Je dois en outre vous rendre compte du fait que la commission des lois a adopté plusieurs amendements relatifs à la publicité des patrimoines, qui ne sont pas sans importance et sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir.
Mon propos sera positif, disais-je, parce que, comme vous l’avez fait, monsieur le ministre, je veux montrer que le débat parlementaire entre les groupes au Sénat et à l’Assemblée nationale ainsi qu’entre le Sénat et l’Assemblée nationale a permis de faire avancer les choses. La preuve en est que l’Assemblée nationale a retenu neuf apports du Sénat en matière d’incompatibilités et de conflits d’intérêts. Je vais les énoncer succinctement.
En premier lieu, l’Assemblée nationale a été sensible à nos arguments concernant l’obligation de déport pour les ministres. Vous devez vous en souvenir, mes chers collègues, nous avions indiqué que cette disposition, en particulier pour le Premier ministre, risquait de poser un problème de constitutionnalité. Les députés ont donc modifié leur texte pour renvoyer les conditions de ce déport à un décret.
Je ne suis pas sûr que cela suffise. En tout cas, la rédaction du décret sera délicate, même si je sais que vous y serez attentif, monsieur le ministre. Elle devra prévenir tout risque d’inconstitutionnalité. Le Premier ministre comme les ministres ont en effet compétence liée dans un certain nombre de domaines : les ministres contresignent les actes du Premier ministre, et ce dernier ceux du chef de l’État.
En deuxième lieu, l’Assemblée nationale a conservé l’interdiction pour un parlementaire nommé en mission par le Gouvernement de percevoir une rémunération.
En troisième lieu, l’Assemblée nationale a conservé l’interdiction pour un parlementaire désigné pour siéger dans un organisme extraparlementaire au titre de l’assemblée à laquelle il appartient de percevoir une rémunération.
En quatrième lieu, concernant les incompatibilités applicables aux membres du Conseil constitutionnel, dont nous avons beaucoup débattu, mes chers collègues, l’Assemblée nationale a repris la rédaction proposée par la commission des lois du Sénat. Elle a donc retenu un alignement sur la situation des magistrats judiciaires, à savoir l’incompatibilité absolue avec toute activité professionnelle. Toutefois, l’Assemblée nationale a été sensible – nous l’avions été aussi – au fait que les membres du Conseil constitutionnel puissent exercer des activités scientifiques, littéraires ou artistiques. Il aurait été dommage de brider leur talent, en particulier celui des plus éminents d’entre eux, si je peux me permettre de faire cette distinction, qui, par définition, n’a pas lieu d’être.
En cinquième lieu, pour ce qui est de la définition du conflit d’intérêts, point auquel nous tenions particulièrement, l’Assemblée nationale a maintenu la substitution du terme d’« intégrité » à celui d’« impartialité ». En effet, il est difficile de demander à un ministre ou à un parlementaire d’être impartial. En revanche, il se doit d’être intègre.
En sixième lieu, l’Assemblée nationale a adopté sans modification le texte voté par le Sénat, aux termes duquel le bureau détermine les règles en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts, après avis de l’organe interne à l’assemblée chargé de la déontologie.
En septième lieu, l’Assemblée nationale s’est inscrite dans la logique des positions du Sénat, qui avait conduit ce dernier à préciser les règles encadrant l’activité de la Haute Autorité en confortant ses garanties statutaires d’indépendance. Elle en a repris la rédaction.
En huitième lieu, en nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a conservé l’essentiel des dispositions ajoutées au fil de la première lecture lors de l’examen de la question du financement de la vie politique. Elle a repris les dispositions qui nous avaient été suggérées par Jean-Yves Leconte et Gaëtan Gorce.
En neuvième lieu, l’Assemblée nationale a repris dans les mêmes termes les dispositions que nous avions adoptées relatives à la publication de ce qu’on appelle improprement la « réserve parlementaire », c’est-à-dire des sommes inscrites au budget du ministère de l’intérieur et affectées soit à des collectivités territoriales, soit à des associations, à la demande des parlementaires. Ainsi, si vous adoptez à nouveau cette mesure, mes chers collègues, et si l’Assemblée nationale la vote à son tour en dernière lecture, c’est sur l’initiative du Sénat que ces dotations parlementaires seront publiées chaque année, de manière parfaitement transparente.
Certes, il est des points sur lesquels nous n’avons pas été suivis, mais ils sont en nombre plus restreint.
L’Assemblée nationale n’a pas repris l’incompatibilité de l’exercice du mandat parlementaire avec les fonctions de direction d’un syndicat professionnel, qui figurait pourtant en bonne place dans le rapport adopté sur l’initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest. Elle n’a pas non plus fait siennes les clarifications rédactionnelles apportées par le Sénat concernant notamment l’incompatibilité du mandat parlementaire avec les fonctions de président ou de membre d’une autorité administrative indépendante.
De même, les députés ont réintroduit la référence à la « théorie des apparences », qui ne nous avait pas convaincus, dans la définition du conflit d’intérêts. Ils ont d’ailleurs aussi supprimé la définition, applicable aux seuls parlementaires, que nous avions adoptée, ce qui aboutirait, si les choses demeuraient en l’état, à une absence de toute définition légale du conflit d’intérêts.
