Intervention de Delphine Hedary

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 17 juillet 2013 : 1ère réunion
Audition de Mme Delphine Hedary présidente du comité de pilotage des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement et de Mme Claude Chardonnet consultante

Delphine Hedary, présidente du comité de pilotage des États généraux de la modernisation du droit de l'environnement :

Merci de me recevoir. Le Gouvernement a annoncé en septembre 2012, à l'issue de la conférence environnementale, vouloir tenir des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement en juin 2013. La feuille de route pour la transition écologique marque la volonté de traduire dans la réalité l'objectif de développement durable inscrit dans la Constitution par la Charte de l'environnement, et que le droit de l'environnement permette d'assurer une protection de l'environnement réelle sans être un frein à la réalisation des projets d'intérêt économique et social.

La ministre de l'écologie m'a confié le pilotage des états généraux par une lettre de mission du 5 avril. Le comité est en outre constitué de Claude Chardonnet, consultante spécialisée dans les démarches participatives, et d'Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement. Le directeur des affaires juridiques du MEDDE en est aussi membre et une petite équipe a été constituée au sein de sa direction pour nous appuyer.

Le travail n'ayant véritablement commencé qu'en avril, mais le Gouvernement voulant respecter l'engagement de tenir les Etats généraux en juin, le comité de pilotage a proposé de commencer par une première étape de diagnostic sur les qualités et défauts du droit de l'environnement, et d'identification des axes de réformes prioritaires. La crédibilité de la démarche supposait qu'il ne soit pas prétendu possible de moderniser le droit de l'environnement en trois mois, que le temps soit laissé à des concertations permettant une réflexion collective sur le droit de l'environnement et sur les souhaits des différents acteurs à son sujet.

Cette proposition a été validée, de même que la méthodologie proposée par le comité de pilotage :

- d'abord un état d'esprit : permettre l'expression libre, dans une optique ouverte et créative, de toutes les idées et opinions, afin de mettre en oeuvre une démarche concertée, progressive, pragmatique et efficace ;

- une participation large de tous les acteurs concernés. Un questionnaire a été élaboré pour servir de trame au recueil de contributions. Il a été adressé à plusieurs centaines de personnes, relevant de toutes les catégories : administrations centrales et déconcentrées, élus nationaux et locaux, organisations professionnelles, syndicats, entreprises, associations, juristes, etc. Il a également été mis en ligne sur le site du MEDDE dédié aux consultations, du 26 avril au 9 juin 2013.

Le groupe de préfiguration du conseil national de la transition écologique, qui réunit tous les acteurs précités, a été consulté plusieurs fois. Nous avons effectué deux déplacements, en Meurthe-et-Moselle et dans le Calvados, qui nous ont permis d'examiner de manière concrète un certain nombre de sujets.

Nous avons reçu plus de 800 contributions, dont plus de 700 par réponse au questionnaire. Pour chaque catégorie d'acteurs, nous avons reçu à la fois des contributions personnelles et des réponses élaborées collectivement par des fédérations, des associations, etc. Autrement dit, le nombre de personnes ayant contribué aux états généraux est très supérieur au nombre de papiers reçus.

La ventilation des réponses est la suivante : 11 % d'élus, de personnalités politiques, de collectivités locales ; 8 % d'associations agissant dans le secteur de l'environnement ; 30 % d'autorités administratives, d'agents publics à titre individuel et d'opérateurs économiques de la sphère publique ; 30 % de milieux économiques, dont 20 % de syndicats et d'organisations professionnelles et 10 % de salariés et chefs d'entreprises ; 9 % de juristes ; 11 % de particuliers. Chaque contribution a été lue et analysée par au moins une personne, beaucoup par plusieurs membres du comité de pilotage, lequel a mis au point une méthode de dépouillement et de synthèse.

Nous avons été marqués par le nombre et la qualité des réponses. L'exercice a été pris très au sérieux dans tous les milieux.

