En tout état de cause, il n’y a pas de grande marge de manœuvre.
Tel n’est pas le cas des parlementaires – nous en avons longuement discuté lors de la discussion du projet de loi organique –, dont je rappellerai simplement, sans rouvrir ce débat, qu’ils sont des élus du suffrage universel et qu’ils n’ont de comptes à rendre qu’à leurs électeurs. Aujourd’hui, on les encadre, on les enferme et, ce faisant, on prive en réalité les électeurs de leur liberté de choix. Il s’agit d’une question qui sera tranchée par le Conseil constitutionnel lors de son examen de la loi organique, qui est de droit et, sans doute, de la loi ordinaire.
En revanche, mettre dans la même catégorie les élus locaux et les hauts fonctionnaires constitue un vrai malentendu. En effet, les élus locaux, même s’ils peuvent être des agents de l’exécutif, en tant qu’officiers ministériels, sont pour l’essentiel les responsables d’une collectivité décentralisée, dont les organes, notamment l’exécutif, sont élus pour conduire une politique.
À cet égard, peut-on les placer dans la même catégorie que les hauts fonctionnaires nommés en conseil des ministres, que le projet de loi ordinaire soumet à l’obligation de déclaration ? Il sera d’ailleurs intéressant de nous demander jusqu’où aller exactement, ce que nous aurons l’occasion de faire à l’occasion de l’examen des articles. Quels seront les hauts fonctionnaires concernés ?
En tant qu’ancien ministre de la défense, j’ai le souvenir d’avoir proposé au conseil des ministres la nomination de très nombreux officiers généraux : ceux-ci seront-ils soumis aux mêmes obligations que les parlementaires et que les élus locaux, par exemple ?
Par ailleurs, en ce qui concerne le parquet, certaines nominations se font en conseil des ministres, tandis que d’autres, me semble-t-il, sont faites par le Conseil supérieur de la magistrature. Je suis prudent sur ce terrain, mais j’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez au cours du débat.
En revanche, la différence fondamentale entre les élus locaux et les hauts fonctionnaires, c’est que ces derniers ne détiennent pas directement leur pouvoir. Ils n’ont d’autre légitimité que celle qu’ils tirent de leur nomination. Il n’est donc pas complètement anormal qu’ils ressortissent à une commission administrative, laquelle peut à tout moment examiner si, dans la mise en œuvre d’un pouvoir qu’ils détiennent non pas par eux-mêmes, mais de par leur nomination en conseil des ministres, ils ne sont pas en situation de conflit d’intérêts.
Si l’on doit reconnaître la légitimité de la Haute Autorité, celle-ci ne doit faire aucun doute pour les hauts fonctionnaires, même si, permettez-moi de le dire, au vu de mon expérience lointaine, mais réelle, du corps préfectoral, j’en viens à me demander si l’État n’est pas en train de scier son autorité propre en affaiblissant ses hauts fonctionnaires et en les exposant à la délation sur le thème : ce préfet a signé tel ou tel arrêté pour des raisons strictement personnelles ou, au contraire, ne l’a pas signé, parce que sa crainte personnelle d’assumer une responsabilité devant les tribunaux plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années après, comme on a pu le voir, l’a conduit à s’abstenir.
Si l’on peut imaginer qu’une commission administrative veille à l’absence d’un conflit d’intérêts qui pourrait fausser le jugement de certains hauts fonctionnaires, encore faudrait-il que les règles de déontologie soient un peu plus claires et que ces malheureux ne soient pas soumis à un esprit de suspicion renforcé par l’organisation de la délation.
Cependant, les élus locaux exercent leur responsabilité de plein exercice quand ils prennent des décisions qui, en effet, peuvent être considérées, à un moment donné, par définition, comme les plaçant en situation de conflit d’intérêts. Un élu local est habitant d’une commune, parfois propriétaire, parfois locataire : toute décision d’urbanisme peut être vue, d’un point de vue excessivement critique et soupçonneux, comme l’amorce d’un conflit entre un intérêt public et un intérêt public local ou un intérêt strictement privé ou un intérêt associatif, que représenterait cet élu local.
Certes, nous avons naturellement une présomption tout à fait positive s’agissant de cette commission administrative appelée à contrôler les élus locaux : comment peut-on imaginer que des hauts fonctionnaires qui ont passé toute leur carrière à examiner le droit administratif, les comptes publics ou la procédure judiciaire ne puissent pas comprendre la vie quotidienne des élus locaux, qui est évidemment plus modeste, mais parfois beaucoup plus difficile ?
Toutefois, confier l’appréciation des conflits d’intérêts à cette Haute Autorité administrative est nécessairement de nature à ouvrir une série de litiges qui, je l’espère, pourront bénéficier de la clarification d’une jurisprudence. Mais qui rendra cette dernière ? Le conflit d’intérêts n’étant pas, à ma connaissance, un délit, qui en jugera donc ? Quelle sera l’autorité qui décidera in fine de l’existence d’un conflit d’intérêts, dans la mesure où nous sommes en dehors de la sphère du droit pénal ?
Pour conclure, chers collègues de la majorité, j’ai bien conscience que vous n’allez pas voter cette motion de renvoi à la commission, mais, en contrepartie, je puis vous assurer que nous allons faire du travail de commission en séance plénière, car nous allons découvrir, comme nous l’avons fait lors de l’examen de la loi organique, toute une série de problèmes qui n’ont pas été évoqués ou qui, s’ils l’ont été, ont été insuffisamment traités à l’occasion de la préparation et de l’examen de ces projets de loi, qualifiés par l’un de nos collègues de chaotiques. En effet, malgré la gravité et l’ampleur des enjeux, ces textes restent profondément marqués par l’esprit de circonstance.