Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative au droit des malades et à la fin de vie a trait à l'un des sujets les plus graves qui soit.
Légiférer sur cette question est une entreprise délicate, presque un exercice de conscience individuelle. Il ne peut s'agir de céder aux excès de la sauvegarde de la vie à tout prix ou d'une adhésion sans réserve à l'euthanasie. La modération est plus que jamais de mise ; c'est pourquoi le texte qui nous est soumis semble, dans une certaine mesure, satisfaisant.
L'état de l'opinion publique et la pression des médias pouvaient faire craindre une dépénalisation explicite de l'euthanasie. Les travaux de la mission Leonetti ont permis de diffuser quelques principes de déontologie médicale connus des médecins, mais ignorés du grand public, en particulier celui selon lequel il est possible d'éviter l'acharnement thérapeutique sans recourir à l'euthanasie active.
Ce sont ces principes que reprend le présent texte, dessinant ainsi un « modèle français », une troisième voie entre le vide juridique actuel et les options belge et néerlandaise de dépénalisation de l'euthanasie. Il est donc question aujourd'hui de mettre en adéquation le droit et la pratique sans cautionner les dérives éventuelles.
Cependant, même si les intentions de ses concepteurs sont louables, la présente proposition de loi reste insatisfaisante. En elle-même, elle n'était pas techniquement indispensable, car les principes de déontologie médicale qu'elle contient ne sont que des rappels. Les formulations qu'elle reprend sont par ailleurs parfois maladroites et incomplètes.
En outre, de l'aveu même de ses promoteurs, ce texte tend à permettre, ce qui est beaucoup plus grave et inacceptable, l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation dans une intention suicidaire, ce qui constituerait une forme d'euthanasie, ou une intention euthanasique lorsque la demande émanera des familles ou des personnes de confiance, au nom d'un malade incapable de s'exprimer. Des conflits juridiques risqueront d'apparaître : des familles ou des personnes de confiance réclameront l'application des directives anticipées de refus de traitements dans des situations où ceux-ci seraient raisonnables ou proportionnés.
Enfin, l'expression : « le médecin sauvegarde la dignité du mourant » est discutable, car la dignité ne peut se perdre ou s'acquérir ; il s'agit pour le médecin de reconnaître la dignité du mourant plus que de la sauvegarder.
Pour me résumer, je dirai que le présent texte porte de graves risques : risque de reconnaître implicitement et de banaliser un « droit au suicide », risque d'accepter l'arrêt de soins proportionnés, l'arrêt de l'alimentation ou de l'hydratation, dans un dessein d'euthanasie, risque encore de reconnaître aux directives anticipées une valeur contraignante.
Pour toutes ces raisons, je soumettrai au Sénat, au cours de la discussion des articles, des amendements ayant pour objet d'écarter les risques susmentionnés.
Le premier d'entre eux concerne l'alimentation et l'hydratation des personnes malades en fin de vie. Il est nécessaire de considérer les soins d'hygiène et le maintien d'une température adéquate, l'alimentation et l'hydratation, même artificielles, comme des soins minimaux, ordinaires, proportionnés, dus à la personne, et non comme des actes médicaux. C'est là, à mon avis, un impératif éthique de premier ordre.
Par ailleurs, il est fondamental de rappeler que tout malade a droit à des soins proportionnés. Ce droit est clairement affirmé dans la Charte des droits des personnes en fin de vie, en vertu de laquelle « toute personne mérite d'être soignée jusqu'à la fin de sa vie dans de justes proportions, en bénéficiant des techniques disponibles les plus efficaces ».
Afin de donner une portée concrète à ce droit, il est nécessaire d'introduire dans la proposition de loi la notion de proportionnalité entre les soins et les objectifs médicaux. Pour pouvoir être suspendus, les actes médicaux devront être « disproportionnés » par rapport au résultat attendu. Je présenterai plusieurs amendements allant dans ce sens.
Enfin, l'article 5 de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie nous semble aller beaucoup trop loin et ouvrir la porte à des dérives très graves. Cet article tend en effet à permettre au corps médical de suspendre le traitement de personnes incapables d'exprimer leur volonté : il y a là un danger évident, un glissement vers l'euthanasie. La loi ne doit pas autoriser à interrompre les soins prodigués à une personne inconsciente.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je voterai cette proposition de loi, en tâchant de toujours conserver à l'esprit, au cours de nos débats, que la vie est le bien le plus précieux qui nous soit donné.
Il me reste à remercier la commission des affaires sociales, son rapporteur, Gérard Dériot, et son président, Nicolas About, de l'excellence de leur travail.