Le rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale pour l'exercice 2012 vous a été remis en application de la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale.
Il a été préparé par la 6e chambre de la Cour, que préside Antoine Durrleman. Les travaux sur lesquels il s'appuie ont été animés par Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général, auxquels a contribué Mme Marie-Laure Berbach, conseillère référendaire.
Ce rapport, le septième que présente la Cour, s'adresse avant tout au Parlement, mais également au Gouvernement, aux conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale et aux organismes de base qu'elles regroupent, ainsi qu'à l'ensemble des citoyens. Il vise à apporter une assurance raisonnable sur la régularité, l'image fidèle et la sincérité de neuf états financiers distincts : les comptes combinés de chacune des quatre branches de prestations (maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille, vieillesse) et ceux de l'activité de recouvrement ; les comptes annuels des quatre organismes nationaux du régime général - la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), la Cnaf, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) et l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
Les comptes des autres régimes et organismes nationaux de sécurité sociale sont audités par des commissaires aux comptes, avec lesquels la Cour entretient d'étroites relations de travail, dans le cadre prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
Les seuls comptes du régime général pour 2012 retracent 483,1 milliards d'euros de produits, incluant les ressources du régime général, mais également des ressources affectées à d'autres attributaires, comme les cotisations d'assurance chômage recouvrées pour le compte de l'Unedic, et 403,3 milliards d'euros de charges, comportant certaines prestations financées par des tiers, comme le revenu de solidarité active versé pour le compte de l'Etat et des collectivités territoriales. Les produits et charges audités par la Cour représentent respectivement 23,8 % et 19,8 % de la richesse nationale.
La certification des comptes du régime général apporte une contribution majeure à la qualité et à la transparence des comptes publics de notre pays, dont ils sont une composante essentielle. Au-delà, elle constitue aussi un puissant levier de modernisation de la gestion des organismes de sécurité sociale. La meilleure fiabilité des procédures, la correcte application des décisions du législateur et de l'autorité règlementaire, le développement du contrôle interne sont des vecteurs d'efficience accrue, comme la Cour le constate année après année. Les progrès qu'elle relève dans la maîtrise des risques d'anomalies et d'erreurs de portée financière et dans la lutte contre les fraudes sont porteurs d'économies considérables dans les dépenses. Ils contribuent à améliorer la qualité du service rendu aux assurés sociaux, qui sont les premiers à supporter les conséquences d'erreurs de liquidation, qu'elles soient à leur détriment ou à leur avantage, le rappel des indus, s'ils sont détectés, étant source de difficultés.
Les comptes du régime général de sécurité sociale pour 2012 font apparaître un déficit de 13,3 milliards d'euros (contre 17,4 milliards d'euros en 2011).
Comme les années précédentes, il n'intègre pas la quote-part du déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) correspondant à ses prises en charge de cotisations et de prestations en faveur de la branche vieillesse. Cela conduit à minorer le déficit de cette branche, à hauteur de 3,9 milliards d'euros en 2012.
Selon les travaux de la Cour, le déficit total cumulé du régime général et du FSV, arrêté à 17,45 milliards d'euros, exactement égal à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, est sous-estimé à hauteur de 300 millions d'euros. Cette minoration résulte de deux désaccords avec les producteurs de comptes : l'un porte sur une sous-évaluation des provisions pour remboursement de soins délivrés à l'étranger ; l'autre sur une surévaluation des produits à recevoir au titre du forfait social.
Le régime général réalise chaque année des centaines de millions d'opérations. Compte tenu de cette énorme masse, la Cour cherche tout particulièrement à apprécier dans quelle mesure les systèmes d'information et les dispositifs de contrôle interne, par leur conception et leur mise en oeuvre, permettent de maîtriser les risques d'anomalies ayant une incidence sur les comptes.
Progressivement, en raison des travaux d'audit conduits dans le cadre de la certification depuis sept ans, les organismes de sécurité sociale ont pris conscience de la nécessité de mieux maîtriser les risques financiers liés à leurs activités et d'améliorer la qualité de leurs comptes. Ce sont de lourds chantiers, qui impliquent des refontes des systèmes informatiques et des réorganisations profondes. La Cour accompagne ces efforts en suivant, chaque année, les résultats des actions entreprises pour améliorer la qualité des comptes.
Dans le cadre de l'audit des comptes 2012, la Cour a observé de réels progrès dans certains domaines. Ils sont d'autant plus à souligner que les organismes de sécurité sociale ont dû faire face à un contexte règlementaire en constante et rapide évolution et que l'activité de recouvrement a poursuivi dans le même temps la restructuration de son réseau. Le nombre de réserves ou d'éléments motivant une impossibilité de certifier est passé de quarante-deux en 2011 à trente-sept en 2012. La tendance au ralentissement de l'amélioration continue de la qualité des comptes du régime général, dont je m'étais inquiété l'année dernière, s'est donc inversée.
