Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 13 juillet 2011 à 9h30
Réserves militaires et civiles — Discussion en deuxième lecture et adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Je tiens avant tout à m’associer à l’hommage qui vient d’être rendu à Josselin de Rohan.

Ce que vous venez de dire à l’instant me tient très à cœur, monsieur le rapporteur, et je souscris pleinement à vos propos sur la dimension à la fois citoyenne et stratégique de ce sujet.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, hier après-midi, nos collègues députés ont apporté quelques modifications mineures, essentiellement d’ordre rédactionnel, à ce texte, en préservant son économie générale. Je me contenterai donc de reprendre dans mon intervention quelques-unes des remarques que j’avais formulées en première lecture, au Sénat, le 30 mars dernier.

La proposition de loi, issue du remarquable travail de nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant, part d’un constat simple : l’État n’est pas suffisamment préparé pour faire face, dans la durée, à la survenue d’un risque majeur susceptible de menacer un jour la population ou, tout simplement, le fonctionnement normal de nos institutions. Je partage ce point de vue.

Deux éléments expliquent, à mon sens, ce sentiment d’impréparation.

Le premier est que les risques sont d’une ampleur nouvelle en raison d’une profonde mutation de notre environnement international depuis les années quatre-vingt-dix. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 a très bien analysé cette évolution, qui appelle une autre évaluation des risques.

Sans être plus dangereux, notre environnement géopolitique est aujourd’hui plus imprévisible : la multiplication d’acteurs régionaux puissants rend plus aléatoire la définition de stratégies géopolitiques claires et assurées ; l’interdépendance économique génère une concurrence à l’échelle planétaire, qui peut aussi être source de tensions ; la mondialisation des échanges humains et la numérisation des informations effacent peu à peu la frontière entre sécurité intérieure et sécurité extérieure – on l’a dramatiquement vu avec les attentats du 11 septembre. Si le risque d’un conflit armé classique sur notre territoire s’est éloigné depuis la dernière grande guerre mondiale, l’implication de la France sur des théâtres d’opérations extérieures nous expose au risque terroriste.

Les conséquences des catastrophes naturelles et technologiques ont également pris une nouvelle dimension en raison de la densification de la population. À cet égard, la tempête Xynthia a dramatiquement illustré le problème d’une urbanisation insuffisamment contrôlée. Quant au drame de Fukushima, qui nous a tous beaucoup touchés, même s’il nous semble très éloigné, il a montré la vulnérabilité des hommes en cas de crise majeure et le manque de préparation des autorités, en l’occurrence japonaises, pour maîtriser rapidement la situation. Cette catastrophe doit aussi nous interpeller.

Enfin, n’oublions pas le risque pandémique, rendu plus aigu par le développement des déplacements.

C’est également dans ce contexte qu’avait été décidé en son temps l’abandon de la conscription en vue de la professionnalisation des armées. Ce choix, compréhensible, mais aussi regrettable à bien des égards, a désorganisé un système de réserve, qui, en 1993, était tout de même fort, sur le papier, de 3 millions de réservistes.

Nous nous souvenons, mes chers collègues, de cette réserve de masse, alimentée par les anciens appelés âgés de moins de trente-cinq ans. Soudainement, il a fallu faire sans… La transition a été difficile, et l’on a dû attendre la loi du 22 octobre 1999, modifiée par la loi du 18 avril 2006 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense pour tirer les conséquences du nouveau format des armées sur la réserve.

Nous sommes aujourd’hui arrivés à un paradoxe : pour adapter l’outil de défense aux nouveaux enjeux géostratégiques, nous avons amputé la réserve militaire de moyens humains qui pouvaient s’avérer utiles en cas de crise majeure.

Ce second élément valide aussi, à mon sens, les limites du dispositif actuel décrites par les auteurs du rapport intitulé Pour une réserve de sécurité nationale. Je ne reprendrai pas leurs analyses sur notre capacité à affronter une crise classique et sur notre impossibilité à répondre à une crise plus atypique ou plus durable. Je souscris à ces observations pertinentes. Celles-ci ont conduit au dépôt de cette proposition de loi, qui, dans un premier temps, va déjà répondre à la nécessité de mieux mobiliser les réservistes tant militaires que civils en vue d’une réserve de sécurité nationale. Il est en effet souhaitable d’instaurer rapidement un dispositif complet, bien dimensionné et réactif.

Cette volonté me semble faire l’objet d’un consensus, tant chez les parlementaires – nous devrions voter un texte conforme dans quelques instants – que chez les acteurs de terrain, qui attendent une nouvelle organisation capable de mettre en œuvre des moyens humains à la mesure des nouveaux risques.

Je peux aussi témoigner de mon expérience d’élu local. À travers les dispositifs que nous avons mis en place, notamment le plan « mobilisation de crise à Mulhouse », ou MO.C.A.MU, nous avons profondément modifié notre culture du risque sur le terrain. Aujourd’hui, les acteurs de terrain sont en attente de ce dispositif national.

Le texte ne touche pas au cœur de l’organisation quotidienne des réserves. Le secrétaire d’État, les auteurs de la proposition de loi et le rapporteur ont tous indiqué qu’il s’agissait d’une première étape. Il est avant tout question de créer les conditions d’une mobilisation rapide et durable des réservistes en cas de crise d’une ampleur exceptionnelle.

Ces mesures me permettent également, plus largement, de rebondir sur l’engagement citoyen et opérationnel du réserviste. Nous sommes dans une société exigeante, qui laisse peu de place au fatalisme et qui recherche en permanence les responsabilités. Cette évolution, dont on pourrait discuter sans fin d’un point de vue philosophique, s’impose néanmoins à nous.

