La commission entend Mme Delphine Hedary, présidente du comité de pilotage des États généraux de la modernisation du droit de l'environnement, et Mme Claude Chardonnet, consultante.
Merci d'avoir répondu à notre invitation. La ministre Delphine Batho vous a confié le 16 avril dernier le pilotage de la réforme du droit de l'environnement. L'objectif de cette réforme, qui figurait d'ailleurs dans la feuille de route de la conférence environnementale de septembre dernier, est de faire en sorte que la protection de l'environnement ne soit pas un frein, du fait de la complexité des règles ou de la longueur des procédures, mais plutôt un cadre efficace pour la réalisation de projets d'intérêt économique et social, dans une vraie perspective de développement durable. Notre commission souscrit pleinement à cette idée. Nous sommes donc impatients de savoir quelles sont vos premières conclusions.
La démarche que vous avez adoptée vous a conduit à commencer par faire un état des lieux. Dans ce but, vous avez établi un questionnaire, fait des auditions et recueilli diverses contributions. Pouvez-vous nous dire ce que ce bilan a fait apparaitre ? Pour la phase suivante des recommandations, pensez-vous qu'une vraie simplification - un choc de simplification, pour reprendre l'expression du Président de la République - soit possible ?
En tant qu'élu local, je peux témoigner du souhait tant de nos concitoyens que des élus locaux de pouvoir disposer d'un droit clair, accessible, prévisible, et efficace aussi bien pour la protection de l'environnement que pour le développement d'activités liées au développement durable. Pensez-vous pouvoir relever ce défi ? Quels sont vos délais ?
Le droit de l'environnement est, pour une part, relativement récent, ce qui permet de s'interroger sur la qualité du travail du législateur que nous sommes... Y a-t-il à cet égard des exemples étrangers plus performants dont on puisse utilement s'inspirer ?
Après votre propos liminaire, nos collègues vous soumettront sans doute un grand nombre de questions... Je vous laisse donc la parole.
Merci de me recevoir. Le Gouvernement a annoncé en septembre 2012, à l'issue de la conférence environnementale, vouloir tenir des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement en juin 2013. La feuille de route pour la transition écologique marque la volonté de traduire dans la réalité l'objectif de développement durable inscrit dans la Constitution par la Charte de l'environnement, et que le droit de l'environnement permette d'assurer une protection de l'environnement réelle sans être un frein à la réalisation des projets d'intérêt économique et social.
La ministre de l'écologie m'a confié le pilotage des états généraux par une lettre de mission du 5 avril. Le comité est en outre constitué de Claude Chardonnet, consultante spécialisée dans les démarches participatives, et d'Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement. Le directeur des affaires juridiques du MEDDE en est aussi membre et une petite équipe a été constituée au sein de sa direction pour nous appuyer.
Le travail n'ayant véritablement commencé qu'en avril, mais le Gouvernement voulant respecter l'engagement de tenir les Etats généraux en juin, le comité de pilotage a proposé de commencer par une première étape de diagnostic sur les qualités et défauts du droit de l'environnement, et d'identification des axes de réformes prioritaires. La crédibilité de la démarche supposait qu'il ne soit pas prétendu possible de moderniser le droit de l'environnement en trois mois, que le temps soit laissé à des concertations permettant une réflexion collective sur le droit de l'environnement et sur les souhaits des différents acteurs à son sujet.
Cette proposition a été validée, de même que la méthodologie proposée par le comité de pilotage :
- d'abord un état d'esprit : permettre l'expression libre, dans une optique ouverte et créative, de toutes les idées et opinions, afin de mettre en oeuvre une démarche concertée, progressive, pragmatique et efficace ;
- une participation large de tous les acteurs concernés. Un questionnaire a été élaboré pour servir de trame au recueil de contributions. Il a été adressé à plusieurs centaines de personnes, relevant de toutes les catégories : administrations centrales et déconcentrées, élus nationaux et locaux, organisations professionnelles, syndicats, entreprises, associations, juristes, etc. Il a également été mis en ligne sur le site du MEDDE dédié aux consultations, du 26 avril au 9 juin 2013.
Le groupe de préfiguration du conseil national de la transition écologique, qui réunit tous les acteurs précités, a été consulté plusieurs fois. Nous avons effectué deux déplacements, en Meurthe-et-Moselle et dans le Calvados, qui nous ont permis d'examiner de manière concrète un certain nombre de sujets.
