Le mois dernier, une délégation de la commission, que j'avais l'honneur de conduire et qui comprenait Catherine Deroche, Jean Desessard, Colette Giudicelli et Dominique Watrin, s'est rendue à Québec puis à Montréal. Nous voulions étudier, sur place, l'organisation du système de soins de premier recours, réputée efficace, et la politique de prévention du suicide, que l'on disait novatrice.
De nos nombreux entretiens et visites, nous avons conclu que l'exemple québécois pourrait utilement nourrir nos réflexions sur l'avenir de nos politiques de santé publique.
Nous débuterons notre présentation par le thème de l'organisation du système de soins de premier recours.
Selon le partage des compétences prévu par la Constitution canadienne, les secteurs de la santé et des services sociaux relèvent du pouvoir provincial, le pouvoir fédéral n'intervenant qu'à la marge.
On entend par « services sociaux » tant les services psychosociaux destinés à l'ensemble de la population que les services particuliers bénéficiant aux personnes plus vulnérables (jeunes en difficulté, personnes âgées en perte d'autonomie, personnes atteintes d'une déficience, d'un problème de santé mentale ou souffrant d'une addiction, etc.).
Institué par une loi de 1971, le système québécois se caractérise par une approche intégrée : la santé et les services sociaux sont appréhendés de manière globale et relèvent d'une même administration. Ils représentent actuellement le premier poste budgétaire de la province, soit 42,5 % de ses dépenses.
Le modèle d'organisation choisi par le Québec repose sur trois niveaux de compétences et sur la complémentarité de structures regroupées en réseaux :
- à l'échelon central, le ministère de la santé et des services sociaux définit les grandes orientations en matière de politiques sanitaires et sociales et évalue les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés ;
- à l'échelon régional, les agences de la santé et des services sociaux sont responsables de la mise en place et de la coordination des services sur leur territoire respectif. Elles doivent notamment définir les priorités régionales, faciliter le déploiement et la gestion des réseaux locaux de services, et assurer l'allocation des budgets aux établissements et des subventions aux organismes communautaires ;
- à l'échelon local, les réseaux locaux de services de santé et de services sociaux regroupent l'ensemble des acteurs (médecins de famille, établissements de santé et médico-sociaux, pharmacies, organismes communautaires, entreprises d'économie sociale, etc.) qui partagent collectivement une responsabilité envers la population d'un territoire.
Au coeur du réseau local de services se trouve le centre de santé et de services sociaux (CSSS), né de la fusion en 2005 de plusieurs structures à vocation médicale et sociale. Il existe actuellement quatre-vingt-quinze CSSS au Québec.
Pierre angulaire de l'offre de services intégrée, le CSSS a pour mission :
- d'assurer à la population du territoire sur lequel il est implanté la prestation de services de prévention, de diagnostic, de traitement, de réadaptation, de soutien et d'hébergement ;
- de fournir des services hospitaliers généraux et spécialisés ;
- de coordonner les services offerts par l'ensemble des intervenants médicaux et sociaux exerçant sur ce territoire.
Cette organisation en réseaux poursuit un double objectif :
- assurer, au plus près du milieu de vie des personnes, une large gamme de services généraux et de soins courants ; il s'agit des services dits de première ligne (l'équivalent du premier recours en France) ;
- garantir, grâce à des mécanismes d'orientation et de suivi des patients, l'accès aux services dits de deuxième et troisième lignes, c'est-à-dire aux services spécialisés et ultra spécialisés.
Au cours de notre séjour, nous avons rencontré les équipes de quatre CSSS, deux situés à Québec et deux autres à Montréal. Ces visites sur le terrain nous ont permis d'identifier les forces du système québécois :
- premièrement, la personne est appréhendée dans sa globalité : sa dimension biologique est indissociable de sa dimension psychologique ou sociale. L'objectif est donc bien de répondre à l'ensemble de ses besoins de santé et de bien-être ;
- deuxièmement, il existe une véritable interaction et complémentarité entre les différents intervenants (administration, professionnels de santé, professionnels du secteur social). Ce travail partenarial ne s'est évidemment pas mis en place du jour au lendemain, mais force est de constater qu'il n'existe pas comme en France de cloisonnement entre les différentes sphères - sanitaire et médico-sociale en particulier ;
- troisièmement, un grand pragmatisme prévaut dans la mise en oeuvre concrète du dispositif. Les CSSS bénéficient d'une réelle autonomie tant pour adapter l'offre de services aux caractéristiques de leur territoire que pour nouer des partenariats avec différents acteurs (organismes communautaires, instituts universitaires, centres jeunesse...) ;
- quatrièmement, l'effort constant d'intégration de ces réseaux locaux favorise une meilleure prise en charge des personnes, en particulier des plus vulnérables, et permet de fluidifier les parcours de soins.
Depuis une dizaine d'années, le ministère de la santé et des services sociaux québécois a fait de l'accessibilité aux services de première ligne une priorité.
La réalisation de cet objectif s'est notamment traduite par la mise en place de groupes de médecine de famille (GMF). Il s'agit de regroupements de médecins omnipraticiens (l'équivalent des médecins généralistes) qui travaillent en étroite collaboration avec d'autres professionnels (infirmières, infirmières praticiennes spécialisées, travailleurs sociaux) pour faciliter l'accès des patients aux soins médicaux.
Un petit aparté : en tant qu'ancien travailleur social, j'ai été particulièrement frappé par la très forte implication de cette profession dans le système de soins québécois.
Chaque médecin participant à un GMF s'occupe de sa propre patientèle, qui est inscrite auprès de lui, mais les dossiers médicaux sont accessibles à l'ensemble de ses collègues. Ainsi, une personne qui se présente à son GMF pour une consultation sans rendez-vous peut être vue par un autre médecin que le sien. Elle peut aussi, au besoin, rencontrer une infirmière ou un autre professionnel du GMF pour différents types de suivi. Un patient peut être reçu dans le cadre d'une consultation sans rendez-vous même s'il n'est pas inscrit auprès d'un des médecins du GMF.
Les médecins de famille, qu'ils exercent en GMF ou non, sont rémunérés par la régie de l'assurance maladie du Québec pour leurs actes en fonction de tarifs négociés. La pratique des dépassements d'honoraires n'existe donc pas. Le patient, lui, ne débourse rien ; il a simplement à présenter sa carte d'assurance maladie.
Le recours aux GMF présente plusieurs avantages : il favorise le travail interdisciplinaire et le partage d'activités entre professionnels ; il permet un meilleur suivi des patients, en particulier ceux atteints de maladies chroniques ; il est un moyen privilégié d'améliorer la qualité et l'accessibilité des soins médicaux.
Dans le cadre de son plan stratégique 2010-2015, le ministère de la santé et des services sociaux s'est fixé trois principaux objectifs en matière d'accès aux soins de première ligne : atteindre 70 % de la population inscrite auprès d'un médecin de famille (en GMF ou hors GMF), implanter 300 GMF sur l'ensemble du territoire et parvenir à ce que 70 % des médecins de famille exercent en GMF.
Permettez-moi à cet instant de mon intervention de faire un rapide focus sur le métier d'infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne (IPS-PL) plus couramment appelé « super-infirmière ». Les informations qui nous ont été délivrées sur ce sujet devraient particulièrement intéresser nos collègues Catherine Génisson et Alain Milon qui travaillent actuellement sur la répartition des compétences entre professionnels de santé.
Les IPS-PL sont des infirmières qui possèdent une expérience clinique dans un domaine spécifique (soins de première ligne, urgence, chirurgie, obstétrique, etc.) et qui ont validé une formation avancée de deuxième cycle en sciences infirmières et médicales leur permettant de prescrire des tests diagnostiques et des traitements, ainsi que d'effectuer certaines interventions invasives. Elles exercent exclusivement en ambulatoire, le plus souvent dans les CSSS et les GMF. Leur activité consiste principalement en la gestion de problèmes de santé courants, le suivi de maladies chroniques et de grossesses, la diffusion d'informations de prévention. Bien qu'autonomes, elles travaillent en étroite collaboration avec les médecins omnipraticiens et s'en remettent à eux lorsqu'une situation clinique dépasse leur compétence.
