à la République et à la transparence comme au contrôle et au respect de la vie privée.
Nous sommes attachés au contrôle du Parlement par le Parlement, pas par des fonctionnaires !
Certes, mon cher collègue, le contrôle du Parlement par le Parlement et la séparation des pouvoirs sont de bonnes choses.
Or la justice est la première des instances indépendantes de notre pays, du moins voulons-nous le croire ! Il n’est jamais bon qu’une instance ne se réfère qu’à elle-même.
Qu’il me soit permis d’insister tout particulièrement sur certains points dont nous débattrons.
Je dirai un mot, d’abord, de la communication des déclarations de patrimoine, qui est un bon point. Le projet de loi prévoit dans le détail la manière dont elles seront rédigées. À cet égard, nous avons adopté un grand nombre d’amendements, et nous en adopterons peut-être d’autres ce soir.
Ces déclarations de patrimoine sont déposées au début et à la fin du mandat.
Ce qui n’est pas encore prévu par la loi, en revanche, c’est la transparence.
Le projet du Gouvernement prévoyait, pour les parlementaires comme pour les ministres, la publicité des déclarations de patrimoine. Nos collègues de l’Assemblée nationale ont adopté un dispositif selon lequel les déclarations sont faites auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui les transmet, après vérification.
Notre commission des lois a modifié les délais prévus, afin qu’il puisse effectivement y avoir vérification. Au demeurant, l’opération pourra se poursuivre après la transmission des déclarations en préfecture. Selon le dispositif adopté par l’Assemblée nationale, ces dernières seront consultables par tout électeur.
Aux termes de l’alinéa 51 de l’article 1er du projet de loi organique adopté par l’Assemblée nationale, « le fait de publier ou de divulguer, de quelque manière que ce soit, tout ou partie des déclarations de situation patrimoniale, des observations ou des appréciations » afférentes se traduit par une sanction qui peut aller jusqu’à un an de prison et 45 000 euros d’amendes. Notre commission a adopté un amendement visant à supprimer cet alinéa. Pourquoi ?
Absolument pas, monsieur Longuet ! L’honneur d’un parlementaire a au contraire beaucoup d’importance. Simplement, la commission des lois a très majoritairement estimé qu’il n’y avait pas grand sens à sanctionner d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende quiconque aura communiqué une information universellement consultable.
… il n’y a pas de fondement à en sanctionner la communication.
Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que tous les sites internet ne sont pas soumis à la loi française ? §
Si l’un d’entre vous connaît un dispositif susceptible de remédier à cet état de fait, qu’il nous en fasse part !
De plus, les journalistes pourront invoquer le secret de leurs sources pour diffuser une information à laquelle, de toute façon, chacun aura largement accès.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Mes chers collègues, êtes-vous donc favorables à ce que des divulgations fausses soient publiées et non sanctionnées ?
Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.
Vous ferez vos propositions, dont j’ai déjà eu connaissance ; mais je n’ai pas relevé un grand nombre d’alternatives !
La première possibilité, on en a parlé encore ce matin, c’est le texte initial du Gouvernement, à savoir la communication des déclarations par le Journal officiel.
La seconde possibilité, c’est le dispositif imaginé par l’Assemblée nationale. Dans ce cas, la sanction prévue par nos collègues nous paraît totalement disproportionnée et impraticable. Dans les faits, elle ne serait jamais ou rarement infligée.
Le texte prévoit également des sanctions fortes, mais justifiées, à l’égard des parlementaires qui omettraient de faire ces déclarations ou qui feraient de fausses déclarations. Sur ce point, il n’y a pas de désaccord.
Le cas des ministres est prévu par le texte, monsieur Doligé.
La commission des lois s’est opposée à une inéligibilité perpétuelle, considérant que cette sanction était contraire à l’esprit de nos institutions.
Chacun a le droit de s’amender quelques décennies plus tard et de devenir meilleur.
Ces dispositifs s’appliquent aux parlementaires, aux maires des communes d’une certaine importance, ainsi qu’aux présidents d’une intercommunalité. Le texte prévoyait un seuil de 30 000 habitants, que nous avons conservé. Ainsi, le nombre total de personnes assujetties à ce dispositif serait de l’ordre de 7 000.
La commission a également pris en compte, monsieur Baylet, la nécessité de préserver la vie privée, …
… au regard des indivisions en cas de communauté de biens. Elle a aussi soutenu ou précisé un certain nombre de mesures relatives à la discrétion à l’égard des conjoints, des membres de la famille et des proches.
Pour ce qui est des collaborateurs parlementaires, nous avons prévu la déclaration de tous les autres emplois exercés concomitamment afin de prévenir les conflits d’intérêts.
Dans le texte qui nous a été transmis, le conflit d’intérêts est défini comme une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics et privés. Notre commission a modifié sur trois points cette définition.
Premièrement, elle en a restreint le champ, le limitant à toute interférence entre des intérêts publics et des intérêts privés. Il est en effet facile de voir, ne serait-ce qu’en assistant aux séances du Parlement, que divers intérêts publics entrent souvent en ligne de compte. Par exemple, beaucoup d’entre nous, le mardi matin, défendent les intérêts de telle ou telle collectivité locale.
Deuxièmement, la commission a modifié la partie de l’article 2 du projet de loi indiquant que le conflit d’intérêts est « de nature à compromettre ou à paraître compromettre l’exercice des fonctions ». Nous avons supprimé le verbe « paraître ». N’ayant pas encore réussi à percevoir toutes les subtilités de la théorie des apparences, nous avons préféré nous en tenir aux faits.
Troisièmement, le texte du Gouvernement tendait à préciser que les personnes exercent leurs fonctions « avec dignité, probité et impartialité ».
Par définition, nous avons tous un parti pris ! Sinon, nous ne serions pas parlementaires !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Justement, monsieur Longuet. C’est pourquoi la commission a décidé de supprimer le mot « impartialité ». Car je ne connais pas de ministre ni de parlementaire impartiaux : nous défendons tous, animés par nos convictions, les causes qui nous tiennent à cœur. La commission a retenu l’expression « dignité, probité et intégrité ».
Rires
Qu’y-a-t-il de risible ? Cette rédaction est meilleure dans la mesure où nous sommes tous nécessairement engagés.
S’agissant de l’obligation de déport, nous avons modifié le texte du Gouvernement, car nous considérons que le déport n’est possible ni pour le Premier ministre, qui, comme vous le savez, contresigne, en vertu de la Constitution, la majorité des actes du Président de la République, ni pour les ministres, qui contresignent, dans le champ de leur compétence, nombre d’actes du Premier ministre, en particulier ceux dont ils doivent assurer l’exécution.
Pour ce qui est des incompatibilités, nous avons suivi l’Assemblée nationale. S’agissant de l’incompatibilité avec la fonction de conseil et de l’interdiction de commencer une activité nouvelle durant le mandat, nous avons introduit certaines propositions du rapport que j’ai cité tout à l’heure, relatives en particulier à l’incompatibilité d’un mandat parlementaire avec la direction d’un syndicat professionnel ou la présidence d’une autorité administrative indépendante.
Toujours en vertu des propositions figurant dans ce rapport, nous avons retenu une incompatibilité avec la direction des sociétés mères qui travaillent pour l’État.
Nous avons aussi précisé que les fonctionnaires devenus parlementaires devront désormais être en position de disponibilité et non de détachement.
Enfin, nous avons prévu qu’il serait impossible à un parlementaire de percevoir une rémunération pour siéger dans des instances au sein desquelles il représente l’assemblée à laquelle il appartient.
Nous avons aussi précisé les incompatibilités professionnelles applicables aux membres du Conseil constitutionnel, tout en adoptant ce matin un amendement aux termes duquel ces derniers peuvent continuer à exercer certaines fonctions ou certains travaux d’ordre scientifique, juridique, intellectuel ou culturel.
S'agissant de la réserve parlementaire – sujet que chacun connaît ici –, certains voudraient la supprimer.
La commission a été saisie sur ce point de plusieurs amendements qu'elle examinera ce soir.
Certains d’entre eux visent à rendre publique l'affectation des dotations financières consenties dans le cadre de la réserve parlementaire – appellation indue, d’ailleurs –, laquelle, comme chacun sait, est inscrite dans les crédits du ministère de l'intérieur et dont les parlementaires proposent l'attribution à des communes, à des collectivités locales ou à des associations.
S'agissant de la question des lanceurs d'alerte, …
… il vous est proposé de supprimer les articles y afférents, pour la simple raison que des dispositions semblables figurent dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, que nous examinerons dans quelques jours. Il nous a paru inutile d'engager deux fois le même débat à deux semaines d'intervalle.
Sourires sur les travées de l'UMP.
S'agissant de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique, nous avons adopté un certain nombre d'amendements visant à conforter son indépendance et à élargir sa composition.
Ainsi, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat désigneraient désormais chacun non plus une, mais deux personnalités qualifiées pour siéger au sein de cette instance, et ce après avis conforme des commissions parlementaires compétentes rendu à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Nous avons également considéré que la Haute Autorité devait disposer de plus de temps pour contrôler les patrimoines. En particulier, elle doit pouvoir saisir les services fiscaux qui devront lui fournir les informations nécessaires plus rapidement qu’ils ne le font aujourd’hui. De la sorte, elle pourra en trois mois procéder aux contrôles prévus par le projet de loi, étant entendu que, dès lors que les déclarations de patrimoine auront été adressées aux préfectures, elle continuera d’exercer cette mission de contrôle.
Enfin, la commission a adopté un certain nombre de dispositions relatives au financement de la vie politique. Ainsi, elle a plafonné les dons susceptibles d’être versés par une même personne physique à un ou plusieurs partis politiques, de même qu’elle a limité la possibilité pour les parlementaires de se rattacher à des micropartis ou à des structures considérées comme telles. Sont visés en particulier les micropartis basés dans des collectivités d'outre-mer, qui, d'une certaine façon, permettent de contourner la loi à des fins de commodité.
Mes chers collègues, telles sont les principales modifications à ce texte que vous propose la commission des lois. Nous avons été guidés par le souci…
… de parvenir au meilleur équilibre possible entre la transparence, le contrôle et le respect de la vie privée. Nous avons souhaité ne pas adopter de dispositifs impraticables, autrement dit nous avons veillé à écarter toute mesure irréaliste.
Lorsque la loi est violée, lorsqu’elle n’est pas respectée ou bien en cas d’exploitation mensongère des déclarations faites par les élus, nous avons souhaité que de vraies sanctions s’appliquent.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce type de loi fut de tout temps un combat.
Je me souviens, soit en tant que parlementaire soit en tant que membre du gouvernement, que les lois de moralisation du financement des campagnes électorales ou des partis politiques, …
… qu’elles aient été présentées par Michel Rocard ou par Alain Juppé, avaient été vivement combattues. Nombreuses avaient été les déclarations selon lesquelles une telle entreprise n’était ni sérieuse ni réaliste, et qu’il ne fallait pas s’engager sur ce chemin.
De même, quand ont été instaurées l'indemnité parlementaire ou les indemnités des élus, il s’était trouvé de bons esprits pour considérer que ces fonctions devaient être exercées gratuitement et qu'il ne fallait pas parler de ce sujet.
MM. Henri de Raincourt et Bruno Sido s’exclament.
Chaque fois que l'on aborde les questions relatives aux rapports entre l'argent et la politique, on trouve toujours de bons esprits pour nous expliquer que ce n’est pas le moment, que le problème ne se pose pas et que tout va bien.
Mes chers collègues, vous savez très bien que tout ne va pas bien.
Pour s’en convaincre, il suffit de suivre l'actualité de ces derniers jours, de ces dernières semaines et de ces derniers mois.
Nous n'acceptons pas que certains puissent prétendre qu’il n'y a rien à faire. Aucun d'entre vous, vous le savez bien, ne peut défendre aujourd'hui un quelconque statu quo.
Pour ma part, je salue l’initiative prise par le Président Hollande de présenter cette grande loi de transparence de la vie politique.
Certes, comme l’a dit notre collègue Pierre-Yves Collombat, citant Malebranche, cette grande loi s’explique bien par une « cause occasionnelle ». Mais elle mérite d’être soutenue, même si le texte doit être amélioré ou précisé.
Quoi qu’il en soit, à chaque loi de moralisation, des réticences se sont exprimées, puis chacun a fini par reconnaître que ces lois étaient justifiées, nécessaires, et personne n'est revenu sur ces textes.
Je vous invite à saisir l'occasion qui nous est offerte de contribuer – même s’il faudra bien d’autres apports – à réconcilier les Français avec la politique.
Monsieur de Raincourt, je ne partage pas votre défaitisme. La vérité rend libre !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La transparence, le contrôle et le respect de la vie privée seront des garanties pour la démocratie. On sert toujours la République lorsque l'on écrit des lois qui réconcilient les citoyens avec la chose publique.
Applaudissements
M. Jean Louis Masson . Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner ces textes, disons-le, c'est que nous sommes victimes de M. Cahuzac !
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
On met dans le même sac M. Cahuzac et les parlementaires honnêtes !
Le Président Hollande aurait mieux fait de régler le problème de son ancien ministre plutôt que d'embêter les parlementaires en les obligeant à exposer leur vie privée dans tous les domaines !
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Dans un premier temps, j'ai hésité à m'abstenir sur ces textes. Mais notre assemblée, sur un point précis, pour faire plaisir à M. Hollande, a adopté une position qui me scandalise et qui me conduira finalement à voter résolument contre ce projet de loi : je veux parler de la possibilité de publicité du patrimoine personnel des parlementaires.
Cette atteinte à la vie privée est tellement révoltante que la majorité socialiste de l'Assemblée nationale avait fait un pas en arrière. Mais, au Sénat, certains en rajoutent toujours une couche pour bien se faire voir du Président de la République.
Sourires sur les travées de l'UMP.
En l’occurrence, ils en ont rajouté une bonne couche, en affirmant n’importe quoi !
Nous dire que l'on ne peut pas à la fois autoriser la consultation des déclarations de patrimoine et empêcher leur publication dans la presse ou sur internet est un énorme mensonge ! Actuellement, nos concitoyens, y compris nos adversaires politiques, peuvent aller consulter nos déclarations d’impôt sur le revenu ou d’impôt de solidarité sur la fortune.
Mais leur publicité étant sanctionnée par la loi, pas un ne s’est jusqu’à présent permis de passer outre l’interdiction de publication !
Prétendre que ce système, qui fonctionne très bien pour les déclarations d'impôt sur le revenu ou sur la fortune, ne serait pas valable pour les parlementaires, c’est incompréhensible. Ou bien je suis complètement incohérent et je ne comprends rien à rien, ou bien ceux qui affirment cela ne sont pas de bonne foi !
Cette proposition n’a d’autre but que de faire diversion et de faire plaisir à une presse malsaine et démagogique, qui, pour vendre du papier, confond caractère public d'un document et publicité tous azimuts. Ce n'est pas en exhibant la vie privée des parlementaires dans les journaux ou ailleurs…
… que l’on ira vers plus de transparence dans la vie publique et que l’on empêchera les gens d'être malhonnêtes.
Par exemple, s’agissant de M. Cahuzac, personne n'aurait su à la lecture de sa déclaration d’impôt qu'il avait planqué de l'argent en Suisse, pour la simple raison que ces avoirs n’y auraient pas été mentionnés !
Publier dans un journal la situation détaillée du patrimoine familial des parlementaires et exhiber leur vie privée est une honte. C'est d'autant plus scandaleux que, contrairement à ce qu’on a affirmé, cela n’entraînerait aucun progrès dans la moralisation de la vie publique.
M. Jean Louis Masson. Celui qui est corrompu et qui touche des pots-de-vin ne le mentionnera pas dans sa déclaration ! De fait, ce n'est pas en rendant publique celle-ci qu'on réglera le problème.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le ministre, j'interviendrai sur bien d’autres points durant les débats. Mais je tiens d’ores et déjà à vous dire que je suis radicalement contre ces projets de loi, qui portent atteinte à la démocratie !
J’espère qu’au moins un parti aura le courage de saisir le Conseil constitutionnel. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’a souligné M. Masson, la raison qui nous amène à discuter aujourd’hui des projets de loi visant prétendument à introduire plus de transparence dans la vie publique, c’est l’affaire Cahuzac !
C’est bien cela qui motive depuis plusieurs mois la grande farce dans laquelle aimerait nous entraîner le Gouvernement, après s’être lui-même tourné en ridicule.
Ainsi, après avoir fait le grand déballage du patrimoine des membres du Gouvernement, ce qui provoqua les spéculations les plus folles, les moqueries les plus viles et les classements les plus loufoques, il faudrait que les parlementaires et les élus locaux, qu’on avait un peu oubliés, en fassent autant !
J’ouvre une parenthèse et remarque au passage que, depuis plusieurs mois déjà, le Président de la République fait exactement ce qu’il reprochait à son prédécesseur : un fait, une loi ; un événement, une mesure !
Faut-il alors, comme sur bien d’autres sujets, reléguer au passé l’engagement de François Hollande qui, avec beaucoup de simplicité, nous disait : « moi, Président de la République, j’essaierai d’avoir de la hauteur de vue pour fixer les grandes orientations, les grandes impulsions, mais en même temps, je ne m’occuperai pas de tout » ?
Pour ma part, j’entends déjà les Français lui répondre gentiment : « Des mots faciles, des mots fragiles, c’était trop beau. » §
Ainsi, disais-je, il faut bien comprendre que la philosophie du texte, c’est tenter de faire rejaillir la faute d’un homme sur l’ensemble de la classe politique, notamment les parlementaires. Sauf que cela ne s’appelle pas « prendre de la hauteur de vue », cela s’appelle « prendre la fuite » ou échapper à ses responsabilités.
Beaucoup de choses ont été dites sur l’affaire Cahuzac, parfois avec précision, parfois avec hésitation, parfois en vérité, et sans doute d’autres fois dans le mensonge.
Un certain nombre de questions doivent aujourd’hui trouver des réponses. Des auditions ont lieu actuellement à l’Assemblée nationale. Comme j’ai confiance en la justice, je crois que l’instruction judiciaire fera toute la lumière sur ce scandale politique.
Néanmoins, il est des faits incontestables. Je veux parler de la faute morale et du cynisme de M. Cahuzac qui, en connaissance de cause, disait vouloir prendre les mesures nécessaires « pour faire en sorte que ceux qui abusent des lois et conventions existantes pour s’exonérer de leur juste contribution à l’effort national ne soient plus en mesure de le faire ». Je veux parler également de l’erreur, aussi involontaire soit-elle, qui a conduit le Président de la République à se tromper à ce point sur l’un des piliers de son gouvernement.
Cette dernière erreur est pardonnable. Peut-on tout connaître d’un homme ? En revanche, ce qui l’est moins, c’est l’utilisation qui est faite d’une affaire néfaste pour toute la République.
Ce qui l’est moins c’est de réveiller, que vous le vouliez ou non, l’antiparlementarisme primaire fondé sur le postulat selon lequel tous les élus seraient corruptibles.
Pourtant, les chiffres parlent pour nous : les affaires sont rares et, comme le dit le proverbe, un arbre qui tombe fait toujours plus de bruit qu’une forêt qui germe !
Le rapport de la commission des lois que vous avez cité abondamment, monsieur le rapporteur, tout comme vous, monsieur le ministre, rappelait que 51 condamnations avaient été prononcées en 2006 et 49 en 2007.
Ou corruption ! Mais ces affaires ne concernaient, dans les deux cas, qu’une dizaine d’élus sur un total de responsables certainement supérieur aux 7 000 visés par la loi, et plus proche des 40 000, les maires de petits villages pouvant être concernés.
C’est pourquoi je regrette parfois que certains jeunes élus, sans doute pleins d’enthousiasme, adoptent une attitude qui, en d’autres temps, a porté un coup fatal à la République.
Que chacun veuille renforcer la transparence, cela va de soi pour la majorité des parlementaires et personne ne s’y opposera ; mais à ceux qui se sont fait embobiner, je dis qu’il faut avoir l’art et la manière pour se montrer digne des fonctions que le suffrage a bien voulu leur confier.
Les émoluments que chacun, depuis « l’appel des dix », nomme des privilèges, et qui permettent en réalité de subventionner des activités d’intérêt général, ne sont pas décernés intuitu personae. Ils ne sont pas dévolus à M. Le Maire, à M. Wauquiez, à M. Darmanin ou à d’autres, ils le sont à l’ensemble des parlementaires de la République. On peut discuter de la réserve parlementaire, mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin !
Faire croire ainsi aux Français que nous sommes des citoyens privilégiés et jouer le jeu des politiciens cyniques, c’est en somme jouer contre la République !
Nous n’avons pas attendu l’affaire Cahuzac pour nous intéresser à la question de la transparence.
J’ai aussi participé, monsieur le rapporteur, à l’élaboration de toutes les législations depuis celle de 1988.
C’est pourquoi le Gouvernement et votre majorité n’ont pas manqué de supports pour travailler, puisqu’un certain nombre de documents de travail avaient été commandés à ce sujet.
Je pense au rapport Sauvé, élément important, même si les définitions qu’il mettait en avant de la transparence et du conflit d’intérêts étaient un peu compliquées pour nous.
Je pense au rapport d’information de l’Assemblée nationale résultant des travaux d’un groupe de travail sur la prévention des conflits d’intérêts, constitué le 6 octobre 2010 ; après une série d’auditions publiques, celui-ci avait remis ses propositions au bureau de l’Assemblée nationale le 6 avril 2011.
Enfin, je n’ai pas besoin de rappeler que la commission des lois du Sénat avait rendu un rapport d’information afin de prévenir les conflits d’intérêts relatifs aux parlementaires. Ce rapport ambitieux a été salué et faisait consensus. Il aurait mérité – la commission des lois a tenté de le faire – que le débat soit rouvert dans ce sens par la nouvelle majorité.
Force est de constater que cette large réflexion a permis, lors de la précédente législature, de grandes avancées dans ce domaine, notamment en ce qui concerne les déclarations auxquelles nous sommes déjà, aujourd’hui, soumis.
Malheureusement, le Gouvernement a souhaité agir dans la précipitation. La consultation des professionnels des branches d’activité concernées, qui pour la plupart sont favorables à l’encadrement interne de leurs activités au travers de codes de déontologie, aurait pourtant permis de conjuguer nos efforts pour aboutir à un dispositif plus efficace, plus large et plus respectueux des libertés individuelles. Je pense, notamment, à la profession d’avocat qui dispose d’un code de déontologie très élaboré.
Je regrette également que le Gouvernement recoure à la procédure accélérée. Franchement, pour un texte d’une telle complexité, c’est une aberration…
Cette procédure n’offre pas, tout le monde en convient, l’exhaustivité nécessaire à l’étude d’un sujet aussi technique que celui-ci. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous nous faites travailler dans des conditions invraisemblables.
Je reviendrai sur les points particuliers qui me paraissent fragiles, mais je relève d’ores et déjà qu’un certain nombre de questions restent sans réponse après l’examen des textes à l’Assemblée nationale. Rien ne permet aujourd’hui de dire que nous en obtiendrons davantage lors de leur examen au Sénat.
Si ces textes me paraissent confus, c’est qu’ils sont nés dans la confusion ! Or ce n’est pas en nous les faisant avaler pièce par pièce qu’ils nous paraîtront plus digestes !
Fidèle à son habitude, le Gouvernement préfère aborder tous les sujets sensibles de manière distincte, comme si le plus dur était de faire passer la première part du gâteau.
On l’a vu à l’occasion du débat sur le mariage pour tous où un certain nombre de points ont été laissés de côté pour plus tard !
La réforme sur la moralisation de la vie publique repose sur quatre textes : un texte de loi organique et un texte de loi ordinaire, présentés aujourd’hui, un texte de loi relatif à la fraude fiscale et, enfin, cerise sur le gâteau, son avatar, le texte relatif au procureur de la République financier.
Quoi qu’il en soit, pour rationaliser autant que possible un débat trop passionnel, il convient de rappeler un certain nombre de choses.
Tout d’abord, le conflit d’intérêts n’est pas propre à la sphère publique.
Il est plutôt propre à la vie des individus dès lors qu’ils exercent une activité susceptible de faire naître un intérêt collectif. La notion de conflit d’intérêts ne devrait donc pas être confinée à la sphère publique, car nous parlons non pas de criminalité ni de délinquance, mais bien de déontologie ! On a toujours tendance à confondre les deux !
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’il existe dans notre droit des dispositifs de prévention – l’encadrement du financement des partis politiques et des campagnes électorales, les obligations déclaratives et les dispositions réglementaires propres aux assemblées –, mais également des dispositifs répressifs : la prise illégale d’intérêt, la corruption active ou passive sont poursuivies et font l’objet de condamnations.
Cependant, sauf à changer le code pénal, un conflit d’intérêts n’est pas un délit.
Plusieurs de mes collègues reviendront sur ces points plus en détail aux cours des débats, mais convenons dès à présent que la réglementation a ses limites et que tous les contournements restent envisageables. C’est d’ailleurs pourquoi cette loi n’aurait pas permis d’éviter l’affaire Cahuzac. Il est utile de le dire ici !
De plus, il faut bien comprendre qu’une prévention excessive est susceptible de nuire aux libertés individuelles de chacun et d’avoir un effet contre-productif. La prévention outrancière se fait au détriment des libertés publiques et la mise en œuvre de ce principe induit une logique selon laquelle nous sommes tous des délinquants potentiels. Il en va autrement de la répression, trop souvent stigmatisée.
Vous partez du principe selon lequel tous les parlementaires sont sujets à la corruption. En procédant de la sorte, vous renforcez l’idée populiste selon laquelle « les élus sont tous pourris ».
Nous avons toujours souhaité échapper à ce lieu commun néfaste pour la démocratie.
Permettez-moi de citer le rapport d’information de la commission des lois du Sénat, qui était clairvoyant à ce sujet : « […] il a semblé essentiel à vos co-rapporteurs de trouver des mécanismes qui, tout en permettant de prévenir effectivement les conflits d’intérêts et tout en concourant à l’apparition de la nouvelle culture de la déontologie qu’ils appellent de leurs vœux, ne transforment pas les acteurs publics en suspects permanents qui seraient tenus à une transparence totale. Le contrôle de la probité des membres du Parlement, qui est indispensable et qui sera à terme un gage d’approfondissement de la démocratie, ne doit pas basculer dans un voyeurisme qui serait à l’inverse un facteur d’affaiblissement de la dignité et de la légitimité des représentants du peuple. »
Tous nos collègues étaient d’accord sur cette définition. Tenons-nous-y !
Ne modifions pas toujours tout au gré des affaires !
Pourquoi, d’ailleurs, ne devrait-on viser que les élus ? Pourquoi ne pas élargir la réforme de la lutte contre le conflit d’intérêts à tous les magistrats de la Cour des comptes, à tous les représentants du Conseil d’État, à tous les inspecteurs des finances et à tous les grands corps de l’État français ?