Nous avons reçu plus de 800 contributions, dont plus de 700 par réponse au questionnaire. Pour chaque catégorie d'acteurs, nous avons reçu à la fois des contributions personnelles et des réponses élaborées collectivement par des fédérations, des associations, etc. Autrement dit, le nombre de personnes ayant contribué aux états généraux est très supérieur au nombre de papiers reçus.
La ventilation des réponses est la suivante : 11 % d'élus, de personnalités politiques, de collectivités locales ; 8 % d'associations agissant dans le secteur de l'environnement ; 30 % d'autorités administratives, d'agents publics à titre individuel et d'opérateurs économiques de la sphère publique ; 30 % de milieux économiques, dont 20 % de syndicats et d'organisations professionnelles et 10 % de salariés et chefs d'entreprises ; 9 % de juristes ; 11 % de particuliers. Chaque contribution a été lue et analysée par au moins une personne, beaucoup par plusieurs membres du comité de pilotage, lequel a mis au point une méthode de dépouillement et de synthèse.
Nous avons été marqués par le nombre et la qualité des réponses. L'exercice a été pris très au sérieux dans tous les milieux.
Nous avons veillé, au cours de cette phase, à assurer la cohérence avec d'autres exercices se déroulant de façon concomitante : la réforme du code minier, menée par Thierry Tuot ; les réflexions sur le préjudice écologique, dans le cadre d'un groupe présidé par Yves Jégouzo. L'un et l'autre avaient participé aux travaux de la Commission de préparation de la Charte de l'environnement. Nous avons également eu des échanges avec Thierry Mandon et avec le secrétariat général à la modernisation de l'action publique, qui nous a transmis notamment les propositions adressées par les préfets de région en réponse à la demande du Président de la République de proposer des mesures de simplification. Nous avons fait valoir, au ministère de l'écologie, à Matignon et à l'Elysée, la nécessité que les réformes concernant la sphère de l'environnement soient réalisées selon les recommandations et priorités qui ressortent des états généraux.
Ce qui ressort des contributions, c'est d'abord un diagnostic largement partagé :
- Personne ne demande une moindre protection de l'environnement ou un rabais du niveau d'exigence des règles ayant un impact sur la santé humaine et les milieux naturels.
- Nombreux sont ceux qui soulignent que les règles du droit de l'environnement ont des effets positifs sur la qualité des produits alimentaires, sur la qualité du cadre de vie et l'attractivité du territoire. Il est relevé de nombreuses fois qu'elles ont pour conséquences positives de réduire les coûts à long terme des dépenses de santé publique ou de dépollution de sites.
- Il est aussi souligné que ces règles peuvent avoir une incidence positive sur l'innovation technologique, et par conséquent sur la compétitivité à moyen terme des entreprises, qui sont les premières capables de respecter des règles environnementales auxquelles les pays émergents se rallient. L'exemple est donné d'entreprises françaises remportant des marchés en Chine parce qu'elles maîtrisent les techniques les plus respectueuses de l'environnement, notamment pour le traitement des eaux et des déchets. Il est même rappelé que le droit de l'environnement contribue à la paix civile par la gestion équilibrée des ressources naturelles - ailleurs dans le monde, l'accaparement des ressources naturelles, comme l'eau, peut être à l'origine de conflits armés.
- Il est aussi relevé que l'environnement peut être créateur d'emplois, à la fois dans les filières dites « vertes » et dans des secteurs techniques : il faut notamment des ingénieurs et des bureaux d'études pour répondre aux exigences de l'évaluation environnementale.
Les défauts du droit de l'environnement sont également identifiés de façon consensuelle.
Il apparaît trop difficile à comprendre, trop compliqué à appliquer, avec des règles trop éparses, une approche par milieux, et pas assez de définitions. Toutes les catégories d'acteurs le soulignent, aussi bien des juristes éminents que des chefs d'entreprise, ceux-ci notant que la complexité des règles, la lourdeur et le coût des procédures sont plus pénalisants pour les entreprises qui ont des moyens financiers et humains limités.
Un des principes oubliés de la Charte est appelé à la rescousse, et son application est demandée comme prioritaire : « Article 8. L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». L'éducation du grand public, la formation des magistrats, des fonctionnaires, sont invoquées comme aujourd'hui insuffisantes et nécessaires pour faire progresser la protection de l'environnement.
