Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 9 juillet 2013 à 14h30
Transparence de la vie publique — Exception d'irrecevabilité

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet :

Pourquoi diable prévoir un tel système ? Qu’une commission administrative recueille des documents, cela n’emportait pas de conséquences. Désormais, en vertu des procédures prévues, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera investie d’une responsabilité diabolique. J’emploie ce terme à dessein. De fait, en apparence, cette commission administrative, dotée d’un titre glorieux et où toute immixtion de parlementaires passés, présents ou futurs est interdite, n’a qu’une charge de greffier. Mais, en fait, c’est loin d’être le cas ! La Haute Autorité mènera un dialogue continu et systématique sur l’ensemble des activités d’un parlementaire, de sa famille, de ses liens et de ses proches, lesquelles devront être justifiées en permanence !

Monsieur le rapporteur, ce constat se fera jour lorsque nous examinerons les différents articles : le droit d’interrogation, le droit d’appréciation et le droit de saisine du parquet pour des manques d’information font peser une menace permanente sur les parlementaires, être victimes non simplement de leurs propres faiblesses, oublis et négligences mais aussi, le cas échéant, des faiblesses, oublis et négligences de celles et ceux à qui ils sont liés. C’est tout simplement invraisemblable !

J’ajoute que cette saisine du parquet, dont les bureaux des deux assemblées sont informés, reste à la discrétion de la Haute Autorité.

Je ne reviendrai pas, en cet instant, sur les procédures qui me semblent particulièrement choquantes : nous aurons l’occasion de les évoquer lorsque nous examinerons l’ensemble du dispositif. Toutefois, en revenant à la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, on observe que le présent projet de loi viole ouvertement l’article XVI de ce texte : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution. »

C’est exactement le cas dans lequel nous sommes placés ! Premièrement, la garantie des droits de la défense n’est pas assurée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Deuxièmement, les parlementaires seront placés sous la menace permanente de cette instance. Certes, le pouvoir de sanction revient au Conseil constitutionnel en cas d’omission de dépôt d’un texte ou à la justice en cas de saisine du parquet. Mais, comme Jacques Mézard l’a souligné avec raison, c’est la mise en accusation publique sur la base d’un fait qui pose problème, nous le savons tous !

Je vous le rappelle, seront non seulement consultables en préfecture les déclarations patrimoniales – question qui, en tant que telle, pose plusieurs problèmes que je détaillerai dans quelques instants – mais aussi les appréciations que porte la Haute Autorité sur ces documents. Quand on connaît la malice – pour ne pas employer un terme plus agressif – des membres d’un certain nombre d’institutions à l’égard du Parlement, on ne peut qu’être inquiet.

À ce titre, je citerai l’exemple d’un secrétaire de la commission de la transparence, par ailleurs membre du Conseil d’État, qui a failli être mon collègue au Gouvernement – j’y suis entré juste après son départ. Celui-ci a engrangé des droits d’auteur en publiant un livre nourri des informations qu’il avait directement puisées dans les fonctions que je viens de mentionner. Bref, ne croyons pas que les hautes autorités soient peuplées de saints ! Elles sont peuplées d’hommes et de femmes, avec leurs convictions et leurs passions. Il serait raisonnable que ces hommes et ces femmes se soumettent à des principes simples, par exemple à celui de la double juridiction ou encore au droit à un recours à caractère suspensif.

Dans ces conditions, on pourrait accepter à la rigueur que la procédure proposée et adoptée en 1988, à savoir le dépôt d’un certain nombre de documents, soit transférée du Conseil constitutionnel à une commission, dès lors que cette dernière, strictement administrative, se contenterait de ses fonctions de greffier. Or tel n’est pas le cas : dans le cadre du présent texte, la Haute Autorité organise le conflit public, confère entière autorité à la délation et donne du grain à moudre à tous ceux qui, comme M. le ministre l’a souligné à juste titre, prospèrent sur le goût de nos compatriotes pour le jeu de chamboule-tout, et favorisent partant systématiquement la vente des publications les plus agressives à l’égard des institutions en place.