Trois précisions d'importance : ces infirmières assument l'entière responsabilité de la prise en charge et du suivi de leurs patients ; elles sont seules responsables des fautes qu'elles pourraient commettre ; le diagnostic clinique demeure la compétence exclusive des médecins mêmes si les IPS-PL y contribuent.
Aussi, il nous a semblé que de cette profession, qui se situe à mi-chemin entre le métier d'infirmière « classique » et celui de médecin généraliste, pouvait, dans un cadre très réglementé comme celui mis en place au Québec, favoriser le travail partenarial entre professionnels de santé et rompre avec la logique de cloisonnement ; permettre aux médecins de se concentrer sur les situations cliniques plus complexes ; améliorer in fine la qualité des soins.
La consolidation des services de première ligne s'est également traduite par la volonté d'offrir à toute la population un accès téléphonique rapide à une consultation en matière de santé et de services sociaux par des professionnels 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Mis en place progressivement, le service Info-Santé et Info Social, qui ne se substitue pas aux autres services existants mais vient en complémentarité de ceux-ci, répond à plusieurs objectifs : prévenir la détérioration de la situation sanitaire ou psychosociale des personnes ; détecter les situations à risque ; conseiller l'usager dans le choix des actions à entreprendre concernant sa situation sanitaire ou sociale ; favoriser le maintien de l'usager dans son milieu de vie ; contribuer à diminuer le recours aux urgences hospitalières ; assurer une plus grande harmonisation dans le type de réponse ou de service offert ; participer aux interventions de sécurité civile en cas de crise sanitaire.
Concrètement, un numéro unique gratuit a été créé à l'échelle de tout le pays : le 8-1-1. Lorsqu'un usager appelle, il choisit soit de composer le 1 pour une question d'ordre sanitaire, soit le 2 pour une question d'ordre social. Il est alors mis en relation avec un professionnel formé à cet effet : une infirmière dans le premier cas, un travailleur social dans le second. L'usager peut choisir de garder l'anonymat.
L'intervention du professionnel comprend différentes étapes : évaluation du besoin, appréciation de l'urgence ou non de la situation, communication d'informations et de conseils, orientation vers le service ou la ressource la plus appropriée, etc.
Actuellement, l'ensemble de la population québécoise est desservi par Info-Santé et plus de la moitié a accès à Info-Social, l'objectif étant de couvrir 100 % de la population d'ici 2015. Il n'existe pratiquement pas de délai d'attente ; lorsqu'une plate-forme téléphonique est saturée, l'appel est automatiquement transféré vers une autre.
Ce dispositif, qui nous a été présenté par l'équipe du CSSS de la région du Saguenay Lac Saint-Jean, a retenu notre attention pour trois raisons : il contribue fortement à la dynamique interprofessionnelle et à l'approche intégrative du système de santé et des services sociaux ; il améliore indéniablement le service rendu aux usagers, en particulier aux plus vulnérables d'entre eux ; il permet de désengorger les urgences hospitalières.
Nous abordons maintenant le deuxième thème de notre mission : la politique de prévention du suicide.
Après avoir connu une hausse significative au cours des années 1990, le taux de mortalité par suicide au Québec tend à diminuer depuis le début des années 2000 : il est ainsi passé de 22,2 décès par suicide pour 100 000 habitants en 1999 à 13,7 en 2010. Alors que pendant des années le Québec affichait le taux de mortalité par suicide le plus élevé parmi les provinces canadiennes, il figure désormais à la quatrième place. Par comparaison, le taux de mortalité par suicide en France sur la même période n'a pratiquement pas bougé : de 15 décès par suicide pour 100 000 habitants en 1999, il est désormais de 14,7.
Le taux de mortalité par suicide au Québec, tout comme en France, demeure toutefois l'un des plus élevés des pays de l'OCDE. Chaque jour, en moyenne, trois personnes s'enlèvent la vie à travers la province.
L'identification du suicide comme problème de santé publique s'est opérée dans les années 1990 sous l'impulsion notamment des organismes communautaires. Le constat qui est posé est alors le suivant : il est inacceptable que dans une société développée comme le Québec une cause de décès évitable continue de provoquer des drames humains par milliers.
Conscients qu'une réduction significative du nombre de suicides est possible, nécessaire et urgente, les pouvoirs publics ont alors impulsé une véritable dynamique en faveur de la prévention du suicide :
- le programme national de santé publique 2003-2012 définit clairement la diminution du nombre de tentatives de suicide et du nombre de suicides comme un objectif à l'horizon 2012 ;
- le plan d'action en santé mentale 2005-2010 pose la prévention du suicide comme un domaine d'action prioritaire ;
- des guides de bonnes pratiques en prévention du suicide à l'intention des gestionnaires des CSSS et des acteurs de terrain ont été créés à l'initiative du ministère de la santé et des services sociaux.
Cinq principaux champs d'action ont été identifiés.
Le premier est le suivi du phénomène du suicide et l'effort de recherche. Afin de définir les priorités d'action et permettre une affectation optimale des ressources, il est en effet essentiel de disposer de données épidémiologiques, cliniques et sociologiques sur le suicide.
Dans ce but, le ministère de la santé et des services sociaux et le bureau du coroner ont lancé un projet visant au développement d'une banque de données nationale sur le suicide. L'exploitation de ces données permettra de suivre l'évolution dans le temps et dans l'espace des principaux déterminants du suicide et de mieux cibler les actions de prévention.
En France, une même démarche est en cours puisque la ministre de la santé, Marisol Touraine, a récemment annoncé sa volonté de créer un observatoire national du suicide répondant ainsi aux voeux du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Notre commission s'est également saisie de cette question en organisant le 26 juin une table ronde sur ce sujet.
Au Québec, des efforts significatifs ont également été entrepris en direction de la recherche et de l'enseignement universitaire. L'un des plus importants centres de recherche sur le suicide se trouve à l'Université du Québec à Montréal ; il s'agit du centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (Crise), dont nous avons rencontré plusieurs membres. Les programmes de recherche, qui y sont développés, ont la particularité d'être systématiquement menés en lien avec les acteurs de terrain.
Le deuxième champ d'action est le développement d'une gamme de services adaptés aux besoins des personnes suicidaires.
Dans le cadre de son plan d'action en santé mentale 2005-2010, le Québec a mis en place un ensemble de services destinés aux personnes suicidaires :
- un service d'intervention téléphonique accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : la ligne 1 866 APPELLE, disponible sur l'ensemble du territoire depuis 2001, permet aux personnes suicidaires et à leurs proches de joindre, à tout moment et sous couvert d'anonymat, le centre d'écoute téléphonique le plus proche.
Les intervenants sociaux, qui répondent aux appels, sont soit des professionnels (travailleurs sociaux, psychologues), soit des bénévoles formés. Ils travaillent en étroite collaboration avec l'ensemble des acteurs du réseau local afin de pouvoir orienter la personne vers le service le plus approprié. Les intervenants pratiquent également la « relance téléphonique » auprès des personnes les plus vulnérables afin de suivre l'évolution de leur état de santé.
Ayant rencontré les équipes de deux centres d'intervention téléphonique, l'un basé à Québec (le centre de prévention du suicide de Québec), l'autre à Montréal (Suicide action Montréal), nous avons pu constater que cette ligne d'intervention téléphonique était l'une des grandes forces de la politique de prévention du suicide québécoise. Sur l'année 2011, le nombre d'appels était en moyenne de l'ordre de 3 600 par mois ; ce chiffre augmente d'année en année.
Ce service connaît toutefois certaines difficultés : actuellement, une personne sur cinq ne reçoit pas de réponse après avoir composé le numéro unique et d'importantes disparités territoriales existent dans la capacité de répondre aux appels ;
- des services d'intervention en période de crise suicidaire : entretiens dits « en face à face » lorsque la situation ne peut être résolue par téléphone, mise en place d'équipes mobiles se déplaçant au domicile des personnes, création de places d'hébergement de crise (hospitalisation, hébergement temporaire en résidence thérapeutique) ;
- des actions d'intervention auprès des personnes ayant commis une tentative de suicide : cette démarche, désignée sous le terme de « postvention », se développe beaucoup au Québec. Elle consiste à assurer un suivi étroit de la personne une fois la crise suicidaire passée ; certains réseaux locaux de services ont, par exemple, créé des postes d'agent de liaison pour permettre les retours d'information sur l'évolution de l'état de santé du patient. La « postvention » s'adresse également aux proches endeuillés afin d'éviter tout risque de « contagion » du phénomène suicidaire.