Les progrès sont inégaux selon les branches et les secteurs. De nombreux travaux destinés à fiabiliser les comptes, à sécuriser les procédures et à mieux maîtriser les erreurs et anomalies de portée financière tardent encore à être engagés ou à produire leurs effets. La Cour a même constaté que certaines difficultés qu'elle avait déjà relevées se sont aggravées.
Les opinions de la Cour pour l'exercice 2012 sont l'expression de cette situation contrastée. Leurs motivations détaillées mettent en évidence des insuffisances encore marquées des dispositifs de contrôle interne et des désaccords significatifs sur les comptes.
Mais ses travaux lui ont permis cette année de revenir sur les deux refus de certification qu'elle avait prononcés l'an dernier. Ces deux changements de position traduisent une implication accrue des producteurs de comptes et de leur administration de tutelle.
Alors que la Cour avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche famille, elle certifie ceux de 2012 avec des réserves. Alors qu'elle avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, elle constate cette année qu'elle est dans l'impossibilité d'exprimer une opinion, ce qui par rapport à 2011 traduit un progrès, certes insuffisant.
Comme en 2011, la Cour certifie avec réserve les comptes combinés de la branche maladie pour l'exercice 2012. La réduction très sensible des anomalies qui affectaient les enregistrements comptables des prises en charge de cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux a permis de lever une réserve. Leur nombre passe de cinq à quatre.
Toutefois, la tendance générale est celle d'une aggravation des constats de la Cour. Ainsi, les prestations en nature - c'est-à-dire, principalement, les remboursements de soins de ville et en clinique et les séjours dans les établissements médico-sociaux au prix de journée - comme les prestations en espèces - indemnités journalières et pensions d'invalidité - sont affectées par de fréquentes erreurs de liquidation. Leur incidence financière est vraisemblablement sous-estimée. En outre, la branche ne vérifie que de manière très ponctuelle si les règlements qu'elle effectue sont conformes aux ordonnances et aux accords préalables.
La Cour a également constaté un défaut de fiabilité des données prises en compte pour procéder à la répartition entre les différents régimes d'assurance maladie des règlements aux établissements hospitaliers au titre de la tarification à l'activité - la T2A. Le régime général supporte un excès de charges par rapport à d'autres régimes.
Enfin, les modalités d'évaluation de certaines estimations comptables - provisions pour risques et charges et produits à recevoir -, constituent des motifs de désaccord entre la Cour et le producteur des comptes. La sous-évaluation des provisions relatives aux remboursements de soins délivrés à l'étranger et la surévaluation des produits à recevoir au titre du forfait social sont à l'origine d'une amélioration injustifiée de 224 millions d'euros du résultat 2012 de la branche maladie.
J'en viens aux comptes de la branche AT-MP. En 2011, le défaut de provisionnement des conséquences financières très lourdes des contentieux intentés par les employeurs qui ne sont pas réglés à la clôture des comptes avait conduit la Cour à refuser de certifier ses comptes.
En 2012, pour la première fois et au prix de travaux importants, la branche a comptabilisé une provision au titre de ces contentieux, pour un montant de 667 millions d'euros au 31 décembre 2012. C'est, je le répète, un réel progrès. Cependant, malgré des diligences approfondies, la Cour n'a pas été en mesure de recueillir les éléments probants, qui lui auraient permis d'écarter le risque que le montant de cette provision soit affecté par des erreurs majeures, susceptibles d'avoir bouleversé la physionomie des comptes, et tout particulièrement le résultat de la branche.
L'application des normes internationales d'audit a conduit la Cour à constater l'impossibilité d'exprimer une opinion sur les comptes 2012 de la branche AT-MP.
Par ailleurs, la Cour a relevé que les contributions de cette branche à la branche vieillesse qui ont pour objet de financer les départs anticipés en retraite au titre de la pénibilité du travail (145 millions d'euros au total pour 2011 et 2012) excèdent très largement les charges réellement supportées à ce titre par la Cnav, soit 24 millions d'euros pour ces deux années. Cependant, la branche AT-MP et la branche vieillesse ont comptabilisé des charges et des produits à hauteur de 145 millions d'euros, en anticipant des charges et des produits des exercices suivants.
Enfin, la Cour constate toujours des insuffisances marquées dans le contrôle interne de la détermination des taux de cotisation par les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) et le recouvrement de ces dernières par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf).
Pour la branche famille, la Cour avait refusé de certifier les comptes de l'exercice 2011, en raison de l'importance des anomalies et erreurs de portée financière qui affectaient les prestations versées et comptabilisées par la branche, qui était estimé à l,54 milliard d'euros en 2011.
Pour 2012, ce montant a été ramené, à méthode d'estimation constante, à 1,15 milliard soit un peu moins qu'en 2010, où la Cour avait certifié les comptes avec des réserves. Cette évolution favorable traduit l'incidence des dispositifs mis en oeuvre par la branche afin de fiabiliser les données relatives à la situation des allocataires.
Après avoir audité très précisément cette estimation, la Cour a décidé de certifier les comptes de la branche famille, sous toutefois quatre réserves, montrant que la Cnaf doit encore amplifier ses efforts.