Nous avons veillé, au cours de cette phase, à assurer la cohérence avec d'autres exercices se déroulant de façon concomitante : la réforme du code minier, menée par Thierry Tuot ; les réflexions sur le préjudice écologique, dans le cadre d'un groupe présidé par Yves Jégouzo. L'un et l'autre avaient participé aux travaux de la Commission de préparation de la Charte de l'environnement. Nous avons également eu des échanges avec Thierry Mandon et avec le secrétariat général à la modernisation de l'action publique, qui nous a transmis notamment les propositions adressées par les préfets de région en réponse à la demande du Président de la République de proposer des mesures de simplification. Nous avons fait valoir, au ministère de l'écologie, à Matignon et à l'Elysée, la nécessité que les réformes concernant la sphère de l'environnement soient réalisées selon les recommandations et priorités qui ressortent des états généraux.

Ce qui ressort des contributions, c'est d'abord un diagnostic largement partagé :

- Personne ne demande une moindre protection de l'environnement ou un rabais du niveau d'exigence des règles ayant un impact sur la santé humaine et les milieux naturels.

- Nombreux sont ceux qui soulignent que les règles du droit de l'environnement ont des effets positifs sur la qualité des produits alimentaires, sur la qualité du cadre de vie et l'attractivité du territoire. Il est relevé de nombreuses fois qu'elles ont pour conséquences positives de réduire les coûts à long terme des dépenses de santé publique ou de dépollution de sites.

- Il est aussi souligné que ces règles peuvent avoir une incidence positive sur l'innovation technologique, et par conséquent sur la compétitivité à moyen terme des entreprises, qui sont les premières capables de respecter des règles environnementales auxquelles les pays émergents se rallient. L'exemple est donné d'entreprises françaises remportant des marchés en Chine parce qu'elles maîtrisent les techniques les plus respectueuses de l'environnement, notamment pour le traitement des eaux et des déchets. Il est même rappelé que le droit de l'environnement contribue à la paix civile par la gestion équilibrée des ressources naturelles - ailleurs dans le monde, l'accaparement des ressources naturelles, comme l'eau, peut être à l'origine de conflits armés.

- Il est aussi relevé que l'environnement peut être créateur d'emplois, à la fois dans les filières dites « vertes » et dans des secteurs techniques : il faut notamment des ingénieurs et des bureaux d'études pour répondre aux exigences de l'évaluation environnementale.

Les défauts du droit de l'environnement sont également identifiés de façon consensuelle.

Il apparaît trop difficile à comprendre, trop compliqué à appliquer, avec des règles trop éparses, une approche par milieux, et pas assez de définitions. Toutes les catégories d'acteurs le soulignent, aussi bien des juristes éminents que des chefs d'entreprise, ceux-ci notant que la complexité des règles, la lourdeur et le coût des procédures sont plus pénalisants pour les entreprises qui ont des moyens financiers et humains limités.

Un des principes oubliés de la Charte est appelé à la rescousse, et son application est demandée comme prioritaire : « Article 8. L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». L'éducation du grand public, la formation des magistrats, des fonctionnaires, sont invoquées comme aujourd'hui insuffisantes et nécessaires pour faire progresser la protection de l'environnement.

Les lignes de consensus sont donc fortes pour le diagnostic posé sur le droit de l'environnement. Il était utile de procéder à ce diagnostic pour ne pas démarrer une réforme sur des idées fausses. Il n'y a pas non plus d'opposition quant aux grandes orientations souhaitées. Celles-ci sont les suivantes :

- En premier lieu, il ne faut pas « déréguler » le droit de l'environnement, il faut le rendre plus lisible, plus clair, plus compréhensible. L'écrire mieux, grâce à une relation plus étroite entre ingénieurs, juristes et praticiens ; grâce à la prise en compte des conditions d'application des règles dès le stade de leur élaboration. Et veiller à une plus grande cohérence entre les différentes règles. Nous retrouvons là deux autres principes oubliés de la Charte : l'article 9, qui dispose que « La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement », ce qui incite notamment à « décloisonner » les métiers et les modes de production des textes ; l'article 10, qui dispose que « La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France » doit aussi être rappelé sur le sujet de la négociation des textes internationaux et européens. Il est aussi demandé que le droit soit plus accessible et puisse être plus vite appliqué de façon prévisible et identique sur tout le territoire : certains demandent ainsi que les circulaires d'application soient diffusées immédiatement au lieu de se faire attendre quasiment jusqu'à l'arrivée d'un nouveau texte.