Les lignes de consensus sont donc fortes pour le diagnostic posé sur le droit de l'environnement. Il était utile de procéder à ce diagnostic pour ne pas démarrer une réforme sur des idées fausses. Il n'y a pas non plus d'opposition quant aux grandes orientations souhaitées. Celles-ci sont les suivantes :
- En premier lieu, il ne faut pas « déréguler » le droit de l'environnement, il faut le rendre plus lisible, plus clair, plus compréhensible. L'écrire mieux, grâce à une relation plus étroite entre ingénieurs, juristes et praticiens ; grâce à la prise en compte des conditions d'application des règles dès le stade de leur élaboration. Et veiller à une plus grande cohérence entre les différentes règles. Nous retrouvons là deux autres principes oubliés de la Charte : l'article 9, qui dispose que « La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement », ce qui incite notamment à « décloisonner » les métiers et les modes de production des textes ; l'article 10, qui dispose que « La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France » doit aussi être rappelé sur le sujet de la négociation des textes internationaux et européens. Il est aussi demandé que le droit soit plus accessible et puisse être plus vite appliqué de façon prévisible et identique sur tout le territoire : certains demandent ainsi que les circulaires d'application soient diffusées immédiatement au lieu de se faire attendre quasiment jusqu'à l'arrivée d'un nouveau texte.
- Tel est précisément le deuxième axe de consensus : ne pas réformer tout le temps ! Il faut arrêter la frénésie normative, à tous les niveaux de la hiérarchie des normes. Procéder à l'évaluation des dispositifs existant avant de les modifier. La stabilité est souhaitée dans les textes et dans les organisations administratives : pas de chamboulements non plus des structures et des services. La multitude des textes en projet en ce moment et des chantiers de réformes a été une des critiques fréquemment entendues.
Ce n'est pourtant pas l'immobilisme ou le conservatisme qui sont souhaités : la clarification du droit est demandée sans attendre, pourvu qu'elle se fonde sur une évaluation de l'existant et sur une méthode concertée, pluraliste, permettant aux différentes parties prenantes de participer, et en assurant la cohérence de l'ensemble de l'action gouvernementale.
- Le troisième axe de consensus fait ressortir la nécessité d'une simplification et d'une meilleure harmonisation des procédures, pour que leurs exigences soient proportionnées aux enjeux environnementaux. Il faudrait avoir davantage un droit d'objectifs que de moyens, assurer une protection de l'environnement efficace plutôt qu'un parcours d'obstacles procéduraux pour les porteurs de projets et une véritable participation du public qui contribue à une amélioration des choix au regard des objectifs de développement durable plutôt que d'être des nids à arguments contentieux. S'agissant précisément du contentieux administratif, là aussi la longueur des procédures est un problème et il faudrait envisager une intervention plus précoce du juge, pour permettre de remédier à des vices de procédure, plutôt que laisser pendant de nombreuses années des incertitudes.
- Une ligne de force, une attente commune traverse toutes les préoccupations, celle du besoin de sécurité juridique : avoir des règles stables et prévisibles ; savoir quelles règles sont applicables sur un territoire et à un projet ; savoir quelles règles sont appliquées par les concurrents, le cas échéant des autres pays européens (c'est cela, le véritable débat sur la « sur transposition ») ; savoir en combien de temps les contentieux seront purgés pour pouvoir réaliser les investissements. Voilà sans doute l'objectif majeur que doit poursuivre la réforme du droit de l'environnement, qui devra rester présent à l'esprit, constamment, sur tous les sujets : parvenir à une plus grande sécurité juridique.
Les attentes des contributeurs sont donc fortes et assez largement réalistes. Pour la journée de débat du 25 juin 2013, la date a été choisie par référence avec l'adoption du projet de Charte de l'environnement en conseil des ministres, dix ans auparavant, dans le souci d'inscrire les Etats généraux dans la lignée des progrès du droit de l'environnement, comme l'a indiqué la ministre dans son propos d'ouverture. Les participants étaient au nombre de 250, représentant toutes les différentes catégories d'acteurs.
Chacune des trois tables rondes comportait cinq à sept intervenants, choisis dans tous les collèges, avec au moins une personne ayant participé à l'élaboration de la Charte de l'environnement dix ans auparavant. Après une courte synthèse par un membre du comité de pilotage, les intervenants ont été invités à parler brièvement, afin de faire ressortir les points saillants, et laisser de la place pour les débats avec la salle. Ces débats se sont déroulés dans une ambiance sereine et très respectueuse des oppositions, qui ont été parfois très fortes dans le détail des mesures proposées. Par exemple, en ce qui concerne les sanctions pénales, tout le monde est convenu qu'elles ne sont pas appliquées. Mais certains en déduisent qu'il faut renforcer la politique pénale, d'autres qu'il faut au contraire renoncer aux infractions pénales au profit de la médiation pénale ou des sanctions administratives. Ce qui ressortait des synthèses a été assez largement confirmé par le déroulement des tables rondes.