En outre, l’Assemblée nationale n’a pas retenu notre proposition d’intégrer au sein de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique deux membres supplémentaires, chaque assemblée en désignant deux plutôt qu’un. Je ne comprends pas très bien sa position sur ce point, mais la réalité est celle-là...
Enfin, nous n’avons pas été suivis sur les lanceurs d’alerte. En première lecture, nous avions considéré – nous allons sans doute confirmer cette analyse aujourd'hui – qu’il n’était pas nécessaire d’aborder dans des textes sur la transparence un sujet déjà traité dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
J’en viens à la question des déclarations de patrimoine, de leur publicité, publication ou consultation et du contrôle effectué par la Haute Autorité.
Je dois dire que l’Assemblée nationale a repris certaines de nos propositions en la matière. En particulier, nous avions critiqué le délai de deux mois dévolu à la Haute Autorité pour effectuer son premier contrôle avant que la consultation ne soit possible, un délai que nous jugions trop court, même si la Haute Autorité pouvait continuer à exercer son contrôle ensuite. Nous l’avions donc porté à trois mois, et l’Assemblée nationale nous a suivis. Elle s’est également ralliée à notre position sur la réduction de deux mois à un mois de la période dévolue à l’administration fiscale pour répondre aux questions de la Haute Autorité, qui pourra assumer son office de manière plus réaliste s’il y a au minimum trois mois pour exercer le contrôle et si les informations fiscales doivent être apportées en un mois.
Je relève également que l’Assemblée nationale a maintenu la suppression, décidée par le Sénat, de l’attestation sur l’honneur par les membres du Gouvernement des déclarations de situation patrimoniale et des déclarations d’intérêts, qui avait pour objet de constituer un délit spécifique d’attestation mensongère. À notre sens, une telle disposition soulevait de réelles interrogations au regard des principes constitutionnels en matière de droit pénal. Nous avons donc été suivis sur ce point.
Reste, mes chers collègues, une disposition essentielle qui n’a pas permis d’arriver à un accord en commission mixte paritaire.
Pour l’Assemblée nationale, les déclarations de patrimoine doivent pouvoir être consultées dans chaque préfecture par tout citoyen. Dans le même temps, ce qui est universellement consultable ne peut jamais être publié sous peine d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende.
Au Sénat, nous avons majoritairement – je parle en commission, la séance publique ayant émis, chacun s’en souvient, un vote négatif sur l’article 1er – considéré que de telles dispositions n’étaient pas réalistes. En effet, à l’heure d’internet, il apparaît extrêmement difficile d’envisager que des informations consultables par tout le monde ne puissent pas être publiées sous peine de sanctions.
La commission avait donc dans un premier temps souhaité supprimer les sanctions prévues ou, plutôt, les remplacer : nous avions ainsi décidé de punir de 7 500 euros d’amende la publication mensongère ou volontairement inexacte des déclarations de patrimoine auxquelles chacune et chacun pouvaient avoir accès. Puis, la réflexion suivant son cours, nous avons estimé, au sein de la commission des lois – j’apporte cette précision dans un souci de clarté –, préférable d’en revenir tout simplement au texte du Gouvernement, qui prévoyait une publication de l’ensemble des déclarations au Journal officiel un jour donné, comme cela existe pour les ministres. Cette position a été celle d’un certain nombre des membres de notre assemblée, même si elle n’a pas été celle de la majorité lors du vote sur l’article 1er, puis sur l’ensemble du texte.
Je tiens à le souligner, d’une certaine manière, nous avons déjà été entendus. En effet, l’Assemblée nationale a décidé en nouvelle lecture de supprimer la peine de prison, qui pouvait être considérée comme véritablement excessive. Il reste l’amende, et elle n’est pas mince : 45 000 euros !
La commission des lois n’a pas adopté de texte hier matin. Elle a retenu hier après-midi des amendements extérieurs tendant à revenir à la position qui avait été la sienne en première lecture, en l’occurrence la publication des patrimoines au Journal officiel.
Dans ces conditions, si l’on dresse le bilan, on constate que de nombreux apports du Sénat figurent dans la version de l’Assemblée nationale. Je vois donc mal comment celle-ci pourrait ne pas les prendre en compte lors de la dernière lecture qui aura lieu au mois de septembre. Ainsi, et le président Jean-Pierre Bel s’en est d’ailleurs réjoui, il y a des acquis non négligeables du Sénat dans le texte.
Il reste un point de divergence : l’alternative entre consultation et publication. Nous en parlerons de manière très sereine aujourd'hui, car, après tout, le débat est tout à fait légitime. Il m’a paru utile de rappeler la position que j’avais défendue en première lecture en tant que rapporteur. D’autres collègues ont un point de vue différent. Nous allons en débattre et statuer. Si le Sénat adopte un texte, l’Assemblée nationale pourra, le cas échéant, en reprendre telle ou telle disposition. Sinon, elle pourra bien entendu voter sa propre version, qui comprendra de toute manière un certain nombre d’apports de notre assemblée.
Tels sont donc les éléments dont je souhaitais vous faire part, dans un état d’esprit, vous le voyez, qui est tout à fait serein et positif.