Passé cette observation, je tiens à me tourner vers mon collègue et ami le président François Zocchetto. (

En effet, je souhaite attirer son attention sur les articles II, IV et VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

L’article IV de ce texte est relatif à la liberté, donc à la liberté d’entreprendre. Il serait quand même tout à fait étonnant que les parlementaires français soient les seuls, parmi nos compatriotes, à perdre l’usage de ce droit. Or le présent texte précise très clairement que les députés et sénateurs ne peuvent pas s’engager dans une nouvelle activité. C’est tout simplement absurde ! Le bureau de l’assemblée à laquelle un parlementaire appartient le rappellera à l’ordre s’il se lance dans une activité contraire aux principes déontologiques qui s’imposent à lui. Toutefois, partir du principe qu’un parlementaire ne peut pas commencer une nouvelle activité, quelle qu’elle soit, c’est totalement inconstitutionnel : une telle disposition revient à priver d’une liberté fondamentale – le droit d’entreprendre – un millier de nos compatriotes qui n’ont tout simplement aucune raison d’être a priori coupables lorsqu’ils changent d’orientation !

L’un de mes excellents camarades, qui a siégé à la commission des lois de l’Assemblée nationale en 1978 puis ici même, au Sénat, Nicolas About, a commencé sa carrière parlementaire comme médecin, et l’a quittée docteur en droit, avant de devenir juriste. De quel droit peut-on empêcher un tel changement d’activité ?

Par ailleurs, concernant l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme, j’observe que le présent texte exclut de but en blanc certaines professions. À cet égard, certains ont pu gloser sur les activités de conseil. Je rappellerai simplement que la présidente sortante du MEDEF a par ailleurs été présidente du syndicat national des bureaux d’études techniques, le SYNTEC, représentant professionnel du conseil en France. Le conseil constitue une activité honorable, riche de plus de 150 000 salariés dans notre pays, et dont la balance commerciale est tout à fait excédentaire ! Il permet à nos entreprises de gagner des parts de marché à l’exportation.

Le conseil est-il ce pestiféré que vous dénoncez ? On déplore certainement des abus et des excès, mais ces cas relèvent de la déontologie et donc du contrôle que le Parlement doit exercer sur lui-même. Pourquoi diable contraindre les électeurs dans leur droit de choisir leurs représentants, au prétexte qu’untel, en raison de ses activités de conseil, ne serait pas habilité à présenter sa candidature ?

En vérité, via la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, vous orchestrez l’éviction de tous ceux qui exercent des responsabilités économiques significatives, comme cadre salarié, comme chef d’entreprise, au titre d’une profession libérale ou tout simplement en tant qu’investisseur !

Ces personnes vivront sous la menace permanente de l’analyse que la Haute Autorité dressera au sujet de leurs intérêts. Or celles et ceux qui exercent des responsabilités professionnelles et qui ont eu le bonheur d’être élus n’ont pas envie d’être jugés et disqualifiés par des hauts fonctionnaires ne disposant pas de la moindre compétence dans le domaine de l’entreprise. Par conséquent, ils s’abstiendront de se présenter. Le monde politique et surtout la représentation parlementaire de notre pays seront appauvris d’autant !

Je terminerai en évoquant l’article II de la Déclaration des droits de l'homme, qui concerne le droit à la sécurité, à la sûreté, et donc à la vie privée.

Je suis très opposé à la publication, pour une raison simple : je considère que nous allons déplacer le débat politique.

Nous allons, d’une part, écarter de la vie politique locale des personnalités de talent et de qualité qui ne voudront pas voir leur famille exposée à l’intérêt, la jalousie, la moquerie, voire la cruauté, de leur environnement.

Nous provoquerons, d’autre part, un déplacement du débat, qui portera non plus sur les convictions mais sur le statut matériel. Vous avez cité le patrimoine des membres du Gouvernement. Certains remarqueront, pour le critiquer, qu’aucun d’entre eux n’est actionnaire de sociétés non cotées et que, d’une façon générale, leurs investissements ne sont jamais des investissements productifs, mais toujours des investissements défensifs et de sécurité.

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