En ce qui concerne les suites, il est prévu une communication sur les Etats généraux en conseil des ministres le 17 juillet, qui dégagera plusieurs axes d'action. Le Conseil interministériel de la modernisation de l'action publique (CIMAP) du même jour doit fixer les grandes lignes de la feuille de route, dont les détails seront finalisés par le Conseil national de la transition écologique (CNTE).
Vous nous avez indiqué avoir reçu plus de 800 contributions, dans le cadre de votre diagnostic des qualités et des défauts du droit de l'environnement, et en avoir synthétisé les principales orientations. Il est dans doute un peu tôt pour cerner avec précision les propositions du comité de pilotage que vous présidez. Mais on peut déjà identifier quelques questions qui se posent :
- Envisagez-vous d'aller vers une fiscalité environnementale plus marquée ? Si oui, de quelle manière ?
- Les sanctions pénales doivent-elles être réévaluées, pour les rendre plus dissuasives ?
- Comment faire évoluer les pratiques des industriels ? Le droit de l'environnement a un impact important sur le développement et sur la production des industries.
Merci pour votre exposé clair et limpide ; votre démarche me semble bien conduite et utile. Mais, alors qu'il faut faire aimer le droit de l'environnement, en tant qu'élus locaux nous avons parfois presqu'envie d'en détester les procédures, qui trop souvent s'opposent de manière absurde aux réalités. Je peux ici prendre l'exemple d'une commune de l'agglomération du Bourget, voisine du parc départemental de la Courneuve. Ce parc est une création entièrement artificielle : on a mis en place des bâches pour créer des étangs dans une zone auparavant dépourvue de tout intérêt environnemental. C'est un succès, et le département a eu l'idée de faire reconnaître le parc comme zone Natura 2000. Or, dans le cadre du projet Grand Paris, une gare va s'implanter à la limite de celui-ci. Mais, afin de protéger les crapauds calamites et le couple de blongios nains qui se sont installés dans le parc, il va être impossible de créer une continuité urbanistique pour relier la nouvelle gare à la commune concernée ! Il faudrait pouvoir ajuster le périmètre du parc en fonction de cette réalité nouvelle.
De même, on nous dit qu'il serait bien de densifier l'habitat autour des gares. Pour le faire, nous allons nous engager dans quatre années d'études diverses. Le préfet semble plutôt favorable, mais il va falloir aussi réinterroger Bruxelles. En pratique, nous ne sommes pas à même de procéder aux arbitrages nécessaires, et risquons de nous voir opposer un refus à l'issue des quatre années de procédures. Comment faire pour aller plus vite ?
D'une manière générale, l'Etat perd la maîtrise de ses missions financières. Il ne peut plus orienter par ses subventions l'action des collectivités territoriales, et remplace en conséquence par des tracasseries administratives ce levier financier devenu inopérant. Dans mon secteur, deux procédures environnementales importantes sont en cours, pour la construction d'une ligne à grande vitesse et celle d'un center parc. Alors que les tracasseries s'accumulent pour ce dernier, je constate que la procédure qui s'applique à la LGV est beaucoup plus légère : on vient d'autoriser l'ouverture d'une carrière pour alimenter le chantier, à 500 mètres d'une zone protégée.
Par ailleurs, une mission d'information sur la décentralisation est en cours au Sénat ; elle pourrait se pencher sur ces sujets. Actuellement, les normes nationales s'appliquent de la même manière sur tout le territoire. Ne serait-il pas opportun d'introduire une possibilité d'interprétation, voire une possibilité d'adaptation par les préfets afin d'avoir une certaine souplesse ?
Vous avez commencé votre propos en indiquant qu'aucun contributeur n'a demandé moins de protection pour l'environnement. Mais est-ce qu'aucun n'a demandé mieux et plus de protection ? Permettez-moi d'évoquer à mon tour un cas concret. Pour construire l'autoroute A 20 entre Rouen et Alençon, il a fallu assurer la protection d'un insecte rare trouvé dans un arbre mort : cela s'est traduit par un retard de chantier de deux ans, et un surcoût de 20 millions d'euros à la réalisation ! A mon avis, l'interprétation sur le terrain des normes environnementales par les représentants de l'Etat n'est pas du tout homogène sur l'ensemble du territoire. Dans mon secteur, le littoral se trouve classé entre Dunkerque et le Mont Saint-Michel : on ne peut plus rien faire !