Toutes ces actions sont le fruit d'un travail partenarial entre un grand nombre d'intervenants :
- les CSSS, qui sont chargés de planifier l'offre de services aux personnes suicidaires sur leur territoire ;
- les centres de prévention du suicide, qui jouent un rôle d'écoute, d'orientation et de suivi de la personne suicidaire ;
- les centres de crise qui, outre ces mêmes missions, offrent un service d'hébergement de crise alternatif à l'hospitalisation ;
- les médecins de famille et les centres hospitaliers ;
- les réseaux de sentinelles.
Le troisième champ d'action est la constitution de réseaux de sentinelles. L'une des particularités du Québec en matière de prévention du suicide est d'avoir implanté, depuis 1998, ces réseaux, initialement dans les milieux de travail puis progressivement dans différents secteurs de la société (établissements scolaires, administrations...).
Les sentinelles sont des citoyens volontaires formés pour jouer le rôle d'intermédiaire entre la personne suicidaire et les services qui peuvent intervenir auprès d'elle. Sans être des professionnels de la santé et des services sociaux, ces personnes sont aptes à reconnaître les signes avant-coureurs chez une personne vulnérable au suicide, à identifier le degré d'urgence de la situation, à renseigner la personne suicidaire sur les services du réseau susceptibles de l'aider, à l'inviter à les utiliser.
De l'avis de tous les interlocuteurs rencontrés, ce dispositif original s'avère, là où il est implanté, précieux et efficace : il favorise l'accès des personnes suicidaires aux services de santé et de services sociaux et permet d'entrer en contact avec les personnes isolées, difficiles à atteindre autrement.
On dénombre actuellement plus de 2 800 sentinelles sur le territoire québécois, dont 38 % sont implantées dans les milieux liés à la jeunesse. Dans la mesure où « seuls » 68 % du territoire sont couverts par des réseaux de sentinelles, la poursuite de leur déploiement fait partie des priorités ministérielles.
Le quatrième champ d'action est la formation des intervenants. Constatant au début des années 2000 d'importantes lacunes dans la formation des professionnels intervenant dans le domaine du suicide, le ministère de la santé et des services sociaux a mis en oeuvre un vaste programme national visant à favoriser l'implantation de bonnes pratiques :
- une formation de trois jours a été créée pour familiariser les intervenants au nouvel outil commun d'évaluation de l'urgence suicidaire, intitulée « Grille d'estimation de la dangerosité d'un passage à l'acte suicidaire ». Nous avons pu nous même remarquer que cette grille, particulièrement bien faite, était très utilisée par les intervenants des centres d'intervention téléphonique ;
- des journées-ateliers pour les gestionnaires des CSSS, orientées vers l'élaboration de plans d'action en faveur de la prévention du suicide ;
- la diffusion des deux guides de bonnes pratiques respectivement destinés aux intervenants et aux gestionnaires de CSSS.
Enfin, le dernier champ d'action est le lancement de campagnes de sensibilisation et de mobilisation. Prenant exemple sur ce qui s'est fait il y a une vingtaine d'années en matière de prévention des accidents de la route, le Québec a décidé d'agir activement en amont de l'émergence des idées suicidaires par l'éducation, la sensibilisation et la mobilisation sociale en diffusant le message que le suicide n'est pas une fatalité.
Les campagnes de sensibilisation, comme la Semaine nationale de prévention du suicide qui se tient chaque année depuis 1991, poursuivent deux objectifs : faire évoluer la représentation sociale du suicide - « contrer la tolérance sociale à l'égard du suicide » selon l'expression utilisée - et communiquer à une très large échelle sur l'existence des outils d'aide, telles que le numéro de la ligne d'intervention 1 866 APPELLE.
La très active association québécoise de prévention du suicide, dont nous avons rencontré le directeur à Québec, fait ainsi de l'évolution des mentalités à l'égard du suicide son cheval de bataille. Elle est notamment à l'origine de la campagne « Le suicide n'est pas une option ».
Après ce tour d'horizon de nos deux thématiques, je souhaite vous suggérer, chers collègues, quelques propositions sur lesquelles la mission invite à la réflexion.
S'agissant de l'organisation des soins de premier recours :
- nous pensons que la France gagnerait à s'inspirer du système québécois en matière de travail en réseau et de décloisonnement entre les filières sanitaire, sociale et médico-sociale : ces deux caractéristiques permettent une fluidité des parcours de soins qui, chez nous, est encore très balbutiante ;
- nous avons également été frappés par le souci constant d'offrir des services de santé et des services sociaux qui soient bien adaptés aux réalités des territoires ; les acteurs de terrain disposent d'une vraie souplesse dans la mise en oeuvre des stratégies ministérielles et font preuve d'un grand pragmatisme ; deux qualités qui, reconnaissons-le, nous font souvent défaut ;
- nous nous interrogeons, par ailleurs, sur la possibilité d'introduire en France un service d'intervention téléphonique sur le modèle d'Info-Santé et d'Info-Social ; un tel dispositif présenterait un certain nombre d'avantages (meilleure orientation des patients, désengorgement des urgences, rôle de vigie sanitaire...) mais se heurterait inévitablement à un problème à la fois financier et culturel ;
- sur la question plus spécifique de la répartition des compétences entre professionnels de santé, nous invitons nos collègues du groupe de travail à étudier de plus près le dispositif québécois des super-infirmières.
En ce qui concerne la prévention de suicide :
- nous ne pouvons tout d'abord que soutenir la création d'un observatoire national du suicide. Ce nouvel instrument permettra de centraliser l'ensemble des données actuellement disponibles et ainsi de mieux cibler les actions de prévention ;
- il conviendrait ensuite de renforcer très nettement le volet formation des professionnels des secteurs sanitaire, social et médico-social. A ce titre, la grille d'analyse et les guides de bonnes pratiques développés par le Québec nous paraissent être des pistes particulièrement intéressantes ;
- nous pourrions également réfléchir aux moyens de transposer, en France, les réseaux de sentinelles qui participent d'une approche renouvelée des dispositifs de prévention en santé publique ;
- enfin, il nous semble indispensable de déclencher une véritable prise de conscience collective afin que le suicide devienne l'affaire de tous. La délivrance du label Grande cause nationale 2014 à la prévention du suicide pourrait être une première étape.
Je veux, pour finir, souligner l'accueil très chaleureux qui nous a été réservé par nos hôtes québécois ainsi que la parfaite information qu'ils ont su nous procurer. Je crois ne pas trahir le sentiment des autres membres de la délégation en disant tout le plaisir que nous avons eu à participer à cette mission organisée grâce au concours très actif de nos consulats généraux de Québec et de Montréal.
Vous nous avez interpellés, Catherine Génisson et moi-même, sur la délégation de tâches entre professionnels de santé. Le dispositif des « super-infirmières » que vous décrivez ne me paraît pas très différent de ce qui existe en France avec les infirmières spécialisées. Nous travaillons actuellement, dans le cadre de la préparation de notre rapport d'information, sur le fait de savoir si la délégation de tâches est seulement liée à la pénurie de médecins dans certains secteurs ou si elle ne répond pas aussi à la nécessité de professionnaliser certains métiers de la santé. Nous nous orientons vraisemblablement vers cette deuxième option.
Sur le suicide, reconnaissons que la politique de prévention menée en France n'est pas si mauvaise. Nous pourrions, en revanche, davantage axer nos efforts sur la « postvention », à l'image de ce que fait le Québec.
S'agissant des dépassements d'honoraires, il faudrait, pour que la comparaison entre le Québec et la France soit pertinente, savoir à combien s'élève le salaire des médecins québécois. On sait très bien qu'en France, la pratique des dépassements d'honoraires est liée à l'insuffisante revalorisation des actes opposables.