On pourrait également envisager de l’étendre aux magistrats de l’ordre judiciaire.
Je signale qu’aucun critère d’objectif ne laisse à penser qu’un haut fonctionnaire serait moins corruptible qu’un homme politique, d’autant que le premier a souvent plus de pouvoir que le second !
Pour en revenir concrètement aux textes, je dirai qu’ils sont contraires à nos principes constitutionnels et républicains.
Ces textes portent atteinte à la liberté de chacun d’exercer une activité. On ne peut pas interdire les activités annexes, sauf à vouloir qu’il n’y ait plus que des parlementaires hors sol, qui dépendraient uniquement de leur mandat et de leur parti.
De même, ces textes portent atteinte au principe d’égalité entre les candidats.
Ainsi, lors des élections législatives, un candidat sortant, soumis aux obligations de la loi sur le patrimoine, sur les intérêts, sera traité différemment des autres candidats dont le patrimoine et les intérêts ne seront pas encore déclarés.
On nous raconte tout un tas de fariboles sur l’interdiction de diffuser l’information, mais je crains bien que le tout ne se retrouve sur la place publique !
Faut-il s’arrêter là ? Je ne crois pas. Il faut encore dire que, par les principes qu’ils mettent en avant, les projets de loi qui nous sont proposés sont contraires à la démocratie. Ils portent atteinte aux droits et libertés fondamentales qui doivent normalement être garantis aux citoyens, car les parlementaires sont aussi des citoyens !
Il en est ainsi du principe de légalité des délits : les textes tendent à prévoir que puisse être puni le fait de ne pas déclarer « une part substantielle » ou de ne pas indiquer « une modification substantielle » de son patrimoine. Or rien n’est établi clairement quant à ces notions qui restent floues. Par ailleurs, l’élément intentionnel n’est pas pris en compte, alors que notre code pénal tend à le prévoir, sauf exception, pour engager la responsabilité des personnes soumises à l’obligation de déclaration.
Il en va de même pour le droit au respect de la vie privée : les hommes politiques ne sont pas seuls ; nous ne sommes pas des moines-soldats ; nous avons une famille qu’il faut respecter.
Toutes ces atteintes commencent à faire beaucoup ! En fin de compte, elles mettront en cause la personne au-delà de l’élu !
Il convient donc d’être extrêmement vigilant et de rejeter ces mesures, comme l’avait fait d’ailleurs à une époque la commission des lois. N’avait-elle pas alors tiré la sonnette d’alarme ?
En outre, ces textes portent atteinte au principe d’égalité devant la justice : avec une grande naïveté, les auteurs de ces projets ont prévu de réprimer les dénonciations calomnieuses ou simples divulgations publiques. Toutefois, l’accès aux informations d’intérêt et patrimoniales est parfaitement anonymisé, ce qui ne permettra pas la poursuite effective des personnes malintentionnées.
La commission des lois a donc essayé de trouver une solution, mais il est certain qu’il y aura des divulgations et on ne réprimera pas !
À partir du moment où il y a publication, ce sera trop tard. Si, en plus, on demande à la justice de s’en mêler, je crains que cela n’aille dans le sens de la publication intégrale !
Je passe sur le principe de confiance avec l’administration fiscale. Comme nous devrons envoyer toutes nos déclarations, des confrontations seront systématiquement faites et nous serons contraints, comme, hélas ! les chefs d’entreprise, à dialoguer sans fin avec l’administration fiscale.
Enfin, n’oublions pas le principe de séparation des pouvoirs : le fait que la Haute autorité de la transparence de la vie publique puisse, contrairement à la commission actuelle, recueillir les déclarations d’intérêts des parlementaires me paraît absolument contraire à tout principe de séparation des pouvoirs.
On ne peut pas accepter cela !
Dans toutes les assemblées parlementaires du monde – nous avons vérifié aux États-Unis, en Allemagne et ailleurs -, les problèmes de déontologie, donc de conflits d’intérêts, sont traités par des structures internes, jamais par une autorité extérieure. Pour cette raison, nous ne pouvons approuver ces projets de loi. §
Nous aurions pu mettre en avant les alternatives proposées par la commission des lois.
De surcroît, pourquoi ne pas contrôler la probité des membres de la Haute autorité ? Ne devraient-ils pas également faire une déclaration ? Quand je suis jugé – même si c’est par une Haute autorité indépendante et non par une juridiction – je veux savoir par qui je suis jugé !
De toute façon, je n’aime pas beaucoup entendre parler de moralisation. J’entends la morale, j’entends aussi la vertu, chère à Montesquieu, cité par M. le ministre tout à l’heure, mais pas la moralisation !
La moralisation, c’est l’égocentrisme dans toute sa splendeur ! Comme l’homme ne peut être qu’homme, c’est – passez-moi l’expression – l’hôpital qui se moque de la charité !
Malheureusement, c’est exactement ce que vous êtes en train de faire ! Le Gouvernement, qui a confié à Jérôme Cahuzac la tâche de lutter contre la fraude fiscale, va nous apprendre comment on peut gagner en transparence et le Président de la République, ancien élève de la promotion Voltaire de l’École nationale d’administration – Voltaire, attaché aux libertés comme peu le sont encore aujourd’hui ! –, va nous expliquer comment lutter contre les conflits d’intérêts ! Faisons preuve d’un peu d’humilité, l’objectif de moralisation de la vie publique, tel qu’il nous est présenté, n’est qu’un rideau de fumée !
Pourquoi ne pas avoir fait le choix de mettre en place une organisation interne aux assemblées, déjà dotées d’un règlement intérieur qui, jusque-là, a fait ses preuves ? Nous avons, j’imagine, les moyens d’encadrer par nous-mêmes les conflits d’intérêts et les principes déontologiques, comme nous l’avons toujours fait, et comme le font beaucoup d’autres institutions et organisations collectives.
Il faudrait faire tout cela parce que la majorité d’entre nous – la quasi-totalité même, je l’espère ! – est déterminée à lutter efficacement contre la corruption, parce que nous avons perdu, injustement, un peu de la confiance des électeurs et parce que certains d’entre nous n’échapperont peut-être pas à quelques sanctions électorales qui ne profiteront qu’aux extrêmes.
Croyez-vous vraiment que nous pourrions être assez fous pour ne pas nous rendre compte que, lorsque l’un des nôtres est mis en cause, nous sommes tous soumis à la défiance de nos concitoyens ? Pour autant, faut-il vraiment céder à une inclination trop souvent observée, consistant en une repentance perpétuelle qui nous conduit à douter d’une probité que personne d’autre que nous n’oserait remettre en question ? On se repent pour les autres, et il faudrait encore se repentir pour des actes que l’on n’a pas commis, comme un enfant inventerait des bêtises pour se punir d’avoir été trop sage !
La question de la confiance des citoyens envers les élus est éminemment importante. Elle se posait avant, et elle se posera malheureusement encore après l’adoption de ces textes qui ne prennent pas toute la mesure de la situation.
J’entends dire, il est vrai, que le Président de la République tente de sauvegarder les apparences, mais ne nous y trompons pas ! Il faut cesser de prendre les citoyens pour des benêts, il faut cesser de croire que l’on remontera dans les sondages par quelques petits calculs politiques qui sont décryptés le lendemain dans tous les journaux et sur tous les plateaux de télévision : je le sais, beaucoup d’entre vous le savent et je ne doute pas un seul instant que François Hollande ne le sache également !
Ainsi, j’affirme que ce texte ne doit pas être voté. Malheureusement, c’est avec beaucoup de lucidité que j’aborde ce débat. Je connais bien l’opinion de la majorité des élus sur ce texte, mais je ne minimise pas la rigueur trop rigide de la discipline partisane ! Je n’aurai pas la candeur d’imaginer que le Gouvernement n’arrivera pas, par une manœuvre ou par une autre, à faire adopter ces projets de loi !
Au cours des débats, nous serons une force de proposition pour faire en sorte que ce texte respecte les droits et les libertés de chacun, ne fragilise pas l’indépendance et l’autonomie financière des parlementaires et inverse la tendance d’opinion des citoyens envers leurs élus.
Quoi qu’il arrive, j’espère que les membres du Gouvernement qui défendent ces projets de loi auront la sagesse de prévoir qu’ils ne s’appliqueront pas aux mandats en cours. Je sais, en effet, pour en avoir parlé avec mes collègues, que beaucoup d’entre eux se font un point d’honneur de protéger leur vie privée – je ne parle pas des parlementaires, mais des élus locaux ! – et qu’ils n’auraient donc pas, pour cette raison, accepté de faire étalage d’informations aussi personnelles lorsqu’ils se sont portés candidats.
Monsieur le ministre, votre majorité nous reprochait, ou plutôt reprochait au président Sarkozy son « agitation ». Je constate néanmoins qu’il y a plus d’action dans le mouvement que dans la parole. Vous parlez plus que vous n’agissez, sur la transparence de la vie publique comme sur beaucoup d’autres sujets !
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les projets de loi que nous examinons aujourd’hui visent à assurer la transparence et le contrôle des patrimoines des responsables publics. Ils se veulent un élément de réponse aux aveux de l’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac, sur ses comptes bancaires détenus à l’étranger.
Pour autant, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, cette question n’est pas nouvelle. Certes, beaucoup trop d’affaires ont terni la réputation et la confiance du peuple envers le monde politique. Ces affaires sont aujourd’hui autant de fractures entre élus et citoyens, et elles nourrissent un réel désenchantement populaire à l’égard de la politique et de la chose publique.
Ainsi, à chaque affaire, sans remonter à 1971 et encore moins à 1793, …
… le besoin s’est fait sentir de renforcer la moralisation de la vie publique. À ce titre, on peut citer les affaires liées au financement des partis politiques et des campagnes électorales au cours des années quatre-vingt, qui ont conduit à l’adoption d’une première loi en 1988, sous le gouvernement de Jacques Chirac, avant qu’un nouveau texte ne soit voté en 1990, sous le gouvernement de Michel Rocard.
On peut citer aussi, en 2010, la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, qui avait été créée au plus fort de l’affaire Woerth-Bettencourt. Dans son rapport, la commission avait, notamment, proposé une loi de déontologie, le renforcement des incompatibilités et de nouvelles interdictions de cumul des fonctions. Un projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique a été présenté au conseil des ministres le 27 juillet 2011, mais il n’a jamais été discuté au Parlement.
Ainsi, remis une nouvelle fois au goût du jour, sous l’impulsion de l’actualité politique, les textes dont nous allons débattre s’inspirent des rapports de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, et du rapport d’information du groupe de travail pluraliste de nos collègues de la commission des lois, présidé par Jean-Jacques Hyest et auquel a participé l’ancienne présidente de notre groupe, intitulé Prévenir effectivement les conflits d’intérêts pour les parlementaires.
« Stupeur et tremblements », donc, après l’affaire Cahuzac, bien que l’on ait pris soin de nous préciser qu’il s’agissait des errements d’un individu, de la dérive personnelle d’une espèce de « loup solitaire de l’évasion fiscale » ! À la suite de ces révélations, le Président de la République soulignait que le mensonge d’un ministre était « un outrage fait à la République » et qu’il fallait prendre toutes les décisions qui renforceraient la volonté de construire une République exemplaire.
Ainsi donc, la promesse de campagne de François Hollande d’établir une République exemplaire se trouvant fortement ébranlée, l’objectif a été double : d’abord, insister sur le fait que seul un homme porte la responsabilité du scandale, renvoyant ainsi à l’idée d’une faille personnelle et non à une faille du système ; ensuite, renforcer le système existant afin qu’une défaillance personnelle ne puisse pas, de nouveau, venir « entacher » le système et, par là même, cette République exemplaire tant promise !
C’est avec ce double objectif que le Président de la République affichait l’ambition « de lutter de manière impitoyable contre les conflits entre les intérêts publics et les intérêts privés », en assurant la publication et le contrôle des patrimoines des ministres et de tous les parlementaires. S’est ensuivie la publication du patrimoine de nos ministres !
Ensuite sont arrivés ces textes, dont l’objet est de doter la France « de moyens effectifs de prévention, de contrôle et de sanction du non-respect des obligations de probité et d’intégrité qui s’imposent à tous ceux qui exercent des responsabilités publiques ».
Je voudrais m’arrêter sur un point. La multiplication récente des « affaires » montre que le fonctionnement de la Ve République est arrivé à bout de souffle : cette République est malade !
Trop de concentration de pouvoir dans l’exécutif, dévalorisation du Parlement, peu ou pas de place donnée à la souveraineté populaire et à l’initiative citoyenne : la Ve République a oublié que le contrat social repose aussi sur un accord implicite, en vertu duquel les gouvernés d’un jour peuvent être les gouvernants de demain. Un fossé inquiétant s’est donc creusé, fossé qui révèle une défiance de la population envers ceux qui la représentent et envers le Gouvernement.
Mes chers collègues, savez-vous qu’aujourd’hui 17 % seulement des Français pensent que les responsables politiques se préoccupent de gens comme eux ; ils sont donc plus de 80 % à penser que les responsables politiques ne se préoccupent pas d’eux ! Pourquoi ?
Beaucoup de choses se disent et s’écrivent au sujet de cette perte de confiance : manque de courage ou impuissance des gouvernants face aux puissants lobbies industriels, économiques ou financiers ; dispersion des lieux de prise de décision qui rend plus complexe l’accès aux informations et la maîtrise de ces décisions par le citoyen ; instrumentalisation de la démocratie représentative, devenue le lieu d’un nouveau marché où l’image, la volonté de se démarquer, la lutte pour les postes et l’espérance du gain l’emportent sur la vertu civique ; accélération des phénomènes de crise économique et financière qui favorise l’émergence d’une nouvelle catégorie de dirigeants, plus proches du chef d’entreprise que du chef de parti.
Oui, maintes causes sont avancées pour tenter de trouver des raisons à cette crise, mais la cause essentielle ne trouve-t-elle pas sa source dans la défiance de nos concitoyens à l’égard du personnel politique, dès lors que celui-ci ne met pas en œuvre les choix qui ont permis son élection ?
Cette défiance et cette non-réponse aux besoins populaires favorisent ce que certains, en d’autres temps, appelaient une « pédagogie du renoncement » qui, à son tour, favorise le repli sur soi, l’individualisme et l’abstention des électeurs, sans évoquer ici le vote en faveur du Front national. Fondamentalement, c’est bien la question de la démocratie, voire d’un changement en profondeur de culture politique et citoyenne, qui se pose aujourd’hui.
Il faut l’admettre, l’actualité politique reflète bel et bien le dérèglement du système capitaliste qui fait du développement de la finance, de l’argent et de l’accumulation, un but en soi, un jeu normal du système. Elle montre également qu’il existe aujourd’hui une collusion trop importante entre le monde politique et le monde financier. À cela, s’ajoute un affaiblissement patent du rôle du Parlement, ce qui n’aide en rien à maintenir le lien entre élus et citoyens.
Ainsi, tout en incriminant les facteurs extérieurs à notre monde politique pour expliquer la crise dans laquelle s’enfonce notre démocratie, il faut non seulement proposer des solutions pour redynamiser l’implication des citoyens, mais aussi être intransigeants à l’égard du monde politique, c’est-à-dire, mes chers collègues, vis-à-vis de nous-mêmes. En outre, nous devons, pour redonner confiance au peuple, mettre fin à la collusion que j’évoquais et aux pratiques contraires à l’intérêt général !
C’est en ce sens que nous nous devons d’envoyer un signal fort pour lutter contre la fraude fiscale, la délinquance financière et l’évasion fiscale. Comme le dit Transparency International France : « La transparence n’est pas une fin en soi. Elle doit permettre l’exercice d’un contrôle citoyen. Elle est aussi un outil devant contribuer à restaurer la confiance des Français envers leurs élus et leurs institutions. »
Chacun conviendra que la mise en place de dispositifs de prévention, de contrôle et de sanction aux manquements des obligations d’intégrité doit s’imposer à tous ceux qui exercent des responsabilités publiques, car il s’agit, je le répète, d’une exigence démocratique.
À ce titre, nous nous félicitons que soit remis à l’ordre du jour le principe de transparence. En ce sens, ces projets de loi constituent une avancée, avec différentes obligations désormais imposées pour empêcher concrètement les conflits d’intérêts : le renforcement des incompatibilités applicables tant aux élus qu’aux agents publics, l’obligation de déport ou de décharge de fonction, le durcissement et l’extension des règles de « pantouflage ».
De même, la généralisation et la précision du contenu des déclarations d’intérêts et de patrimoine favoriseront l’efficacité des dispositifs proposés. Pour les déclarations de patrimoine, le droit de consultation ouvert aux citoyens est une solution que je qualifierai d’équilibrée, car elle permet de concilier la nécessaire transparence et le respect de la vie privée.
Pour autant, avec mon groupe, je m’efforcerai tout au long de l’examen de ces textes de démontrer qu’ils ne vont pas suffisamment loin. Ils font, entre autres, abstraction de la question du lobbying, pourtant étroitement liée à celle des conflits d’intérêts. S’agissant de l’obligation de déport, elle était trop limitée dans le texte initial du projet de loi, puis a été supprimée en commission : nous la réintroduirons par voie d’amendement, dans les termes du texte initial, mais en l’étendant encore.
Quant à la Haute Autorité de la transparence de la vie publique, elle n’est pas, pour l’heure, dotée de moyens d’action suffisants.
Nous sommes, bien évidemment, favorables à l’introduction dans notre droit d’une définition du concept de conflit d’intérêts. Jusqu’à présent, le caractère imprécis et fragmenté de cette notion, non définie par un texte législatif en droit français, ne permettait pas d’élaborer une véritable politique de prévention des conflits, construite sur une base juridique solide.
Cependant, nous pensons que la définition proposée ici n’est pas encore suffisamment précise.
Nous avons bien conscience que la notion de « conflit d’intérêts » est à la fois subjective et évolutive, en fonction des situations susceptibles de se présenter et de l’expression des attentes collectives. Il nous paraît regrettable que la définition donnée par M. Jospin ait été préférée à celle qui avait été choisie dans le cadre du rapport Sauvé.
Cette dernière détermine, en effet, de manière plus pertinente le champ du conflit d’intérêts au travers de la définition de l’intérêt privé : « l’intérêt privé d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public s’entend d’un avantage pour elle-même, sa famille, ses proches ou des personnes ou organisations avec lesquelles elle entretient ou a entretenu des relations d’affaires ou professionnelles significatives, ou avec lesquelles elle est directement liée par des participations ou des obligations financières ou civiles ». Cette définition permettrait une application plus effective.
S’agissant de la Haute Autorité, son rôle doit être essentiel. Il est plus que nécessaire de s’assurer que l’élu ne s’est pas anormalement enrichi pendant l’exercice de son mandat.
L’exemple de la Commission pour la transparence financière de la vie politique le démontre, elle qui n’a jamais disposé de moyens de contrôle ou de sanction pour agir efficacement !
Depuis sa création, en 1988, elle a traité 10 000 dossiers – de ministres, de parlementaires, d’élus locaux, de dirigeants d’entreprise publique ou d’office HLM –, mais n’a découvert que quelquefois des éléments suffisamment douteux pour justifier une transmission au parquet, « sans que cela ne puisse rien donner », regrettent ses services.
D’ailleurs, Christian Pierre, l’un des anciens membres de cette commission, qui l’a quittée en 2009, avait précisé : « Elle ne contrôle rien. Elle ne détecte rien. Et ne sanctionne rien. Donc pratiquement, elle ne sert à rien. » Pourquoi la structure existante n’a-t-elle pas été renforcée ?
Ainsi, c’est à juste titre qu’on peut s’inquiéter des possibilités dont disposera la Haute Autorité de la transparence de la vie publique pour garantir une lutte effective contre les conflits d’intérêts et les défaillances.
Nous devons donc la renforcer en lui octroyant les moyens matériels et humains garants de son efficacité si on s’entend, bien évidemment, sur l’objectif à atteindre : en faire la clé de voûte du mécanisme de contrôle de l’intégrité des responsables publics.
Certaines autorités administratives indépendantes, telles que l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentielle ou encore la Commission de régulation de l’énergie disposent, quant à elles, de moyens d’enquête et de sanction.
Sans moyens humains et matériels pour mener à bien ses missions, la Haute Autorité sera, à coup sûr, une nouvelle version de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Par conséquent, elle ne servirait à rien !
Il lui faut des moyens matériels, au travers, notamment, de la création de moyens d’enquête propres, comme cela existe pour l’Autorité des marchés financiers. Il faut aussi lui octroyer la possibilité d’enjoindre l’administration fiscale à transmettre tous les éléments dont elle pourrait disposer.
Cela revient, en outre, à faire sauter le filtre politique du bureau de l’Assemblée nationale, ce qui offrirait une plus grande force démocratique.
Enfin, on ne peut que regretter l’absence dans ces projets de loi de la question du lobbying, qui est pourtant plus qu’étroitement liée à celle des conflits d’intérêts.
En dehors de l’incompatibilité du mandat parlementaire avec l’exercice d’activités de conseil, et malgré quelques initiatives en commission des lois, aucune vraie réflexion n’a été engagée en matière d’encadrement du lobbying.
Si l’écoute de tous les acteurs de notre société est nécessaire, voire essentielle, à l’élaboration des décisions publiques, les échanges entre les élus et les groupes d’influence doivent être menés de manière déontologique et transparente pour les citoyens. Or, nous le savons tous ici, il n’en est rien. L’actualité récente est là pour le démontrer ! Il est donc urgent que la France leur impose – pour le moins, et je suis gentille ! – des contraintes.
La transparence ne doit et ne peut pas être un vain mot, un vain concept pour le pouvoir en place, quel qu’il soit !
Comme l’a dit André Malraux, « la vérité c’est d’abord ce que l’homme cache » : efforçons-nous toujours de contraindre le pouvoir à sa manifestation. Mes chers collègues, la transparence est à ce prix ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons terminé nos travaux la semaine précédente avec un projet de loi constitutionnelle sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM. Nous les débutons cette semaine avec un projet de loi sur la transparence de la vie publique. À première vue, pas de lien évident entre les deux textes.
Pourtant, qu’est-ce qui a conduit le Gouvernement à soumettre au Parlement, en priorité, le texte portant réforme du CSM ? Quelle est la véritable raison d’être du texte sur la transparence ? Cela a déjà été dit à cette tribune, c’est une seule et même affaire : l’affaire Cahuzac !
Je l’ai rappelé mercredi dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi constitutionnelle, il s’est agi d’opérer un amalgame déduisant d’un prétendu manque d’indépendance de la justice, qu’aurait révélé l’affaire Cahuzac, la nécessité de réformer d’urgence le Conseil supérieur de la magistrature.
Ce ne fut pas une réussite, monsieur le ministre. N’avez-vous pas annoncé vous-même, à l’issue du vote du Sénat de jeudi dernier qui ne vous convenait pas, que la réforme était purement et simplement suspendue ?
Nous le regrettons, car le vote du Sénat n’est pas à prendre à la légère quand on sait l’urgence qu’il y a à renforcer le statut des magistrats du parquet.
Revenons aux projets de loi sur la transparence que vous nous présentez aujourd’hui. Là, plus de faux-semblants : il s’agit bien d’une « réforme Cahuzac » ! Certains ont même parlé, dans nos rangs, d’une opération de blanchiment de l’affaire Cahuzac !
Bien sûr, M. Cahuzac n’est pas cité nommément dans l’exposé des motifs des projets de loi, mais la toute première phrase de ce dernier est assez éclairante : « Le Gouvernement a décidé d’accélérer les travaux qui avaient été entrepris pour rénover le cadre de la lutte contre les conflits d’intérêts dans la vie publique. » On se demande bien ce qui a pu susciter cette « accélération » des travaux, si ce n’est l’affaire Cahuzac !
On ne trouve pas plus de traces de Jérôme Cahuzac dans le rapport de l’estimé Jean-Pierre Sueur ! On préfère, bien sûr, faire référence, dès les premières lignes, à Saint-Louis, à Philippe IV ou encore à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! La véritable justification de la réforme est ainsi peu mise en avant par la majorité : on peut la comprendre.
La confiance de nos concitoyens dans la classe politique était déjà bien timide. Les mensonges de votre ancien ministre du budget ont eu sur elle un effet dévastateur.
Quelle a été votre réponse ? Plutôt que de reconnaître l’inutilité de la fameuse Charte de bonne conduite du Gouvernement, qu’on a oubliée au passage, vous avez décidé de mieux masquer le malaise qui est le vôtre en jetant l’opprobre sur tous les responsables politiques, voire sur les responsables publics, et en lançant le jeu dangereux de celui qui lavera plus blanc que blanc ! §
Je le reconnais, les deux projets de loi poursuivent néanmoins un large chantier ouvert par la précédente majorité, chantier que nous ne refusons certainement pas d’aborder. La réflexion a été ouverte il y a plus de deux ans déjà, dans le cadre des travaux du rapport de Jean-Marc Sauvé. Nous aurions souhaité ne pas être contraints de légiférer sous le coup de l’émotion, …
… encore moins dans le cadre de la procédure accélérée.
Nous aurions préféré ne pas légiférer en réaction aux manquements graves d’un de vos ministres, alors que vous avez si souvent reproché à vos prédécesseurs d’agir sous le coup de l’émotion.
Qu’elles soient de nature organique ou ordinaire, je distingue deux catégories dans les dispositions que vous nous proposez, monsieur le ministre. Il y a, d’une part, très clairement ce qui concerne la situation patrimoniale et la déclaration à laquelle vous voulez soumettre les élus. Il y a, d’autre part, la prévention des conflits d’intérêts.
Selon nous, ces deux sujets appellent des approches et surtout des réponses bien différentes.
Pour ce qui concerne la déclaration de la situation patrimoniale, la voie dans laquelle vous nous engagez ne mène à rien. Je le dis clairement, je ne vois pas l’intérêt qu’il y a à produire les déclarations, ni pour le législateur, ni pour la justice, ni pour nos concitoyens !
Les seuls, à mon sens, qui doivent se réjouir d’avance de ce type de proposition, c’est une certaine catégorie de journalistes, et on peut les comprendre ! Que d’articles déjà tout prêts, décrivant par le menu le patrimoine de M. le maire ou de Mme la sénatrice ! §
Quel bénéfice pour notre vie démocratique ? Aucun puisque règnera le soupçon plutôt que la confiance entre les citoyens et les élus ! Vous savez très bien que toute déclaration sera sujette à caution de la part de nos concitoyens !
En fait, la seule chose qui présente un réel intérêt si l’on s’attache à l’examen du patrimoine d’un élu ou d’un responsable public, c’est un éventuel enrichissement injustifié et donc suspect. Dans cette hypothèse, rendre publique une variation inexpliquée du patrimoine d’un élu aura un effet positif. Nous vous proposerons des amendements dans ce sens.