Le consensus sur la nécessité de protéger l'environnement est une tarte à la crème. Personne ne dira jamais le contraire de manière cynique. Mais, dès qu'on entre dans les cas particuliers, les mêmes trouvent qu'on exagère, et on en revient toujours à des conflits d'intérêt. Il faut trouver le moyen de régler ces conflits d'intérêt, en revenant à la notion d'intérêt général. Sinon, je ne vois pas comment on pourra faire respecter les règles environnementales.
Vous avez évoqué la dépénalisation du droit de l'environnement : beaucoup des commentaires que vous avez recueillis estiment que ces pénalités sont trop rares et peu efficaces, et qu'il faut les remplacer par des sanctions administratives et financières. Mais nous connaissons tous des gens prêts à payer pour ne pas respecter la loi : dans ce cas, la sanction pénale est la seule arme vraiment dissuasive.
Pour s'en sortir, il faut apprécier les enjeux environnementaux globalement sur l'ensemble d'un territoire : alors, il est possible d'appréhender toutes les particularités, avec l'intérêt général en arbitre. Sinon, on reste face à une collection d'intérêts privés, et ce sera toujours le plus fort qui l'emportera.
Je suis en ligne avec les interventions précédentes. Dans notre approche de protection et de valorisation de l'environnement, nous devons conserver en arrière-fond cette notion d'intérêt général, à laquelle on doit toujours être attentif. Votre comité de pilotage a travaillé de manière transversale sur les approches environnementales. Dans mon secteur, nous sommes engagés dans une démarche agenda 21, et nous expliquons aux populations que les questions d'environnement sont forcément transversales. Il ne s'agit pas seulement du cadre de vie, mais bien de l'ensemble du champ du vivre ensemble, y compris dans sa dimension sociale.
L'exemple cité par notre collègue Vincent Capo-Canella montre bien qu'il faut, en réponse aux responsabilités accrues des collectivités territoriales, que les études demandées soient plus utiles et plus synthétiques. Il ne sert à rien d'ajouter des études à des études, si l'on n'a pas cette approche transversale. Je veux citer un autre exemple. Nous sommes tenus de « grenelliser » nos plans locaux d'urbanisme. Or, nous n'avons aujourd'hui aucun canevas par territoire pour le faire. Nous sommes des cobayes, qui subissons les analyses souvent divergentes des services de l'Etat. Nous avons besoin d'un médiateur qui fasse prévaloir l'intérêt général.
Vous avez évoqué le caractère transversal de vos travaux. Mais avez-vous pensé également à la procédure en cours d'évaluation de la politique de l'eau ? Sur le terrain, les procédures s'additionnent les unes aux autres et sont souvent contradictoires. Je suis favorable à une procédure générale, qui engloberait les enjeux d'urbanisme, d'eau, d'environnement, etc.
Je viens d'une région frontalière, l'Alsace. Nos voisins allemands sont très sensibles à l'environnement, mais suivent des démarches beaucoup plus pragmatiques que nous. Etes-vous allée voir ce qui se passe en Allemagne ? Je souhaite que l'on recoure au principe de responsabilité, davantage qu'au principe de précaution.
Merci pour la qualité de votre exposé. Vous avez reçu mission de réfléchir à une modernisation du droit de l'environnement. Je crois que, si l'on veut moderniser, il faut d'abord simplifier et revoir des contraintes qui sont autant de pesanteurs. Personne sur le terrain n'assumera que le développement durable est beaucoup plus performant qu'environnementaliste. La priorité doit aller à la préservation de l'humain. Or, la multiplication des réglementations et des procédures environnementales a un coût pour les collectivités territoriales, qui y perdent des crédits qu'elles ne peuvent plus mettre ailleurs. Je suis bien sûr un défenseur de la biodiversité, notamment en tant que chasseur. Mais la nature sans l'humain qui puisse s'y épanouir, ne sert strictement à rien. Nous devons assumer la nécessité d'une autorité sur les territoires, qui intervienne quand les blocages se multiplient au détriment de la richesse. Il faut nous aider à mettre en place une autorité de régulation, qui ne se réduirait pas au préfet, mais qui inclurait des représentants des élus locaux, des syndicats, des chasseurs, des chambres de commerce, etc. Quand un blocage se produira sur un grand projet, au risque de bafouer l'intérêt général, il sera alors possible de le surmonter. Il n'est pas possible de laisser l'intérêt général, dans ce pays, prisonnier d'une multitude de règles.
Vos travaux arrivent à point nommé. L'intérêt général se distingue des intérêts particuliers, qui ne sont pas seulement les intérêts privés, mais aussi les intérêts publics portés par des collectivités territoriales.