- Tel est précisément le deuxième axe de consensus : ne pas réformer tout le temps ! Il faut arrêter la frénésie normative, à tous les niveaux de la hiérarchie des normes. Procéder à l'évaluation des dispositifs existant avant de les modifier. La stabilité est souhaitée dans les textes et dans les organisations administratives : pas de chamboulements non plus des structures et des services. La multitude des textes en projet en ce moment et des chantiers de réformes a été une des critiques fréquemment entendues.

Ce n'est pourtant pas l'immobilisme ou le conservatisme qui sont souhaités : la clarification du droit est demandée sans attendre, pourvu qu'elle se fonde sur une évaluation de l'existant et sur une méthode concertée, pluraliste, permettant aux différentes parties prenantes de participer, et en assurant la cohérence de l'ensemble de l'action gouvernementale.

- Le troisième axe de consensus fait ressortir la nécessité d'une simplification et d'une meilleure harmonisation des procédures, pour que leurs exigences soient proportionnées aux enjeux environnementaux. Il faudrait avoir davantage un droit d'objectifs que de moyens, assurer une protection de l'environnement efficace plutôt qu'un parcours d'obstacles procéduraux pour les porteurs de projets et une véritable participation du public qui contribue à une amélioration des choix au regard des objectifs de développement durable plutôt que d'être des nids à arguments contentieux. S'agissant précisément du contentieux administratif, là aussi la longueur des procédures est un problème et il faudrait envisager une intervention plus précoce du juge, pour permettre de remédier à des vices de procédure, plutôt que laisser pendant de nombreuses années des incertitudes.

- Une ligne de force, une attente commune traverse toutes les préoccupations, celle du besoin de sécurité juridique : avoir des règles stables et prévisibles ; savoir quelles règles sont applicables sur un territoire et à un projet ; savoir quelles règles sont appliquées par les concurrents, le cas échéant des autres pays européens (c'est cela, le véritable débat sur la « sur transposition ») ; savoir en combien de temps les contentieux seront purgés pour pouvoir réaliser les investissements. Voilà sans doute l'objectif majeur que doit poursuivre la réforme du droit de l'environnement, qui devra rester présent à l'esprit, constamment, sur tous les sujets : parvenir à une plus grande sécurité juridique.

Les attentes des contributeurs sont donc fortes et assez largement réalistes. Pour la journée de débat du 25 juin 2013, la date a été choisie par référence avec l'adoption du projet de Charte de l'environnement en conseil des ministres, dix ans auparavant, dans le souci d'inscrire les Etats généraux dans la lignée des progrès du droit de l'environnement, comme l'a indiqué la ministre dans son propos d'ouverture. Les participants étaient au nombre de 250, représentant toutes les différentes catégories d'acteurs.

Chacune des trois tables rondes comportait cinq à sept intervenants, choisis dans tous les collèges, avec au moins une personne ayant participé à l'élaboration de la Charte de l'environnement dix ans auparavant. Après une courte synthèse par un membre du comité de pilotage, les intervenants ont été invités à parler brièvement, afin de faire ressortir les points saillants, et laisser de la place pour les débats avec la salle. Ces débats se sont déroulés dans une ambiance sereine et très respectueuse des oppositions, qui ont été parfois très fortes dans le détail des mesures proposées. Par exemple, en ce qui concerne les sanctions pénales, tout le monde est convenu qu'elles ne sont pas appliquées. Mais certains en déduisent qu'il faut renforcer la politique pénale, d'autres qu'il faut au contraire renoncer aux infractions pénales au profit de la médiation pénale ou des sanctions administratives. Ce qui ressortait des synthèses a été assez largement confirmé par le déroulement des tables rondes.

En ce qui concerne les suites, il est prévu une communication sur les Etats généraux en conseil des ministres le 17 juillet, qui dégagera plusieurs axes d'action. Le Conseil interministériel de la modernisation de l'action publique (CIMAP) du même jour doit fixer les grandes lignes de la feuille de route, dont les détails seront finalisés par le Conseil national de la transition écologique (CNTE).

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