Le dispositif que vous nous proposez est tout autre. Le premier effet garanti de votre système sera de susciter une certaine forme de voyeurisme, de curiosité malsaine.
Que penser alors de la pseudo publicité des déclarations de situation patrimoniale inventée par l’Assemblée nationale ? À quoi cela servira-t-il de pouvoir consulter sans pouvoir publier ? Je le dis clairement, nos collègues députés ont inventé une véritable usine à gaz ingérable, ou plutôt une usine à fabriquer de la rumeur et du soupçon ! Rien de pire que d’entretenir l’une et l’autre à l’encontre des élus !
Votre majorité a tenté de trouver un compromis malheureux entre l’idée de départ de publicité intégrale, qu’elle a refusée – car c’est bien le groupe socialiste qui a refusé la publication des patrimoines –, et la gêne réelle qu’elle éprouvait à ouvrir la voie au voyeurisme, donc à une certaine forme de populisme, ce dont tout le monde a bien conscience !
Voilà comment nous en sommes arrivés à cette brillante idée d’une déclaration qui ne serait consultable qu’en préfecture. Consultable mais pas diffusable ! Cette diffusion serait un délit. Du moins était-ce ce que prévoyait le texte avant son passage en commission des lois. Notre rapporteur a cru bon de maintenir cette interdiction de diffusion, mais il l’a privée de toute sanction de nature pénale.
Plus personne ne s’y retrouve !
Quoi qu’il en soit, pour rétablir la confiance entre les citoyens et les élus, un autre choix serait préférable !
Si vous considérez que la publicité des déclarations est nécessaire, il n’y a qu’une seule solution pour atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé : la publication sans réserve au Journal officiel de l’intégrité des déclarations. Si vous nous obligez à suivre votre logique, nous défendrons, avec Michel Mercier et un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC, un amendement visant à mettre en œuvre cette solution. J’espère qu’il sera adopté et que le groupe socialiste le votera. Ce sera le seul moyen d’éviter un système incohérent, irréaliste et qui continuera à jeter un peu plus le soupçon sur les responsables politiques. On verra bien si le groupe socialiste suit le Gouvernement !
En ce qui concerne les conflits d’intérêts, les choses sont différentes, on aborde là une vraie question. Autant le sujet des déclarations est peu intéressant, autant celui-ci mérite que l’on s’y attarde longuement, en tous cas plus longtemps que ce ne fut le cas jusqu’à présent.
La question qui se pose est la suivante : peut-on concilier l’exercice passé, actuel et futur d’une activité privée – je parle bien d’activité, et non de profession – avec un mandat public ?
Une première approche, radicale, serait de considérer que cela est impossible. Une telle interdiction absolue, au-delà de son caractère inconstitutionnel, serait évidemment un recul démocratique et aurait vocation à créer une classe, voire même une caste, politique, parfaitement décalée par rapport aux réalités économiques et sociales de notre pays.
La seconde approche est celle qui organise une concomitance entre mandat public et activité privée.
Organiser un système déclaratif est la bonne idée. D’ailleurs, le Sénat n’a pas attendu le Gouvernement puisque nous remplissons déjà, depuis un bon moment, une déclaration d’intérêts publiée sur le site internet du Sénat.
Tous les citoyens peuvent consulter les déclarations d’activité et d’intérêts des sénateurs et de leurs proches. Nous n’avons donc pas de leçons à recevoir sur ce sujet !
Cette question de la prévention du conflit d’intérêts pose aussi le problème du renouvellement et du recrutement de notre classe politique. À force de stigmatiser les parlementaires et les élus, nous connaîtrons bientôt – et c’est déjà le cas ! – de graves difficultés de recrutement. On ne voit pas comment, demain, un agriculteur, un artisan, un cadre du privé ou du public, ou une personne exerçant une activité libérale, accepterait de s’engager dans la vie politique, au vu des contraintes toujours plus fortes que l’on entend faire peser sur les élus. Ce n’est pas de la politique fiction !
Je rappelle que, lors du dernier renouvellement, la moitié des nouveaux députés était constituée de professionnels de la politique, ...
... c’est-à-dire des personnes issues des partis politiques ou des cabinets ministériels.
Ce problème se fait de plus en plus présent, et le Sénat n’est pas à l’abri de cette évolution.
La question que nous devons nous poser, mes chers collègues, est simple : à quoi doivent ressembler les élus de demain ?
Disons les choses plus clairement : si l’on met bout à bout l’ensemble des réformes que vous nous proposez, entre les déclarations tous azimuts et le non-cumul des mandats, on voit aisément quel sera le visage, par exemple, de l’Assemblée nationale.
Votre texte conforte la voie fatale qui fera de l’Assemblée nationale, en particulier, et du Parlement, en général, des chambres de fonctionnaires élus, comparables à ce qui existait, entre autres, sous le règne de Louis-Philippe, durant la Monarchie de Juillet.
Cette catégorie que l’on peut, pour le coup, qualifier de « caste politique », sera principalement composée d’anciens membres de cabinets, d’apparatchiks des partis politiques, voire peut-être de quelques hauts fonctionnaires qui n’auront fait que de la politique.
Au mieux, on peut espérer quelques retraités du secteur privé pour représenter a minima la société active...
Si le tableau que je vous dresse vous plaît, et si vous l’assumez pleinement, tant mieux pour vous ! Je dirai quant à moi : tant pis pour la France !
L’égalité des citoyens devant la loi, c’est l’égale dignité de chacun, avant même l’égal accès aux mandats. Je crains que vous n’ayez perdu de vue cette vérité élémentaire.
Notre mission n’est pas de multiplier les obstacles destinés à empêcher nos concitoyens de se faire élire. Notre devoir est au contraire de tout faire pour s’assurer que les élus de demain soient, bien sûr, irréprochables – c’est essentiel –, mais aussi qu’ils soient représentatifs de la diversité de notre société.
Pour conclure, asservir le Parlement est une tentation permanente du pouvoir exécutif. Force est de constater que ces deux textes imposés par le Président de la République s’inscrivent dans cette tradition condamnable ! §
Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, lesdites relations peuvent être plus ou moins bonnes, mais il convient qu’elles soient réciproquement respectueuses.
Vous avez déclaré, dimanche, au quotidien La Montagne, dans une interview intitulée « Le ministre cueille les champignons et soigne les relations», que le vote exprimé par le Sénat jeudi dernier sur le Conseil supérieur de la magistrature était « preuve d’immaturité de la démocratie française ». §
C’est le ministre chargé des relations avec le Parlement qui dit cela !
Nos collègues apprécieront ce qualificatif élogieux pour la Haute Assemblée !
Ne pensez-vous pas que nous pourrions vous retourner le compliment, face à l’avalanche de textes gouvernementaux qui nous arrivent préparés à la va-vite, modifiés à la dernière minute ?
Ne pensez-vous pas que nous pourrions vous retourner le compliment, face à l’usage abusif de la procédure accélérée, que nous reprochions avec virulence, ainsi que vous-même, à la précédente majorité §face à l’accumulation de textes importants, sans que les commissions compétentes puissent prendre le temps nécessaire à la réflexion, sans même que nous puissions disposer des rapports de la commission dans des délais raisonnables ?
À nos interpellations, monsieur le ministre, vous avez répondu froidement que la session surchargée était un « trompe-l’œil ». §Là encore, nos collègues apprécieront ! Cette phrase est-ellerespectueuse du travail parlementaire ?
Monsieur le ministre, est-ce faire preuve de maturité politique pour un gouvernement, après l’explosion du dossier Cahuzac, que de réagir dans la panique, sous la pression médiatique, pour faire voter dans la précipitation un texte, là encore insuffisamment travaillé, dans le seul but avoué de calmer l’opinion publique et de répondre aux sondages ?
En résumé, pour vous, il faut un texte, n’importe lequel, pour communiquer.
Un texte pour la transparence de la vie publique méritait un autre processus, une autre méthode, la recherche d’un consensus à l’issue d’une indispensable concertation.
Le président du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste à l’Assemblée nationale, Roger-Gérard Schwartzenberg, l’a très bien exprimé : « Un ministre, un membre du Gouvernement, M. Cahuzac, est mis en examen, et l’exécutif semble vouloir détourner l’attention en tournant le projecteur vers les parlementaires. §en invitant les parlementaires à s’auto-accuser collectivement de fautes que la quasi-totalité d’entre eux n’ont pas commises. »
Transformer les parlementaires, les responsables d’exécutifs et les hauts fonctionnaires en présumés coupables, favoriser la délation en renversant la charge de la preuve concernant ce que vous appelez pudiquement des « lanceurs d’alerte », c’est aller à l’encontre de ce que l’on doit attendre d’une démocratie mature.
Qu’attendent nos concitoyens ? Tout d’abord, que leurs élus et les hauts fonctionnaires ne s’enrichissent pas du fait de l’exercice de leurs mandats ou de leurs fonctions administratives. Ensuite, qu’il soit mis fin à des situations patentes de conflits d’intérêts. Enfin, que soit élargi le régime des incompatibilités professionnelles.
Comment répondre à ces trois interrogations ? Nous le disons très clairement, la sagesse est effectivement de donner à une haute autorité de contrôle de la vie politique – appelez-la comme vous voudrez ! – les moyens d’obtenir communication des éléments complets relatifs au patrimoine de chaque responsable public, les moyens de vérifier la vérité et la loyauté des informations transmises en début et en fin de mandat, les moyens de faire sanctionner les déclarations mensongères.
Les pouvoirs de cette Haute Autorité ne nous posent pas de problème. Il n’en est pas de même, comme l’a rappelé Roger-Gérard Schwartzenberg, de sa composition et des modalités de désignation de ses membres, qui ne garantissent guère sa représentativité et marquent, encore une fois, une réelle défiance envers le Parlement de la République.
Certes, monsieur le président de la commission des lois, il y a toujours des changements, mais la conclusion est, hélas ! souvent la même.
Votre projet, monsieur le ministre, éliminait les personnalités qualifiées. La commission de l’Assemblée nationale a corrigé cette absence en ajoutant, aux sept membres déjà prévus, quatre personnalités. §
Mais curieusement, en séance publique à l’Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement a ramené de quatre à deux le nombre de ces personnalités désignées par les présidents des deux assemblées.
Quant aux personnes concernées par cette obligation de déclaration de patrimoine, vous avez établi une liste exhaustive ciblant les élus jusqu’aux maires de communes de plus de 20 000 habitants – pourquoi ce chiffre, d’ailleurs ? –, ...
Laissez-moi aller jusqu’au bout de mon propos, monsieur le rapporteur, vous aurez des heures pour prêcher la bonne parole ! §
Il apparaît que vous avez reculé peu glorieusement quant au fait d’imposer cette déclaration aux membres du Conseil constitutionnel, et même de l’imposer à tous les magistrats, administratifs ou judicaires, alors que, voilà huit jours, Mme la garde des sceaux nous affirmait avec force que les Français ne croyaient plus à leur justice.
Mêmes mouvements.
Oui, il est juste et sain que les responsables publicsdéclarent la totalité de leur patrimoine à une autoritéindépendante disposant des pouvoirs et moyens pouren vérifier l’exactitude et l’évolution. Nous sommes d’accord : c’est cela, latransparence.
En revanche, le projet revisité par l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat, ce n’est plus seulement de la transparence, mais c’est du voyeurisme mâtiné de jésuitisme. §
Quant à la rédaction de la commission des lois, c’est du demi-jésuitisme !
Sourires.
Monsieur le ministre, pour justifier ce projet de loi, vous reprenez, dans la foulée d’antiparlementaristes, cette antienne des périodes de crise : « Tous pourris ! » Et vous dites : « Voyez les sondages ; ils l’affirment ! » Croyez-vous sérieusement que c’est la bonne méthode, que votre texte hypocrite aura un impact sur l’opinion à laquelle vous êtes soumis ?
Nous avons déjà un arsenal juridique considérable pour poursuivre et condamner les élus qui manquent à leurs devoirs, et transgressent la loi. Encore faut-il l’utiliser, et donner à la justice les moyens humains et financiers d’instruire les dossiers dans des délais suffisamment rapides !
Hier, après huit ans d’instruction, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé tous les prévenus dans le dossier « Pétrole contre nourriture », aucune infraction n’étant constituée. Cela se passe de tout commentaire, sauf de la part de ceux qui ont supporté huit ans de mise en examen et d’instruction. Et la presse informera en quelques lignes de cette relaxe, après avoir publié des dizaines de pages sur cette affaire pendant des années ! §
Il convient de les poursuivre, de les condamner et de les écarter des responsabilités publiques.
Nous considérons, pour notre part, que la loi de la République doit être la même pour toutle monde, et doit s’appliquer avec d’autant moins d’indulgence que ledélit est favorisé par l’exercice de la fonction.
Il s’agit de trier le bon grain de l’ivraie et de dissocier clairement et définitivement la fraude, l’enrichissement et la corruption de toutes les poursuites pénales, engagées souvent de manière aveugle, contre des élus et des fonctionnaires pour des faits relatifs à l’exercice de leurs mandats ou de leurs fonctions lorsqu’ils sont poursuivis, non à titre personnel, mais pénalement en qualité de président d’exécutif ou de préfet, ce qui est le cas aujourd’hui pour plusieurs dizaines d’entre eux. Et c’est profondément injuste car pour l’opinion la différence n’est pas faite. Mais notre bon gouvernement est-il préoccupé par l’inquiétude de ces nombreux maires, présidents et préfets ? Certes, ce n’est pas porteur dans l’opinion publique, monsieur le ministre, mais c’est une réalité de terrain.
Que chacun balaie devant sa porte, fasse son devoir. Le projet de loi est totalement réactif à l’affaire Cahuzac. Que je sache, monsieur le ministre, c’est un des vôtres.
Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.
Alors, de grâce, évitez les leçons de morale émanant de la direction de votre parti.
Je regrette que vous soyez trop souvent dans la contradiction, dans le « faites ce que je dis mais pas ce que je fais ». Quand le rapporteur à l’Assemblée nationale pour le non-cumul des mandats, nouveau député de Haute-Garonne, démissionnait de son mandat de conseiller régional d’Île-de-France voilà quelques semaines, que ne rapportait-il pas un texte contre le parachutage !
Quand Mme la ministre de la réforme de l’État et de la décentralisation prône le non-cumul des mandats verticaux pour permettre à d’éminentes personnalités PS de continuer à cumuler la mairie de grandes villes, la présidence de métropoles et de plusieurs SEM, sociétés d’économie mixte, cela relève-il de la cohérence et de l’exemplarité, ou de l’hypocrisie ?
Monsieur le ministre, quand dans ce projet de loi relatif à certaines incompatibilités, vous n’interdisez pas à des maires de villes importantes d’être membres appointés de cabinets ministériels importants, voire de la Présidence de la République, …
J’espère que vous vous rallierez à notre excellent amendement sur cette question !
Monsieur le ministre, quand, depuis un an à l’Assemblée nationale, n’ont pas été éradiqués les errements concernant par exemple nombre d’assistants parlementaires rémunérés en réalité par des lobbys, on peut s’interroger sur la volonté de faire le ménage.
Notre groupe, pour sa part, a toujours eu une haute conception de l’engagement dans la vie publique : être un élu, quel que soit le mandat, est d’abord un honneur confié par les électeurs, dont la majorité place leur confiance dans le candidat élu. C’est le suffrage universel qui nous donne la légitimité d’agir, pour mettre en œuvre la puissance publique, qu’il s’agisse de mandats locaux ou nationaux.
À cet honneur, nous le savons, correspondent des devoirs, qui consistent à savoir se montrer digne de la fonction occupée, en agissant avec probité et exemplarité.
C’est bien pourquoi il nous paraît essentiel de garantir l’indépendance des élus vis-à-vis de toute tentation, d’une part, et de toute forme de pression extérieure, d’autre part.
Les incompatibilités sont ainsi une des formes de garde-fou que la République a mis en œuvre depuis les débuts de la IIIe République. Comme l’expliquait déjà Eugène Pierre, aux débuts de cette IIIe République, dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire, « l’incompatibilité s’appuie sur le principe de la séparation des pouvoirs ; elle a pour but de garantir à l’électeur l’indépendance de l’élu ».
Nous avons été les premiers à déposer une proposition de loi en ce sens, le 28 juin 1978, à l’Assemblée nationale. Nous avions également salué les travaux de la commission Sauvé, à l’occasion desquels nous avions formulé une série de mesures pour mieux assurer la transparence de la démocratie, en proposant, en particulier, le renforcement des obligations déclaratives des élus et des pouvoirs de contrôle de l’instance compétente.
Notre groupe n’a pas attendu l’affaire Cahuzac pour réagir. Non seulement nous avons inscrit dans notre espace réservé le projet de non-cumul des indemnités mais, depuis un an, nous avons déposé six propositions de loi sur les questions de transparence, d’incompatibilités, de cumul des indemnités, de renouvellement des mandats.
Manifestement aucun de ces textes n’attira en son temps l’attention de votre gouvernement. Il faut dire que nous sommes en désaccord profond sur une question de fond.
Vous voulez faire du Parlement une assemblée de professionnels de la politique nourris dans le sérail du parti…
… dès l’université, voire avant – nous en avons eu un exemple récemment. Vous voulez faire du Sénat une réplique de l’Assemblée nationale pour corriger cette anomalie qui insupportait M. Jospin, autant avoir le courage de reconnaître que vous voulez supprimer le bicamérisme.
Monsieur le ministre, votre projet se veut un texte de loi, en réalité c’est un communiqué de presse parce qu’il y manque l’essentiel, la réflexion et la concertation dans un domaine où construire un large consensus est indispensable.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, en vous indiquant qu’aucun membre du groupe RDSE ne votera ce projet, …
… permettez-moi de vous citer quelques vers :
« Quoi ! parce qu’un fripon vous dupe avec audace,
Sous le pompeux éclat d’une austère grimace,
Vous voulez que partout on soit fait comme lui,
Et qu’aucun vrai dévot ne se trouve aujourd’hui ?
Laissez aux libertins ces sottes conséquences ;
Démêlez la vertu d’avec ses apparences,
Ne hasardez jamais votre estime trop tôt […]. »
Vous aurez reconnu, monsieur le président de la commission des lois, vous qui êtes très cultivé, un passage de Tartuffe de Molière. Inutile d’en dire plus. §
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, il sera difficile pour moi d’égaler le talent de M. Mézard.
Un seul être manque et tous sont mis à nu : telle pourrait être la leçon de ces derniers mois de la vie politique française.
Mais le désamour, voire le mépris, que les Français semblent éprouver pour les hommes et les femmes politiques est-il lié à l’affaire C. ?
N’est-ce pas à bon compte que l’on met sur le dos d’un seul la responsabilité de tous ?
Ce bouc émissaire est-il le responsable de tous les maux, chargé non pas de les emporter hors de nos villes mais essentiellement de cacher une réalité faite de petites entorses à la morale et, surtout, de nos grandes entorses à nos promesses de jours meilleurs, les écologistes ayant plutôt tendance à promettre des jours pires ?
En y réfléchissant bien, l’affaire C. …
… n’est qu’un pâle reflet des scandales qui ont émaillé toutes les cités, tous les empires, toutes les sociétés depuis que l’écriture nous en transmet la mémoire.
Le roi David envoya Uri faire la guerre, lui-même préférant lutiner la femme de son général, la belle Bethsabée.
Sourires.
Nouveaux sourires.
Mme Hélène Lipietz. Le romain Verrès s’est enfui avec le budget de l’armée, achetant, grâce à ce budget, ses électeurs, pillant la province dont il a été le légat. Puis, devenu magistrat, il vend ses jugements.
Des discussions sur les travées de l’UMP couvrent les paroles de l’orateur.
Réélu en Sicile, il pille celle-ci jusqu’à ce que Cicéron, journaliste d’investigation de l’époque, révèle au monde sa turpitude.
Le troisième calife de l’empire arabo-musulman, Othman ibn Affan, n’eut pas besoin d’un ignoble vizir pour perdre sa place : son népotisme lui valut une révolution de palais et la perte de sa vie.
Nos rois et nos reines firent souvent du royaume de France le supplétif de leur domaine royal. Le régent fut un promoteur immobilier hors pair, doublé d’un visionnaire dans l’argent en papier.
Et si la République naissante fut friande de la transparence en stipulant, par décret du 14 mai 1793, « les représentants du peuple sont, à chaque instant, comptables à la Nation de l’état de leur fortune », Danton ne fut pas un Saint… Just.
Les turpitudes des politiques de la IIIe République permirent aux journaux de faire fortune tout autant qu’elles firent leur propre fortune. Le gendre du Président Grévy, Daniel Wilson, député, malgré sa condamnation pour trafic de légion d’honneur fut réélu deux fois. Panama fut un scandale tout autant qu’une réalisation technique exceptionnelle.
Des élus et des fonctionnaires de la IVe République retrouvèrent sans gloire le chemin des scandales en récoltant des piastres en lieu du Trésor public.
Quant à la Ve République, elle n’a pas manqué d’attirer les escrocs et magouilleurs, qu’ils soient hommes politiques, fonctionnaires ou encore citoyens plus égaux que les autres dans le secret des dieux. Par respect pour ceux qui sont toujours en vie, je ne citerai pas de nom.
Mais si nos économies sont si mal en point, n’est-ce pas aussi parce que des banquiers ont grugé les emprunteurs en inventant des valeurs ne reposant, justement, sur aucune valeur ?
Et le sport national des Français n’est-il pas la fraude aux impôts et aux amendes avec demande d’appui à leur sénatrice préférée ?
Alors oui, la politique a des pourris, mais tous ne le sont pas et, surtout, ceux qui nous jugent devraient aussi faire l’inventaire de leurs compromissions avec l’intérêt général.
Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi nous ? Et surtout pourquoi comme cela ? Pourquoi cette loi sur « l’opaque transparence descendue d’un scandale » ? Cet oxymore est digne d’un Cid qui, parti 925, par un prompt défaut, se vit bien seul en arrivant en hémicycle.
La réponse est peut-être dans l’incapacité de nos politiques successives, qu’elles soient de droite ou de gauche, à résoudre des problèmes insolubles, tels que le chômage ou le retour de la croissance, …
… ou la perte de prestige de la France et la montée de nouvelles puissances mondiales, …
… ou encore l’incompréhension de nos citoyens face aux premiers signes tangibles de l’épuisement de notre planète, réchauffement climatique, envolée du prix des matières premières.
Tout cela augmente la défiance des citoyens vis-à-vis de l’action politique.
Et c’est ainsi que 80 % de nos concitoyens considèrent que nous sommes corrompus, indistinctement, les purs et les impurs, les bons et les méchants, les truands et les agneaux !
Et le pire, c’est que nous sommes d’accord avec cette défiance puisque nous nous apprêtons à voter un texte qui va mettre fin à la présomption d’innocence en instaurant une présomption de suspicion !
Fallait-il aller aussi loin, ou aussi peu loin, dans la mise au pilori de 7 000 personnes : les parlementaires, les ministres et leurs cabinets, les membres des autorités administratives indépendantes, les hauts fonctionnaires, mais pas les maires des communes de moins de 30 000 habitants ?
Poser la question c’est déjà y répondre. Toutefois, la réponse n’a aucun intérêt, puisqu’elle est inaudible, faussée par elle-même.
Une fois le grand déballage exigé, il n’est plus possible de reculer. Peut-on, un seul instant, imaginer que nous ne votions pas ce texte, aussi déplaisant soit-il ?
Ceux d’entre nous qui ne le voteront pas, même s’ils sont majoritaires dans cet hémicycle, seront soupçonnés d’avoir des choses à cacher.
Quelles sont ces choses ? Peu importe qu’elles soient politiques, juridiques ou personnelles, elles seront inaudibles. Car c’est le refus qui sera montré du doigt.
Nouveaux sourires.
Nous savons tous que nous allons devoir nous mettre à nu, disais-je, reste à savoir comment présenter belle.
Pourtant, au lieu de foncer tête baissée dans l’effeuillage généralisé, nous, collectivement, élus et citoyens, aurions dû prendre le temps de réfléchir à cette question : comment empêcher le pouvoir de corrompre ?
À défaut d’avoir pris le temps de la réflexion, nous avons des réponses qui ne sont pas adaptées à la question et qui choquent plus d’un d’entre nous.
Ainsi, plutôt que le patrimoine de l’élu, n’est-ce pas la différence entre l’entrée et la sortie de mandat qui intéresse nos concitoyens, ce delta de toutes les turpitudes, là où se retrouve l’enrichissement sans cause ?
Ainsi, sur mon site internet personnel, la rubrique « La réserve parlementaire et son utilisation pour l’année 2013 » intéresse infiniment plus que « L’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat », l’IRFM. Sur le site du Sénat, la rubrique « Les déclarations d’activités et d’intérêts » n’arrive qu’en quarante-cinquième position des pages consultées. Il semble bien que le déballage n’emballe les médias et les foules que tant qu’il n’a pas lieu !
La publication de mon patrimoine a eu pour unique conséquence une proposition m’incitant à placer mes économies en assurance vie plutôt que dans la pierre, pour permettre à mes enfants d’échapper à l’impôt sur les successions…
Au fond, ce que nous reprochent les citoyens, ce sont les connivences, les petits et gros arrangements entre amis qui conduisent à voter des lois, à adopter des amendements, au bénéfice non pas de l’intérêt général, mais d’industries, de sociétés de marchand de Tapie, de copains et de coquins, au détriment de la société, de l’environnement ou de la santé.
Ce qui intéresse aussi les citoyens, c’est que nous donnions l’exemple, en nous appliquant à nous-mêmes ce que nous voulons qu’eux-mêmes fassent, même s’ils ne le font pas... Voilà d’ailleurs qui ne manque pas d’étonner !
Ainsi, l’évasion fiscale, c’est mal, mais, quand l’évadé a des responsabilités politiques, c’est pire !
Nous avons aussi eu un cas chez les Verts : la grande évasion fiscale et la vendeuse de sextoys bio !
Pour autant, l’évasion fiscale n’est pas donnée à tout le monde : ne peuvent emporter de valises en Suisse que ceux qui gagnent des sommes substantielles !
J’ose le dire : il y a certainement en pourcentage plus de citoyens malhonnêtes en prison que d’élus malhonnêtes en liberté... J’ai bien dit « en pourcentage ».
C’est pourquoi il ne faut pas confondre honnêteté, contrôle et transparence.
Qui plus est, ces mêmes citoyens, si prompts à déclarer dans les sondages qu’ils nous estiment corrompus, sont pourtant les premiers à redonner leur confiance à des élus qui ont été effectivement condamnés. Ils ne s’interrogent même pas sur le message qu’ils envoient aux élus honnêtes : « Peu importent vos fautes, nos voix vous laveront de tous vos péchés. » L’onction démocratique est une amnistie, …
… une amnésie populaire.