J'ai entendu récemment une conférence du paléontologue Yves Coppens, qui rappelait que dans l'histoire des temps les plus anciens, les espèces animales et végétales n'ont eu de cesse de s'adapter. Celles qui n'ont pu le faire étaient sans doute peu utiles. Que l'on n'oublie pas l'espèce humaine ! Dans mon département, le taux de chômage atteint 14 %, en grande partie parce que beaucoup de porteurs de projets vont en Belgique, où les normes sont plus accommodantes.
Je voudrais aussi revenir sur le principe de précaution. Il me paraît tout aussi fondamental que l'on prenne en compte la notion de risque nécessaire.
Enfin, un porteur de projet devrait connaître dès le début le nombre des études qui lui seront demandées. La multiplication de celles-ci contribue surtout à l'enrichissement des cabinets privés. En la matière, je suis favorable au principe prescripteur-payeur. Si l'Etat devait financer toutes les études qu'il rend obligatoires, il y aurait sans doute plus de cohérence et de logique dans les procédures environnementales.
Le ministère de l'agriculture a annoncé il y a quelques semaines un grand plan pour la méthanisation. Mais certains agriculteurs ont déjà méthanisé leur installation il y a cinq ou dix ans, avec l'aide de l'Etat, afin de mettre aux normes leur exploitation d'élevage. Ils ne comprendraient pas que leurs travaux soient remis en cause par ce nouveau type de droit qui risque d'être créé et qui pourrait être incompatible avec le précédent. En Allemagne, il y a déjà 6 000 exploitations agricoles environ qui méthanisent. Une coordination est nécessaire. Les DREAL doivent être préparées à ce changement.
En Picardie, une grande quantité de permis de construire concernant des éoliennes font l'objet d'un contentieux, 48 % d'entre eux d'après le préfet. Or, il existe un problème de compétence au sein du tribunal administratif, les magistrats étant peu armés face à d'excellents avocats spécialisés. Il est un peu gênant de se faire battre uniquement pour des raisons d'incompétence.
Un groupe a récemment été mis en place afin de mettre en commun les expériences allemande et française en matière d'éolien. Je voudrais souligner l'intérêt qu'il y a à suivre ses travaux et à le faire vivre. En janvier, la ministre Delphine Batho avait annoncé la création d'un office de coordination franco-allemand. Ces types de carrefours doivent être animés. Avant nous, les Allemands ont constitué un droit de l'environnement, qu'il serait intéressant de regarder.
Il y a une dizaine d'années, j'ai présidé une commission d'enquête sur les inondations. Nous nous sommes rendus deux fois aux Pays-Bas, où tous les problèmes liés à la gestion de l'eau, des berges aux forages profonds, sont réglés par une collectivité publique élue tous les cinq ans. C'est de ce pays que nous avons importé l'idée d'un plan de lutte contre les inondations. D'autres États européens ont aussi réfléchi à ces questions ; nous devrions nous enrichir de ces expériences.
Vos témoignages concordent largement avec ce que nous avons déjà entendu au cours de nos auditions. Je pense aux différents cas de projets arrêtés en raison de la présence d'une petite bestiole, mais aussi à la complexité des procédures et à leur caractère absurde, pour reprendre l'expression qu'a employée l'un d'entre vous. Lors du séminaire du 25 juin, Laurence Rossignol a employé, la première, l'expression d' « injonctions contradictoires », qui a été beaucoup reprise par la suite. Nous devons en effet protéger telle ou telle espèce, mais en même temps développer des transports non polluants. Il y a en matière d'environnement plusieurs objectifs qui peuvent apparaître comme « prioritaires ». Comme je l'évoque dans la synthèse de la deuxième table-ronde, j'ai eu parfois l'impression d'être confrontée à un conflit entre le droit et l'environnement. Cette difficulté est donc identifiée.
Que pouvons-nous faire pour y remédier ? Vous avez évoqué l'intérêt général. En me bornant à reprendre le compte-rendu du séminaire du 25 juin, j'évoquerais la lassitude des interlocuteurs à l'égard d'une certaine manière de faire le droit, consistant à apporter un nouvel outil à chaque problème rencontré, dans la précipitation, ainsi qu'une certaine façon de faire de la politique, en privilégiant l'affichage médiatique au service du bien commun, alors que la poursuite d'objectifs d'intérêt général requiert de la constance et de la persévérance.