Je rappelle, par ailleurs, que des services téléphoniques existent aussi en France, comme le 15 en cas d'urgence médicale.
Depuis la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », la coopération entre les secteurs sanitaire et médico-social se développe, par exemple dans le cadre des communautés hospitalières de territoire (CHT). En outre, nos maisons de santé me semblent assez proches des CSSS québécois.
Il est toujours intéressant d'étudier ce qui se fait à l'étranger mais il ne faut pas oublier que, dans le cas du Canada, l'échelle géographique n'est pas la même ! Ce qui se pratique là-bas n'est pas forcément transposable à la France.
L'ambassadeur de France au Canada, que j'ai récemment rencontré à l'occasion d'un colloque, m'a expliqué que la problématique des déserts médicaux ne se posait pas dans les mêmes termes que chez nous car les médecins canadiens ne choisissent pas leur lieu d'exercice. Est-ce la même règle au Québec ?
Y avez-vous rencontré des médecins et des infirmières français qui connaissent des problèmes liés à la reconnaissance de leurs diplômes et à leur liberté d'installation ?
Vous insistez sur l'approche intégrée du système de santé québécois. C'est, je crois, une différence majeure avec la France, où il existe une véritable séparation entre la dimension sanitaire et la dimension médico-sociale. Qui plus est, les interlocuteurs ne sont pas les mêmes. Certes, avec la création des ARS, nous gagnons en transversalité, mais beaucoup reste encore à faire.
Par ailleurs, je crois qu'il est important, pour la survie de notre système de soins, d'avancer sur le dossier de la répartition des tâches entre professionnels de santé.
Nous avons été particulièrement frappés par la place accordée à la dimension humaine des problématiques de santé. D'ailleurs, le bénévolat y est beaucoup plus développé qu'en France.
Il faut reconnaître que la démarche mise en oeuvre en matière de prévention du suicide est assez intrusive ; la prise en charge va parfois très loin dans l'intimité des personnes, ce que nous n'accepterions peut-être pas en France.
En matière de recherche, tous les programmes font l'objet d'une évaluation, ce qui n'est pas toujours le cas ici.
La collaboration entre le médico-social et le sanitaire est effectivement très poussée ; il n'existe pas de culture du secret comme chez nous.
Les « super-infirmières » ne correspondent pas vraiment à nos infirmières spécialisées car elles ont une compétence générale. Leur champ d'intervention est toutefois très précisément défini. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une délégation de tâches puisqu'elles sont entièrement responsables de leurs actes.
Dernier point : du fait de l'étendue et de la diversité de leur territoire, les Québécois font preuve d'une grande capacité d'adaptation et de souplesse dans la mise en oeuvre des dispositifs.
Il est vrai que leur politique de prévention du suicide peut paraître intrusive. Preuve en est la procédure dite « P-38 » qui permet aux forces de police d'interpeller et de placer en établissement toute personne dont l'état de santé mentale présente un danger pour elle-même ou pour autrui. Se pose alors la question des libertés individuelles...
En France, il existe certes des services téléphoniques comme le 15, mais ceux-ci ne s'adressent pas spécifiquement aux personnes suicidaires. L'avantage du système québécois est de permettre à ces personnes de s'adresser directement à un interlocuteur formé.
De manière générale, il y a eu au Québec une véritable prise de conscience collective par rapport au suicide : on parle d'ailleurs de « personnes qui se sont ôté la vie ». Cette expression reflète bien l'état d'esprit qui y règne : le suicide n'est pas une fatalité, on peut l'empêcher.
S'agissant des CSSS, dont la création est assez récente, je crois que la comparaison avec les maisons de santé n'est pas pertinente : la maison de santé est un regroupement de professionnels de santé, alors que le CSSS est une structure de pilotage de l'offre de services de santé et de services sociaux sur un territoire donné.
Nous devrions, me semble-t-il, nous inspirer de cette approche globale qui envisage la personne comme un tout et non pas comme une somme de parties.
Le territoire du Québec est effectivement très vaste et hétérogène mais, même dans les régions isolées, une réponse existe. Il est justement du ressort des CSSS d'adapter l'offre de soins aux spécificités locales. Ainsi, l'un des CSSS que nous avons visités à Montréal n'est pas confronté au même public que celui du Saguenay Lac Saint-Jean.
Je voudrais apporter un témoignage car je me suis rendue au Québec, quelques jours avant la délégation de la commission, dans le cadre des Assises franco-québécoises. Ayant visité un CSSS dans la région rurale des Chaudière-Appalaches, j'ai pu mesurer combien cette coopération entre le sanitaire et le médico-social était développée. J'ai aussi été frappée par l'implication des citoyens sur tous les sujets de société et par l'importance du bénévolat.
Les territoires ruraux ne sont pas exclus de cette dynamique, bien au contraire. Cette approche intégrative irrigue l'ensemble du territoire. Le recours à la télémédecine, sujet d'actualité chez nous, y est également très développé.
Dans mon département du Pas-de-Calais, une maison de santé pluridisciplinaire a été créée. C'est bien la preuve que la démarche partenariale entre professionnels existe aussi ici !
Je pense que les maisons de santé se rapprochent davantage des GMF québécois que des CSSS.
Pour répondre à Alain Milon, nous n'avons pas spécifiquement étudié la question de la rémunération des médecins québécois. Toutefois, l'un de nos interlocuteurs a parlé d'un revenu mensuel équivalent à 6 000 euros pour un médecin généraliste.
Je voudrais revenir sur deux enseignements : premièrement, la dimension « service public » du système de santé et de services sociaux québécois ; il s'agit du premier poste budgétaire de la province, ce qui n'a jamais été remis en cause ; deuxièmement, le social et la santé sont imbriqués l'un dans l'autre, ce qui constitue une grande force.
Comme la présidente, je crois que les maisons de santé se rapprochent plus des GMF que des CSSS.
Je précise que la maison de santé en question a noué un partenariat avec un hôpital public.
Au Québec aussi, les coopérations avec les hôpitaux publics sont très développées.
J'insiste en outre sur le fait que priorité a été donnée aux services de première ligne afin de répondre plus rapidement possible aux demandes de la population.
Et ceci pour éviter l'engorgement des services de deuxième et de troisième lignes.
Je suis en revanche d'accord avec mes collègues pour dire que la politique de prévention du suicide présente un risque d'intrusion dans la vie privée des personnes.
Pour ma part, je n'ai qu'un seul regret ; ne pas avoir eu le temps de rencontrer des usagers de ces services de santé et services sociaux.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Nous recevons M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, afin qu'il nous présente, comme chaque année, le rapport de certification des comptes du régime général pour 2012 qui a été rendu public le 1er juillet dernier. L'an passé, la Cour avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche famille et de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), ainsi que ceux de la branche accidents du travail et maladies professionnelle (AT-MP).
Pour 2012, les comptes de la branche famille et de la Cnaf sont certifiés avec réserves. Sur les branches maladie et vieillesse, et sur les activités de recouvrement, le nombre de réserves a légèrement diminué. En revanche, on constate toujours des difficultés sur la branche AT-MP, puisque la Cour se déclare dans l'impossibilité de formuler une opinion sur les comptes 2012, après qu'elle eut refusé de certifier les comptes 2010 et 2011.
Le contenu du rapport est particulièrement technique, mais il est bien entendu important pour notre commission de connaître la nature des problèmes soulevés par la Cour, dans la mesure où ils peuvent refléter une mauvaise application des règles régissant la gestion des prestations et du financement de la sécurité sociale, au préjudice des assurés ou de la collectivité.
Le rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale pour l'exercice 2012 vous a été remis en application de la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale.
Il a été préparé par la 6e chambre de la Cour, que préside Antoine Durrleman. Les travaux sur lesquels il s'appuie ont été animés par Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général, auxquels a contribué Mme Marie-Laure Berbach, conseillère référendaire.