Après ces – j’espère – belles paroles, mes chers collègues, vous pourriez croire que les écologistes aiment nager en eaux troubles et se satisfont de ce texte. Eh bien non ! Non pas parce que nous voulons laver plus blanc que Vert, mais parce que nous n’aimons pas faire les choses à moitié.
De deux choses l’une : soit, comme certains l'ont proposé, on se contente de la législation actuelle en ne la retouchant qu’à la marge, comme pour le cumul des mandats §; soit on dévide l’écheveau des intérêts, des revenus et des patrimoines pour mieux l’analyser, car l’écologie est la science de l’interaction des vivants.
C’est pourquoi, alors même que certains d’entre nous, sans attendre les rebondissements de ces derniers temps, ont fait le choix, libre et éclairé, de publier leur patrimoine, l’utilisation de leur réserve et autres affaires d’argent, les écologistes présenteront des amendements visant à moins d’opacité. Rappelons que les écologistes sont pour la publication de toutes les déclarations sous forme de données ouvertes, bien entendu de manière totalement anonyme.
J’en viens à la collusion avec les entreprises. Il est évident que les sphères économiques ont bien plus d’influence sur nos concitoyens que les petites décisions que nous pouvons prendre ici. C’est cela qu’il faut surveiller de près : l’influence des groupes, entreprises, lobbies sur nos votes qui vont parfois à l’encontre de l’intérêt général, de l’environnement, de la santé, de l’éducation. Je sais, je radote, mais c’est exprès !
C’est là que doit se concentrer l’exigence de transparence.
Où sont déclarés les cadeaux, si courants qu’ils sont omis par tous : invitations à des voyages, dans des restaurants de luxe, y compris par des sociétés de fast food ? Comment faire de la peine à quelqu’un, un groupe ou une société devenu un familier ?
Personne n’est parfait. Le conflit d’intérêts est toujours possible, mais il faut l’afficher. C’est pour cela qu’au Conseil de l’Europe les conflits d’intérêts doivent être déclarés.
Nous défendrons également un amendement sur les assistants parlementaires qui sont ou seraient mis à disposition par des groupes de pression. Il est nécessaire que le public le sache et n’ait pas à deviner de qui il s’agit.
Cependant, dans le même temps, il faut donner à nos collaborateurs, que je remercie du travail qu’ils accomplissent pour nous, un véritable statut et élaborer une convention collective qui les protège des abus inhérents à leurs missions d’assistance, en tout lieu et à toute heure, de leurs parlementaires.
Nous souhaitons que différentes chartes de déontologie soient mises en place pour chacun des trois pouvoirs et nous espérons que le quatrième pouvoir, le pouvoir journalistique, fera de même.
Quant aux sanctions contre les élus, si elles doivent avoir lieu, elles doivent d’abord venir des pairs : c’est à chaque assemblée, chaque gouvernement, chaque ministère, ne plus tolérer en son sein des brebis galeuses.
Enfin, si nous aurions aimé que la peine d’inéligibilité soit non relevable, nous n’avons pas maintenu l’amendement que nous avions rédigé à cette fin car son adoption aurait créé un fâcheux précédent pour les simples citoyens condamnés. C’est pourquoi nous y avons renoncé !
En effet, nous savons être magnanimes, et le peuple, lui, est souverain. §
M. Didier Guillaume remplace M. Jean-Patrick Courtois au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis deux heures, nous entendons des interventions brillantes, étincelantes, percutantes. Beaucoup d'entre elles visent un seul objet : ébranler la majorité et le Gouvernement.
En réalité, ces interventions auront pour effet d'ébranler la maison qui nous abrite, le Sénat lui-même.
… au sujet d'un texte qui a pour unique ambition de rétablir la confiance entre nous et les citoyens ? Cela devrait au contraire nous réunir !
À cette méfiance de nos concitoyens, nombre de parlementaires répondent par de la défiance envers les citoyens. Ce n'est évidemment pas la bonne réponse.
Je reprendrai certains des arguments qui ont été avancés.
D'aucuns ont parlé de texte de circonstance. Étonnamment, je partage ce point de vue et vous donne raison, mes chers collègues : c'est bien de cela qu'il s'agit. Cependant, si vous réfléchissez à l'histoire qui est la nôtre, tous les textes de moralisation – le terme n'est pas apprécié, je le retire aussitôt –, en tout cas tous les textes qui ont tendu à donner un peu plus de vertu en politique sont nés des circonstances.
Le ministre a ce matin rappelé qu'en 1971 le scandale de la Garantie foncière avait vu un député mélanger ses intérêts avec ceux d'administrateur d'une société. L'année suivante, un texte de circonstance était présenté, qui se voulait fortement déontologique, puisqu’il renforçait les incompatibilités – déjà ! – et obligeait les parlementaires à une déclaration de leurs activités.
Des années plus tard, sur toutes les travées, nous avons tous vécu ces douloureux scandales liés au financement des partis politiques et des campagnes électorales. Immédiatement nous ont été présentés des textes que nous pouvons qualifier de circonstance, mais qui ont permis de rendre la France exemplaire en matière de financement de la vie politique. C'est encore le cas aujourd'hui : dans aucun pays, la législation n’est aussi ferme que la nôtre.
Je conclurai par un dernier exemple que l'on appelle « l'affaire Woerth-Bettencourt », c'est la presse qui l’appelle ainsi, ce n'est pas moi. Cela a donné naissance à un projet de loi du gouvernement Fillon relatif à la déontologie. J’en relisais ce matin l’exposé des motifs : « La confiance des citoyens dans ceux qui gouvernent, jugent ou administrent est au fondement même de la République et de la démocratie. Cette confiance ne peut prospérer que si l’intégrité et l’impartialité des responsables publics ne peuvent être mises en doute. » Nous pouvons faire nôtre ces deux phrases.
Pourtant, ce projet de loi est resté dans les tiroirs. Aujourd'hui, d'une certaine façon, nous reprenons le chantier. Je rappelle que ce texte prévoyait déjà des déclarations d'intérêts, des mécanismes de déport ou encore la création d'une autorité de la déontologie de la vie publique – on ne parlait pas encore de Haute Autorité –, avec un président nommé par décret. Aujourd'hui, la création d'une telle instance fait parfois sourire ; pourtant, elle figurait déjà dans ce texte.
Et je n’évoquerai pas le rapport d’information de Jean-Jacques Hyest sur lequel, avec quelques-uns, nous avons pu travailler.
Je le dis sans provocation : il suffit d’examiner la chronologie pour s’apercevoir que le seul à avoir voulu légiférer sur ces questions en dehors du contexte – certes, le contexte l’a depuis rattrapé ! –, c'est François Hollande. En effet, à peine élu Président de la République, celui-ci a demandé à ses ministres de signer une charte de déontologie prévoyant que « le Gouvernement a un devoir de transparence ». §
Ne mélangez pas tout, mes chers collègues, nous allons y venir !
En tout cas, lorsque François Hollande pose cet acte, il le fait alors que les circonstances ne l’y poussent pas.
Vous avez raison, la réalité est toujours plus forte : elle a rattrapé la volonté très forte du Président de la République avec le mensonge de Jérôme Cahuzac, que nous avons tous condamné.
Aujourd'hui, il faut un nouveau texte. Je vous promets que d'autres textes viendront par la suite, parce que, demain, il y aura l'affaire Karachi, …
… ou tout autre scandale. À chaque fois, il nous faudra progresser. Il n'y a jamais de texte définitif, surtout pas en la matière !
On nous oppose qu’il s’agit de textes de méfiance. Mes chers collègues, nous partageons tous le même sentiment : nous supportons mal ce soupçon qui nous frappe, tous, quelles que soient les travées que nous occupons. Nous en avons assez de ces accusations selon lesquelles nous sommes trop payés pour ne rien faire, corrompus, absents, inutiles ! §Personne ici n'accepte ce reproche qui est adressé aux parlementaires.
Face à cela, deux solutions s'offrent à nous. La première semble relever de la magie. Elle consiste à penser qu'il suffit de hausser les épaules et que la rumeur passera. Personne ne pense cela possible ; personne ne croit à la magie. La seconde solution consiste à trouver des outils pour tenter de faire front.
Un autre courant nous reproche d'en faire trop, parce qu'il n'y a rien à voir. Vérifions si cela est vrai. Ensemble, nous observons que les Français pensent exactement le contraire. Un sondage réalisé en 2011, qui est cruel pour nous tous, révèle que 72 % des personnes interrogées estiment que les dirigeants politiques sont plutôt corrompus. Il est vrai qu'un sondage ne rend pas forcément compte la réalité.
Je ne parlerai pas ici des parlementaires qui font l'objet de poursuites pénales, car les faits qui leur sont reprochés ne relèvent généralement pas de leur mandat de parlementaire. Ne nions pas que les conflits d'intérêts existent. Je me contenterai de citer trois exemples.
Le premier, c'est l'affaire du Mediator. Comment admettre une telle affaire ? Dans ce dossier, un individu, mandaté par les laboratoires Servier, est venu dans les bureaux du Sénat, corriger le rapport qui devait être rendu sur ce médicament, pour minorer le rôle des laboratoires Servier et détourner les soupçons sur une autre instance. C'est ici même que cela s'est passé, pas ailleurs ! Évidemment, des mises en examen ont eu lieu, l’une d’entre elles concerne une ancienne collègue sénatrice.
Le deuxième exemple concerne un rapport du député Christophe Sirugue, dont on ne fait pas assez mention, qui a été remise au nom du groupe de travail sur les lobbies à l'Assemblée nationale. Il relève que beaucoup – le mot n'est pas exagéré – de collaborateurs de parlementaires sont rémunérés par des sociétés qui pratiquent le lobbying. C'est la réalité ! Dès lors, que fait-on ? Faut-il faire comme si de rien n'était et passer à autre chose, ou faut-il essayer de réglementer l'activité des groupes d’intérêts dans nos assemblées ?
Enfin, troisième exemple, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, comment pouvons-nous accepter qu'un parlementaire perçoive dix ou vingt fois plus de réserve parlementaire qu'un autre ? Est-ce équitable et acceptable en république §qu'un parlementaire puisse recevoir vingt fois plus de réserve que ses collègues, y compris au sein d’un même département ?
Ils sont déjà de trop, monsieur Gaudin !
Mais enfin ! Ne voyez-vous pas que ces pratiques bafouent non seulement la justice, mais aussi l'équité en matière électorale.
Nous essayons de trouver des outils : c'est le sens même de ce texte.
Le premier outil, classique, s’appelle les incompatibilités : voilà un siècle que nous savons l’utiliser, depuis le trafic des médailles.
Nous allons renforcer ces incompatibilités. Comment peut-on s'y opposer ?
Nous allons notamment renforcer celles qui frappent ceux de nos collègues qui voient subitement s'éveiller en eux une vocation de conseil, alors qu'ils n'ont jamais exercé une telle activité avant de devenir parlementaire. Mais, soudain, frappés par la grâce, ils se découvrent un talent particulier pour donner des conseils, …
… contre forte rémunération, bien évidemment, mon cher collègue.
Ils trouvent le temps de se livrer à cette activité en plus de leur mandat parlementaire, qui ne doit sans doute pas franchement les épuiser.
Il faut donc renforcer les incompatibilités ; c’est ce que prévoit votre texte, monsieur le ministre. Qui peut être contre ?
Il faut aussi aller plus loin, et rendre publiques un certain nombre de déclarations.
Y a-t-il vraiment un drame ?
Nos déclarations d'intérêts sont déjà publiées sur le site du Sénat, comme le soulignait tout à l'heure notre collègue. À cet égard, il est intéressant de constater que, la première année, ces déclarations ont été consultées 40 000 fois. Aujourd'hui, nous sommes sur un rythme annuel de 4 000 consultations. La curiosité aussi s’érode avec le temps.
Qui dans cette enceinte a été blessé par la publication de sa déclaration d'intérêts ? Qui en a ressenti de la honte ? Qui a considéré que sa vie privée avait été bouleversée ? Il me semble qu'aucun drame n’est survenu depuis cette publication.
Ne dramatisons pas ce qui devient finalement monnaie courante – le terme est bien choisi !
Sourires.
On peut en revanche discuter du pas supplémentaire que franchit ce texte en prévoyant de rendre publiques les déclarations de patrimoine. Cela existe déjà dans de nombreux pays.
Et je me permets d’attirer votre attention sur le paradoxe dans lequel nous nous enfermons. Nous nous arc-boutons sur ce refus alors que les plus exposés des politiques, les membres du Gouvernement, ont publié de telles déclarations.
Là non plus, il n'y a pas eu de séisme, en dépit de nombreuses publications dans la presse, notamment dans les quotidiens régionaux. Et il ne me semble pas avoir vu les membres du Gouvernement perturbés dans leur action – tout au plus certains d'entres eux ont-ils pu être agacés. Je ne crois pas en tout cas que notre République ait été atteinte par ces publications.
À partir de là, avec Jean-Pierre Sueur, nous avons imaginé que la transparence ne souffrait pas de demi-mesures et que, dès l'instant que l'on autorisait une publication à la préfecture, avec la possibilité de consulter ces déclarations, il fallait aussi en accepter les conséquences et être parfaitement cohérents. C'est pourquoi nous avons supprimé l'interdiction de divulguer ces déclarations et les condamnations qui lui étaient attachées. Nous pensons que cela ne devrait pas poser beaucoup de problèmes.
Bien sûr, cette mesure peut se discuter, mais je souhaite attirer l'attention de ceux qui la discutent.
Ceux qui souhaitent le maintien des sanctions – un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende – vont-ils demain poursuivre leur quotidien régional s’il lui vient à l'idée de publier leur patrimoine ?
J'aimerais aussi qu'ils me disent s'ils souhaitent que ce soit à chaque fois le Gouvernement qui poursuive les différentes publications – de par notre statut, les poursuites pourraient en effet relever de l'initiative du Gouvernement.
Quoi qu'il en soit, je souhaite bien du plaisir à ceux qui voudraient poursuivre ces organes de presse ! En effet, une fois que le quotidien régional aura publié votre patrimoine et que vous aurez déposé plainte, ce n'est pas un article que vous aurez, mais des dizaines, dans toute la presse nationale. Et vous aurez même droit de surcroît à un petit procès, au cours duquel vous devrez vous expliquer sur votre patrimoine, ce qui donnera lieu à d'autres articles… Quant à la décision finale du tribunal, je ne mettrai pas ma main à couper qu'elle donnera satisfaction au plaignant.
C'est donc le principe de réalité qui nous conduit à faire preuve de prudence en la matière.
Pour conclure, j'ai entendu des personnes pour qui j'ai beaucoup d'estime dire que ces textes avaient été imposés par le Président de la République, ou encore que nous n'avions pas à donner de leçons de morale.
Il s’agit, à mon sens, de contrevérités. Ces textes nous sont tout simplement imposés par la réalité, comme l’ont été les textes sur le financement de la vie publique et beaucoup d'autres textes. Ils sont aussi guidés par la volonté de rétablir cet indispensable lien de confiance entre les élus et les électeurs, qui malheureusement continue de se défaire, et dont le délitement ne favorisera aucun des groupes politiques de cet hémicycle, mais ceux qui, à l'extérieur, comptent les coups avec beaucoup de gourmandise. Demain, ils auront beau jeu de dire : « Regardez-les, ils sont incapables de faire preuve de la moindre transparence ! »
Quand on ne respecte pas les plafonds de dépenses, on détruit aussi la confiance !
J'attire aujourd'hui votre attention sur ce point.
Je sais les interrogations qui existent sur ce texte, mais imaginons qu'il soit rejeté : l'opinion va immanquablement penser que, décidément, nous avons beaucoup de choses à cacher ! §
Et elle ajoutera même que, décidément, les sénateurs ne veulent rien dévoiler.
M. Alain Anziani. J’aimerais faire partager cette vérité : il est de notre responsabilité de regarder avec beaucoup d'attention ce texte, parce que c’est notre relation avec l'opinion qui se joue à travers lui.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je suis maintenant sénateur, j'emploierai des mots policés pour parler des réserves que je nourris à l'encontre de ce texte. Mais vous verrez au final que l'addition de ces réserves fait de moi un opposant déterminé à ces projets de loi.
Je suis tout d'abord réservé sur les circonstances qui ont conduit à l'élaboration de ce texte.
Franchement, monsieur le ministre, il fallait oser le faire ! Car tout part au fond du mensonge d'un ministre du budget, qui cache l'existence de fonds placés en Suisse.
Il commence par nier l’existence de ces avoirs au Président de la République, au Premier ministre et à l’Assemblée nationale, avant que l'on apprenne finalement qu'il a menti à toutes ces autorités.
La recette trouvée par votre gouvernement, inspirée d'ailleurs par celle qu'utilisait régulièrement un président de la République en fonction de 1981 à 1995, est de faire diversion.
Il existe de beaux ouvrages sur la question, notamment celui de Machiavel. Relisez dans Le Prince les passages où il instruit Laurent de Médicis des choses qui touchent la vie publique, notamment quelques-uns des passages consacrés aux Florentins.
Tartuffe est venu plus tard, monsieur Mézard, mais quel art consommé du détournement d’attention !
Il fallait sauver les apparences ! Le Gouvernement était atteint ; c’était un séisme politique. Rappelez-vous la une des quotidiens, les titres des journaux télévisés. Il fallait créer une diversion pour protéger le Gouvernement et sa majorité. Et les victimes de cette diversion, ce sont les parlementaires !
À en croire ceux qui alimentent aujourd'hui ce débat, ils seraient responsables des dysfonctionnements, des désordres et des mensonges qui ont été dénoncés.
Certes, le Gouvernement a péché par naïveté et par légèreté. Mais, si j’en crois certains propos entendus voilà quelques instants à cette tribune, cette naïveté est franchement contagieuse. Comment pouvez-vous croire un seul instant que le dispositif que vous nous proposez aurait pu empêcher M. Cahuzac de dissimuler la vérité ?
Monsieur le président de la commission des lois, l'article 1er du projet de loi organique prévoit l'obligation pour un parlementaire de déclarer les fonds qu’il détient à l'étranger. Croyez-vous que l'ancien député du Lot-et-Garonne aurait mis une croix dans cette case et communiqué le nom du dépositaire ? Pourquoi être naïfs à ce point ?
La deuxième réserve porte sur la méthode. Elle conduit à jeter l'opprobre sur les parlementaires.
Je me suis replongé dans l'histoire des grands scandales qui ont jalonné la vie parlementaire. On prétend que chaque scandale a engendré une loi. Je ne partage pas ce point de vue. En réalité, ce sont souvent les électeurs qui ont tranché en lieu et place du législateur ou des magistrats.
Rappelez-vous cette affaire qui a momentanément écarté Clemenceau de la vie publique et parlementaire, …
… après que la chambre unanime se fut levée en criant : « Panama ! Panama ! »
Ce n'est pas une loi qui a empêché qu'un autre scandale du même type puisse se reproduire, mais bien les électeurs.
Et croyez-vous que dans un autre scandale, l'affaire Stavisky, c'est une loi qui fit barrage à de nouvelles affaires du même ordre ? Non ! C’est la foule qui défila place de la Concorde le 6 février 1934 en vociférant ces mots lus dans Rivarol : Tousdes voleurs !
M. Jean-Claude Lenoir. Prenez garde, vous alimentez avec ce texte une opinion
Mme Cécile Cukierman s’exclame.
Certes, il y a des brebis galeuses. Mais retenez que, dans l'histoire parlementaire, un seul député a été condamné pour avoir commis un délit dans l'exercice de ses fonctions. Il s’appelait André Rives-Henrÿs, et c’était en 1974.
Certes, des parlementaires ont étécondamnés depuis, mais pour des raisons extérieures à leur mandat de parlementaire.
L'un a été emprisonné pour une affaire de mœurs, les autres ont été condamnés pour des trafics d'influence ou des trucages de marché, mais dans l'exercice d'autres mandats.
Je vous en prie, chers collègues, contrairement à l'opinion exprimée par l'orateur qui m'a précédé à cette tribune, il me semble que vous portez la responsabilité d'avoir ouvert un débat qui nous met tous en accusation. Et, croyez-moi, l'opinion ne s'arrêtera pas là.
Croyez-vous que l’opinion, dans le cirque romain, va se contenter de ce que vous lui proposez ? Mais demain, elle réclamera plus ! « Ce n’est pas assez ! » dira-t-elle.
Par ailleurs, j’ai trouvé déplacé votre propos selon lequel si l’on est opposé au présent projet de loi organique, c’est que l’on a quelque chose à cacher. §
Non, mon cher collègue, vous l’avez dit à la tribune et l’opinion le répétera !
Nous sommes tous devenus des pénitents, habillés par pudeur et par décence d’une robe de bure. Vous vous doutez bien que nous devrions normalement tous être dévêtus, avec de la cendre sur les cheveux…
Et se joignent à notre cortège de pénitents des flagellants, que l’on trouve parmi nous, qui estiment qu’il faudrait aller beaucoup plus loin encore et beaucoup plus vite et qui aliment eux aussi le sentiment négatif éprouvé à l’égard des parlementaires.
J’émets enfin une réserve sur l’objectif recherché et les résultats qui vont être obtenus.
Comme cela a été souligné dans cette enceinte, il existe déjà des règles relatives à notre patrimoine, à nos intérêts et que nous appliquons. Il faut le rappeler à l’opinion car, à vous entendre, on a l’impression que tout est à créer, tout est à inventer.
Aujourd’hui, la finalité recherchée est de moraliser la vie publique, et non de caresser l’opinion dans le sens du poil.
Un jour, vous irez sans doute plus loin. Peut-être bientôt allez-vous sanctionner des parlementaires qui auraient renié leurs convictions lors d’un vote.
Ne seront-ils pas soupçonnés de recevoir un avantage en raison de leur vote ? Surtout, et je le dis sciemment dans une assemblée où la majorité est aussi courte, …
… allez-vous empêcher un élu de faire profiter l’assemblée à laquelle il appartient de son expérience professionnelle ? Évidemment, celui qui sait ne doit pas s’exprimer !
Celui qui connaît un dossier doit se taire ! Telles sont les conséquences pernicieuses du texte qui nous est aujourd’hui soumis.
Nous savons ce que souhaite la majorité dans ses différentes composantes : des élus hors-sol, élevés sous serre, qui n’ont exercé aucune activité professionnelle. En effet, évoquer des questions de santé serait condamnable pour un médecin ! Et ne parlons pas des agriculteurs !
Bref, on veut des élus éloignés de la vie quotidienne de nos concitoyens, des élus sans attaches avec le territoire. Évidemment, défendre le département dont les électeurs nous ont envoyés siéger dans cette enceinte est condamnable.
Voilà autant de dérives auxquelles nous allons assister et qui justifient notre hostilité aux mesures que vous nous proposez, qui ont pour objet de vous laver de tout péché commis et d’écarter le soupçon.
Mes chers collègues, en réalité, aucune loi n’empêchera quelqu’un de mentir !
Aucune règle ne suffira, aucun interdit ne produira une conséquence positive.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, les projets de loi organique et ordinaire dont nous sommes saisis aujourd’hui sont des textes hautement symboliques, car, comme l’a rappelé le rapporteur, ils traitent des sujets essentiels que sont la transparence, le contrôle et le respect de la vie privée. Ils sont aussi empreints d’un certain pragmatisme.
Ces textes sont d’une importance considérable pour notre République et ses institutions. Construire une République exemplaire : tel est l’objectif premier du Président de la République qui s’accompagne de l’ardente obligation d’obtenir la confiance de nos concitoyens.
Avec l’examen de ces deux projets de loi, nous sommes aujourd’hui amenés à faire un progrès décisif en ce sens.
Fort heureusement, la transparence de la vie publique est une préoccupation ancienne et croissante des gouvernements. Ce sujet a fait l’objet de plusieurs lois, dont celle du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, modifiée, notamment, en 1995. Il est regrettable de noter que les progrès de la législation ont presque toujours eu lieu à la suite d’affaires ou de scandales politiques.
Si l’affaire Cahuzac a amené le Gouvernement à présenter dans l’urgence les présents projets de loi, il n’en demeure pas moins que les avancées qui sont proposées dans ces textes sont reconnues de longue date comme une nécessité pour la revitalisation de notre système politique tout entier.
En votant ces textes, ce que le législateur doit avoir à l’esprit, ce n’est pas principalement l’éventualité d’une future affaire Cahuzac, mais bien plutôt la restauration de la crédibilité des politiques aux yeux de nos concitoyens.
Pour ma part, je considère que l’expression d’une défiance à l’égard des politiques, dont la très grande majorité d’entre eux remplissent leur mandat avec engagement, …
… dévouement, et intégrité, témoigne d’une réelle injustice, en tout cas d’un excès. Il n’en demeure pas moins que leur crédibilité est trop souvent mise en cause. Il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour que s’impose à tous l’exemplarité des élus de la République qui sont, pour la plupart, entièrement dévoués et engagés au service de l’intérêt général.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas laisser la situation telle qu’elle est et rester sourds à la défiance exprimée par nos concitoyens. Pour combattre celle-ci, nous devons agir. Et c’est le choix du Gouvernement.
Les projets de loi que nous examinons vont permettre à notre pays de combler un certain retard et de rejoindre le peloton de tête des pays ayant adopté des règles déontologiques strictes. En effet, ils comportent des avancées concrètes et consistantes : la publication des déclarations de patrimoine et des déclarations d’intérêts et d’activités d’un grand nombre de responsables publics ; la création de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique, qui sera dotée de pouvoirs étendus, notamment en matière d’investigation et d’injonction ; la création de nouvelles incompatibilités ; des sanctions renforcées en cas de manquements aux nouvelles obligations créées par ces textes.
Je me réjouis du fait que la déontologie devienne un sujet de première importance pour le législateur. Le Sénat a d’ailleurs été précurseur dans ce domaine. Dès 2009 a été créé par la précédente majorité au sein de la Haute Assemblée le Comité de déontologie parlementaire pour, selon les termes de l’arrêté du bureau du 25 novembre 2009, traiter des « questions d’éthique concernant les conditions d’exercice du mandat des sénateurs et le fonctionnement du Sénat » sur saisine du bureau ou du président du Sénat.
Le premier président de cette instance fut Robert Badinter. Ce choix marquait la volonté de haute exigence éthique pour ce nouvel organe. Le président Bel a ajusté la composition du Comité, qui compte désormais six membres, pour assurer la représentation de chacun des groupes de notre assemblée. Il est en effet essentiel que les travaux du Comité échappent aux positions partisanes et permettent une approche collective des questions déontologiques. C’est bien au Parlement qu’il appartient d’assumer ces questions, dont il ne saurait être dessaisi ni exonéré.
