Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 23 juillet 2013 à 15h00
Actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la nouvelle-calédonie diverses dispositions relatives aux outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avoue ne pas être un spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. Je l’ai découverte au gré de l’examen de ces projets de loi, car, finalement, j’en connaissais peu, en tout cas bien moins que mes collègues présents aujourd’hui, les réalités sociologiques, historiques et politiques. Toujours est-il que le sujet m’a passionné !

Les statuts des collectivités ultramarines sont très souvent des modèles uniques en leur genre, très éloignés de ce que connaissent les collectivités territoriales métropolitaines. On peut aisément affirmer que l’outre-mer a toujours constitué un laboratoire juridique et institutionnel.

Cependant, si l’on retrouve certaines problématiques communes aux outre-mer, il faut bien reconnaître que la spécificité du modèle calédonien, depuis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, est sans équivalent.

Il est néanmoins l’héritage d’une histoire complexe, marquée par de violents affrontements entre communautés autour de la question de l’accession à l’indépendance, que je ne rappellerais pas ici, mais que les pouvoirs publics de l’époque ont su apaiser en renouant le dialogue avec les représentants des partis indépendantistes et loyalistes.

Ainsi, le 26 juin dernier, la Nouvelle-Calédonie célébrait le vingt-cinquième anniversaire de la signature des accords de Matignon, qui avaient mis un terme à plusieurs années de tensions ayant atteint leur paroxysme lors de la tragédie de la grotte d’Ouvéa.

Ces accords furent suivis par l’accord de Nouméa et par sa traduction juridique, la loi organique du 19 mars 1999, qui prévoyait des transferts progressifs de compétences de l’État vers la Nouvelle-Calédonie et la tenue d’une consultation de la population entre 2014 et 2018 pour décider de l’avenir institutionnel de cette collectivité.

Depuis lors, on croyait le temps des tensions extrêmes révolu. L’année 2011 fut pourtant marquée par des événements dramatiques liés à un contexte social très difficile, partagé, il est vrai, par l’ensemble des outre-mer, dû à la cherté de la vie et à un chômage endémique touchant principalement les jeunes issus de la communauté kanake. Les accords économiques et sociaux signés à l’époque pour remédier à la situation n’ont jamais été appliqués.

C’est notamment la raison pour laquelle un mouvement social de grande ampleur, réunissant plusieurs syndicats et touchant les trois provinces de l’archipel, a de nouveau éclaté au mois de mai dernier. Les manifestants souhaitaient la mise en place d’un dispositif de modération des prix semblable à celui qui est contenu dans la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, ou loi Lurel, que le Sénat avait adoptée en septembre dernier en première lecture et dont j’avais eu le privilège d’être le rapporteur pour la commission des lois.

Avec les pluies diluviennes survenues au début de ce mois de juillet, qui ont entraîné une dégradation importante des exploitations agricoles, la pression sur les prix ne risque pas de baisser !

Ce profond malaise social et la crise économique que connaît la Nouvelle-Calédonie depuis quelques années peuvent s’expliquer par les retards qui ont été pris depuis 2007 dans la mise en œuvre du volet économique et social de l’accord de Nouméa, compromettant de ce fait la politique de rééquilibrage qui en était le cœur.

Le projet de loi organique portant actualisation de la loi du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie a pour objet de poursuivre le processus enclenché il y a vingt-cinq ans.

Il clarifie des compétences existantes et reconnaît des prérogatives aux autorités calédoniennes, telles que le pouvoir de police administrative générale et de réquisition accordé au président du gouvernement.

Il facilite également le fonctionnement des institutions du territoire, en accordant notamment la possibilité à l’assemblée de province de déléguer son pouvoir à son président pour passer les marchés publics ou encore au président de la Nouvelle-Calédonie de subdéléguer sa signature aux agents de son administration.

Enfin, il actualise les règles administratives et financières en vigueur sur ce territoire.