Si nous devons tout mettre en œuvre pour offrir à l’ensemble de nos concitoyens la protection civile qu’ils attendent, nous devons aussi faire comprendre à tous les Français que sans un engagement minimal de certains d’entre eux, les forces d’active ne pourront pas faire face, dans la durée, à une crise majeure.

J’ajoute que la réduction du format des armées a conduit celles-ci à se concentrer sur leur cœur de métier et à délaisser le recrutement à temps plein d’experts, tout au moins dans certains domaines. Par conséquent, la réserve militaire et civile représente aujourd’hui une forme d’externalisation alimentant utilement les besoins des forces actives. Il faut que nos concitoyens sachent que l’on a besoin de toutes les bonnes volontés.

J’ai d’ailleurs pu constater à plusieurs reprises sur le terrain, y compris en ma qualité de réserviste, que l’armée ne pouvait pas fonctionner sans les réservistes, pas plus sur le territoire national qu’en opérations extérieures. Supprimez demain les réservistes, à quelque rang, grade ou compétence que ce soit, et l’armée ne fonctionne plus ! Les militaires de haut rang, généraux ou chefs de corps, le reconnaissent. Vous le savez également, mes chers collègues, mais il est bon de le rappeler de temps en temps.

Je vous ai écouté avec attention, monsieur le secrétaire d’État, et je me réjouis que vous repreniez ce chantier dans lequel je m’étais moi-même beaucoup investi lorsque j’étais secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants. Nous avions alors, avec le Conseil supérieur de la réserve militaire, formulé quelques propositions.

En dépit de l’intérêt du ministre Gérard Longuet pour le sujet, j’avais quand même le sentiment que le dossier avait besoin d’être repris en main. Vous vous y employez aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, et je m’en félicite. Il ne s’agit pas d’un chantier marginal, destiné exclusivement à flatter le lobby des réservistes, aussi estimable soit-il, mais d’un enjeu d’importance pour notre pays, qu’il s’agisse de répondre à d’éventuelles crises majeures ou d’assurer le fonctionnement normal de notre défense nationale. D’ores et déjà, je vous félicite de vos réflexions sur la gouvernance et l’organisation du système. Sachez que vous pourrez compter sur moi pour accompagner votre réflexion.

Il est important de promouvoir le statut de réserviste, non seulement pour susciter les vocations, mais aussi pour encourager les entreprises à changer de regard sur les réservistes, lesquels ont souvent tendance à dissimuler leur engagement à leur employeur. La proposition de loi amorce la protection juridique dont les réservistes ont besoin.

Reste que l’on pourrait faire davantage pour valoriser leur statut, ce qui permettrait de ne pas décourager ceux qui sont déjà réservistes et d’attirer ceux qui ne le sont pas encore, notamment les jeunes. Ces derniers, désireux de se rendre utiles, sont en effet de plus en plus nombreux à vouloir s’engager, y compris en qualité de simples soldats. À contre-courant de l’individualisme ambiant, nous constatons que la jeunesse est prête à s’engager, tout du moins chaque fois qu’on lui en donne la possibilité.

Lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi, M. Longuet disait vouloir mettre en place une politique de communication pour valoriser auprès des entreprises le label « Partenaire de la défense nationale ». Actuellement, seules 313 entreprises ont obtenu ce label. Elles sont certes très motivées, mais on devrait pouvoir en convaincre de nombreuses autres, notamment des petites et moyennes entreprises, avec le concours de la CGPME, qui est partie prenante à la démarche.

Je compte donc sur vous, monsieur le secrétaire d’État, d’autant que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat avait supprimé, en première lecture, l’article 3 visant à étendre le dispositif relatif au mécénat aux entreprises mettant des salariés à disposition des réserves pendant les heures de travail. Nous avons bien compris, monsieur le président de la commission, qu’il est préférable de débattre des questions fiscales dans le cadre de la loi de finances, et je sais que nous ne réglerons pas ce problème aujourd’hui. Je me permets toutefois de soulever de nouveau cette question, laquelle en induit à son tour une autre, qui me tient tout autant à cœur.

Lorsque j’étais secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants, j’avais lancé le principe d’un « chèque volontariat nation personnalisé » afin de rémunérer le réserviste immédiatement après sa période d’instruction, de manœuvre ou d’engagement opérationnel. Je souhaitais ainsi répondre à la question du retard observé dans le défraiement des réservistes. Je voulais appeler votre attention sur cet aspect, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous reprenez ce dossier en main avec beaucoup de motivation et de volontarisme.

Voilà, mes chers collègues, les quelques observations que je voulais vous livrer à l’occasion de cette seconde lecture.

De façon générale, nous sommes tous sensibles à l’engagement citoyen que je trouve très remarquable, d’où également l’intérêt de la réflexion sur la réserve citoyenne. Nous ne l’oublions pas ! Nous avons là un texte qui ouvre la voie et qui permettra d’emblée d’optimiser les moyens humains indispensables au fonctionnement de la sécurité nationale de notre pays.

Pour conclure, je voudrais, à l’instar de M. le président de la commission, saluer nos soldats, en particulier mes camarades de la réserve qui sont en opération extérieure ou qui interviennent quotidiennement sur le terrain.

Par ailleurs, permettez-moi un clin d’œil : nous sommes le 13 juillet, il faut savoir que, demain, le beau défilé du 14 juillet auquel nous assisterons ou que nous regardons à la télévision ne peut fonctionner en termes de logistique qu’avec l’engagement des réservistes, notamment d’une unité commandée par un réserviste et qui réalise un travail aussi obscur qu’indispensable. C’est un bon exemple !

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