Ce rapport, le septième que présente la Cour, s'adresse avant tout au Parlement, mais également au Gouvernement, aux conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale et aux organismes de base qu'elles regroupent, ainsi qu'à l'ensemble des citoyens. Il vise à apporter une assurance raisonnable sur la régularité, l'image fidèle et la sincérité de neuf états financiers distincts : les comptes combinés de chacune des quatre branches de prestations (maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille, vieillesse) et ceux de l'activité de recouvrement ; les comptes annuels des quatre organismes nationaux du régime général - la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), la Cnaf, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav) et l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
Les comptes des autres régimes et organismes nationaux de sécurité sociale sont audités par des commissaires aux comptes, avec lesquels la Cour entretient d'étroites relations de travail, dans le cadre prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.
Les seuls comptes du régime général pour 2012 retracent 483,1 milliards d'euros de produits, incluant les ressources du régime général, mais également des ressources affectées à d'autres attributaires, comme les cotisations d'assurance chômage recouvrées pour le compte de l'Unedic, et 403,3 milliards d'euros de charges, comportant certaines prestations financées par des tiers, comme le revenu de solidarité active versé pour le compte de l'Etat et des collectivités territoriales. Les produits et charges audités par la Cour représentent respectivement 23,8 % et 19,8 % de la richesse nationale.
La certification des comptes du régime général apporte une contribution majeure à la qualité et à la transparence des comptes publics de notre pays, dont ils sont une composante essentielle. Au-delà, elle constitue aussi un puissant levier de modernisation de la gestion des organismes de sécurité sociale. La meilleure fiabilité des procédures, la correcte application des décisions du législateur et de l'autorité règlementaire, le développement du contrôle interne sont des vecteurs d'efficience accrue, comme la Cour le constate année après année. Les progrès qu'elle relève dans la maîtrise des risques d'anomalies et d'erreurs de portée financière et dans la lutte contre les fraudes sont porteurs d'économies considérables dans les dépenses. Ils contribuent à améliorer la qualité du service rendu aux assurés sociaux, qui sont les premiers à supporter les conséquences d'erreurs de liquidation, qu'elles soient à leur détriment ou à leur avantage, le rappel des indus, s'ils sont détectés, étant source de difficultés.
Les comptes du régime général de sécurité sociale pour 2012 font apparaître un déficit de 13,3 milliards d'euros (contre 17,4 milliards d'euros en 2011).
Comme les années précédentes, il n'intègre pas la quote-part du déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) correspondant à ses prises en charge de cotisations et de prestations en faveur de la branche vieillesse. Cela conduit à minorer le déficit de cette branche, à hauteur de 3,9 milliards d'euros en 2012.
Selon les travaux de la Cour, le déficit total cumulé du régime général et du FSV, arrêté à 17,45 milliards d'euros, exactement égal à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, est sous-estimé à hauteur de 300 millions d'euros. Cette minoration résulte de deux désaccords avec les producteurs de comptes : l'un porte sur une sous-évaluation des provisions pour remboursement de soins délivrés à l'étranger ; l'autre sur une surévaluation des produits à recevoir au titre du forfait social.
Le régime général réalise chaque année des centaines de millions d'opérations. Compte tenu de cette énorme masse, la Cour cherche tout particulièrement à apprécier dans quelle mesure les systèmes d'information et les dispositifs de contrôle interne, par leur conception et leur mise en oeuvre, permettent de maîtriser les risques d'anomalies ayant une incidence sur les comptes.
Progressivement, en raison des travaux d'audit conduits dans le cadre de la certification depuis sept ans, les organismes de sécurité sociale ont pris conscience de la nécessité de mieux maîtriser les risques financiers liés à leurs activités et d'améliorer la qualité de leurs comptes. Ce sont de lourds chantiers, qui impliquent des refontes des systèmes informatiques et des réorganisations profondes. La Cour accompagne ces efforts en suivant, chaque année, les résultats des actions entreprises pour améliorer la qualité des comptes.
Dans le cadre de l'audit des comptes 2012, la Cour a observé de réels progrès dans certains domaines. Ils sont d'autant plus à souligner que les organismes de sécurité sociale ont dû faire face à un contexte règlementaire en constante et rapide évolution et que l'activité de recouvrement a poursuivi dans le même temps la restructuration de son réseau. Le nombre de réserves ou d'éléments motivant une impossibilité de certifier est passé de quarante-deux en 2011 à trente-sept en 2012. La tendance au ralentissement de l'amélioration continue de la qualité des comptes du régime général, dont je m'étais inquiété l'année dernière, s'est donc inversée.
Les progrès sont inégaux selon les branches et les secteurs. De nombreux travaux destinés à fiabiliser les comptes, à sécuriser les procédures et à mieux maîtriser les erreurs et anomalies de portée financière tardent encore à être engagés ou à produire leurs effets. La Cour a même constaté que certaines difficultés qu'elle avait déjà relevées se sont aggravées.
Les opinions de la Cour pour l'exercice 2012 sont l'expression de cette situation contrastée. Leurs motivations détaillées mettent en évidence des insuffisances encore marquées des dispositifs de contrôle interne et des désaccords significatifs sur les comptes.
Mais ses travaux lui ont permis cette année de revenir sur les deux refus de certification qu'elle avait prononcés l'an dernier. Ces deux changements de position traduisent une implication accrue des producteurs de comptes et de leur administration de tutelle.
Alors que la Cour avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche famille, elle certifie ceux de 2012 avec des réserves. Alors qu'elle avait refusé de certifier les comptes 2011 de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, elle constate cette année qu'elle est dans l'impossibilité d'exprimer une opinion, ce qui par rapport à 2011 traduit un progrès, certes insuffisant.
Comme en 2011, la Cour certifie avec réserve les comptes combinés de la branche maladie pour l'exercice 2012. La réduction très sensible des anomalies qui affectaient les enregistrements comptables des prises en charge de cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux a permis de lever une réserve. Leur nombre passe de cinq à quatre.
Toutefois, la tendance générale est celle d'une aggravation des constats de la Cour. Ainsi, les prestations en nature - c'est-à-dire, principalement, les remboursements de soins de ville et en clinique et les séjours dans les établissements médico-sociaux au prix de journée - comme les prestations en espèces - indemnités journalières et pensions d'invalidité - sont affectées par de fréquentes erreurs de liquidation. Leur incidence financière est vraisemblablement sous-estimée. En outre, la branche ne vérifie que de manière très ponctuelle si les règlements qu'elle effectue sont conformes aux ordonnances et aux accords préalables.
La Cour a également constaté un défaut de fiabilité des données prises en compte pour procéder à la répartition entre les différents régimes d'assurance maladie des règlements aux établissements hospitaliers au titre de la tarification à l'activité - la T2A. Le régime général supporte un excès de charges par rapport à d'autres régimes.
Enfin, les modalités d'évaluation de certaines estimations comptables - provisions pour risques et charges et produits à recevoir -, constituent des motifs de désaccord entre la Cour et le producteur des comptes. La sous-évaluation des provisions relatives aux remboursements de soins délivrés à l'étranger et la surévaluation des produits à recevoir au titre du forfait social sont à l'origine d'une amélioration injustifiée de 224 millions d'euros du résultat 2012 de la branche maladie.
J'en viens aux comptes de la branche AT-MP. En 2011, le défaut de provisionnement des conséquences financières très lourdes des contentieux intentés par les employeurs qui ne sont pas réglés à la clôture des comptes avait conduit la Cour à refuser de certifier ses comptes.
En 2012, pour la première fois et au prix de travaux importants, la branche a comptabilisé une provision au titre de ces contentieux, pour un montant de 667 millions d'euros au 31 décembre 2012. C'est, je le répète, un réel progrès. Cependant, malgré des diligences approfondies, la Cour n'a pas été en mesure de recueillir les éléments probants, qui lui auraient permis d'écarter le risque que le montant de cette provision soit affecté par des erreurs majeures, susceptibles d'avoir bouleversé la physionomie des comptes, et tout particulièrement le résultat de la branche.
L'application des normes internationales d'audit a conduit la Cour à constater l'impossibilité d'exprimer une opinion sur les comptes 2012 de la branche AT-MP.