Avec le bureau du Sénat, le Comité de déontologie a contribué à élaborer des solutions concrètes, comme la mise en place, à la fin de l’année 2011, d’un dispositif de déclaration d’activités et d’intérêts des sénatrices et des sénateurs étendu aux invitations et aux cadeaux qu’ils pourraient recevoir dans le cadre de leur mandat. Ces déclarations d’activités et d’intérêts sont rendues publiques par leur mise en ligne sur le site internet du Sénat depuis l’été 2012.
Le Comité de déontologie du Sénat, que j’ai l’honneur de présider, s’est réuni le 18 juin dernier, sur saisine du président du Sénat, afin de procéder à un échange de vues sur les incidences que pourraient entraîner les projets de loi organique et ordinaire relatifs à la transparence de la vie publique au regard de la situation des parlementaires.
Fortement attaché au principe de séparation des pouvoirs, le Comité a insisté sur la nécessaire articulation des compétences entre la future Haute Autorité de la transparence de la vie publique et le bureau des assemblées, ainsi que sur la place de l’organe de déontologie dans le dispositif envisagé par le Gouvernement.
S’il est évidemment complètement admis et souhaité que soient réservées à la Haute Autorité les compétences en matière de déclaration de situation patrimoniale, il est également souhaitable que les attributions relatives à la déontologie parlementaire, pour ce qui concerne les déclarations d’intérêts et d’activités, et la prévention des conflits d’intérêts, continuent d’être assumées par les assemblées parlementaires, même si elles sont simultanément soumises à la Haute Autorité. La primauté des bureaux des assemblées en matière d’incompatibilités parlementaires est préservée. Il conviendrait de conférer des compétences renforcées aux organes chargés de la déontologie parlementaire relatives à la prévention des conflits d’intérêts.
Nous appuyant sur les réflexions de notre Comité de déontologie, Alain Anziani, les membres du groupe socialiste et moi-même avons déposé des amendements allant dans ce sens et qui ont été adoptés par la commission des lois. Ils ont pour objet de donner une reconnaissance légale aux organes chargés de la déontologie parlementaire qui existent au sein de chaque assemblée : le déontologue de l’Assemblée nationale et le Comité de déontologie du Sénat.
Sans viser à donner de compétences contraignantes à ces derniers et en laissant au bureau des assemblées le libre choix d’en définir tant la forme que le fonctionnement et les attributions, ces amendements tendent à les associer étroitement aux nouveaux mécanismes de prévention et de traitement des conflits d’intérêts que mettent en place les projets de loi dont nous débattons aujourd’hui.
La consécration légale de ces organes déontologiques internes aux assemblées non seulement est forte symboliquement, mais constitue aussi une véritable avancée pour nos assemblées parlementaires et, par voie de conséquence, pour notre démocratie.
L’article 2 bis du projet de loi ordinaire, ajouté par l’Assemblée nationale en première lecture, confère au bureau de chaque assemblée le pouvoir de définir des lignes directrices, des « règles », selon la terminologie retenue par la commission des lois du Sénat, en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts. Ces règles devront éclairer les parlementaires sur l’attitude qu’ils pourraient être amenés à prendre dans une situation potentielle de conflits d’intérêts à l’occasion d’un acte commis au cours de leur mandat.
Sur la suggestion du Comité de déontologie du Sénat, nous avons déposé un amendement visant à associer directement les organes chargés de la déontologie parlementaire dans chaque assemblée à la rédaction de ces lignes directrices en leur permettant de donner au bureau un avis sur celles-ci. Cet amendement a également pour objet d’introduire dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires une reconnaissance légale des organes chargés de la déontologie parlementaire.
Deux autres amendements portent sur l’article 1er du projet de loi organique. Le premier tend à ce que les bureaux des assemblées parlementaires et les organes chargés de la déontologie puissent être informés des observations adressées par les électeurs à la Haute Autorité concernant les déclarations d’intérêts et d’activités des parlementaires. Le second a pour objet d’imposer à la Haute autorité, lorsqu’elle constate des manquements aux obligations relatives aux déclarations d’intérêts et d’activités l’amenant à transmettre le dossier au parquet et à en informer le bureau, d’en informer également l’organe chargé de la déontologie parlementaire.
S’ils sont adoptés en l’état, les projets de loi qui nous sont soumis permettront de renforcer les obligations de transparence et d’exemplarité qui incombent à chaque élu de la République tout en préservant le principe de séparation des pouvoirs.
Ces textes de progrès font écho aux évolutions de notre société, ce dont nous ne pouvons nous dispenser, et sont susceptibles de donner un nouvel élan aux institutions de notre démocratie. Je voterai donc avec conviction en leur faveur, afin que soit garantie, aux yeux de nos concitoyens, l’exemplarité de notre République. §
M. Gérard Roche . Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mots doivent être à la base de nos débats : moralité et dignité. Moralité, car les récents événements ont éclaboussé toute la classe politique. Nous allons devoir établir des critères de transparence qui permettent à la République de débusquer ceux qui la desservent et de décourager ceux qui pourraient la desservir s’ils briguaient un mandat. Selon un adage de nos campagnes, quand on a un trou au pantalon, on ne monte pas au mât de cocagne.
Rires.
Dignité, car cette moralisation doit se faire dignement, puisqu’il s’agit précisément de retrouver notre dignité d’élu, par respect pour la démocratie, pour les populations que nous représentons et pour nos proches et nos familles. Pour garder notre dignité, nous devons garder notre sang-froid, afin d’éviter que la transparence ne soit recherchée à la va-vite et ne se limite à un déballage dont se régaleront les ennemis de la vraie démocratie et les boulimiques du sensationnel.
Pour être digne, la démarche de moralisation doit être collective. Les démarches personnelles de tous ces trompettistes solistes de la transparence sur les chaînes de désinformation en boucle ne font que desservir la moralisation, qui répond à un besoin légitime de nos concitoyens.
Pour être digne, la démarche de moralisation doit également être transversale. Le Gouvernement présente un projet de loi, qui sera évidemment soutenu par nos collègues du groupe socialiste et peut-être par des sénateurs appartenant à d’autres groupes, mais la moralisation doit être l’affaire de tous. Le groupe UDI-UC et sans doute aussi le groupe UMP présenteront des amendements visant à éviter que la transparence ne se limite à un déballage et à faire en sorte que nos assemblées ne finissent pas par être composées uniquement d’hommes d’appareil totalement coupés de la réalité territoriale, n’ayant comme attache locale que leur présence durant les week-ends dans les assemblées de défense qui fleurissent un peu partout.
Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité gouvernementale, vous voilà au pied du mur. Ou nos amendements sont bien reçus, voire adoptés, et le Sénat pourra peut-être, dans sa majorité, voir dans cette démarche une réelle intention de moralisation, loin de toute tactique politicienne ; ou nos amendements sont majoritairement rejetés, et on évoquera, comme l’a fait tout à l'heure Jacques Mézard, une tartuferie visant, après bien des déboires, à vous faire revêtir le manteau de la vertu et à jeter sur nos épaules celui, moins glorieux, de l’opprobre. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre législation relative au financement et à la transparence de la vie politique est une œuvre commune. La première loi, initiée en 1988 par le gouvernement de Jacques Chirac à la demande du Président François Mitterrand, témoigne de l’esprit de relatif consensus qui a longtemps prévalu sur cette question. L’honnêteté oblige aussi à dire que, à chaque fois, c’est une affaire politico-financière qui nous a poussés à modifier le dispositif. C’est encore le cas cette fois-ci, malheureusement. Mais prenons-en acte et tentons d’en tirer le meilleur profit.
Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, CNCCFP, plafonnement des dépenses électorales, financement des partis politiques et transparence : il s’agissait déjà, alors, de remédier à une crise de confiance que des actes inacceptables avaient provoquée ou révélée. Grâce aux textes que nous avons adoptés, des règles transparentes s’appliquent désormais aux campagnes électorales et aux comptes de campagne.
Il faut accepter ces règles et respecter ceux qui ont la responsabilité de les faire appliquer. Lorsque la CNCCFP et le Conseil constitutionnel constatent que de l’argent destiné au financement de l’action des pouvoirs publics a servi à financer la campagne de Nicolas Sarkozy, puis rectifient le compte et sanctionnent le candidat en conséquence, il est – je le dis délicatement – inadéquat et impropre de hurler au scandale démocratique.
Inadéquat et impropre, comme le communiqué de l’ancien Président de la République qui annonce sa démission du Conseil Constitutionnel pour retrouver sa liberté de parole. Nous n’avions pas remarqué qu’il n’était pas libre de parole. Et puis, il faudra nous expliquer comment un membre de droit du Conseil constitutionnel, en vertu de la Constitution et en sa qualité d’ancien Président de la République, peut en démissionner. §
Mais revenons à nos moutons. La République exemplaire, c’est le choix que les Français ont fait le 6 mai 2012. Depuis, la réalité s’est imposée à nous. Elle témoigne des difficultés de la tâche, mais elle ne doit pas abattre notre détermination à avancer.
La République exemplaire, c’est la justice qui passe dans toutes les affaires, sans intervention du pouvoir politique. C’est pourquoi il faut regretter que nous n’ayons pas pu trouver, la semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le chemin d’un compromis ayant pour objectif de donner des garanties constitutionnelles à l’indépendance de la justice.
La République exemplaire, ce sont les ministres qui rendent public leur patrimoine après avoir signé une charte de déontologie.
Les projets de loi que nous examinons aujourd'hui s’inscrivent dans cette continuité. Ils sont un juste prolongement des travaux de la commission Jospin, qui était chargée de formuler des propositions sur la rénovation et la déontologie de la vie publique.
Je salue le travail réalisé par le président et rapporteur de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur : il a su faire évoluer les textes de l’Assemblée nationale afin qu’ils répondent le mieux possible aux objectifs annoncés par le Président de la République et aux attentes des Français, et prennent acte de l’impossibilité de bloquer aujourd’hui la circulation de l’information. Ce sont des avancées significatives.
Le ministre du budget d’un gouvernement socialiste mis en examen pour fraude fiscale : la force du symbole nous a tous pétrifiés. Elle nous oblige tous à nous interroger sur ce qui a rendu possible une telle situation.
C’est ce que je suis en train de faire, monsieur !
Si le mensonge d’un homme produit de tels effets, c’est que la désillusion vis-à-vis de l’ensemble de la politique est grande. Il existe une défiance à l’égard de tous les élus de la République.
Nous ne pouvons la balayer d’un revers de main. Cette défiance, nous devons la constater, sans stigmatiser aucun groupe politique.
« Moraliser la vie politique » semble devenir l’urgence absolue. Le dire de cette manière sous-entend que rien n’est moral aujourd’hui. Comme d’autres orateurs avant moi, je réfute cette affirmation, qui ne correspond pas à l’engagement politique de nombreux militants, responsables, élus pour défendre leurs idées, leurs convictions, leurs engagements et leurs projets. §
Plutôt que de moralisation, il est question – c’est l’intitulé même de ces projets de loide transparence de la vie politique. Il est temps de répondre au soupçon par la preuve, de remplacer le questionnement par la transparence. Personnalités publiques élues pour faire émerger, exprimer, défendre l’intérêt général, nous avons un devoir d’exemplarité. La question de la publication de notre patrimoine et de nos déclarations d’intérêts est légitime et normale. C’est la condition pour tordre le coup à tous les fantasmes.
Bien entendu, un engagement public est un engagement personnel qui ne saurait provoquer d’effet au-delà du raisonnable sur les obligations et l’intimité de nos familles et de nos proches. Dans leur rédaction actuelle, les deux projets de loi semblent répondre de manière équilibrée à ces exigences.
J’invite ceux qui s’inquiètent de cette évolution à regarder ce qui se passe chez nos voisins européens ou à constater la rapidité avec laquelle le débat s’est clos pour les ministres dès lors que la publication de leurs patrimoines a été effective. Alain Anziani rappelait tout à l'heure ce que le Sénat a déjà fait en matière de déclaration d’intérêts des sénateurs, et comment les mesures adoptées ont vite été considérées comme normales, en toute transparence.
L’exigence de transparence est une nécessité. C’est aussi une évolution inévitable pour une société dans laquelle certains aspects de ce qui constituait auparavant la vie privée relèvent aujourd’hui du domaine public. Les réseaux sociaux sont passés par là, et, même s’il faut en refuser la dictature, ils modifient les habitudes, les comportements et les réflexes. Accepter, accompagner ces nouvelles exigences, c’est répondre à de nouvelles attentes afin d’être audibles sur les idées, les valeurs, les projets que nous souhaitons défendre et pour lesquels nous sommes engagés en politique.
En ce qui concerne les activités parallèles des parlementaires, faut-il aller plus loin que la publication des déclarations d’intérêts, qui est déjà effective pour les sénateurs et le sera bientôt pour l’ensemble des parlementaires ? Profiter de son mandat de parlementaire pour développer une activité complémentaire qui relève du conflit d’intérêts est naturellement interdit. De telles pratiques, qui vont parfois jusqu’au trafic d’influence, tombent sous le coup de la loi.
Cependant, avoir la capacité de revenir à tout instant à son activité, à son métier initial, en continuant parfois à le pratiquer donne plus de facilité pour avoir cette liberté de ton qui est utile, et même indispensable, en politique. Y renoncer créerait également des situations inégalitaires. Cela poserait nécessairement la question du statut de l’élu, car il faudrait alors s’interroger sur l’égalité devant le mandat entre un salarié du privé, un travailleur indépendant, un praticien libéral et un fonctionnaire. L’inégalité est déjà patente.
La diversité des origines et des compétences des parlementaires est une nécessité absolue. Cette diversité est déjà trop faible. Nous devons donc la préserver et même l’augmenter autant que possible. Sur cette question, il me semble que la position qui émerge des travaux de l’Assemblée nationale et de notre commission des lois est équilibrée.
Un autre point doit être abordé : le statut de nos collaborateurs. La transparence de l’activité parlementaire doit porter sur la totalité des acteurs. Employeurs ou activités complémentaires de nos collaborateurs : tout cela doit être connu. Mais cette exigence nouvelle d’une déclaration d’intérêts doit s’accompagner de la reconnaissance d’un statut qui permettrait de sécuriser les collaborateurs des parlementaires et des groupes politiques. C’est le sens d’un amendement que nous sommes plusieurs à avoir déposé.
La défense de l’intérêt général : voilà le cœur de l’action politique. Pour le symbole, il est essentiel que les responsables politiques soient exemplaires. Mais pour qu’ils servent à quelque chose, il faut qu’ils puissent agir. Sur ces questions, nous devons tracer des pistes pour faire évoluer nos institutions tant dans les comportements que dans les textes. Parlementaires parfois passe-plats de l’administration, parlementaires notaires d’un accord conclu ailleurs ou de la législation européenne, parlementaires contraints entre le Conseil d’État et l’exécutif, parlementaires qui cèdent trop vite face à ces contraintes : voilà l’ensemble des constatations qui nous interrogent sur le sens de notre mandat, mais indiquent en même temps les principes qui peuvent faire de ce mandat un mandat utile.
La politique est en crise dès lors que nos concitoyens ont le sentiment qu’une alternance tant attendue ne permet pas d’élargir les chemins du possible, ne change rien à leur quotidien, et que toute espérance est vaine. Cela entraîne la remise en cause de la capacité du politique à agir sur le réel et parfois, plus prosaïquement, de l’autorité du politique sur l’administration et, par voie de conséquence, de l’utilité du politique. Réussir à conjuguer « Le changement, c’est maintenant » et la continuité de l’action de l’État, ce n’est pas facile. Mais si le sentiment est qu’il y a un vainqueur et un vaincu entre ces deux exigences, alors nous aurons perdu.
Dans cet hémicycle, nous sommes nombreux à avoir milité pour la VIe République. Conservons cette perspective, car avancer vers de nouveaux équilibres institutionnels est la condition de notre réussite. Chaque ministre doit être personnellement responsable devant le Parlement. Chaque nomination importante au plus haut niveau de l’administration mériterait d’être ratifiée par les commissions compétentes du Parlement. Et ces ratifications doivent se faire dans un esprit qui rompt avec la déférence habituelle et la règle dite des trois cinquièmes négatifs, selon laquelle l’impétrant doit seulement éviter d’avoir plus de 60 % des voix contre lui.
À travers ces deux projets de loi, il s’agit au fond de donner aux responsables politiques la capacité de mobiliser l’ensemble des citoyens du pays pour son redressement. La condition de notre succès, c’est d’abord de créer un climat de mobilisation générale face à l’urgence économique et sociale, afin d’arrêter les destructions d’emplois quotidiennes. Cela passe par la confiance. Et, en ce qui nous concerne, créer la confiance passe par l’exemple, par l’exemplarité.
Les textes que nous examinons touchent les parlementaires, mais aussi une grande partie des élus de la République. En effet, les règles de transparence prévues dans le projet de loi ordinaire concernent aussi les parlementaires européens, les conseillers régionaux, les conseillers généraux, les maires et les maires adjoints. À l’exception de ceux qui cumulent, ces élus ne pourront pas s’exprimer dans cette enceinte. Là aussi, il y aurait beaucoup à dire.
La décentralisation des compétences doit s’accompagner d’une profonde réforme qui permette de mieux lier compétences et capacité à déterminer et à lever les recettes pour y faire face. Dans le cas contraire, c’est le sens des mandats électifs qui risque de s’étioler progressivement, tout comme la capacité des élus locaux à peser sur la réalité. Et je ne parle pas des transferts de souveraineté au niveau européen, absolument essentiels afin de pouvoir peser sur l’évolution du monde, mais qui contraignent les marges de manœuvre réelles du débat national, celles de l’exécutif comme celles du Parlement. Tant que l’on refusera un véritable débat à l’échelon européen, la politique restera contrainte.
Tout cela nous mène loin de la transparence, mais ma conviction est que la transparence est un moyen de redonner à la politique la capacité d’agir. Les deux projets de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, constituent des outils qui feront de notre pays un modèle en la matière. Ils constituent aussi un vecteur pour affiner certains aspects du financement de notre vie politique. Ces projets de loi réaffirment le devoir d’exemplarité des élus, indispensable pour qu’ils soient audibles lorsqu’ils présentent un projet politique et pour qu’ils pèsent sur les décisions.
C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste du Sénat aborde ce débat en étant résolu à soutenir le texte soumis à notre assemblée par notre commission des lois.
En conclusion, je voudrais vous dire que, en entendant le président du groupe RDSE se référer à Tartuffe pour expliquer que, membre de la majorité gouvernementale, il votera pourtant contre ce texte, …
… ce qui handicapera la capacité du Sénat à peser sur le texte final, j’ai trouvé cela surréaliste !
Je dirai quelques mots en réponse aux orateurs, avec comme objectif, d’une part, d’écarter les discussions inutiles et, d’autre part, de retenir les pistes qui peuvent nourrir un débat utile et riche.
MM. Hyest et Lenoir se sont retrouvés avec des mots différents en abordant la question d’une manière assez politique.
Selon vos propres termes, monsieur Lenoir, le Gouvernement, confronté à l’affaire Cahuzac, a voulu sauver les apparences pour s’en sortir, tandis que, pour M. Hyest, il a voulu échapper à ses responsabilités et se cacher derrière ce texte, qui a un lien direct avec cette affaire.
Je regrette que vous ne m’ayez pas écouté plus attentivement. En effet, cela aurait évité ce débat inutile, puisque j’ai moi-même affirmé au nom du Gouvernement que ce texte avait, non dans son principe – nous y avions déjà travaillé avant –, mais dans ses dispositions, un lien avec l’affaire Cahuzac. §Ce n’est pas une découverte, et il n’était pas besoin d’une réflexion approfondie pour s’en apercevoir. Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, évitons de nous opposer pendant des jours sur cette question, puisque ce constat est partagé.
Une question plus intéressante mérite notre attention : cette situation est-elle nouvelle ? Là est le débat politique.
Certains d’entre vous ont esquissé une partie de l’histoire, mais se sont arrêtés en chemin, voyant bien qu’il y avait une contradiction à montrer que notre histoire politique, sous tous les gouvernements successifs, est jalonnée de lois, pour constater à la fin que ce projet de loi répond aux mêmes critères que les autres, c’est-à-dire un texte qui succède à un événement. Certains ont été cités ici depuis la loi sur la Garantie foncière. Mais il y a tout de même une différence, pour rester sur ce débat et pour le clore.
Un événement récent, sous l’ancienne majorité, a entraîné la même réaction, avec une méthode un peu différente : l’affaire Woerth. On a commandé un rapport à M. Sauvé, mais la grande différence, c’est que la proposition de loi de M. Sauvadet, qui traitait pour partie de ces questions, n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour.
Par conséquent, quand on veut « sauver les apparences », pour reprendre votre expression, monsieur Lenoir, on peut demander un rapport et ne jamais organiser le débat. §
Nous, nous avons déposé un texte de loi. Celui-ci est aujourd’hui en discussion et ne mérite pas d’être sorti de l’histoire, parce qu’il est le résultat d’une réaction normale.
Par ailleurs, M. Hyest, qui est parti, …
…a déclaré que le Président de la République n’avait pas voulu réagir sur cette affaire. C’est faux, car pour la première fois, – là aussi, ce ne sont pas les apparences – nous avons, au sein de la majorité, accepté sans la caricaturer la commission d’enquête à l’Assemblée nationale.
Je vous renvoie à l’affaire dite « des sondages » : nous avions, dans l’opposition, essayé d’utiliser notre droit de tirage pour demander une commission d’enquête. Mais le texte avait été tellement caricaturé que nous y avions finalement renoncé.
Vous le voyez, je ne crois pas que, sur ce terrain, ces comparaisons fassent avancer le débat. En tout cas, je souhaitais, sur cette question, vous apporter une réponse.
M. Masson n’étant pas présent, …
… je lui répondrai ultérieurement.
En outre, M. Hyest a formulé un certain nombre de propositions.
N’ayant pas bien compris la référence qu’il a citée dans son intervention, je lui répondrai que l’omission de déclaration a effectivement déjà été punie, sous l’ancienne majorité, de 30 000 euros d’amende et de privation des droits civiques, aux termes de l’article L.O. 135-1 du code électoral, issu de la loi organique du 14 avril 2011. Chacun y reconnaîtra sa paternité, et il me semble que, de ce point de vue, la référence n’était pas fondamentalement opportune.
M. Hyest a tracé deux pistes qui sont évidemment intéressantes dans le débat : d’une part, l’application au mandat en cours, qui est un vrai débat, sujet sur lequel nous aurons à échanger, et, d’autre part, la protection de la vie privée.
Je l’ai dit moi-même dans mon intervention, sur ces questions, nous sommes souvent amenés à arbitrer entre des principes de même valeur mais qui aboutissent à des solutions contradictoires, comme la protection de la vie privée par rapport à la transparence.
D’où l’idée – le système, je l’ai bien compris, n’a pas déclenché son enthousiasme –, même si ce n’était pas la proposition d’origine, de conjuguer ces deux systèmes, solution qui avait été reprise par l’Assemblée nationale et à laquelle, quels que soient le rapport et les décisions de la commission des lois, le Gouvernement est justement attaché, dans la mesure où elle évite une publicité tous azimuts s’agissant des patrimoines.
Mme Assassi a eu raison de rappeler que – ce qui peut nous faire bondir, nous faire regimber ; en tant qu’élu, j’ai suffisamment siégé au Parlement pour savoir que l’on peut nier cette réalité ; c’est la solution de facilité – trois sondages réalisés ces douze derniers mois ont répondu terriblement à la question suivante : pensez-vous que les élus, les parlementaires sont corrompus ? Je pensais que la moitié des personnes interrogées allaient répondre par l’affirmative. En réalité, elles ont répondu oui à 85 %. On peut dire qu’elles ont tort ou qu’elles sont anesthésiées par je ne sais quelle presse. On peut l’ignorer – c’est la méthode Coué –, mais certains font fortune là-dessus. Qui ne peut voir aujourd’hui que c’est le fonds de commerce de ceux qui ne sont pas là ?
Il faudrait ne rien dire, rester là, spectateurs, en disant que nous sommes les défenseurs de la République et que tout le monde va le comprendre. Nous le sommes peut-être, mais ils ne le comprennent pas. §
C’est, je crois, la question de fond, que l’on ne peut écarter d’un revers de main.
Je voudrais maintenant répondre à Mme Assassi sur la question du lobbying, qui fera aussi l’objet d’un débat entre nous, et vous donner la position du Gouvernement sur un certain nombre de questions.
Je l’ai dit dans mon propos liminaire, nous avons aussi des principes à respecter, dont la séparation des pouvoirs et l’autonomie des assemblées. Par conséquent, dans certains domaines, le Gouvernement, non qu’il n’ait pas d’idée ou que la question du lobbying ne soit pas intéressante, ne peut que s’en remettre à la sagesse de l’assemblée. C’est le cas, par exemple, de la question des collaborateurs ou d’autres sujets, qui relèvent exclusivement de l’assemblée. Je ne vois pas pourquoi le Gouvernement franchirait cette ligne de séparation.
Mme Catherine Tasca opine.
Ce sujet, je l’ai vécu comme parlementaire et je l’observe comme ministre des relations avec le Parlement, est évidemment important, mais c’est aux assemblées de prendre des décisions si elles le jugent utile.
Monsieur Zocchetto, je ne reviendrai pas sur ce que je viens de dire au sujet du lien avec l’affaire Cahuzac. Vous avez vous-même posé un certain nombre de questions et regretté que l’on puisse, avec le texte de la commission, aboutir à une solution qui ne soit pas cohérente, en tout cas qui présente des risques sans qu’il y ait des pénalités.
Nous sommes prêts au débat, car, je l’ai dit, le Gouvernement veut examiner l’ensemble des questions. Sur un texte comme celui-là, nous ne sommes pas dans la situation où la vérité serait seulement d’un côté. Nous pouvons être opposés sur le fond, le principe de l’affaire, mais des progrès doivent être réalisés, des questions pertinentes ont été posées. Le Gouvernement souhaite prendre sa part dans le débat pour enrichir le texte, notamment dans le sens que vous souhaitez.
Monsieur Mézard, quand vous avez dit que nous avions un désaccord de fond sur une question de fond, tout était dit et, à partir de là, la passion n’était qu’annexe…
… par rapport à ce positionnement qui ne supposait, par sa détermination, aucune ouverture, malgré le consensus que vous évoquiez à la fin et qui me paraissait apparaître comme un regret si ce n’est comme une contradiction complète avec le reste de la démonstration.
Madame Lipietz, vous avez bien sûr eu raison de replacer le texte dans son contexte. C’est une réalité qui est aujourd’hui devant nous.
M. Anziani a aussi retracé, notamment, les initiatives qui ont été prises ici sur les déclarations d’intérêts. Alors que rien ne l’y obligeait, le Sénat, dans sa totalité, a été exemplaire en mettant en ligne ces déclarations d’intérêts. Il s’agit d’une bonne information. Nous y répondrons à travers les souhaits de la Commission pour la transparence financière de la vie politique.