Qui a la légitimité d'arbitrer ce qui relève de l'intérêt général ? Le préfet ? Une commission ? Après le Grenelle de l'environnement, Thierry Tuot avait évoqué l'idée d'un travail exercé collégialement, à cinq. Cette instance rendrait alors plutôt un avis qu'une décision ; il semble en effet préférable que ce soit une entité unique qui prenne cette décision et en assume la responsabilité.
Ce qui ressort du séminaire du 25 juin, c'est qu'un débat est nécessaire au plan local. C'est à cette échelle que peuvent se faire les arbitrages, par exemple entre les associations environnementales et les agriculteurs, et non au niveau national. Il y a cependant un risque de contradiction avec un autre souhait largement exprimé, qui est celui d'un droit applicable à tous de la même manière.
La loi et le règlement fixent les règles minimales à appliquer quand il existe un risque pour l'environnement, par exemple en matière de sanctions pénales. Le fait que le plafond des sanctions applicables aux personnes morales soit cinq fois supérieur au plafond des sanctions individuelles n'est pas suffisamment dissuasif. Il convient par ailleurs de maintenir des sanctions pénales pour les infractions les plus graves, mais peut-être de les réserver à ces dernières. Enfin, il faudrait pouvoir rendre publiques les sanctions, comme l'a suggéré France nature environnement : la publicité de la sanction peut s'avérer bien plus pénalisante que la sanction financière. Il faudrait trouver une façon de rendre notoires les manquements sérieux à l'environnement.
En ce qui concerne les comparaisons internationales, nous avons eu des éléments sur ce qui est pratiqué au Luxembourg, lors de notre déplacement en Meurthe-et-Moselle. En Allemagne, une seule autorisation vaut pour l'urbanisme et le respect des exigences environnementales qui relèvent des installations classées au titre de la protection de l'environnement. Mais dans ce type d'exercice, il faut faire attention à prendre en compte l'ensemble des paramètres. L'organisation institutionnelle de l'Allemagne est différente de la nôtre : il y a des règles édictées au niveau national, mais aussi celles des Länder. Ainsi, pour les infrastructures en réseau par exemple, les démarches peuvent être beaucoup plus compliquées en Allemagne qu'en France. Nous avons suggéré que de telles comparaisons soient réalisées de façon thématique au sein de groupes de travail.
Le thème de la surtransposition du droit européen est beaucoup évoqué. Les personnes qui emploient cette expression renvoient souvent au fait que, lorsque les textes européens laissent une marge de manoeuvre, dans le choix des seuils par exemple, la France choisit le seuil le plus élevé en termes d'exigence environnementale alors que d'autres pays ne le font pas. Mais il faut vérifier la pertinence des comparaisons. Pour la qualité de l'eau par exemple, le pourcentage d'amélioration doit être mis en perspective avec la qualité initiale de l'eau. Si l'on part avec une qualité initiale beaucoup plus médiocre que les autres pays, ce qui est le cas dans certaines de nos régions, il est logique de demander un effort plus important.
Nous avons reçu huit cents contributions et effectué une série d'auditions en région, en Basse-Normandie et en Lorraine. Nous y avons rencontré des élus, des associations, des agriculteurs, des entreprises, afin d'avoir un panorama des préoccupations des différents acteurs de terrain. Une phrase prononcée à cette occasion résume bien les préoccupations des porteurs de projets : il s'agit de faire des lois courtes, de penser leur application en même temps que leur élaboration et de sortir très rapidement des circulaires d'application qui soient pertinentes mais ne créent pas de droit. Il y a une demande de méthodologie. Comment interpréter les textes et les appliquer ? Comment garantir des situations plus sûres et plus stables pour les porteurs de projet ? Si vous en êtes d'accord, je souhaiterais ajouter le compte-rendu de l'audition d'aujourd'hui aux contributions recueillies dans le cadre des Etats généraux, pour que soient pris en considération les exemples que vous avez cités.
En ce qui concerne la conduite des projets, une table-ronde a porté sur la manière d'appliquer le droit de l'environnement à la réalisation des projets. Les axes-clés de réforme souhaités sont les suivants : la création d'un guichet unique, la mise en place d'un permis environnemental et d'une autorisation unique afin d'éviter les procédures multiples. L'absence d'approche intégrée engendre des délais et une charge de travail supplémentaires, tant pour les porteurs de projets que pour les services qui les instruisent, ainsi qu'un risque d'incohérence. Elle est aussi source d'incompréhension et de confusion pour le public, qui perçoit moins l'utilité de sa contribution. Le premier axe de réforme pourrait consister en la mise en oeuvre d'un permis unique par étapes, avec par exemple la création d'un guichet unique, avec un référent unique au sein de l'administration destiné à accompagner les porteurs de projets, puis la fusion des autorisations délivrées au titre du code de l'environnement. La création d'un tel permis environnemental nécessiterait toutefois des réflexions plus avancées sur la mutualisation des études d'impacts et l'harmonisation des délais de délivrance et de validité des autorisations ou encore celle des voies de recours. Le permis unique est envisagé comme l'ultime étape. Il regrouperait l'ensemble des autorisations relevant des législations sur l'environnement, l'urbanisme et l'agriculture.
