Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’enjeu du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire qui reviennent devant le Sénat en nouvelle lecture ce matin est clair : rétablir une capacité d’écoute de la parole politique pour retrouver le chemin de la confiance de nos concitoyens. La démarche que vous propose le Gouvernement est en effet de promouvoir l’exemplarité républicaine.
Des dizaines d’heures d’examen au Parlement, de la lecture des débats, tenus ici même en 1988, en 1990, en 1995 ou même en 2011, il émerge un constat gravé dans l’histoire de nos républiques, dont nul, me semble-t-il, ne peut s’exonérer : si chaque majorité, chaque gouvernement souhaite légiférer dans la sérénité, il convient pourtant d’observer que les grands scandales politico-financiers ont tous abouti à une modification du droit positif.
Convenons que ce mal qui frappe régulièrement la vie de nos républiques est sans doute assez indissociable de la condition humaine et du fonctionnement des corps sociaux.
Convenons aussi qu’il nous appartient, collectivement, de lui administrer le meilleur des remèdes démocratiques : l’adoption de bonnes lois, qui seront bien appliquées. C’est également, je le sais, un souci constant de votre commission et du président Jean-Pierre Sueur.
Nous le savons tous, la démocratie est une quête permanente. Elle doit se conforter par des pratiques et des mœurs faisant davantage place à la responsabilité de nos concitoyens. Ces projets de loi font donc le pari de restaurer la confiance dans les institutions comme dans leurs serviteurs en faisant précisément le pari de la confiance en nos concitoyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, après l’achèvement de leur examen au Sénat le 15 juillet, puis l’échec de la commission mixte paritaire le 16 juillet, l’Assemblée nationale a repris en nouvelle lecture les textes qu’elle avait déjà adoptés en première lecture, s’agissant principalement de l’article 1er du projet de loi organique et de l’article 11 du projet de loi ordinaire.
Je tiens toutefois à souligner d'ores et déjà l’apport du Sénat et le travail effectué par sa commission des lois. L’Assemblée nationale a en effet maintenu plusieurs dispositions votées par votre assemblée, notamment l’ajustement des délais de contrôle des déclarations de situation patrimoniale au moment de leur dépôt, c’est-à-dire trente jours pour communication par l’administration fiscale des éléments utiles puis trois mois pour le contrôle par la Haute Autorité.
Concernant le dispositif de consultation des déclarations en préfecture, rétabli par l’Assemblée nationale, la peine de prison envisagée en première lecture en cas de publication des informations figurant dans ces déclarations a été supprimée, au profit de la seule peine d’amende. En outre, aucune sanction ne sera encourue lorsque le parlementaire rend lui-même publique sa déclaration. Je tiens simplement à dire que le Gouvernement est désormais satisfait par l’équilibre des dispositions qui ont été adoptées à cet égard.
L’Assemblée nationale a en outre conservé – ce que le Sénat avait souhaité - l’extension de ces obligations aux vice-présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants, issue d’un amendement du groupe UDI-UC du Sénat.
S’agissant de l’amélioration de la transparence des liens entre l’argent et la politique, l’Assemblée nationale a conservé l’interdiction pour un parlementaire nommé en mission par le Gouvernement ou désigné pour siéger dans un organisme extraparlementaire de percevoir une rémunération. Cela me semble en effet très utile.
L’Assemblée nationale a également modifié l’article 11 bis A relatif à l’interdiction de l’usage de l’indemnité représentative de frais de mandat pour les campagnes électorales. À ce sujet, il convient de préciser, pour la bonne interprétation de nos débats, que ces dispositions n’interdisent pas l’usage de l’indemnité de base.
Les informations contenues dans les déclarations d’intérêts, qui seront rendues publiques par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, seront en outre librement réutilisables. Il s’agit d’une avancée importante vers ce qu’on appelle l’open data, auquel le Gouvernement est tout à fait favorable. Ce dernier déploie d’ailleurs une vaste stratégie interministérielle à cet égard.
L’Assemblée nationale a par ailleurs repris les dispositions assurant la transparence de la « réserve parlementaire », l’une des avancées importantes du débat en première lecture. Cette proposition du groupe socialiste du Sénat a été votée à l’unanimité par les députés.
Pour la première fois dans notre histoire, un texte législatif va donc définir la notion de conflit d’intérêts et mettre en place des outils pour prévenir de telles situations. Notre ambition est bien de placer notre pays au rang des démocraties les plus avancées en la matière. Ainsi, les déclarations d’intérêts seront rendues obligatoires pour les 8 000 personnes visées par les présents projets de loi. Elles seront rendues publiques par la Haute Autorité. Je crois que l’on ne mesure pas encore les implications que ce dispositif induira sur les prises de décision des électeurs comme des responsables publics.
Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire organisent aussi pour la première fois un système de déport, en vertu duquel, par exemple, les membres des autorités administratives indépendantes – ne réduisons pas les personnes concernées aux seuls élus – se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts auront l’obligation de s’abstenir de prendre part à l’affaire en cause. Là encore, cette nouvelle obligation est la matrice d’un profond renouvellement des pratiques des décideurs publics. À cet égard, l’Assemblée a adopté un amendement qui envisage la situation des ministres d’une manière plus conforme, me semble-t-il, aux règles institutionnelles applicables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, afin d’assurer le contrôle de ces différentes obligations, une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera créée – l’Assemblée nationale a conservé le mot « pour » introduit par le Sénat – et disposera de pouvoirs effectifs. Elle sera en outre dotée de l’autonomie financière et pourra fixer son organisation interne ainsi que ses procédures par un règlement général. La Haute Autorité pourra aussi demander à l’administration fiscale d’exercer son droit de communication, ce qui est une avancée très importante. L’ensemble de ces nouveaux pouvoirs forment une promesse, qui doit permettre de nous écarter de nouvelles affaires. Ces dernières déchirent en effet le lien de confiance qui doit nous unir aux Français.
Le président de la Haute Autorité sera nommé par décret dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution. Le collège sera ouvert à des personnalités dites qualifiées, mais son format sera compatible avec les implications qu’entraîne la ratification de la nomination de ces personnalités à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Enfin, les projets de loi vous proposent deux séries de dispositions tenant aux incompatibilités parlementaires et à une amélioration de la répression pénale.
Nos premières propositions consistent à protéger les parlementaires des intérêts particuliers. L’indépendance des élus participant à l’exercice de la souveraineté nationale est un principe constitutionnel. Celui-ci doit être garanti par l’édiction de nouvelles interdictions évitant la confusion de l’argent et de la démocratie.
En ce qui concerne le contrôle de ces incompatibilités comme les sanctions éventuelles en cas de conflit d’intérêts, je tiens à rappeler que les textes qui vous sont soumis aujourd’hui respectent pleinement l’autonomie des assemblées. C’est bien, et ce sera toujours, le bureau des chambres qui aura le dernier mot, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Cette mesure répond à une préoccupation tout à fait légitime exprimée devant votre assemblée par Mme Tasca, la présidente du comité de déontologie parlementaire du Sénat.
Comme l’a souligné le rapport d’information sur la prévention des conflits d’intérêts de mai 2011, rapport issu du groupe de travail présidé par M. Hyest, la logique des incompatibilités est non pas d’interdire toute activité professionnelle, mais plutôt de soustraire le mandat parlementaire aux influences susceptibles de l’écarter de la prise en compte de l’intérêt général. Un consensus s’est dégagé entre les deux chambres pour interdire, par exemple, le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice de fonctions au sein d’entreprises réalisant une part importante de leur activité commerciale avec l’administration. Le Gouvernement s’en félicite.
S’agissant des dispositions pénales, le Gouvernement s’est, là encore, rangé aux arguments de la commission. Il n’a pas réintroduit le dispositif pénal spécifique relatif aux fausses déclarations des ministres. Le droit commun s’appliquera donc à eux.
Le projet de loi ordinaire vous propose également de mettre en œuvre l’engagement n° 49 du programme de François Hollande, en ouvrant la possibilité d’une peine complémentaire d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à dix ans en répression des infractions portant atteinte à la moralité publique, telles que la corruption ou la fraude fiscale. Nous avons, là encore, écouté et entendu les commissions des assemblées. La sagesse a donc prévalu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les textes qui vous sont soumis me semblent avoir notablement été enrichis par le débat parlementaire de ces dernières semaines, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
L’ensemble des dispositions que le Gouvernement soumet à votre examen veut servir la démocratie en lui apportant un surcroît de transparence et de justice. Je suis convaincu que la Haute Assemblée saura apporter sa pierre à la cause de la vertu politique, elle qui légifère sous l’œil de Portalis. Ce dernier disait : « il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ».
Ces textes nous apparaissent plus que jamais nécessaires. Il vous appartient de leur conférer la force obligatoire de la loi, car ils sont utiles au bon fonctionnement de notre démocratie.