Je ne peux que partager les propos de M. Anziani sur le fait que cette question de fond ne concerne pas seulement le Sénat. Il s’agit de la relation de la représentation nationale avec les citoyens.
Monsieur Lenoir, vous avez fait une démonstration très pertinente…
… qui a retenu mon attention sur un sujet qui n’existe pas. Si le texte vous a fait croire cela, je suis prêt à toutes les corrections : jamais on ne demandera à un parlementaire, qui est là pour s’exprimer et voter au nom de l’intérêt général et de l’ensemble de la nation, de se retirer d’un vote sur un texte de loi.
Il peut y avoir des amendements, mais ce n’est pas la position du Gouvernement. En effet, à ce moment-là, le risque d’une quelconque démarche pour changer les majorités est réel. Je vous le dis très clairement pour que ce débat ne vous perturbe pas davantage : il n’y a pas et il n’y aura pas d’obligation de déport pour les parlementaires. D’ailleurs, ce serait probablement inconstitutionnel compte tenu du statut des parlementaires.
Madame Tasca, vous avez repris, ce qui n’a pas été surprenant, la question du lien avec les organes de déontologie, aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat. Cela répond également à la question suivante : que continuent à faire les assemblées – nous y reviendrons –, car le lien entre la Haute Autorité et un certain nombre de décisions qui demeurent exclusivement de la compétence des assemblées est aussi une réalité que nous avons inscrite dans le texte ?
Monsieur Roche, nous sommes évidemment ouverts à la discussion de tous les amendements. On ne trouve pas dans ce texte, sauf une opposition frontale qui a pu être exprimée mais assez rarement, de critère qui recouvre complètement les divisions partisanes. Par conséquent, le Gouvernement est très attentif à l’ensemble de ces propositions.
Jean-Yves Leconte a soutenu brillamment ce texte, en faisant des références et des comparaisons utiles avec nos voisins européens. Il a terminé en manifestant ses aspirations en faveur de changements constitutionnels et la construction d’une sixième République. Qu’il me permette, à ce stade, de lui répondre : à chaque jour suffit sa peine ! §
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…
La discussion générale commune est close.
Mes chers collègues, en ayant une pensée pour notre regretté collègue Jean-Louis Lorrain, je voudrais, en votre nom à tous, accueillir très chaleureusement notre nouvelle collègue sénatrice du Haut-Rhin, Mme Françoise Boog, en lui souhaitant la bienvenue dans la Haute Assemblée. §
Nous passons à la discussion des motions déposées sur le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique.
Je suis saisi, par MM. J.C. Gaudin, Longuet, Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique (n° 723, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Gérard Longuet, pour la motion.
Je tiens au préalable à m’adresser à notre jeune collègue, en formant le vœu qu’elle éprouve les mêmes satisfactions que celles que j’ai connues en trente-cinq ans de vie parlementaire.
Monsieur le ministre, en m’exprimant à cet instant au nom du groupe UMP pour défendre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le projet de loi organique et sur le projet de loi ordinaire – la loi organique sera, elle, soumise au Conseil constitutionnel –, je dois avouer très sincèrement que je vous en veux.
J’aime le Parlement, j’aime la vie parlementaire ; je considère que les parlementaires ne méritent absolument pas les injustices qu’ils subissent et que vous avez évoquées en mentionnant des sondages dont je pense profondément que la crise Cahuzac explique en partie l’ampleur.
En effet, confronté à une situation impossible – que je comprends – et accidentelle – je l’imagine –, le Gouvernement a transféré sur la classe politique en général et sur le Parlement en particulier la responsabilité qui était la sienne : avoir choisi un homme qui ne pouvait pas assumer une telle mission.
Les sujets évoqués à travers ce projet de loi organique et ce projet de loi méritent l’attention. De fait, quand on aime le Parlement, on a le droit de se poser deux questions, que vous avez du reste confondues et dont vos textes ne traitent nullement.
Premièrement, je songe à l’émergence progressive dans notre droit d’une notion d’origine anglo-saxonne mais qui commence à entrer dans tous les esprits, à savoir le conflit d’intérêts. Ces situations s’observent dans le secteur privé, notamment en matière bancaire : les banquiers expliquent qu’ils érigent de véritables murailles de Chine entre les différents services d’un même établissement pour prévenir tout conflit d’intérêts au sein de cet établissement.
Le conflit d’intérêts constitue une préoccupation constante de l’économie privée, et à juste titre on pouvait s’interroger sur son adaptation à la vie parlementaire et sur la distinction très forte qui sépare, d’un côté, le conflit d’intérêts, qui est une attitude et n’est jamais un délit, et, de l’autre, le délit pénal, lequel est la prise illégale d’intérêt, voire le trafic d’influence ou la corruption.
Dans sa précipitation, le Gouvernement a créé une sorte de monstre juridique, qui – je dois le reconnaître – a hélas été préparé par les ambiguïtés des lois de 1988 et 1995. C’est cette première confusion qui me met mal à l’aise et qui mérite d’être étudiée à la lumière de notre Constitution. Je pense naturellement à son article 25, qui rappelle l’obligation de fixer, par la loi, les règles d’éligibilité et d’incompatibilités au Parlement. Je pense également à un certain nombre de principes à valeur constitutionnelle issus de la Déclaration des droits de l’homme, sur lesquels je reviendrai.
Deuxièmement, je mentionnerai un sujet grave, qu’il faut examiner sérieusement et non dans l’urgence, dans la précipitation ou dans le conflit, dans ce climat d’opprobre né du mensonge d’un homme devant le Parlement : après tout, c’est lui qui a menti aux parlementaires, et non l’inverse !
Ce sujet, qui mérite plus de sérénité, c’est le statut professionnel du parlementaire.
À ce titre, tous les cas sont uniques. Les situations des députés ne sont pas nécessairement celles des sénateurs. Qui plus est, au sein de l’une et l’autre des deux assemblées, chacun peut choisir librement, sous l’arbitrage des électeurs, son mode de fonctionnement personnel. Il n’y a pas une carrière type !
Jean-Claude Lenoir a évoqué avec humour des députés bientôt hors-sol, élevés sous serre par injection de soutiens partisans, puisque seuls les partis pourront les accompagner.
Mes chers collègues, quelle est, en vérité, la force de notre Parlement ? Dans cet hémicycle, sont disposées un certain nombre de médailles en bronze en hommage aux grands parlementaires des IIIe, IVe et Ve Républiques : toutes ces personnalités sont singulières, eu égard à leur vie personnelle d’avocat, de médecin, d’entrepreneur ou d’industriel. Ce sont des femmes – trop rarement – et des hommes – souvent – venus de la société civile qui acceptent de s’engager. D’autres, au contraire, font le choix d’une carrière exclusivement parlementaire.
Monsieur le rapporteur, toutes ces questions méritaient d’être étudiées en profondeur.
A contrario, le Gouvernement a repris une mauvaise initiative, qui est issue de la loi de 1988 mais qui était alors sans conséquences : confier à une commission administrative une mission qui, dans toutes les autres démocraties parlementaires, relève de l’autorité du Parlement. Telle est la première condamnation que j’invoquerai pour dénoncer l’inconstitutionnalité du présent texte.
Jacques Larché était, en 1988, rapporteur de la première loi sur le financement des partis politiques – je ne parle pas ici du texte de Michel Rocard, que j’ai voté en 1989, car je connaissais suffisamment Guy Carcassonne pour savoir que la France avait trop souffert de son retard en la matière ; quant au texte de 1988, je n’ai pu le voter puisque j’étais alors ministre ! Quoi qu’il en soit, dès cette époque, M. Larché précisait qu’un tel contrôle ne pouvait être confié à une commission administrative composée de fonctionnaires.
Après tout, qu’il existe une « Haute Autorité », passe encore ! Mais où est la morale dans ce pays ? Regardons un peu en arrière ! Jean-Claude Gaudin et moi-même en avons discuté : en 1940, un seul magistrat a refusé de prêter serment au maréchal Pétain – M. Didier –, tandis que quatre-vingts parlementaires lui ont refusé les pleins pouvoirs !
Pourquoi diable prévoir un tel système ? Qu’une commission administrative recueille des documents, cela n’emportait pas de conséquences. Désormais, en vertu des procédures prévues, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera investie d’une responsabilité diabolique. J’emploie ce terme à dessein. De fait, en apparence, cette commission administrative, dotée d’un titre glorieux et où toute immixtion de parlementaires passés, présents ou futurs est interdite, n’a qu’une charge de greffier. Mais, en fait, c’est loin d’être le cas ! La Haute Autorité mènera un dialogue continu et systématique sur l’ensemble des activités d’un parlementaire, de sa famille, de ses liens et de ses proches, lesquelles devront être justifiées en permanence !
Monsieur le rapporteur, ce constat se fera jour lorsque nous examinerons les différents articles : le droit d’interrogation, le droit d’appréciation et le droit de saisine du parquet pour des manques d’information font peser une menace permanente sur les parlementaires, être victimes non simplement de leurs propres faiblesses, oublis et négligences mais aussi, le cas échéant, des faiblesses, oublis et négligences de celles et ceux à qui ils sont liés. C’est tout simplement invraisemblable !
J’ajoute que cette saisine du parquet, dont les bureaux des deux assemblées sont informés, reste à la discrétion de la Haute Autorité.
Je ne reviendrai pas, en cet instant, sur les procédures qui me semblent particulièrement choquantes : nous aurons l’occasion de les évoquer lorsque nous examinerons l’ensemble du dispositif. Toutefois, en revenant à la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, on observe que le présent projet de loi viole ouvertement l’article XVI de ce texte : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution. »
C’est exactement le cas dans lequel nous sommes placés ! Premièrement, la garantie des droits de la défense n’est pas assurée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Deuxièmement, les parlementaires seront placés sous la menace permanente de cette instance. Certes, le pouvoir de sanction revient au Conseil constitutionnel en cas d’omission de dépôt d’un texte ou à la justice en cas de saisine du parquet. Mais, comme Jacques Mézard l’a souligné avec raison, c’est la mise en accusation publique sur la base d’un fait qui pose problème, nous le savons tous !
Je vous le rappelle, seront non seulement consultables en préfecture les déclarations patrimoniales – question qui, en tant que telle, pose plusieurs problèmes que je détaillerai dans quelques instants – mais aussi les appréciations que porte la Haute Autorité sur ces documents. Quand on connaît la malice – pour ne pas employer un terme plus agressif – des membres d’un certain nombre d’institutions à l’égard du Parlement, on ne peut qu’être inquiet.
À ce titre, je citerai l’exemple d’un secrétaire de la commission de la transparence, par ailleurs membre du Conseil d’État, qui a failli être mon collègue au Gouvernement – j’y suis entré juste après son départ. Celui-ci a engrangé des droits d’auteur en publiant un livre nourri des informations qu’il avait directement puisées dans les fonctions que je viens de mentionner. Bref, ne croyons pas que les hautes autorités soient peuplées de saints ! Elles sont peuplées d’hommes et de femmes, avec leurs convictions et leurs passions. Il serait raisonnable que ces hommes et ces femmes se soumettent à des principes simples, par exemple à celui de la double juridiction ou encore au droit à un recours à caractère suspensif.
Dans ces conditions, on pourrait accepter à la rigueur que la procédure proposée et adoptée en 1988, à savoir le dépôt d’un certain nombre de documents, soit transférée du Conseil constitutionnel à une commission, dès lors que cette dernière, strictement administrative, se contenterait de ses fonctions de greffier. Or tel n’est pas le cas : dans le cadre du présent texte, la Haute Autorité organise le conflit public, confère entière autorité à la délation et donne du grain à moudre à tous ceux qui, comme M. le ministre l’a souligné à juste titre, prospèrent sur le goût de nos compatriotes pour le jeu de chamboule-tout, et favorisent partant systématiquement la vente des publications les plus agressives à l’égard des institutions en place.
Passé cette observation, je tiens à me tourner vers mon collègue et ami le président François Zocchetto. (
En effet, je souhaite attirer son attention sur les articles II, IV et VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
L’article IV de ce texte est relatif à la liberté, donc à la liberté d’entreprendre. Il serait quand même tout à fait étonnant que les parlementaires français soient les seuls, parmi nos compatriotes, à perdre l’usage de ce droit. Or le présent texte précise très clairement que les députés et sénateurs ne peuvent pas s’engager dans une nouvelle activité. C’est tout simplement absurde ! Le bureau de l’assemblée à laquelle un parlementaire appartient le rappellera à l’ordre s’il se lance dans une activité contraire aux principes déontologiques qui s’imposent à lui. Toutefois, partir du principe qu’un parlementaire ne peut pas commencer une nouvelle activité, quelle qu’elle soit, c’est totalement inconstitutionnel : une telle disposition revient à priver d’une liberté fondamentale – le droit d’entreprendre – un millier de nos compatriotes qui n’ont tout simplement aucune raison d’être a priori coupables lorsqu’ils changent d’orientation !
L’un de mes excellents camarades, qui a siégé à la commission des lois de l’Assemblée nationale en 1978 puis ici même, au Sénat, Nicolas About, a commencé sa carrière parlementaire comme médecin, et l’a quittée docteur en droit, avant de devenir juriste. De quel droit peut-on empêcher un tel changement d’activité ?
Par ailleurs, concernant l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme, j’observe que le présent texte exclut de but en blanc certaines professions. À cet égard, certains ont pu gloser sur les activités de conseil. Je rappellerai simplement que la présidente sortante du MEDEF a par ailleurs été présidente du syndicat national des bureaux d’études techniques, le SYNTEC, représentant professionnel du conseil en France. Le conseil constitue une activité honorable, riche de plus de 150 000 salariés dans notre pays, et dont la balance commerciale est tout à fait excédentaire ! Il permet à nos entreprises de gagner des parts de marché à l’exportation.
Le conseil est-il ce pestiféré que vous dénoncez ? On déplore certainement des abus et des excès, mais ces cas relèvent de la déontologie et donc du contrôle que le Parlement doit exercer sur lui-même. Pourquoi diable contraindre les électeurs dans leur droit de choisir leurs représentants, au prétexte qu’untel, en raison de ses activités de conseil, ne serait pas habilité à présenter sa candidature ?
En vérité, via la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, vous orchestrez l’éviction de tous ceux qui exercent des responsabilités économiques significatives, comme cadre salarié, comme chef d’entreprise, au titre d’une profession libérale ou tout simplement en tant qu’investisseur !
Ces personnes vivront sous la menace permanente de l’analyse que la Haute Autorité dressera au sujet de leurs intérêts. Or celles et ceux qui exercent des responsabilités professionnelles et qui ont eu le bonheur d’être élus n’ont pas envie d’être jugés et disqualifiés par des hauts fonctionnaires ne disposant pas de la moindre compétence dans le domaine de l’entreprise. Par conséquent, ils s’abstiendront de se présenter. Le monde politique et surtout la représentation parlementaire de notre pays seront appauvris d’autant !
Je terminerai en évoquant l’article II de la Déclaration des droits de l'homme, qui concerne le droit à la sécurité, à la sûreté, et donc à la vie privée.
Je suis très opposé à la publication, pour une raison simple : je considère que nous allons déplacer le débat politique.
Nous allons, d’une part, écarter de la vie politique locale des personnalités de talent et de qualité qui ne voudront pas voir leur famille exposée à l’intérêt, la jalousie, la moquerie, voire la cruauté, de leur environnement.
Nous provoquerons, d’autre part, un déplacement du débat, qui portera non plus sur les convictions mais sur le statut matériel. Vous avez cité le patrimoine des membres du Gouvernement. Certains remarqueront, pour le critiquer, qu’aucun d’entre eux n’est actionnaire de sociétés non cotées et que, d’une façon générale, leurs investissements ne sont jamais des investissements productifs, mais toujours des investissements défensifs et de sécurité.
Très honnêtement, il n’est pas souhaitable que le débat prenne cette forme.
J’ajoute, enfin, qu’une inégalité flagrante sera introduite dans le débat politique. Un sortant qui se représentera aura mis son patrimoine sur la place publique alors que ses concurrents vivront dans la discrétion. Ils pourront attaquer celui qui est exposé sans avoir, eux, à se justifier.
M. Charles Revet opine.
Je crains véritablement que, pour payer une faute que nous n’avons pas commise, nous ne contraignions la classe politique, les élus de province, les candidats aux mairies, aux responsabilités départementales et régionales, et, naturellement, au Parlement, de s’abstenir d’exposer leurs proches, leurs familles, leurs salariés ou leurs partenaires, et que nous ne laissions ainsi la vie politique aux seuls professionnels, nourris dans le sérail des appareils qui y trouveront, certes, une sécurité mais en aucun cas une représentativité. §
J’ai écouté avec attention M. Longuet, pour tenter de trouver dans sa démonstration les arguments de droit que l’intitulé de sa motion pouvait nous laisser espérer. Je n’ai pas été déçu, car j’ai entendu que notre Constitution était menacée à plus d’un titre par un texte qui parle simplement de transparence sur les patrimoines et sur les intérêts et qui, en s’efforçant de faire la publicité sur ces questions, menacerait du coup l’équilibre de nos institutions.
En écoutant notre collègue parler ainsi, j’ai eu le sentiment d’une légère disproportion entre les causes et les effets dénoncés. Si je puis être utile dans ce débat, ce sera pour rassurer M. Longuet, car je n’imagine pas une seconde que son propos ait pu manquer d’une once de sincérité.
Vous nous dites, monsieur Longuet, en entonnant la vieille chanson qui berce l’inertie politique, que l’on va en faire trop et que l’on va aller trop loin. C’est un air connu : ce sont toujours ceux qui se sont opposés aux évolutions qui reprochent ensuite à ceux qui les provoquent de franchir une étape trop importante.
Si nous avions su, par le passé, comme certains l’avaient proposé, prolonger l’effort qui avait été engagé voilà plus d’une vingtaine d’années afin de faire connaître le patrimoine et la situation financière des parlementaires dans le cadre défini de la Commission pour la transparence de la vie politique, peut-être ne serions-nous pas aujourd’hui en train de débattre pour déterminer s’il est opportun, ou non, d’organiser la publicité de ces patrimoines.
Or je rappelle que les socialistes, tout au long des deux mandats d’opposition auxquels ils ont été confinés, n’ont jamais cessé de réclamer le renforcement de ladite Commission. Nous demandions que lui soient attribués les moyens et les prérogatives de vérifier les déclarations qui lui étaient adressées et de sanctionner le défaut de déclaration ou son inexactitude, sans que la majorité à laquelle vous apparteniez, d’ailleurs, n’y consente jamais.
Alors, évidemment, le soupçon, le doute s’est installé et la revendication n’est plus aujourd’hui que l’on puisse simplement contrôler, mais bien que l’on puisse savoir. Qui en est responsable ? Ceux qui le proposent, non pour répondre seulement aux attentes de l’opinion mais pour tenir compte d’un état des points de vue publics, ou ceux qui ont empêché ces évolutions raisonnables et progressives autrefois ? Je vous en laisse juge.
Vous nous dites, ensuite, avec un accent, là encore, que j’ai apprécié, venant de quelqu’un qui a occupé de très nombreuses responsabilités politiques, régionales, locales, ministérielles, ce qui fait de vous une autorité dans notre domaine, …
… que vous plaidez pour l’amateurisme en politique, pour l’initiative et l’inspiration de ceux qui, venant de mille métiers, ne pourraient plus siéger dans ces assemblées.
Vous vous êtes fait le défenseur d’hommes et de femmes qui, au vu de votre parcours, ne vous ressemblent pas, mais qui ont, c’est vrai, le droit de siéger sur nos travées.
Je veux vous rassurer, monsieur Longuet : je ne crois pas que la loi que nous allons voter, car j’espère que nous la voterons, empêchera les notaires, les pharmaciens, les médecins, les bedeaux, les apothicaires, s’il en est, de venir siéger sur ces travées.
Je crois qu’on leur demandera simplement d’abandonner les pratiques de leur art, la discrétion, le secret entourant les fortunes, la précaution que l’on prend toujours, dans nos villes, de ne pas dire les choses relatives à l’argent, afin, entrant dans ces murs, d’accepter la publicité du patrimoine et des intérêts que l’opinion et les citoyens réclament.
(Oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.) Notre démocratie sera-t-elle affaiblie du fait que l’on sache qui gagne quoi et qui possède quoi, dès lors qu’il prétend à des charges publiques ?
Même mouvement.
Cela va-t-il faire reculer notre démocratie ? §Je ne vois pas en quoi cela peut constituer une menace.
Faut-il y voir une menace pour le parlementaire, pour l’élu, qui pourrait se sentir découragé, dans ce cas, d’accomplir la démarche consistant à se présenter devant ses concitoyens ? J’ai la faiblesse de penser qu’être un élu du peuple, qui plus est un élu national, est un honneur suffisamment grand pour que l’on puisse accepter de siéger au Sénat ou à l’Assemblée nationale.
Ces petites concessions faites à son amour-propre, ou à ses secrets de famille, ne seront pas, permettez-moi de vous le dire, directement sous les projecteurs, à l’exception des quelques éléments que nous serons amenés à déclarer.
Sans doute les choses auraient-elles pu être différentes, et certains de nos collègues l’ont exprimé. Comment ne pas dire, dans ce débat, sinon en sombrant dans la tartufferie dont notre ami Jacques Mézard nous rendait tout à l'heure un peu coupables, que nous avons assisté au cours de ces dernières années à une dégradation de notre esprit public ? La responsabilité en est sans doute partagée sur toutes ces travées, mais, pendant cinq ans d’un mandat qui s’est achevé dans le soulagement d’une partie de l’opinion, on a entendu de la part des responsables publics aux niveaux les plus élevés des mises en cause de la justice – que l’on retrouve d’ailleurs dans des propos entendus ce week-end – et des juges, personnellement livrés à l’opprobre publique, et des contestations du Conseil constitutionnel et de son président. Tout se passe comme si tout ce qui était naturellement interdit, par le simple fait du bon sens et de la morale politique, était devenu permis ! C’est cela qui a introduit la suspicion.
Lorsqu’on a accepté, sans penser à mal sans doute, que l’on puisse être à la fois membre d’un gouvernement et des instances dirigeantes d’un parti, on a un peu taillé au côté ce qu’était la tradition de notre Ve République. Mais lorsqu’on a accepté, sans que cela ne remette en rien en cause l’honnêteté de la personne concernée, que l’on soit à la fois ministre du budget et trésorier du principal parti de la majorité, chargé d’organiser son financement, on a créé les éléments de la suspicion.
À l’évidence, le simple bon sens et le rappel de la morale publique ne suffisaient plus et ne suffisent plus aujourd’hui à garantir nos citoyens et nous-mêmes contre ces dérives inacceptables.
Il faut que nous sachions, les uns et les autres, si nous voulons reconquérir la confiance de nos concitoyens, nous souvenir qu’il existe des règles élémentaires. Lorsqu’on s’en éloigne, on devrait y être rappelé par ses pairs.
Et si ces pairs ne font pas ce travail, alors c’est la loi qui, malheureusement, doit en décider.
Cette loi nous permettra de le faire.
Alors ne nous dites pas, et je terminerai sur ce point, qu’en faisant cela nous mettrions en péril la République, que nous transformerions l’équilibre entre le Parlement et l’exécutif, que nous livrerions la politique à des professionnels sans âme ou sans talent.
M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.
Nous aurions une République médiocre, mais c’est bien cela que vous voulez !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons le talent de M. Gérard Longuet…
… mais, il le sait, il l’a quelque peu forcé pour tenter d’expliquer qu’il y avait une quelconque inconstitutionnalité dans ce texte.
Lorsqu’on présente des arguments relatifs à l’inconstitutionnalité d’un texte, ils doivent tomber les uns après les autres, nous impressionnant par leur clarté, leur puissance et leur force. En l’occurrence, vous avez évoqué divers sujets, dont votre crainte de voir advenir telle ou telle évolution. Très franchement, en quoi est-il contraire à la Constitution de la République française que l’on instaure plus de transparence, plus de contrôle et de respect de la vie privée, auquel nous avons été particulièrement attentif ?
Après avoir entendu votre propos, je pense que nous sommes nombreux à ne pas pouvoir conclure à l’inconstitutionnalité du texte. Je pense que vous en conviendrez aisément.
À mon sens, – et je prends date – cette loi sera une des lois de la République auxquelles on se référera, …
Protestations sur les travées de l'UMP.
À chaque fois, c’est pareil : il s’agit de la loi du siècle !
Comme vous, j’écoutais ce que disait notre collègue Gaëtan Gorce. En entendant un certain nombre de propos cet après-midi, je ne pouvais m’empêcher de me repasser le film de ce que j’avais vu et entendu à la télévision et à la radio, ces mises en cause quotidiennes de l’instance la plus élevée chargée, précisément, de dire ce qui est constitutionnel.
Qui a nommé les membres du Conseil constitutionnel ? Vous le savez bien, je ne vais pas le déclamer. Quelles sont ses prérogatives ? Elles sont dans la Constitution. Qui est responsable de ce qui s’est passé et de la décision du Conseil constitutionnel ? Tout le monde le sait !
Je comprends que chacun puisse être gêné. Personne n’est heureux de l’affaire Cahuzac, ni de ce qui s’est passé finalement. Mais nous devrions nous rassembler chaque fois que l’on nous propose de faire un pas en avant, afin de trouver les majorités à cet effet. Cela dépend de chacune et de chacun.
En tout cas, je souhaite qu’il n’y ait pas de majorité pour dire que ce texte est contraire à la Constitution, car ce n’est pas le point de vue de la commission des lois. Je pense, d’ailleurs, que chacun en est presque convaincu ! §
Monsieur Longuet, je voudrais vous remercier pour votre franchise, tout en manifestant ma surprise.
Au fond, et je ne souhaite pas caricaturer vos propos, arrêtez-moi si je les ai mal compris, mais j’ai noté quasiment au fil de la plume, vous avez affirmé regretter avoir voté les législations précédentes ou y avoir été associé, et notamment la loi de 1988, puisque, au fond, c’est à cette époque que vous aviez décidé de déléguer à une Haute Autorité, non tous les pouvoirs que nous entendons lui confier aujourd’hui, mais le principe du contrôle.
C’est pour cela que je vous fais part de ma surprise devant un débat qui nous renvoie vingt-cinq ans en arrière.
Si ce que vous dites ici a peut-être été défendu par vous-même, il n’a jamais été défendu par l’UMP. Vous avez, en outre, renforcé les pouvoirs de l’ancienne commission dont vous regrettez maintenant la création.