Par ailleurs, la Cour a relevé que les contributions de cette branche à la branche vieillesse qui ont pour objet de financer les départs anticipés en retraite au titre de la pénibilité du travail (145 millions d'euros au total pour 2011 et 2012) excèdent très largement les charges réellement supportées à ce titre par la Cnav, soit 24 millions d'euros pour ces deux années. Cependant, la branche AT-MP et la branche vieillesse ont comptabilisé des charges et des produits à hauteur de 145 millions d'euros, en anticipant des charges et des produits des exercices suivants.
Enfin, la Cour constate toujours des insuffisances marquées dans le contrôle interne de la détermination des taux de cotisation par les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) et le recouvrement de ces dernières par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf).
Pour la branche famille, la Cour avait refusé de certifier les comptes de l'exercice 2011, en raison de l'importance des anomalies et erreurs de portée financière qui affectaient les prestations versées et comptabilisées par la branche, qui était estimé à l,54 milliard d'euros en 2011.
Pour 2012, ce montant a été ramené, à méthode d'estimation constante, à 1,15 milliard soit un peu moins qu'en 2010, où la Cour avait certifié les comptes avec des réserves. Cette évolution favorable traduit l'incidence des dispositifs mis en oeuvre par la branche afin de fiabiliser les données relatives à la situation des allocataires.
Après avoir audité très précisément cette estimation, la Cour a décidé de certifier les comptes de la branche famille, sous toutefois quatre réserves, montrant que la Cnaf doit encore amplifier ses efforts.
Elle a constaté que le dispositif de contrôle interne mis en oeuvre demeure affecté par des insuffisances marquées, dans sa conception comme dans son pilotage. Les processus normalisés de gestion définis par la Cnaf ne couvrent encore qu'une partie des prestations liquidées par la branche et les processus diffusés sont pour partie inadaptés à la nature des tâches de gestion et aux risques. A la différence des autres branches, la qualité de la liquidation ne donne au demeurant pas lieu à des objectifs chiffrés et ne fait pas l'objet d'un suivi effectif. Alors que les contrôles des agences comptables ne couvrent qu'une part réduite des opérations, les services ordonnateurs ne mettent pas en oeuvre de supervisions.
D'autres faiblesses concernent la justification des comptes, le contrôle interne des prestations d'action sociale, le système d'information ou encore la gestion des prestations familiales déléguées à des tiers, par le régime agricole, les entreprises publiques ou les collectivités publiques des départements d'outre-mer. Une partie de ces collectivités ne déclarent pas ou ne règlent pas les cotisations familiales assises sur les rémunérations de leurs agents.
S'agissant de la branche vieillesse, la Cour a reconduit en 2012 sa position de 2011, en certifiant les comptes avec six réserves.
L'intensité de ces réserves évolue en 2012, mais elles portent sur des thèmes quasi identiques à ceux des réserves exprimées sur les comptes de l'exercice précédent. Si la branche n'est pas restée inactive, et a poursuivi ou engagé des chantiers importants, le rythme de la mise en oeuvre d'évolutions préconisées de longue date par la Cour est trop lent. C'est le cas des contrôles visant à assurer la cohérence des données notifiées par les organismes sociaux ou déclarées par les employeurs.
Sur la gestion des données de paiement des titulaires de prestations ou les relations financières entre la branche vieillesse et des organismes tiers, de nouveaux risques ou motifs de désaccord ont été identifiés en 2012. Certains constats se sont aggravés et nécessitent une action déterminée de la branche pour remédier à cette situation dès 2013. C'est le cas pour les erreurs qui affectent les pensions nouvellement attribuées : en 2012, 9,1 % de celles-ci sont affectées par une erreur de portée financière, contre 7,5 % en 2011. L'impact de ces erreurs s'élève à 0,84 % du montant total des droits liquidés et comptabilisés, soit nettement plus que le niveau fixé dans la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la branche vieillesse. La situation est particulièrement préoccupante dans quatre organismes de la branche.
J'en termine maintenant par l'activité de recouvrement. La Cour a également reconduit sa position, en certifiant les comptes de l'exercice 2012 avec six réserves, contre huit en 2011.
Des améliorations notables ont permis la levée de certaines réserves. La justification des comptes progresse. Mais la méthode de dépréciation des créances sur les cotisants est inadaptée ; le traitement comptable des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants et des impôts et taxes recouvrés par l'Etat n'est pas conforme au principe de la tenue des comptes des organismes de sécurité sociale en droits constatés ; le contrôle interne des prélèvements sociaux dont sont redevables les employeurs de salariés et les organismes qui versent des revenus de remplacement est faible ; malgré des progrès, des dysfonctionnements des comptes cotisants des artisans et des commerçants relevant du dispositif dit de « l'interlocuteur social unique » perdurent.
L'ensemble des branches omettent de mentionner dans leurs annexes aux comptes leurs engagements pluriannuels à l'égard des titulaires de prestations ou de leurs ayants droit au 31 décembre de l'exercice 2012. Les montants qui devront être versés dans le futur aux titulaires de pensions de retraite, d'invalidité, de rentes d'accidents du travail et de maladies professionnelles et de certaines prestations versées par la branche famille, telles que les aides au logement, pour celles qu'elle finance en totalité ou en partie, ou l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, ne sont pas évalués, ni retracés dans leurs états financiers. Une information de cette nature figure pourtant dans l'annexe au compte général de l'Etat pour ce qui concerne les pensions civiles et militaires, les aides au logement et l'allocation aux adultes handicapés. Les états financiers du régime général omettent par conséquent des informations essentielles pour l'appréciation des passifs de ce régime, de la situation des finances publiques et de la soutenabilité des politiques publiques.
Même si des progrès concourent à une plus grande fiabilité des comptes du régime général, ce dont je me réjouis, les chantiers en cours ne manquent pas.
Si l'objectif - partagé avec l'ensemble des organismes du régime général et leurs autorités de tutelle - d'une certification sans réserve ne sera pas atteint avant plusieurs années, la responsabilité de la Cour est plus que jamais de susciter les progrès nécessaires, par la voie de constats objectifs et précis, et de les accompagner en en suivant la réalisation et en levant des réserves, dans le cadre de trajectoires de progrès.
Vous connaissez la phrase de Pierre Mendès-France : « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s'abandonnent ». En contribuant à « mettre de l'ordre » dans les comptes, la mission de certification que le législateur a confiée à la Cour remplit une fonction, majeure, parce qu'elle contribue directement à la transparence des comptes et à la modernisation de la gestion des administrations publiques, conditions indispensables à la maîtrise des finances publiques.
Comment la Cour explique-t-elle la diminution des erreurs et anomalies de portée financière dans la branche famille ? Les efforts demandés à la Cnaf les années précédentes ont-ils été suffisants ? Cette année encore, vous avez constaté de nombreuses faiblesses du contrôle interne. Les procédures mises en place par les CAF pour réaliser des contrôles ciblés ont-elles été suivies d'effets ? Quelle est votre analyse ?
Pour la troisième année consécutive, vous vous déclarez dans l'incapacité de certifier les comptes de la branche AT-MP. L'an dernier, vous mettiez l'accent sur les contentieux non provisionnés. Cette année, des provisions de 667 millions d'euros ont été constituées, mais vous pointez le manque de données fiables. Quels types de données attendez-vous de la branche AT-MP ?
Je m'étonne comme vous de l'absence d'engagements pluriannuels. Il y a lieu de s'étonner aussi du niveau des reversements de la branche vieillesse : nous savons qu'une partie de ce montant ne sera pas consommée.
Pour la troisième année consécutive, la direction des risques professionnels affirme s'être engagée dans une coopération étroite avec les autres secteurs. Comment les contrôles sur le terrain des comptes de la branche sont-ils définis ?
Dans votre rapport public annuel, vous critiquez la faible efficacité de la politique de prévention : pouvez-vous préciser pourquoi ? Le coût du risque est-il pris en compte dans la réforme en cours depuis 2009 ? Quelles conséquences sur le tableau des maladies professionnelles ?