Conformément à l’engagement pris par le Premier ministre devant le comité des signataires de l’accord de Nouméa le 6 décembre dernier, ce texte permet surtout à la collectivité de créer, par des lois du pays, des autorités administratives indépendantes dotées des mêmes pouvoirs, notamment de sanction.

Cette disposition essentielle – et, on l’imagine aisément, fortement attendue par la population, au regard des difficultés qu’elle rencontre – pourra s’appliquer dans des domaines aujourd’hui sensibles, tels que la concurrence, la concentration économique et l’aménagement commercial. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie pourra se doter d’une autorité de la concurrence locale, outil de régulation indispensable qui devrait rendre effective l’adoption par le congrès calédonien, le 25 juin dernier, d’une loi antitrust, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, qui en a été saisi.

Pour être parfaitement efficaces, ces organismes devront voir leur impartialité et leur indépendance assurées par la mise en place de garanties concernant leur composition, les modalités de désignation et de fin de mandat de leurs membres, et les règles d’incompatibilités auxquelles ils sont soumis.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons qu’adhérer aux amendements proposés par Mme la rapporteur – et je saisis l’occasion qui m’est donnée pour saluer son travail – qui prévoient d’inscrire le principe selon lequel les membres de ces futures AAI seront nommés par arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, après confirmation par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Avant d’évoquer le second texte qui nous est présenté, et qui fait l’objet avec le projet de loi organique d’une discussion générale commune, je me permets une digression, pour attirer l’attention du Gouvernement sur l’état déplorable de la prison de Nouméa. Des mutineries y éclatent régulièrement, les prisonniers protestant contre les conditions indignes dans lesquelles ils sont détenus, conditions également dénoncées par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, et par l’Observatoire international des prisons. Cette question ne prête pas à polémique - même si l’on aurait souhaité que le gouvernement précédent y apporte des solutions pérennes et réalistes - mais le projet de construction d’un nouvel établissement à Nouméa, coûteux et inadapté, n’y répondait pas.

Consciente de la gravité et de l’urgence de la situation, Mme Taubira a annoncé, outre le déblocage d’une enveloppe de 32 millions d’euros destinée à rénover et agrandir la prison, l’envoi sur place d’une mission chargée notamment d’apporter des solutions à ce problème. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur ce point ?

Mais j’en viens au projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, qui prévoit la ratification de huit ordonnances.

Mes collègues interviendront pour vous présenter des amendements relatifs à leur département. Je voudrais, pour ma part, faire une remarque liminaire concernant le recours aux ordonnances. Si je suis sensible à l’argument selon lequel, compte tenu de la surcharge du calendrier législatif, ce procédé présente nombre d’avantages, il est néanmoins indispensable de bien veiller à associer le Parlement au processus d’élaboration des textes.

J’aimerais m’appesantir quelques instants sur l’ordonnance du 25 janvier 2013 relative aux allocations de logement à Mayotte, qui crée, outre l’allocation de logement familiale, qui existait déjà, l’allocation de logement sociale, dont l’alignement progressif sur le droit commun des départements d’outre-mer est prévu.

L’INSEE a relevé, lors de son dernier recensement, que le nombre de logements augmentait moins vite que la population. Si la croissance démographique de Mayotte est si forte, c’est certes en raison du nombre important de naissances, mais également, et surtout, à cause d’une pression migratoire extrêmement élevée.

Les dispositions que je viens d’évoquer vont évidemment dans la bonne direction, mais elles resteront insuffisantes. J’avais alerté Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur ce point. Le taux actuellement arrêté pour cette allocation est trop bas, les ménages mahorais ne peuvent assumer les loyers. Au bout du compte, les logements sociaux existants restent vides et les logements en programmation ne trouveront jamais preneur…

Les deux textes qui nous sont soumis aujourd’hui marquant l’engagement pris par ce gouvernement de soutenir les outre-mer, le groupe socialiste votera cette dixième réforme de la loi organique de 1999, ainsi que le projet de loi ordinaire.

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