Il s’agissait au départ d’une simple commission, mais ses pouvoirs ont été au fur et à mesure accrus, et encore récemment, en avril 2011, suscitant d’ailleurs, à l'Assemblée nationale, un débat interne entre l’Union des démocrates et indépendants et l’UMP sur le point de savoir s’il fallait ou non prévoir une peine de prison. Toujours est-il qu’à cette occasion on a créé un délit de fausse déclaration. Cela n’est pas si vieux, avril 2011...Or je n’ai pas entendu ici que telle était votre position à cette époque.
C’est pourquoi je marque une certaine surprise sur cet angle d’attaque. En effet, ce débat, qui est légitime dans la mesure où il se fonde sur une autre logique, était, me semble-t-il, tranché. Il ne me semble donc pas que l’approche globale actuelle du groupe UMP corresponde à la pratique en cours depuis vingt-cinq ans : vous vous êtes appuyé vous-même sur cette commission dont vous regrettez aujourd’hui l’existence !
Quant aux éléments d’inconstitutionnalité que vous trouvez dans le texte, je m’interroge, mais peut-être vous ai-je mal compris.
Vous estimez que les sanctions qui pourraient être prises par cette Haute Autorité seraient dépourvues de possibilité de recours, un droit normalement accordé à toute personne. Sans doute nous sommes-nous mal exprimés.
Premièrement, le signalement d’une irrégularité dans les déclarations d’intérêts ou dans les déclarations de patrimoine que ferait la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n’est pas une innovation juridique. Il s’agit tout simplement de l’application à cette autorité administrative – et c’est encore plus justifié pour elle, dirais-je ! – de l’article 40 du code de procédure pénale, jamais remis en cause sous aucune majorité, qui prévoit le signalement au parquet. Les sanctions sont ensuite prises par la justice. Ce n’est pas parce que le signalement est effectué par cette autorité administrative que le délit est constitué. Les éléments objectifs de constitution du délit figurent dans la loi – c’est le principe de la légalité des délits et des peines –, mais il revient ensuite au juge de prononcer les sanctions. Si nous avions procédé autrement, vous auriez eu raison, mais, de ce point de vue, la disposition prévue dans le texte remplit complètement les objectifs que vous avez mis, à raison, en exergue. Nous avons pris cette précaution. La procédure que nous proposons respecte donc bel et bien les droits de l’homme.
En somme, au-delà de l’effet de surprise que vous avez créé, monsieur Longuet, vous n’avez apporté aucun élément de nature à prouver l’inconstitutionnalité de ce texte. Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 295 :
Nombre de votants346Nombre de suffrages exprimés345Pour l’adoption168Contre 177Le Sénat n'a pas adopté.
MM. Jean-Pierre Michel et Jean-Jacques Filleul applaudissent.
Je suis saisi, par MM. J.C. Gaudin, Bas, Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique (n° 723, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Philippe Bas, pour la motion.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le ministre, monsieur le président-rapporteur, monsieur le vice-président de la commission des lois, …
… vous qui avez animé nos travaux et dont je salue la présidence toujours efficace, …
… mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter cette motion tendant à opposer la question préalable.
En effet, il existe, me semble-t-il, des raisons très fortes de se donner le temps de rechercher un consensus dans un débat qui nous engage tous, car il y va du fonctionnement même de notre démocratie.
Au fond, je considère qu’il serait sain que nous soyons en situation de nous entendre sur un tel projet de loi. Quelle belle image donnerions-nous alors à nos concitoyens, si leurs représentants réussissaient à explorer, et à trouver, les voies d’un accord sur un texte de cette nature !
La démocratie, nous l’avons tous en partage et nous voulons tous la faire vivre. Aussi, nous souhaitons tous faire progresser la transparence, de même que la déontologie de la vie publique.
Deux voies s’offrent à nous pour atteindre cet objectif, compte tenu du point de départ de notre discussion, c’est-à-dire du texte qui nous est proposé, amendé, d’abord, par l'Assemblée nationale, puis par notre commission des lois.
De notre point de vue, ce texte comporte un certain nombre d’excès, d’erreurs ou de dangers, qui ne sont pas nécessaires à la progression des règles démocratiques que nous appelons de nos vœux.
La première voie possible serait d’amender ce texte en profondeur. Pourquoi pas ? Si nous avions l’espoir, eu égard aux travaux réalisés par notre commission des lois, que ce soit possible, nous n’hésiterions pas à recommander cette solution. Malheureusement, je regrette de devoir le dire, nos discussions en commission n’ont pas permis de rapprocher encore les points de vue. Je ne désespère pas que nous puissions y parvenir, mais, pour ce faire, il faudrait que nous prenions un peu plus de temps. D’ailleurs, je ne vois pas le moindre motif d’urgence à régler cette question.
Il me paraît hautement souhaitable que le Gouvernement et sa majorité se donnent toutes les chances de réussir à trouver un bon accord sur un sujet qui, je le disais, engage l’avenir de notre démocratie parlementaire.
Pour tout dire, je crois que cet accord serait en réalité, si chacun y mettait du sien, assez facile à obtenir, car nous ne partons pas de rien.
En effet, vous connaissez les uns et les autres – dans le cas contraire, je vous en recommande la lecture ! – l’excellent rapport d’information, remis en mai 2011, du groupe de travail pluraliste de la commission des lois, créé en novembre 2010 et présidé par notre collègue Jean-Jacques Hyest.
Dès lors qu’il y a eu accord politique, pourquoi ne sommes-nous pas aujourd'hui en situation de proposer un texte faisant consensus, qui aurait dans notre pays l’audience de tous nos concitoyens dans la mesure où il serait adopté par tous les parlementaires des deux assemblées, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent ?
Si je vous présente cet après-midi, au nom de mon groupe, cette motion tendant à opposer la question préalable, c’est dans l’espoir que nous puissions – enfin ! – parvenir à ce résultat. Je sais bien que, dans ce domaine, c’est toujours très difficile.
Voyez-vous, je me souviens de l’adoption des lois de 1988, ce n’est pas si lointain, et je constate qu’elles n’avaient malheureusement pas été adoptées par les groupes communiste et socialiste de l’époque.
Je le regrette, d’autant que tout le monde admet aujourd'hui que cette législation a constitué un grand pas en avant. C’est si vrai que le Gouvernement incorpore cet acquis aux lois de la République et s’en prévaut aujourd'hui pour dire qu’il est temps d’aller plus loin.
Pour ma part, je suis ravi de constater que vous avez su évoluer dans ce domaine, chers collègues de la majorité, alors que les deux périodes de cinq ans pendant lesquelles vous avez été aux affaires avant 2012 n’ont pas été particulièrement fécondes en termes de progression des règles de notre vie démocratique.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.- Très bien ! sur certaines travées de l’UMP.
Si l’on dresse le bilan de la législation de 1988, et elle le mérite, on constate qu’elle n’a pas permis de détecter de nombreux cas d’enrichissement douteux, en tout cas parmi les parlementaires. Ce constat peut être interprété de deux manières. On peut dire que c’est parce que, dans notre démocratie, les parlementaires sont, et heureusement, honnêtes, ce que je crois. Mais on peut aussi y voir la preuve que la commission n’avait pas assez de pouvoirs, ce que, pour ma part, je ne crois pas. Toutefois, je veux bien accepter que cette commission change de nom et prenne davantage de pouvoirs, car nous n’avons strictement rien à cacher.
À cet égard, je veux rappeler que, en tant que parlementaires, nous ne passons pas de marchés publics, nous ne signons pas de contrats, pas plus que nous ne procédons au recrutement d’agents publics. Par conséquent, quand des faits de corruption sont poursuivis dans notre pays, il n’est pas anormal que l’on ne sanctionne pas l’action de parlementaires, puisque ceux-ci prennent des décisions collégiales et n’ont pas la signature pour des actes qui pourraient faire grief devant les tribunaux…
M. Philippe Bas. … et conduire à un enrichissement illicite, à un délit de favoritisme, à une prise illégale d’intérêts, à de la corruption, voire à de la fraude fiscale…
Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.
Il est plus fréquent qu’il y ait lieu de s’interroger sur la situation de tel ou tel ministre ; le cas s’est d’ailleurs présenté récemment, dans une affaire d’autant plus grave qu’elle impliquait le ministre précisément chargé de lutter contre la fraude fiscale !
Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.
À partir d’un bilan des lois du 11 mars 1988, il est aujourd’hui possible d’avancer dans deux directions : le contrôle de l’enrichissement des élus entre deux déclarations de patrimoine et le contrôle de leurs intérêts. Pourquoi n’agirions-nous pas conjointement, en nous inspirant de l’excellent rapport dont je viens de rappeler la qualité ?
Mes chers collègues, notre légitimité trouve sa source dans la confiance des Français, et c’est sous le regard de nos concitoyens que nous accomplissons notre mission : mes propos, comme les vôtres, sont publics ! Aussi nous appartient-il de démontrer que nous délibérons selon nos convictions et selon l’idée que nous nous faisons de l’intérêt général. Je voudrais tant que nos compatriotes n’en doutent jamais…
Nous ne pouvons nous contenter de proclamer notre probité ; nous devons en donner toutes les preuves nécessaires et, en ce qui nous concerne, nous y sommes prêts. Il faut seulement que le problème soulevé par le projet de loi organique soit débattu au regard des principes touchant aux droits et libertés garantis à tous les citoyens, y compris aux parlementaires, même si ceux-ci doivent accepter un certain nombre de restrictions pour faire devant les Français la preuve de leur probité.
Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, je voudrais vraiment vous faire entendre que les réserves que nous exprimons au sujet du projet de loi organique ne portent pas sur le principe d’un progrès dans le contrôle de l’enrichissement des élus et dans la prise en compte de leurs intérêts.
compte tenu aussi des véritables raisons du discrédit qui paraît entacher l’action publique de nos jours, je crois profondément qu’il y aurait lieu de remettre l’ouvrage sur le métier.
Ce n’est pas innocemment que j’ai fait référence à l’origine du projet de loi organique, mais ce n’est pas non plus par plaisir. Cette origine, c’est une déclaration du Président de la République du 3 mars dernier.
M. Philippe Bas. Pour des raisons politiques que je comprends bien, celui-ci a prétendu refermer le dossier Cahuzac en changeant de terrain et en incriminant l’ensemble des élus, alors que la faute n’était en rien liée à leur action !
Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.
M. Philippe Bas. D’ailleurs, le projet de loi organique présenté aujourd’hui par le Gouvernement n’apporte aucune espèce de solution à des situations aussi graves, inqualifiables et impardonnables que celle dont, il y a quelques mois, à notre corps défendant, nous avons tous été les témoins.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Chers collègues de la majorité, comment pouvez-vous imaginer que, ce projet de loi organique adopté, un nouveau Jérôme Cahuzac rendrait publics des dépôts monétaires à l’étranger qu’il aurait constitués sur la base d’une fraude fiscale ? Je ne vous crois pas naïfs au point de penser que, par les mesures proposées, vous allez résoudre réellement ce type de difficultés ; en vérité, vous ne les résoudrez pas.
Nous ne sommes donc pas dupes des intentions politiques, à peine cachées, qui sont les véritables motivations de votre dispositif !
Quant aux conditions d’élaboration de ce projet de loi organique, chers collègues de la majorité, je déplore qu’à aucun moment vous n’ayez recherché, par une discussion pluraliste comparable à celle qui s’était tenue en 2011, autour du président de la commission des lois d’alors, des solutions équilibrées aux problèmes de la déontologie et de la transparence de la vie publique.
De même, quand, il y a quelques mois, le pouvoir que vous soutenez s’est mêlé de former une commission pour examiner ce problème, à aucun moment elle n’a consulté les élus ! Du reste, cette commission, présidée par M. Jospin, a oublié de traiter dans le détail les questions dont nous sommes aujourd’hui saisis.
Mais, au-delà même de l’origine du texte et des conditions dans lesquelles il a été préparé, de façon unilatérale, par le Gouvernement et son administration, nous jugeons que le point de déséquilibre sur lequel la majorité s’est arrêtée n’est pas acceptable.
La publicité des déclarations ne sert à rien, sinon à faire plaisir à quelques organisations politiciennes, qui s’arrangeront pour mener des campagnes extrémistes sur les revenus des élus. Ce qui importe, ce sont les pouvoirs de l’instance qui contrôle l’enrichissement des élus entre deux déclarations de patrimoine.
Rendre publiques des déclarations, y compris mensongères, cela ne sert à rien – du reste, les Français ne seront pas dupes. Aussi je fais mienne l’excellente expression de « tartufferie » qui a été employée plus tôt dans notre débat.
J’en viens à la question des tiers, en entendant par ce mot toutes les personnes auxquelles un élu est attaché, étant entendu qu’aujourd’hui les liens ne sont pas toujours juridiquement organisés ; c’est ainsi qu’un tiers peut être un enfant ou un parent.
Connaît-on toujours le patrimoine des personnes auxquelles on est lié ? Absolument pas !
Tout citoyen ayant la liberté de ne pas communiquer ces informations, est-il absolument nécessaire de faire ainsi intrusion dans la vie des familles des élus, qui ne sont pas pour grand-chose dans l’engagement public de ceux-ci, si ce n’est par le soutien qu’elles leur apportent ? Pour ma part, je ne vois pas pourquoi on expose les familles et les personnes liées aux élus de la manière dont vous le proposez ici. À mes yeux, il y a là une atteinte à des droits individuels reconnus aux Français de toutes conditions depuis plusieurs décennies, et même depuis plus de deux cents ans !
S’agissant enfin des mesures relatives aux intérêts des élus, elles ouvrent la porte à toutes les mises en cause. Chers collègues, nos intérêts sont multiples, et en général légitimes ! Tel qui appartient à une confrérie philosophique a un intérêt ; tel qui s’engage dans le mouvement associatif en a un autre.
Tel qui a exercé antérieurement une profession tout à fait honorable a un intérêt.
Chers collègues de la majorité, où allez-vous vous arrêter, dès lors que vous ne fixez aucune limite dans la définition des intérêts ?
À la vérité, vous vous reposez sur l’idée que l’élu lui-même se fait des intérêts qu’il conviendrait de déclarer : mais comment fonder un contrôle sur la seule bonne foi ? Il y a là une contradiction intellectuelle qui me paraît intenable !
Reste le vice qui me semble le plus grave de tous dans le franchissement des lignes jaunes : je veux parler du système des « lanceurs d’alerte », selon l’appellation élégante que vous avez trouvée, et qu’on pourrait tout aussi bien qualifier de système de dénonciation.
Pour ma part, je ne veux pas de la République des délateurs !
Que l’on protège les Français qui, de bonne foi, fournissent à l’instance chargée du contrôle des informations avérées, cela est nécessaire ; mais les délateurs qui lanceront sur la place publique des calomnies irréparables, parce que l’inanité n’en sera établie qu’au bout d’un an ou deux, notre République ne doit leur prodiguer aucun encouragement !
À ces raisons déjà nombreuses de s’opposer au projet de loi organique s’en ajoute une autre que je veux souligner pour terminer tout à fait.
Le discrédit de la parole publique vient de ce qu’après avoir pris des engagements on agit dans un sens contraire.
M. Philippe Bas. Chers collègues de la majorité, personne n’a obligé votre candidat, François Hollande, à prétendre qu’il renégocierait le traité budgétaire européen, avant de le faire adopter sans en changer une virgule !
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Personne ne l’a obligé à affirmer qu’il remettrait en cause la réforme des retraites, alors qu’il veut aujourd’hui l’aggraver, ni qu’il résoudrait le problème des ouvriers d’Aulnay et de Florange ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Philippe Bas. Personne non plus n’a oublié la promesse de votre président, François Hollande, de ne pas augmenter les impôts en 2014, alors que son ministre, M. Moscovici, vient d’annoncer une hausse dans le prochain budget !
Mêmes mouvements.
De même, personne ne vous a obligés à supprimer la TVA anti-délocalisations, pour ensuite la rétablir, mais sous une autre forme !
Chers collègues de la majorité, je me doutais que j’allais un peu vous agacer ; je regrette presque d’y avoir mis un ton trop haut. Croyez bien que ma véhémence traduit ma sincérité §si nous voulons réhabiliter la parole publique dans notre pays, il faut commencer par ne pas prendre d’engagements que l’on sait ne pas pouvoir tenir, et par tenir les engagements que l’on a pris !
Pardon pour cette morale élémentaire, mais si, les uns et les autres, nous parvenions à l’observer, un grand pas en avant serait accompli !
M. Philippe Bas. Pour le moment, chers collègues de la majorité, je vous assure que nous aimerions vraiment pouvoir voter ce projet de loi organique ; seulement, vous n’avez pas fait le nécessaire pour que nous le puissions.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Je le déplore, et pour nous donner une dernière chance d’en obtenir la possibilité, je demande à nos collègues, particulièrement à ceux qui ne sont pas spécialement bien disposés à l’égard de cette motion, de l’adopter dans un instant de raison : nous serons disponibles pour travailler avec vous !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments que je vous ai déjà présentés, …
… même si une certaine forme de répétition pourrait être en l’occurrence utile.
Pour commencer, je tiens à saluer M. Bas, …
… qui s’est déclaré heureux – c’est déjà bien ! – de défendre la motion tendant à opposer la question préalable ; heureux, je ne le suis pas moins de la combattre !
Mon cher collègue, permettez-moi de vous faire remarquer que, dans votre bonheur, vous vous êtes un peu trompé de motion.
M. Alain Anziani. En effet, vous avez commencé par nous expliquer qu’il fallait renvoyer le projet de loi organique en commission : mais la question préalable est différente, en son objet, du renvoi en commission et, finalement, monsieur Bas, vous avez usurpé le rôle de M. Collombat !
Sourires.
À cette première confusion du début s’en est ajoutée une autre, dans votre conclusion. De fait, vous vous êtes trompé une seconde fois en terminant par un réquisitoire purement politicien.
Vous vous êtes même trompé une troisième fois, puisque, tout au long de votre propos, vous avez déploré qu’à la faveur d’un renvoi à la commission nous n’exhumions pas le rapport d’information que M. Hyest, dont je regrette l’absence, a rédigé avec M. Collombat et plusieurs autres collègues de tous les groupes, dont moi-même.
Mais ce rapport dont vous dites le plus grand bien, monsieur Bas, l’avez-vous seulement lu ?
Vous soutenez qu’il ne faudrait pas de déclaration d’intérêts, ou pas sous la forme que nous prévoyons. Pourtant, dans la proposition n° 4, les auteurs du rapport énoncent qu’une déclaration d’intérêts doit être imposée à l’ensemble des parlementaires.
Vous nous reprochez de nous mêler de la vie privée et des rémunérations annexes. Pourtant, dans la proposition n° 12, le rapport préconise une déclaration des rémunérations annexes. §Nous sommes même allés plus loin puisque, dans la proposition n° 13, le rapport recommande que la déclaration d’intérêts évalue l’ensemble des rémunérations perçues au cours des trois années précédant le début du mandat.
Et, à l’instant, vous avez consacré tout un dégagement aux proches des élus, qui, dites-vous, ne devraient pas être concernés. Vous êtes donc en pleine contradiction avec M. Hyest, puisque, dans la proposition n° 14, le rapport préconise que les intérêts des proches soient intégrés dans la déclaration.
Monsieur Bas, il faut choisir : si vous voulez le rapport Hyest, votez le projet de loi Vidalies !
Vous y retrouverez en effet de nombreuses propositions contenues dans le rapport, comme celle d’interdire aux parlementaires les fonctions de conseil ; cette recommandation du rapport Hyest figure dans le projet de loi organique présenté par le Gouvernement.
De même, le rapport Hyest préconise de rendre incompatibles le mandat parlementaire et la présidence d’un syndicat professionnel : le texte de la commission le prévoit, puisque nous avons voté un amendement en ce sens !
Toujours selon le rapport Hyest, il faut éviter le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction de direction dans une entreprise ; cette mesure figure dans le projet de loi organique !
Enfin, monsieur Bas, il y a dans ce rapport, que M. Collombat connaît bien, une proposition qui aurait dû vous faire frémir, car elle est un peu provocante : un parlementaire pourrait continuer à cumuler son mandat avec une activité professionnelle, mais la rémunération qu’il percevrait en qualité, par exemple, d’avocat, de dentiste ou de notaire, serait limitée à la moitié du montant de l’indemnité parlementaire.
Cette proposition figure dans le rapport Hyest. Voulez-vous vraiment l’introduire dans le projet de loi organique ? J’attends avec impatience de lire votre amendement ! §
Mais, j’y reviens, vous vous êtes probablement trompé de motion. En effet, qu’est-ce qu’une question préalable ? Sa définition est précise : son adoption signifie qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération. Autrement dit, « circulez, il n’y a rien à voir ! »
J’ai eu la curiosité d’aller vérifier ce qu’il en était dans ce document que nous recevons tous, je veux parler du Bulletin Quotidien, datédu 8 juillet. En page 3, on peut lire ces différentes rubriques : « Affaire Bettencourt / abus de faiblesse / trafic d’influence » §« CCSDN / Karachi » §(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) ; en page 17, on apprend que l’ancien ministre Pierre Bédier – à quel gouvernement appartenait-il, déjà ? –, …
… qui avait été condamné pour avoir traficoté quelques marchés publics, vient d’être réélu !
Vous le voyez, les problèmes touchant à la transparence de la vie publique ne remontent pas à ces dernières années.
On découvre également, en page 24 du même Bulletin Quotidien, que l’ancien ministre Léon Bertrand – à quel gouvernement appartenait-il, lui ? –, « a été condamné, à trois ans de prison ferme dans une affaire d’attribution illégale de marchés publics en Guyane ».
Et puis, évidemment – et je ne peux pas le passer sous silence –, on trouve aussi, en page 5, une rubrique intitulée « L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy dénonce avec virulence la décision du Conseil constitutionnel de rejeter ses comptes de campagne ».
Sourires.
Alors, chers collègues, remettre aujourd’hui en question la plus haute de nos institutions, le Conseil constitutionnel, au motif qu’il ne fait qu’appliquer les textes que vous avez vous-mêmes votés et que vous n’avez pas réformés pendant les cinq années durant lesquelles vous en aviez la possibilité, me paraît bien exagéré ! Vous feriez mieux d’avoir plus de mesure.
Mais au fond, à quoi vous opposez-vous ?
Je vous ai entendus dire précédemment que vous entendiez vous opposer au voyeurisme.
Or il n’en est pas question ici. Relisez le texte du Gouvernement ! Jamais vous ne trouverez la moindre allusion à une volonté d’aller au-delà des limites pour tenter de voir ce qui est caché. Jamais ! Il est simplement prévu que chacun assume ce qu’il est et ce qu’il fait.
Cela ne devrait pas nous gêner, puisque c’est sans doute le principe élémentaire de l’éthique en politique.
À quoi vous opposez-vous donc ? Au contrôle !
M. Alain Anziani. On a établi devant moi un parallèle qui m’a paru assez juste. Pendant plusieurs années, vous nous avez servi assez fréquemment l’idée qu’il fallait installer des caméras de surveillance à tous les coins de rue. Quand nous nous y opposions au nom d’une certaine modération, vous aviez une réplique parfaite et définitive : « Les honnêtes gens n’ont pas peur d’être filmés » ! Je vous retourne donc l’argument : les honnêtes parlementaires n’ont pas peur de la transparence !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
En fait, vous vous opposez, sans peut-être même bien vous en rendre compte, à une espérance de probité qui existe dans ce pays. Et cette espérance concerne non pas uniquement la politique, mais aussi les médias, le monde des banques et celui des affaires dans son ensemble. Elle intéresse non pas uniquement la France, mais l’ensemble des démocraties, et en particulier celles qui sont en crise. Regardez ce qui se passe autour de nous : dans la plupart des pays, la question de la transparence redevient d’actualité.
Je serais tenté de vous inviter, en toute sympathie, à ne pas rester dans le dernier carré de ceux qui ne veulent ni voir ni entendre. Ne faites pas comme si le monde, autour de vous, ne bougeait pas. Face aux événements qui se multiplient – j’en ai cité quelques-uns à l’instant et d’autres en début d’après-midi, dont l’affaire du Mediator –, ne vous contentez pas de marteler que vous n’êtes pas concernés .Ce n’est pas une réponse !
Pourtant, il est vrai que 95 % d’entre nous ne sont pas concernés par ces affaires ; mais 5 % le sont. À cause d’eux, nous avons la responsabilité collective d’aller plus loin, de rendre le système plus transparent, d’être exigeants et exemplaires, et de le montrer !
Monsieur Bas, j’ai écouté avec beaucoup d’attention votre intervention. À mon tour, je souhaite vous faire deux remarques.
Premièrement, lorsque vous avez dit que votre groupe aurait souhaité voter ce texte, j’ai pensé – pardonnez-moi ! – à cette pièce de Molière qui fut déjà citée.
Deuxièmement, je veux vous rappeler ce qu’a voté la commission. Vous avez en effet consacré un long développement au conflit d’intérêts, insistant sur le caractère inadmissible des questions désormais susceptibles de nous être posées au sujet des associations auxquelles nous participons, des clubs philosophiques auxquels nous appartenons, ainsi que d’un certain nombre d’institutions et d’associations bénévoles dans lesquelles nous pouvons nous investir.
Monsieur Bas, vous avez assisté à la réunion de la commission qui s’est tenue ce matin. Il ne vous a pas échappé que la commission a donné un avis favorable à un amendement visant à supprimer, pour ce qui concerne les déclarations d’intérêts et d’activités, l’alinéa 34 de l’article 1er du projet de loi organique, lequel indique, au sein de l’énumération des éléments figurant dans la déclaration : « Les autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ; ».
Pourquoi avons-nous accepté de supprimer cet alinéa ? Justement, pour éviter toute suspicion et ménager une totale clarté. Dans la mesure où les conflits d’intérêts sont clairement définis, nous avons estimé, à une large majorité, que la mention de ces « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts » pouvait renvoyer à toute une série d’engagements ou de participations non définis, ce qui ne nous a pas paru souhaitable dans la loi. Vous avez donc obtenu satisfaction à cet égard.
Il ne vous a pas échappé non plus que cet amendement, qui a été adopté par la commission, a pour signataire… Jean-Jacques Hyest !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est pour cela aussi que vous vous souvenez tout à coup que vous l’avez voté
Sourires
Riressur les mêmes travées.
La commission a émis un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Après les observations d’Alain Anziani et la démonstration de M. le rapporteur, le Gouvernement ne va pas en rajouter !
Personne n’a véritablement compris où vous vouliez en venir, monsieur Bas. Au début de votre intervention, vous avez adopté un mode interrogatif : fallait-il poursuivre le travail ? Toutefois, la chute a éclairé le point de départ de votre propos : votre objectif était de revenir à ce que je pensais avoir évacué, à savoir, permettez-moi de le dire, car c’est ainsi que je l’ai ressenti, un exposé politicien. Évidemment, c’est votre liberté de parlementaire, mais, en tous les cas, cela n’éclairait pas, me semble-t-il, votre démarche.