Je me substitue à M. Yves Daudigny, rapporteur général, qui a dû quitter notre réunion voici quelques instants. Il souhaitait rappeler que l'an dernier, le cadre national relatif aux contrôles des agences comptables avait été renforcé par la diminution des plafonds d'anomalies tolérées et la révision de la table nationale des motifs de signalement dans un sens plus contraignant. La Cour signale que ces préconisations n'ont pas été mises en oeuvre en 2012 dans toutes les Urssaf. Pour quelles raisons ? Cette hétérogénéité vous paraît-elle justifiée ? Sera-t-elle traitée en 2013 ? Par ailleurs, la Cour met en évidence les lacunes du contrôle interne des Urssaf portant sur les prélèvements sociaux (CSG et le CRDS) précomptés sur les revenus de remplacement. Elle prévoit néanmoins des évolutions importantes en ce domaine en 2013. Le cadre national de la gestion des prélèvements précomptés a-t-il été effectivement mis en place au cours des six premiers mois de l'année ? L'a-t-il été de manière homogène dans l'ensemble des organismes du réseau ?
Le montant des erreurs et anomalies de portée financière est apprécié à travers des tests dits de « re-liquidation », consistant à recalculer le montant des prestations servies huit mois après la liquidation, lorsque les contrôles ont produit la plupart de leurs effets. Nous vérifions la permanence des méthodes employées d'un exercice à l'autre et la correcte détermination des résultats des tests en fonction des règles nouvelles définies par la Cnaf. En 2012, comme en 2011 et en 2010, ils confirment l'usage d'une méthodologie nationale. La baisse significative des erreurs et anomalies de portée financière justifie le changement de position de la Cour. Elle s'explique par les efforts importants accomplis pour s'assurer de la fiabilité des données relatives à la situation des allocataires, mieux détecter les anomalies, intentionnelles ou non, maîtriser les risques liés à l'identification des allocataires pour éviter les doublons, échanger des informations avec la direction générale des finances publiques (DGFIP) et Pôle emploi, afin de contrôler les ressources et les allocations chômage. Ces efforts marquent des progrès. Mais ils ne sont pas suffisants. La Cnaf s'est concentrée sur la fiabilité des données transmises par les allocataires, sans prendre en compte suffisamment les erreurs internes liées au traitement de ces données par ses services. Son dispositif de contrôle interne est insuffisant, tant dans sa conception que dans son pilotage. La couverture des prestations est trop partielle. Pour les prestations couvertes, il est inadapté aux tâches de gestion du risque et manque d'objectifs chiffrés. Le nombre de contrôles est en recul par rapport à l'année précédente.
Au total, le montant accumulé des erreurs et anomalies de portée financière demeure très élevé (1,15 milliard d'euros). C'est pourquoi la nouvelle convention d'objectifs et de gestion 2013-2017 renforce les efforts de maîtrise des risques financiers, y compris ceux qui découlent des erreurs d'origine interne aux CAF. De profondes évolutions doivent encore intervenir. Le data mining ou profilage des données à contrôler a été mis en oeuvre en 2011 pour améliorer le contrôle sur pièces et sur place des données présentant les risques les plus élevés. Or les contrôles sur pièces et sur place ne constituent qu'une part limitée, en 2012, des actions de contrôle mis en oeuvre par les CAF. L'effort de data mining doit être relativisé. Il n'a produit en 2012 que 78 millions d'euros de rappels et d'indus sur un total de 234 millions d'euros d'indus et de rappels dus aux contrôles sur place et 22 millions d'euros pour les contrôles sur pièces, qui ont eu pour corollaire une diminution des contrôles des agences comptables sur les actes de liquidation des services ordonnateurs. Le rendement financier a donc baissé en valeur absolue. Fin 2012, la Cnaf a étendu la technique du data mining au contrôle de cohérence des ressources et des allocations chômage déclarées par les allocataires, que nous ne pourrons évaluer que dans notre rapport 2013.
Donc, des progrès ont été enregistrés, mais il reste des éléments à améliorer.
Quant à la branche AT-MP, nous n'avons pu certifier ses comptes pour 2012, mais notre position a évolué. Nous sommes passés d'un refus de certifier en 2010 à une impossibilité de certifier.
M. Antoine Durrleman, président de la 6e chambre de la Cour des comptes. - C'est un progrès. L'an dernier, nous avions un désaccord comptable majeur avec le producteur des comptes, c'est-à-dire le directeur général de la Cnam, responsable de la branche AT-MP, qui considérait qu'il n'y avait pas lieu de provisionner les risques liés à ces contentieux. Cette année, il a accompli un changement copernicien, en acceptant d'entrer dans la logique du provisionnement, ce qui marque un progrès tangible, réel et sérieux. Il n'est pas pour autant complètement satisfaisant, dans la mesure où nous ne sommes pas sûrs que ces provisions importantes soient bien calculées. Le processus de remontée d'informations depuis les caisses primaires d'assurance maladie (Cpam) n'est pas construit. Or, il y a plus de 50 000 contentieux. La Cnam en est bien consciente, qui met en place un système d'information spécifique, devant offrir une vision précise du mode de calcul des provisions en 2014.
Nous espérons que l'année prochaine ces progrès nous conduiront à certifier les comptes, même si nous devrons probablement exprimer des réserves.
M. Jean-Pierre Viola, conseiller-maître, rapporteur général de la 6e chambre de la Cour des comptes. - La gestion du contentieux est suivie sur un simple tableur qui retrace les seuls flux de gestion, sans mémorisation des données. Quand la Cnam a voulu rechercher celles du 31 décembre 2011, elles n'étaient pas disponibles. Elle s'est fondée sur les déclarations des Cpam, mais nos travaux ont fait apparaître beaucoup d'anomalies dans le calcul de ces données. De plus, la Cnam n'a pas fait intervenir l'audit interne pour fiabiliser les données et déterminer leur marge d'incertitude. Nous ne savons pas si elles sont sous-évaluées de 10 % ou surévaluées de 50 %. Faute de connaître cette marge d'erreur, nous ne pouvions certifier.
Vous heurtez-vous à des raisons techniques, liées aux programmes informatiques, ou à de la mauvaise volonté ?
Il n'y a aucune mauvaise volonté. Nous dialoguons beaucoup avec la direction des risques professionnels, pour surmonter ces difficultés de façon pragmatique, dans l'attente du déploiement d'une application nationale de gestion du contentieux. Historiquement, l'ensemble du régime général a pâti d'investissements informatiques insuffisants, voire inexistants. C'est le cas de la fonction contentieuse de la branche AT-MP, alors même que les contentieux sont financièrement significatifs...
Sur la prévention, vous proposez d'établir une liste de « points noirs », des entreprises affichant un taux important d'accidents du travail...
Nous avons travaillé avec la branche AT-MP sur la politique de prévention, dont l'outil principal est la tarification. La réforme récente tend à tarifer davantage au réel, en fonction des accidents constatés dans certains secteurs d'activité, afin d'encourager les entreprises concernées à fournir des efforts internes de prévention, avec les partenaires sociaux. Nous avons constaté que les autres actions menées par la branche pour développer des réseaux thématiques de prévention étaient très dispersés et que leurs priorités étaient mal objectivées. Il convient de se rapprocher, par la tarification, du coût du risque, en fonction des priorités souhaitées. La Carsat de Midi-Pyrénées a obtenu des résultats, en menant un travail de fond et en ciblant ses priorités. Cela peut s'accompagner d'un remodelage du tableau des maladies professionnelles. Ce n'est pas une condition sine qua non pour améliorer les comptes.
A la suite du rapport public de la Cour, les pouvoirs publics ont décidé de caler la convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP sur celle de la branche maladie, pour une plus grande homogénéité.
Yves Daudigny constatait que les préconisations de la Cour avaient été diversement appliquées par les Urssaf et souhaitait savoir ce qu'il en serait en 2013.
De nouvelles instructions ont été émises en 2012 dans le cadre du dispositif national de contrôle des agences comptables. Nous avons malheureusement constaté que tous les Urssaf, alors en réorganisation, ne les avaient pas mises en oeuvre immédiatement. Lorsqu'elles étaient appliquées, les contrôles de deuxième niveau - ou de supervision - n'étaient pas mis en place. Nous serons attentifs à ces questions lors de la certification de l'exercice 2013.