D'autres pistes ont été envisagées lors de ces Etats généraux : la dématérialisation des procédures, qui serait source réduction des délais et des coûts d'instruction des dossiers, l'étude d'une procédure d'autorisation tacite en l'absence de réponse de l'administration dans les délais, ainsi que la réduction globale des délais de traitement des dossiers.
De nombreuses critiques ont porté sur les études, jugées trop nombreuses et redondantes. Pour un même projet, peuvent être nécessaires une étude d'impact, une évaluation de son incidence au titre des espaces Natura 2000, une étude au regard de la loi sur l'eau, une autre sur l'état de conservation des espèces protégées... Des exemples assez rocambolesques nous ont été donnés : le nid de goélands dans le lycée maritime de Caen doit faire l'objet d'une demande de dérogation au niveau national ainsi que d'une consultation du public sur cette même demande. Laurence Rossignol a aussi cité le cas des chauves-souris nichées dans le clocher d'une église... La réflexion sur la mutualisation de ces études est très attendue. Les exemples que nous avons eus rejoignent vos témoignages d'aujourd'hui et illustrent une forte demande de rationalisation et d'application du principe de proportionnalité entre l'ampleur du projet et le type de contraintes qui lui sont applicables.
Je vous propose de vous livrer les orientations exposées ce matin même en conseil des ministres par le ministre. Les principes qui ont été retenus sont les suivants : la recherche d'un progrès et non d'un recul en matière de droit de l'environnement, le souhait d'une plus forte proportionnalité des contraintes procédurales aux enjeux environnementaux et enfin la volonté d'une plus grande efficacité et effectivité du droit de l'environnement. Trois axes sont définis pour la suite : les méthodes d'élaboration du droit de l'environnement, les procédures applicables à la réalisation des projets et la sécurité juridique, les sanctions en cas d'atteinte à l'environnement.
Dans le premier axe, nous évoquerons notamment le droit européen. La Commission recueille à l'heure actuelle les propositions des Etats membres afin de simplifier le droit européen de l'environnement. Pour l'instant, d'après nos informations, la contribution de la France a porté sur le seul secteur de la commande publique. C'est une question importante, parce que si le droit européen est complexe, il faudra l'appliquer tel quel en France.
L'idée a aussi été émise d'évaluer et de tester l'impact des règles avant leur adoption. Des « tests PME » commencent à être développés. Un travail de réduction des schémas et des documents de planification semble aussi souhaité.
Je ne reviens pas sur le guichet unique, l'étude d'impact et l'autorisation unique que vous a exposés Claude Chardonnet. Un projet de loi d'habilitation devrait être présenté au Conseil d'Etat fin juillet, pour prévoir une possibilité d'expérimentation, par les préfets, en lien avec les Etats généraux. Il s'agirait d'autoriser la mise en place de guichets uniques et une organisation de l'État en mode projet. Ces expérimentations pourraient aussi porter sur la fusion des autorisations, en premier lieu dans le secteur de l'éolien terrestre, pour lequel l'autorité en charge de l'instruction des dossiers est l'Etat tant en ce qui concerne l'urbanisme qu'en ce qui concerne l'environnement. L'idée d'une sorte de rescrit procédural, aussi appelé certificat de projet, a également été émise, dans l'objectif d'améliorer le cadrage préalable des projets et de faciliter la connaissance de l'ensemble des démarches à suivre.
La question des sanctions ne peut être abordée par le seul ministère de l'écologie ; elle doit l'être en partenariat avec le ministère de la justice. Nous devons en outre attendre les conclusions du groupe de travail présidé par Yves Jégouzo, prévues pour le mois de septembre.
Je voudrais signaler que dix régions n'ont pas de guichet unique, ce qui n'est pas normal. Je vous informe également que l'OPECST m'a confié un rapport sur les obstacles réglementaires à l'innovation en matière d'énergie des bâtiments.
Je voudrais conclure en ajoutant qu'en tant que législateurs, nous devons prêter attention aux normes que nous édictons et au coût qu'elles représentent.