Pour les raisons exposées précédemment, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion.
Je souhaite naturellement défendre la motion tendant à opposer la question préalable, présentée avec talent par mon collègue Philippe Bas.
Selon moi, nos propos ne peuvent prêter à aucun malentendu. Philippe Bas a défendu le travail collectif et consensuel de notre Haute Assemblée, qui s’est traduit par le rapport d’information n° 518. Veut-il dire pour autant qu’il adopte et accepte, et que le groupe UMP adopte et accepte, toutes les dispositions de ce rapport ? La réponse est naturellement non. Ce qui différencie ce rapport, monsieur le ministre, de l’action gouvernementale, c’est qu’il s’agit d’un travail d’origine sénatoriale, réalisé par des parlementaires expérimentés, chevronnés, attachés à l’image de la Haute Assemblée, qui acceptent un sacrifice de leur confort quotidien, pour consolider l’image de cette institution.
Si vous aviez eu recours, pour ce projet de loi organique déposé trop rapidement et assez contradictoire, à la méthode qui a été celle de M. Jean-Jacques Hyest, à savoir plusieurs mois de travail, de réflexion et d’approfondissement, nous aurions sans doute pu marquer nos différences, constater nos désaccords – il y en a au sein de l’opposition comme de la majorité –, mais au moins aurions-nous eu le sentiment d’aller au fond de chacune des questions.
Les propos de M. Sueur sur ce qui est l’alinéa 32 de l’article 1er du projet de loi organique dans le texte de la commission, illustrent exactement ce que je visais quand je parlais de l’inconstitutionnalité de certaines dispositions. Je n’ai ni la compétence ni la qualité pour donner un cours de droit, mais nous y reviendrons au moment de rédiger le texte du dispositif que nous soumettrons au Conseil constitutionnel.
Vous avez eu l’intelligence, parce que vous n’en manquez pas, monsieur le président de la commission des lois, d’accepter, avec le soutien de Jean-Jacques Hyest, la suppression de cet alinéa relatif aux « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts », anticipant justement qu’il nous aurait été par trop facile autrement d’obtenir la censure de ce dispositif par le Conseil constitutionnel.
Mais je vous rassure : parce que vous avez bâclé ce travail majeur, en agissant avec précipitation pour des raisons d’opportunité politique, vous pourrez le constater, nos bases d’attaque demeurent inchangées. Je pense notamment aux articles II, IV, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’à certaines décisions du Conseil constitutionnel, notamment celle du 30 avril 2000, qui censure un texte interdisant l’accès aux fonctions parlementaires d’élus consulaires.
Si Philippe Bas a achevé son intervention sur une tonalité politique, c’est bien parce que le ressort de ce projet de loi organique, et du projet de loi, est uniquement politique, de circonstance, alors que le sujet méritait un travail de fond.
Je terminerai mon propos en évoquant une conviction personnelle que vous n’avez pas l’air de comprendre, monsieur le ministre. Je suis attaché à la vie parlementaire. On peut appartenir à l’UMP sans être, par exemple, un présidentialiste de stricte obédience. Je pense en particulier que l’élection du Président de la République au suffrage universel n’est certainement pas la meilleure solution et que le quinquennat est une tragédie par rapport au septennat. §J’appartiens à une formation qui me donne le droit de penser cela.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai soutenu Édouard Balladur, qui avait les mêmes convictions. Cela peut parfois me distancier de Charles Pasqua, qui avait présenté à la fois la loi organique du 11 mars 1988 et celle du 8 février 1995. Il était pourtant un parlementaire et un sénateur chevronné, mais il était moins attaché à l’autonomie du Sénat quand il était au Gouvernement que lorsqu’il siégeait à l’Assemblée nationale. Pour ma part, je suis attaché à l’autonomie du Sénat quand je siège au Sénat et lorsqu’il m’arrive, par hasard, d’appartenir au Gouvernement.
Je pense que, même si la Commission pour la transparence financière de la vie politique, qui était greffière dans la loi de 1988, a, en vingt-cinq ans, acquis une certaine expérience, elle n’a cependant pas vocation à être une Haute Autorité, sans que soit méconnu gravement le principe de la séparation des pouvoirs.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets de vous faire part de notre étonnement à la lecture de la question préalable qui nous est soumise. Ainsi donc il n’y aurait pas lieu de discuter ce projet de loi organique…
Ceux-là mêmes qui n’étaient pas avares de marques d’indignation, voilà quelque temps, lorsqu’il s’agissait de fustiger le comportement de l’ancien ministre du budget, nous proposent aujourd’hui d’abandonner tout débat visant à assainir le fonctionnement de notre République.
Je ne sais pas s’il s’agit d’un embarras récent, du fait de l’étalage dans la presse des arrangements que Bernard Tapie a pu conclure avec l’ancienne majorité, …
… mais, dans tous les cas, on voit bien que, dans cette assemblée, le conservatisme a la vie dure.
La multiplication récente des affaires de collusion entre le pouvoir politique et le milieu des affaires nous montre bien qu’il n’en est rien : les conflits d’intérêts, symptomatiques d’une République malade de la personnalisation du pouvoir et du néolibéralisme économique
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Il est de notre responsabilité d’ouvrir un débat sur cette question afin de redresser l’image désastreuse que les Français ont aujourd’hui, malheureusement, de leurs élus. C’est par cette discussion que nous arriverons à nous assurer de la probité de tous les représentants du peuple. À ce sujet, je regrette que le Gouvernement ait encore une fois engagé la procédure accélérée sur un texte qui gagnerait au contraire à être discuté en profondeur.
Il apparaît clairement que le texte qui nous est proposé, s’il va dans le bon sens, n’est pas tout à fait à la hauteur des enjeux qui nous concernent. Il faudra en particulier veiller à ce que son adoption ne serve pas de prétexte au Gouvernement pour se défausser et faire l’économie d’une politique ambitieuse de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, lutte qui, à nos yeux, paraît tout aussi importante que celle qui doit être menée pour la transparence.
C’est bien pour cela, mes chers collègues, que je vous appelle à rejeter cette question préalable : il est indispensable que nous puissions nous saisir de l’occasion de cette discussion pour, ensemble, améliorer ce texte. Et les perspectives d’amélioration sont nombreuses, si nous ne voulons pas faire de cette Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une nouvelle et inutile commission pour la transparence financière de la vie politique.
Soyons ambitieux et renforçons la définition du conflit d’intérêts dans la loi pour lui donner une réelle force juridique.
Soyons audacieux et donnons à cette Haute Autorité un réel pouvoir d’enquête, afin qu’elle puisse mener à bien ses missions.
N’ayons pas peur d’assumer l’existence potentielle, sur certains sujets, de conflits d’intérêts, chez des ministres ou des parlementaires, et imposons une obligation de déport pour les membres du Gouvernement, pour les présidents de commission et pour les rapporteurs, dans les cas litigieux.
N’hésitons pas à ouvrir une vraie réflexion sur les incompatibilités entre mandat parlementaire et activités professionnelles, pour que plus jamais un élu ne se serve de son mandat pour s’enrichir.
De quoi avez-vous donc si peur pour refuser ainsi ce débat ? Pourquoi devenez-vous si fébriles lorsque l’on parle de probité, de prévention des conflits d’intérêts ou de respect de l’intérêt général ?
À la vue du malaise que ce texte peut causer chez certains, je suis d’autant plus assuré du caractère indispensable de sa discussion.
Je ne partage pas entièrement la vision de la transparence et des conflits d’intérêts inscrite dans ce texte, mais je suis intimement convaincu que notre République, à défaut d’une réflexion institutionnelle globale, a besoin d’une réforme en ce sens.
Nous voterons donc contre cette motion tendant à opposer la question préalable.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Je suis saisi, par MM. Collombat, Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, d'une motion n°105 rectifié.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique (Procédure accélérée) (n° 723, 2012–2013).
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour la motion.
Sourires sur les travées du groupe socialiste.
Ainsi le futur maître de Rome justifiait-il, voilà bien longtemps, à la fois la répudiation de sa seconde épouse et – ce que l’on oublie généralement – l’absolution de son séducteur.
« Les uns prétendent que César parla comme il pensait ; », commente Plutarque, « d’autres croient qu’il cherchait à plaire au peuple, qui voulait sauver l’accusé […] afin, d’un côté, de ne pas s’attirer, par sa condamnation, le ressentiment du peuple et, de l’autre, pour ne pas se déshonorer aux yeux des bons citoyens par une absolution formelle. »
Sous la République consulaire qui est la nôtre, que le titulaire du pouvoir suprême commette une erreur de casting trop voyante dans le choix de l’un de ses ministres et c’est l’ensemble des élus nationaux, une bonne partie des élus locaux et des acteurs de la vie publique qui sont sommés, comme la femme de César, …
… de rendre des comptes, non pas seulement de ce qu’ils font, mais aussi de la manière dont les autres le perçoivent.
Pour que leur vertu ne faiblisse pas, les voici placés sous la surveillance des électeurs, des réseaux de formatage de l’opinion en charge du pilori symbolique.
Sauver les apparences en détournant l’attention des coupables fonctionnels sans effleurer ce qui fâche fait partie de l’arsenal de gouvernement, particulièrement par temps de crise.
La crise durant, s’approfondissant même, faute de remèdes adaptés, cette accélération de l’histoire n’a rien d’étonnant. D’affaire Cahuzac en affaire Woerth, quelques dizaines de mois seulement séparent le présent projet de loi de la loi organique du 14 avril 2011, elle aussi d’inspiration élyséenne.
Bénéfices secondaires en 2011 : donner l’impression de rattraper un retard supposé sur nos voisins dans la défense de l’ordre moral en rebaptisant « conflit d’intérêts » ce qui ressemblait trop à un peu reluisant trafic d’influence.
Bénéfice secondaire aujourd’hui : renforcer un peu plus le contrôle judiciaire, bureaucratique et d’opinion sur les élus nationaux et locaux.
Et pourtant, dans la chronique des scandales politiques de ces trente dernières années, on peine à trouver la trace de parlementaires, en tout cas en tant que tels. On y trouve essentiellement des membres de l’exécutif ou des personnes lui étant liées par toute la gamme des liens, de la connivence de classe inconsciente au calcul froid, en passant par les liens familiaux, de camaraderie ou d’amitié.
Tout simplement parce que, notre système concentrant l’essentiel du pouvoir politique à l’Élysée et dans ses satellites, les nécessités de sa conquête et de sa perpétuation rendent peu regardant sur les moyens.
Tout simplement parce que c’est là que tout ce qui compte se décide, choix généraux comme décisions de portée individuelle et pratique. Pas au Parlement !
Comment empêcher alors, lorsque tout se joue là, qu’il en aille différemment ? Comment éviter que l’élection présidentielle, perçue de moins en moins comme un acte politique et de plus en plus comme une cérémonie magique de conjuration et de résurrection, ne débouche sur la désillusion et la rancœur ?
« Réduction de la fracture sociale », « Travailler plus pour gagner plus », « Le changement, c’est maintenant » : même si elles jouent leur rôle dans la présidentielle, cette élection se fait non pas sur des promesses précises, mais sur l’espoir que l’on a réussi à faire naître.
« Le changement, c’est maintenant », c’est, traduit l’électeur, « le changement pour moi », non pas la ixième réforme structurelle de ceci ou de cela, non pas la réforme pour rassurer Bruxelles, Berlin, le CAC 40 ou les marchés, que sais-je.
La désillusion naît du décalage de plus en plus grand entre la politique et la communication qui en tient lieu.
Le problème de la Ve République finissante n’est pas le Parlement, c’est l’exécutif !
C’est l’absence de contre-pouvoirs politiques réels qui explique les dérives dont se nourrit le désaveu populaire. Et c’est pourtant le pouvoir législatif que l’on entend affaiblir.
Dans son intervention, Alain Anziani rappelait l’affaire du Mediator. Précisément, cette affaire a été rapidement réglée, et sans qu’il faille changer la loi.
Au Parlement, regardons les choses de près. Même les cavaliers masqués du petit matin ne peuvent aboutir sans l’intervention ou le consentement de l’exécutif.
L’affaire Tapie nous renvoie à un exemple récent. En février 2007, au cours de la campagne présidentielle, alors que nous examinions la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, un amendement nous a soudainement été soumis qui visait à élargir le champ d’utilisation de la procédure d’arbitrage et, bien évidemment, à la sécuriser. On a vu ce qui s’est passé par la suite…
Le bon sens et l’honnêteté voudraient donc qu’avant de désigner, dans l’urgence, les responsables à la vindicte publique et de bricoler à la hâte des remèdes législatifs destinés à faire tomber la fièvre, on prenne le temps du diagnostic, de l’inventaire des moyens de traitement déjà disponibles et de leurs marges d’amélioration, car il y en a.
Le bon sens et l’honnêteté intellectuelle voudraient que l’on s’interroge sur la nature du processus de décision démocratique, sur ce que signifie « intérêt général », plutôt que de se contenter de psalmodier qu’il n’est pas la somme des intérêts particuliers, ce qui ne permet guère d’avancer.
Le bon sens et l’honnêteté intellectuelle voudraient, corrélativement, que l’on définisse en quoi consiste le « conflit d’intérêts » pour un parlementaire, les limites de la notion, ses rapports avec les « manquements au devoir de probité » du code pénal : « prise illégale d’intérêts », « favoritisme », « trafic d’influence ».
Les conditions dans lesquelles ces projets de loi ont pu être examinés par la commission des lois, je n’y insiste pas, mériteraient à elles seules cette demande de retour à la commission, d’autant que celle-ci, comme cela a été rappelé plusieurs fois, a produit, voilà deux ans à peine, un rapport suffisamment fouillé pour servir de point de départ à notre réflexion.
Malheureusement, M. le rapporteur en a retenu surtout les propositions allant dans le sens répressif, en évitant soigneusement d’en épouser la logique et l’essentiel, à savoir l’absence de publicité des déclarations, contrairement à ce qui nous est proposé aujourd’hui. La commission des lois tend même à revenir sur la légère réduction que l’Assemblée nationale a introduite.
Ainsi, intérêts matériels et intérêts moraux, décisions particulières et décisions de portée générale, activités professionnelles, mandats électifs et associatifs, se trouvent-ils mêlés dans le même grand sac des intérêts potentiellement en conflit. C’est de ce grand sac que sont censés sortir le génie et la lumière, et le triomphe de la morale !
Le plan de travail de la commission des lois, si vous acceptez ma proposition de renvoi, est très simple à dresser.
Tout d’abord, il convient d’établir le diagnostic : la vie politique française est-elle réellement si corrompue qu’elle a besoin de la présente ordonnance de coin de table ? Je me contenterai ici de remarquer que le président de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, quand nous l’avons interrogé, nous a déclaré qu’en vingt-cinq ans d’examen, sur 25 000 dossiers, seules 14 personnes ont été concernées…
… dont 6 parlementaires, qui ont vu leur dossier transmis au parquet, lequel n’y a pas donné suite, l’enrichissement inexpliqué ne constituant pas un délit.
S’il faut, à n’en pas douter, donner plus de moyens d’investigation à la commission et définir les moyens juridiques qui permettraient de mieux sanctionner l’enrichissement illégal, la mise sous surveillance générale de pratiquement tous les acteurs publics ne me semble pas le remède adapté.
La France, nous dit-on, serait au 24e rang des pays les moins corrompus, selon l’indice de présomption de corruption de Transparency international. Ce classement est certes peu glorieux, mais, outre que la scientificité de la notion de « plutôt corrompu » ne saute pas vraiment aux yeux, il est troublant de constater, en regardant le classement pour 2011, que, parmi les pays mieux notés que nous, figurent 13 paradis fiscaux, dont les 10 meilleurs du monde, selon le magazine Forbes !
L’autre élément du diagnostic doit être l’inventaire de l’arsenal répressif existant, ainsi que l’évaluation de son efficacité par rapport à celui des autres pays démocratiques.
S’agissant de la répression des atteintes à la probité des acteurs publics, en tout cas, notre code pénal et la jurisprudence sont particulièrement répressifs.
La définition de la prise illégale d’intérêts par le code pénal est tellement large que les actes les plus légitimes, comme le fait pour un élu de voter une subvention à un organisme dans lequel il représente sa collectivité ès qualités, hors de tout enrichissement personnel, peuvent être qualifiés de prise illégale d’intérêts. Quant à la Cour de cassation, elle ne fait pas de différence entre intérêt moral et financier, intérêt général et personnel.
Le même constat peut être dressé pour le délit de favoritisme, constitué même en l’absence d’intention d’avantager quelqu’un, dès lors que la procédure de passation des marchés n’a pas été strictement respectée.
Par deux fois, le Sénat a adopté à l’unanimité une modification de la notion de « prise illégale d’intérêts », et une fois s’agissant du délit de favoritisme.
Par crainte des réactions médiatiques, ces textes n’ont jamais été inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Je constate que notre rapporteur s’est abstenu de reprendre cette nouvelle définition de la prise illégale d’intérêts, ce qui était pourtant l’une des préconisations du rapport que nous avons évoqué.
N’apparaît nulle part non plus cette conclusion du rapport : « L’étude des régimes de prévention des conflits d’intérêts et de leur application concrète dans les Parlements occidentaux révèle que le système français est, globalement, plus performant que celui de nombreux États. »
Le deuxième ensemble de questions porte sur la notion de « décision » : qu’est-ce qu’une décision ? Comment cela se passe-t-il dans une assemblée démocratique ?
Non seulement le présent projet de loi organique confond décision individuelle, pratique, qui est le fait des exécutifs, et décision de portée générale, définition de règles applicables à tous, mais il renvoie à une conception totalement erronée, à mon sens, de la prise de décision collective au sein d’assemblées démocratiques.
Conception erronée, disais-je, parce que la décision conforme à l’intérêt général n’est pas, comme on voudrait nous le faire croire, le produit d’atomes civiques purgés, comme les eaux usées de nos stations, de tout préjugé par le regard purificateur de l’opinion. Si tel était le cas, ne pourraient participer à la décision démocratique, comme cela a été dit, que ceux qui tiennent leurs connaissances non pas de leur pratique, mais de la lecture des journaux ou de leurs consignes de vote. Tous les autres devraient s’abstenir.
Cette idée est perverse, car la décision démocratique est le produit d’un débat public réglé au sein d’une assemblée représentative, dans l’idéal de tous les intérêts et opinions. Ce qui suppose des parlementaires d’origines diverses, des parlementaires présents et actifs – question à soigneusement éviter ! Ce qui suppose aussi que le débat ne puisse être biaisé et qui pose la question de la désignation des présidents de commission et des rapporteurs. Le groupe de travail avait d’ailleurs conclu – autre conclusion passée à la trappe – que c’est à ce niveau que le risque de conflit d’intérêts existe vraiment au Parlement, non pas parce que les gens qui ont un intérêt délibèrent, mais parce que la manière de poser le débat peut être biaisée par celui qui l’ouvre et le mène.
Le troisième ensemble de questions que la commission devra se poser a trait à l’efficacité des dispositifs de prévention des manquements au devoir de probité publique, tels qu’ils sont proposés dans ce texte.
Pour répondre au désenchantement public, suffira-t-il, mes chers collègues, que, vêtus de probité candide, leur déclaration de patrimoine sur Facebook dans une main et leur déclaration d’activités et d’intérêts sur Twitter dans l’autre, les élus du peuple, les parlementaires, les élus locaux, acceptent stoïquement leur rôle de boucs émissaires, au motif que personne n’est obligé d’être candidat ? Je pense que ce ne sera pas le cas, d’abord, comme on l’a vu, parce que la crise de confiance des citoyens dans leurs institutions et les acteurs politique n’a pas l’origine que l’on prétend, ensuite parce que le remède ne fera qu’aggraver le mal.
La publication des déclarations non seulement n’empêchera pas les trafiquants de trafiquer – on découvrira seulement à l’occasion d’un scandale qu’ils avaient menti –, mais elle fournira un aliment permanent au harcèlement de ceux qui ne seront pas dans ce cas.
Non seulement la défiance publique continuera à se nourrir des scandales, qui perdureront, comme ils ont perduré après chaque train de mesures de diversion, mais elle trouvera un aliment nouveau dans la contemplation des déclarations.
Les commentaires qui ont suivi la publication du patrimoine des membres du Gouvernement, encombrée de vélos, de voitures revenant du contrôle technique, …
Rien n’est dit, tout est dit !
La recherche de la transparence pourrait bien être le meilleur moyen de perpétuer l’obscurité sur les processus de décisions qui importent vraiment, selon le principe pascalien : qui veut faire l’ange fait la bête !
Mes chers collègues, cette proposition de retour en commission vise simplement, en nous invitant à ne point trop faire l’ange, à nous permettre de moins faire la bête !
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'UDI-UC et de l'UMP.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cette heure tardive
Oh ! sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Des affaires, nous en connaissons tous, et je dirai même qu’ici nous portons tous notre croix ! À cet égard, monsieur Mézard, il ne me semble pas que M. Tapie ait été membre du parti socialiste !
J’ai entendu dans cet hémicycle un certain nombre de propos excessifs. Or, lorsque l’on s’exprime dans cette enceinte, on ne parle pas seulement pour soi, on parle au nom de son groupe, au nom de son parti politique et, éventuellement, au nom des ministres du Gouvernement issus de son parti, qui doivent forcément souscrire aux propos que l’on tient.
Monsieur Collombat, nos concitoyens attendent des textes, des mesures, …
... et la réflexion que vous demandez à la commission des lois, si jamais ce texte lui est renvoyé, a déjà été menée par le Gouvernement. Le résultat figure d’ailleurs dans l’exposé des motifs. À partir de là, le Gouvernement nous propose un certain nombre d’articles, que l’Assemblée nationale et nous-mêmes avons d’ailleurs modifiés, par exemple sur le patrimoine, mais, surtout, sur les conflits d’intérêts.
Mes chers collègues, faut-il parler, ici, au Sénat, des conflits d’intérêts ? Faut-il s’en tenir à la déontologie du bureau de notre assemblée ? Faut-il citer le nom des parlementaires qui acceptent des voyages à l’étranger en dehors de tout cadre sénatorial, invités par des puissances étrangères ? Que vont-ils y faire, d’ailleurs ?
Il suffirait de les déclarer ; mais à qui ? Ces déclarations sont-elles publiques ? Sait-on ce qui en résulte ? Non ! Mes chers collègues, nous avons besoin de textes, car, nous le savons, la déontologie interne ne suffit pas. C’est pareil dans les autres professions ! On sait très bien que les sanctions disciplinaires infligées par les ordres sont totalement insuffisantes et que la justice doit intervenir dans certains cas. Cette loi est donc nécessaire.
La commission des lois a travaillé, d’abord sur la base du fameux rapport d’information de la commission des lois adopté en 2011, auquel notre rapporteur n’a cessé de se référer pour accepter certains amendements, notamment de M. Hyest ou de M. Collombat.
D’ailleurs, monsieur Collombat, vous étiez présent ce matin - pas la semaine dernière, cependant - et vous avez pris la parole très souvent.
Vous avez de surcroît rencontré quelques succès avec certains de vos amendements, mais pas avec tous.
Bien sûr, il n’est jamais urgent d’agir lorsque l’on n’a rien à se reprocher, lorsque tout va très bien dans le meilleur des mondes, lorsque les hommes politiques, dont nous sommes, sont portés aux nues par leurs concitoyens, lorsque l’on n’est pas suspecté, lorsque l’on n’est pas « la femme de César ».
Il ne faudrait donc rien faire : c’est du moins ce que vous proposez !
Pour ma part, je pense tout le contraire. À mon sens, il faut agir et le Gouvernement a été bien avisé de le faire rapidement, sur l’initiative du Président de la République, après ce scandale que fut l’affaire Cahuzac, …
… que nous portons, nous, comme une croix, à l’instar de certains de nos prédécesseurs dans le passé.
Soyons clairs et ne nous rejetons pas la faute les uns sur les autres : nous devons légiférer rapidement et c’est la raison pour laquelle, au nom de mon groupe, je m’oppose à cette motion de renvoi à la commission.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout a été dit et bien dit par M. Jean-Pierre Michel.
Je voudrais cependant faire observer à M. Collombat que, s’il avait voulu que la définition du conflit d’intérêts à laquelle il a fait allusion soit prise en compte, il lui était tout à fait loisible de déposer un amendement en ce sens, comme il ne manque d’ailleurs pas de le faire fréquemment, concourant ainsi à enrichir les travaux de la commission.
Mes chers collègues, la commission des lois a déjà consacré douze heures à l’examen de ce texte.
Mais ce n’est pas fini ! Je rappellerai en effet à ceux d’entre nous qui voudraient approuver cette motion, à laquelle je suis opposé, le titre complet du Barbier de Séville, de Beaumarchais : « ou la Précaution inutile ». Je m’explique : la commission des lois doit se réunir dès la suspension de la séance, car il lui reste encore quelque deux cents amendements à examiner. Ceux qui veulent qu’elle se réunisse ont donc d’ores et déjà satisfaction !
Au reste, nous sommes toujours extrêmement heureux de nous retrouver en commission, l’atmosphère y est excellente et les débats sont approfondis. Nous ne ménageons ni notre temps ni notre peine, surtout en ce mois de juillet – tout comme en juin, mai ou avril ! C’est un plaisir sans cesse renouvelé !
De toute façon, la réunion de la commission est prévue. Mes chers collègues, si vous voulez en plus voter cette motion, vous le pouvez, mais cela me semble vraiment inutile !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Monsieur le président, puisqu’il s’agit d’une procédure interne au Parlement, j’ai pour ligne de conduite de ne pas me prononcer, car la motion tendant au renvoi à la commission ne concerne que l’assemblée à laquelle elle est soumise.
Je rappelle qu’aucune explication de vote n’est admise.
Je mets aux voix la motion n° 105 rectifié, tendant au renvoi à la commission.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici le résultat du scrutin n° 297 :
Nombre de votants346Nombre de suffrages exprimés346Pour l’adoption188Contre 158Le Sénat a adopté.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, lorsque le Sénat adopte une motion de renvoi en commission sur un texte inscrit par priorité à l’ordre du jour sur décision du Gouvernement, la commission doit présenter ses conclusions au cours de la même séance, sauf accord du Gouvernement.
Je consulte donc le Gouvernement, monsieur le ministre délégué.
Monsieur le président, le Gouvernement demande que la commission présente son rapport au cours de la même séance.
J’informe les membres de la commission des lois que celle-ci va se réunir immédiatement.
À quelle heure souhaitez-vous que nous reprenions nos travaux en séance publique, monsieur le rapporteur ?
Monsieur le président, nous pourrions reprendre les travaux en séance publique à vingt-deux heures quinze.
Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Françoise Boog membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de Jean-Louis Lorrain, décédé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.