Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 15 juillet 2013 à 15h10
Transparence de la vie publique — Vote sur l'ensemble

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique initial, chacun l’a bien compris, était une sorte de contre-feu, une opération de diversion dont l’objet était de détourner les regards du cercle de l’exécutif, où se trouve concentré l’essentiel du pouvoir politique, sur le Parlement, qui ne détient plus qu’un pouvoir résiduel, au stade où en est parvenue l’évolution de nos institutions. Puisque là est le pouvoir réel, là aussi résident les risques réels de dérapages, quelle que soit la vertu de ses titulaires. En effet, seul le pouvoir arrête le pouvoir, affirme la maxime, aussi souvent répétée que méconnue.

Pour faire simple, je dirai, un peu brutalement, qu’ayant constaté une fuite d’eau à l’Élysée, on envoie les plombiers réparer les canalisations du Sénat !

Nous voterons cependant ce texte dans la forme que lui ont donnée nos débats, parce que les dispositions retenues s’inscrivent dans la logique des mesures existantes de lutte contre les risques de dévoiement du pouvoir législatif et du dispositif qui les sanctionne, ce qui n’était pas le cas du projet de loi organique initial. Contrairement à ce qui se colporte, ces mesures existent bel et bien dans notre droit et ne sont ni anodines ni en retard par rapport à celles de nos voisins.

Nous voterons également ce texte, parce que les débats nous auront permis d’améliorer le projet initial. Je retiendrai deux exemples : la définition du conflit d’intérêts s’agissant des parlementaires, avec l’accent mis sur le conflit entre intérêt public et intérêt privé plutôt que la généralisation à toute sorte de conflits d’intérêts, publics ou privés, ainsi que l’introduction de l’intentionnalité pour caractériser ce qui ressemble à un délit de fausse déclaration.

Cela prouve que, malgré le surcroît de fatigue que cela nous a imposé, nous avons eu raison de renvoyer ce texte en commission. Que n’aurions-nous pas fait si nous avions eu le temps de travailler autrement que sur commande et dans la hâte ?

Pour le Gouvernement, comme pour une partie de cet hémicycle, je le sais, il manque l’essentiel à ce texte : la publicité tous azimuts des déclarations, censée garantir la transparence de la vie publique et, ainsi, la vertu.

Selon les défenseurs de ces dispositions, il y aurait, d’un côté, ceux qui sont pour la transparence et, de l’autre, ceux qui sont pour l’obscurité parce qu’ils ont quelque chose à cacher.

À cet égard, je rappelle que le RDSE a proposé une solution dans un amendement : la publication des seules évolutions inexpliquées de patrimoine, ce qui aurait permis de mettre l’accent et de jeter un coup de projecteur sur ce qui est véritablement important.

Plus généralement, je crains que les défenseurs de la transparence n’aient mal mesuré les effets réels et véritablement calamiteux à terme de leur remède.

À la suite des réformateurs du XVIIIe siècle – ce n’est pas un hasard si M. le ministre chargé des relations avec le Parlement a commencé mardi dernier son intervention liminaire en citant Le Contrat social –, ils comptent sur la transparence et l’opinion pour réguler le corps social et le corps politique, en oubliant que l’opinion, cela se fabrique.

Je pourrais me référer à Chomsky, mais je me contenterai de citer l’analyse du panoptique de Bentham établie par Michel Foucault, dont chacun ici connaît la lucidité des analyses sur les effets de pouvoir et les formes multiples qu’il sait prendre – : « C’est l’illusion de presque tous les réformateurs du XVIIIe siècle qui ont prêté à l’opinion une puissance considérable. L’opinion ne pouvant être que bonne puisqu’elle était la conscience immédiate du corps social tout entier, ils ont cru que les gens allaient devenir vertueux du fait qu’ils seraient regardés. L’opinion était pour eux comme la réactualisation spontanée du contrat. Ils méconnaissaient les conditions réelles de l’opinion, les médias, une matérialité qui est prise dans les mécanismes de l’économie et du pouvoir sous les formes de la presse, de l’édition, puis du cinéma et de la télévision.

« [Ils ont méconnu] que ces médias seraient nécessairement commandés par des intérêts économico-politiques. Ils n’ont pas perçu les composantes matérielles et économiques de l’opinion. Ils ont cru que l’opinion serait juste par nature, qu’elle allait se répandre de soi et qu’elle serait une sorte de surveillance démocratique. Au fond, c’est le journalisme – innovation capitale du XIXe siècle – qui a manifesté le caractère utopique de toute politique du regard. »

Pour conclure, je vous livre cette formule de Michel Foucault : « La perfection de la surveillance, c’est une somme de malveillance. »

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