Elle a constaté que le dispositif de contrôle interne mis en oeuvre demeure affecté par des insuffisances marquées, dans sa conception comme dans son pilotage. Les processus normalisés de gestion définis par la Cnaf ne couvrent encore qu'une partie des prestations liquidées par la branche et les processus diffusés sont pour partie inadaptés à la nature des tâches de gestion et aux risques. A la différence des autres branches, la qualité de la liquidation ne donne au demeurant pas lieu à des objectifs chiffrés et ne fait pas l'objet d'un suivi effectif. Alors que les contrôles des agences comptables ne couvrent qu'une part réduite des opérations, les services ordonnateurs ne mettent pas en oeuvre de supervisions.
D'autres faiblesses concernent la justification des comptes, le contrôle interne des prestations d'action sociale, le système d'information ou encore la gestion des prestations familiales déléguées à des tiers, par le régime agricole, les entreprises publiques ou les collectivités publiques des départements d'outre-mer. Une partie de ces collectivités ne déclarent pas ou ne règlent pas les cotisations familiales assises sur les rémunérations de leurs agents.
S'agissant de la branche vieillesse, la Cour a reconduit en 2012 sa position de 2011, en certifiant les comptes avec six réserves.
L'intensité de ces réserves évolue en 2012, mais elles portent sur des thèmes quasi identiques à ceux des réserves exprimées sur les comptes de l'exercice précédent. Si la branche n'est pas restée inactive, et a poursuivi ou engagé des chantiers importants, le rythme de la mise en oeuvre d'évolutions préconisées de longue date par la Cour est trop lent. C'est le cas des contrôles visant à assurer la cohérence des données notifiées par les organismes sociaux ou déclarées par les employeurs.
Sur la gestion des données de paiement des titulaires de prestations ou les relations financières entre la branche vieillesse et des organismes tiers, de nouveaux risques ou motifs de désaccord ont été identifiés en 2012. Certains constats se sont aggravés et nécessitent une action déterminée de la branche pour remédier à cette situation dès 2013. C'est le cas pour les erreurs qui affectent les pensions nouvellement attribuées : en 2012, 9,1 % de celles-ci sont affectées par une erreur de portée financière, contre 7,5 % en 2011. L'impact de ces erreurs s'élève à 0,84 % du montant total des droits liquidés et comptabilisés, soit nettement plus que le niveau fixé dans la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la branche vieillesse. La situation est particulièrement préoccupante dans quatre organismes de la branche.
J'en termine maintenant par l'activité de recouvrement. La Cour a également reconduit sa position, en certifiant les comptes de l'exercice 2012 avec six réserves, contre huit en 2011.
Des améliorations notables ont permis la levée de certaines réserves. La justification des comptes progresse. Mais la méthode de dépréciation des créances sur les cotisants est inadaptée ; le traitement comptable des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants et des impôts et taxes recouvrés par l'Etat n'est pas conforme au principe de la tenue des comptes des organismes de sécurité sociale en droits constatés ; le contrôle interne des prélèvements sociaux dont sont redevables les employeurs de salariés et les organismes qui versent des revenus de remplacement est faible ; malgré des progrès, des dysfonctionnements des comptes cotisants des artisans et des commerçants relevant du dispositif dit de « l'interlocuteur social unique » perdurent.
L'ensemble des branches omettent de mentionner dans leurs annexes aux comptes leurs engagements pluriannuels à l'égard des titulaires de prestations ou de leurs ayants droit au 31 décembre de l'exercice 2012. Les montants qui devront être versés dans le futur aux titulaires de pensions de retraite, d'invalidité, de rentes d'accidents du travail et de maladies professionnelles et de certaines prestations versées par la branche famille, telles que les aides au logement, pour celles qu'elle finance en totalité ou en partie, ou l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, ne sont pas évalués, ni retracés dans leurs états financiers. Une information de cette nature figure pourtant dans l'annexe au compte général de l'Etat pour ce qui concerne les pensions civiles et militaires, les aides au logement et l'allocation aux adultes handicapés. Les états financiers du régime général omettent par conséquent des informations essentielles pour l'appréciation des passifs de ce régime, de la situation des finances publiques et de la soutenabilité des politiques publiques.
Même si des progrès concourent à une plus grande fiabilité des comptes du régime général, ce dont je me réjouis, les chantiers en cours ne manquent pas.
Si l'objectif - partagé avec l'ensemble des organismes du régime général et leurs autorités de tutelle - d'une certification sans réserve ne sera pas atteint avant plusieurs années, la responsabilité de la Cour est plus que jamais de susciter les progrès nécessaires, par la voie de constats objectifs et précis, et de les accompagner en en suivant la réalisation et en levant des réserves, dans le cadre de trajectoires de progrès.
Vous connaissez la phrase de Pierre Mendès-France : « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s'abandonnent ». En contribuant à « mettre de l'ordre » dans les comptes, la mission de certification que le législateur a confiée à la Cour remplit une fonction, majeure, parce qu'elle contribue directement à la transparence des comptes et à la modernisation de la gestion des administrations publiques, conditions indispensables à la maîtrise des finances publiques.