Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 12 avril 2005 à 16h00
Droits des malades et fin de vie — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Il ne faut donc pas hésiter à parler d'euthanasie.

Mais comme le dit si bien Jacques Pohier dans son excellent ouvrage La Mort opportune, il peut arriver aux mots comme aux êtres humains des accidents qui les abîment ou qui les tuent. C'est ce qui est arrivé au mot euthanasie lorsqu'on l'a utilisé pour désigner, notamment, les programmes d'élimination par l'Allemagne nazie de certains êtres humains considérés comme indignes de vivre. Dans certains pays, notamment en France, le mot euthanasie a ainsi été détourné de son sens premier. Or il n'y a aucune raison de sacrifier ce terme en l'abandonnant à cette utilisation erronée.

La mort est la plus grande angoisse de la condition humaine. Elle est source de révolte. L'euthanasie consiste à agir en vue de procurer à quelqu'un une mort douce et sans souffrance, une mort vécue dans la sérénité. C'est aussi l'un des objets de la démarche à l'origine de ce texte.

Dans les débats sur l'euthanasie, on distingue parfois l'euthanasie active de l'euthanasie passive. L'expression « euthanasie passive » désigne alors les cas d'omission ou d'interruption de traitement de survie, en particulier lorsque l'autre solution consiste à tenter de maintenir le patient en vie par un traitement acharné, agressif, voire inutile, pratique condamnée par l'éthique médicale, à plus forte raison lorsque le malade a refusé ce traitement. N'est-ce pas ce que propose le texte ?

Seulement, l'omission ou l'interruption d'un traitement ne suffit pas toujours. Quant à la sédation, elle endort ; elle ne sert qu'à faire perdre au patient la perception de la réalité, du temps et, en fait, de sa propre fin de vie.

Si l'euthanasie passive est reconnue dans certains cas sur le plan idéologique, religieux et légal, il est difficile de voir la distinction morale avec l'euthanasie active. D'ailleurs, existe-t-il vraiment une euthanasie passive ? La distinction doit-elle être faite ? A mon avis, non ! La seule question est de savoir si l'on reconnaît ou non à chacun le droit à disposer de sa mort.

C'est la raison pour laquelle ce texte est insuffisant. Le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale s'intitulait Respecter la vie, accepter la mort. Mais quelle mort ce texte propose-il ? Une mort cachée ! Accepter la mort, c'est accepter la mort en face, pour ceux qui le souhaitent.

Le débat sur la question de la fin de vie est complexe, car il met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : d'une part, le respect de la vie et, d'autre part, le respect de la dignité et de la liberté de l'homme.

Il est interdit de donner la mort ! Tel est l'impératif éthique, social et politique. Certes ! Mais au nom de la liberté, tout homme doit avoir l'assurance qu'il pourra vivre sa mort conformément à ses choix. Il ne s'agit plus de « donner la mort », mais d'aider à mourir.

Quel que soit le mot utilisé - euthanasie, aide active à mourir, mort opportune, mort douce, mort choisie, mort dans la dignité -, la question reste la même ; elle est difficile, délicate à aborder, parce qu'elle fait appel à des convictions - morales, religieuses, philosophiques, éthiques - qui sont avant tout personnelles.

Je ne détaillerai pas les différences idéologiques, je préciserai seulement un point. Ce n'est d'ailleurs pas seulement une conviction personnelle, c'est un principe qui devrait être intangible : dans un pays laïque, la morale religieuse - fort respectable au demeurant - ne peut empêcher un pays de légiférer.

Quelle est la première fonction de la loi ? Il serait restrictif de considérer que la loi n'a pour fonction que d'énoncer ce qui est interdit et ce qui est permis. Cette fonction, incontestable, n'est que la conséquence d'une fonction plus noble et plus fondamentale : proclamer un droit et en protéger l'exercice.

Ainsi, au lieu de se demander ce qui est permis ou défendu aux tierces personnes - médecins, soignants, famille, proches - en matière de lutte contre la douleur, d'acceptation ou de refus de traitement et d'euthanasie, il faut faire de la personne concernée le centre de gravité de tout le système ; il faut se demander quels sont les droits des êtres humains sur la fin de leur vie.

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