Les erreurs de liquidation, quant à elles, concernent les contributions des organismes qui versent des revenus de remplacement. Sur ce sujet resté en jachère, l'Acoss n'avait pas de plan de contrôle précis. Un dispositif spécifique devait être lancé en janvier 2013. Nous y reviendrons donc cette année. D'une manière générale, les caisses nationales s'ébrouent lentement, mais finissent par agir.
Vous écrivez dans votre note de synthèse sur la branche maladie : « En outre, la répartition entre les régimes d'assurance maladie des règlements aux établissements hospitaliers au titre de la tarification à l'activité s'appuie sur des données manquant de fiabilité. » Quelles sont ces données manquant de fiabilité ? D'autant plus que vous concluez : « De ce fait, selon l'analyse de la Cour, le régime général supporte un excès de charges. »
Jean-Pierre Viola. - Les établissements hospitaliers doivent renseigner deux applications : l'une leur permet d'obtenir le financement au titre de la T2A, l'autre de répartir ces montants entre les différents régimes d'assurance maladie. Certains établissements ne renseignent pas toutes les données sur toutes les périodes et les données renseignées dans les deux applications diffèrent. Il en résulte un excès de charges pour le régime général et une insuffisance pour le régime sociale des indépendants (RSI). Le ministère des affaires sociales travaille à l'élaboration d'un dispositif radicalement simplifié qui évitera aux établissements une saisie exclusivement destinée à opérer la répartition entre les régimes. Il s'agit d'ailleurs d'une répartition analytique car le déficit de la plupart des autres régimes est compensé in fine par le régime général ; mais ce n'est pas le cas pour le RSI, dont l'équilibre est assuré par la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).
Une question marginale mais importante : les dernières lignes de la synthèse du rapport que vous nous présentez signalent une déficience du contrôle interne, en particulier sur « les prélèvements sociaux des travailleurs indépendants, (...) relevant du dispositif de l'interlocuteur social unique partagé entre l'activité de recouvrement et le régime social des indépendants. » J'y vois une contradiction : comment peut-on à la fois avoir un interlocuteur unique et un dispositif partagé ? L'intransigeance des Urssaf désespère en ce domaine les travailleurs indépendants, parfois poussés au dépôt de bilan. Les dysfonctionnements que vous censurez ne viendraient-ils pas du refus de ces dernières d'abandonner au RSI le recouvrement de certaines contributions, en contradiction avec l'esprit de la réforme ?
Comment expliquer les fréquentes erreurs de liquidation, à l'heure où tous les organismes disposent de moyens informatiques censés les éviter ? Je m'étonne également que la branche AT-MP doive supporter la charge des retraites anticipées pour pénibilité.
Les dépenses des départements pour financer le revenu de solidarité active (RSA) par le biais des CAF sont insuffisamment compensées, à hauteur de 1,8 milliard d'euros selon l'association des départements de France (ADF). Or la valeur ajoutée des départements en cette matière est faible, en comparaison avec leur savoir-faire certain pour des prestations comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Pourquoi ne pas simplifier ce circuit compliqué, où l'Etat doit rembourser les départements, qui paient les CAF, qui elles-mêmes paient l'usager. Pourquoi l'Etat ne rembourserait-il pas directement les CAF ?
Les mesures comme la suppression des réductions d'impôt pour frais de scolarité, la baisse de la prime à la naissance, le plafonnement toujours plus bas du quotient familial - jusqu'à 1 500 euros l'an prochain - ou la baisse programmée de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) sont-elles significatives au regard des finances générales, ou ne font-elles que poser des problèmes aux familles ?
Ces questions ne relèvent pas de l'exercice de certification ; nous les avons évoquées dans d'autres rapports en faisant des propositions, mais c'est aux décideurs - Gouvernement comme Parlement - de faire le tri entre celles-ci. Nous souhaitons néanmoins attirer votre attention sur la nécessité de maîtriser davantage la dette sociale ; ce n'est pas aux générations futures de supporter les déficits actuels des régimes sociaux, qui sont une anomalie. Nous en parlerons dans le rapport d'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale que nous publierons en septembre.
D'une manière générale, le contrôle interne est essentiel pour un organisme de sécurité sociale, qui traite des centaines de milliers d'opérations. Le contrôle interne consiste à être capable d'analyser, de cartographier les risques et de les maîtriser par des dispositifs de contrôles embarqués. Cette notion n'a été installée dans les organisations qu'avec la certification des comptes, il y a sept ans. Les contrôles existaient, mais étaient bureaucratiques, non concomitants, et souvent déportés de l'ordonnateur vers le comptable. En cela, la certification change la logique et constitue une modernisation. La trajectoire n'est pas toujours facile : les organismes de sécurité sociale doivent gérer des données d'origine extérieure telles que les revenus ou certaines situations sociales et sont confrontés à une règlementation changeante. Ces dispositifs de contrôle interne sont pris dans une course-poursuite entre l'amélioration de leurs dispositifs et la modification de l'environnement. Les progrès, les pauses et les régressions dans ce domaine constituent des points d'attention majeurs dans nos travaux d'audit. A ce titre, les pensions de vieillesse posent des difficultés flagrantes dans quatre organismes qui déséquilibrent l'ensemble.
Nous avons constaté dans le rapport sur la sécurité sociale de septembre dernier, que la mise en place de l'interlocuteur social unique était une catastrophe industrielle. Il n'est unique qu'en faux-semblant ; les Urssaf sont délégataires du RSI ; la mise en place brusquée du dispositif en 2008 a conduit à sa paralysie, avec pour conséquence les admissions en non-valeur de cotisations non recouvrées, invisibles puisque compensées automatiquement par la CSG. Cette année, les difficultés se résolvent lentement. Les pouvoirs publics ont décidé non seulement de mieux articuler l'Acoss et le RSI, mais aussi d'installer un pilotage rapproché. Ont ainsi été mis en place un plan de maîtrise au niveau du directeur de la sécurité sociale et une amélioration des dispositions réglementaires avec un décret paru la semaine dernière. En l'absence d'une prise en main suffisamment opérationnelle, la question d'un retour à l'état antérieur se posera.
Nous avons noté l'année dernière une aggravation des erreurs de liquidation dans les pensions versées, qui s'est amplifiée en 2012, loin de remplir les objectifs de la convention d'objectifs et de gestion. La situation de certaines caisses - Carsat de Nord-Picardie, du Sud-Est ou de Languedoc-Roussillon - est particulièrement problématique. Les anomalies proviennent le plus souvent de données de carrière parfois compliquées à reconstituer, sur lesquelles on constate un manque de formation des agents, une définition incomplète des procédures et des contrôles par les agences comptables qui se sont trop allégés au fil du temps. Si ce problème perdure avec trop d'ampleur l'année prochaine, il peut remettre en cause notre position de cette année. Je laisse M. Durrleman répondre sur le financement de la pénibilité par la branche AT-MP.
Nous avons constaté un décalage important entre la réalité des dépenses consenties par la branche vieillesse et le montant du transfert de la branche AT-MP vers celle-ci. Cela constitue un désaccord sans correction avec le producteur des comptes, qui a une interprétation de la loi infondée en droit. Nous avons donc émis un rappel à nos deux interlocuteurs habituels, le directeur de la caisse concernée et l'administration de tutelle.
Nous n'avons pas examiné de manière actualisée la question du financement du RSA, qui sera traité dans notre rapport sur les finances locales en octobre prochain.
Certains départements ne pourront plus payer à partir d'octobre prochain. Dans un département comme le mien, il y a 2 % de bénéficiaires en plus chaque mois, soit 1 million d'euros de dépenses supplémentaires toutes les six semaines ! Certains départements envisagent de cesser leurs paiements si la compensation n'est plus assurée. Dans ce cas, les difficultés seront transférées sur les CAF.
Le conseil général des Alpes maritimes, au temps du RMI, était remboursé à l'euro près. Aujourd'hui, il l'est à 25 % ou 27 % pour 380 millions de RSA ; on n'y arrive plus !
Ce sujet a été traité pour partie dans le chapitre du rapport public annuel consacré à la situation financière des départements, où nous avons attiré l'attention sur les difficultés que certains d'entre eux rencontrent.