Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 15 juillet 2013 à 21h45
Transparence de la vie publique — Demande de renvoi à la commission

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur l’article 2 du projet de loi, qui montre notre manque de maturité en ce qui concerne ce texte. En effet, il existe une différence significative entre le Gouvernement et la majorité, du moins telle que celle-ci s’est exprimée par la voix de la commission des lois, s’agissant de la définition du conflit d’intérêt.

La commission oppose, à juste titre, l’intérêt public et l’intérêt privé. À l’occasion de l’examen de la loi organique, nous avons précisé d'ailleurs ce point : l’intérêt privé s’entend au sens d’un intérêt personnel, matériel.

Le Gouvernement, au contraire, dans la ligne de la première lecture de l’Assemblée, envisage une définition du conflit d’intérêt à partir d’une coexistence conflictuelle ou concurrentielle entre l’intérêt public et des intérêts publics. Cette position est, reconnaissons-le, assez surprenante, compte tenu de la nature des missions, aussi bien d’un parlementaire que d’un élu local.

Les élus locaux comme les parlementaires représentent des territoires. Ils représentent des opinions, des convictions. Ils peuvent aussi, très légitimement, représenter des intérêts. Tel est le cas de ceux qui privilégient, par exemple, les intérêts des salariés, ce qui est une approche parfaitement légitime ; d’autres élus s’identifient à la cause des travailleurs indépendants ou des agriculteurs.

Peut-on raisonnablement leur adresser le procès d’intention du conflit d’intérêt, alors que toute leur existence et toute leur légitimité d’élu reposent sur la défense de ces intérêts ? Ces derniers sont certes, en apparence, catégoriels. Toutefois, dans les convictions qu’ils expriment, ils permettent de défendre, plus largement, les intérêts d’un territoire.

En effet, que serait un pays sans l’adhésion des salariés au projet des entreprises, dans la vie desquelles ils peuvent ainsi trouver leur bénéfice ? Que serait l’économie si les investisseurs, qui sont des capitalistes – appelons-les ainsi –, n’avaient pas intérêt à investir dans l’économie privée ?

La vie politique présente donc, par nature, des situations de conflits, ainsi que des méthodes pour les résoudre, à savoir l’élection, le débat, le vote. Par ailleurs, ces conflits se nourrissent d’une perception fondée sur des intérêts publics, qui se distinguent des intérêts privés, personnels et matériels.

Nous pourrions suivre la commission pour ce qui concerne les concepts d’intérêt public et d’intérêt privé. Cependant, elle est contrebattue par le Gouvernement qui, lui, retient une conception extraordinairement lâche, puisqu’il évoque intérêt public au singulier, comme s’il n’y en avait qu’un et un seul. Il serait d'ailleurs formidable, d’ailleurs qu’il n’y ait qu’un seul intérêt public : ratio imperans bonum - la raison commandant le bien -, nous pourrions suivre le seul intérêt public, s’imposant à tous. Il s’agit là d’une illusion unanimiste, tout simplement invraisemblable.

La nature même de la politique réside ainsi dans le conflit, dans la compétition des intérêts et le choix du compromis entre ces différents intérêts afin de parvenir à une solution, collectivement acceptée. En établissant l’interférence entre intérêt public, au singulier, et intérêts publics, au pluriel, on nie l’esprit même de la politique.

Quant à l’intérêt privé, nous en avons proposé une définition très stricte, retenue dans la loi organique : c’est l’intérêt matériel, personnel, de quelqu’un qui poursuit un avantage lié à sa condition spécifique, individuelle. Nous ne l’entendons donc pas au sens de l’intérêt privé, parfaitement légitime, de celui qui défend telle ou telle catégorie.

Cette incertitude sur la définition du conflit d’intérêt aurait été levée si vous aviez repris, comme cela a été évoqué à de nombreuses reprises, l’excellent travail réalisé au travers du rapport d’information n° 518 réalisé par MM. Jean-Jacques Hyest, Anziani et Collombat, entre autres. En refusant de la retenir, vous vous retrouvez dans une situation contradictoire, qui mérite une réflexion et un approfondissement.

Si le renvoi à la commission n’est pas voté, nous effectuerons de toute façon le travail d’examen de commission en séance plénière. Nous le faisons déjà depuis plusieurs jours, nous pouvons continuer ainsi.

Le deuxième point que je souhaitais évoquer découle directement de cette première observation sur la différence de définition des intérêts. Il s’agit de l’idée de confier à la même Haute Autorité de la transparence de la vie publique des catégories professionnelles aussi différentes que celles des ministres, des parlementaires, des élus locaux et des hauts fonctionnaires.

Les ministres sont nommés, en vertu de notre Constitution, sur proposition du Premier ministre, par le Président de la République. Qu’ils dépendent du Président de la République ou du Premier Ministre – nous n’allons pas ouvrir un débat constitutionnel à cet instant –, le fait est que le quinquennat avait pour objet d’éviter la cohabitation. Pour le moment, il y est presque parvenu, exception faite des difficultés de la majorité sénatoriale, mais ceci est un autre problème.

En revanche, les ministres dépendent directement du choix présidentiel ; je le sais pour avoir été ministre à la fois en période de cohabitation et en période de pleine autorité présidentielle. Et qu’ils soient des exécutants du Président de la République n’est pas fondamentalement choquant. En ce sens, lorsque le chef de l’État décide qu’au coup de sifflet tous les ministres doivent publier leur patrimoine, ces derniers ayant été nommés par lui, soit ils approuvent, soit ils démissionnent, comme le disait Jean-Pierre Chevènement.

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