Intervention de Jean Louis Masson

Réunion du 25 juillet 2013 à 15h00
Transparence de la vie publique — Exception d'irrecevabilité sur le projet de loi, amendements 4 5 6 7

Photo de Jean Louis MassonJean Louis Masson :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai déposé cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité en concertation non seulement avec mon collègue non-inscrit Alex Türk, mais également avec plusieurs députés et sénateurs non-inscrits.

Nous considérons en effet que, tels qu’ils ont été adoptés par l'Assemblée nationale, les articles 11 bis et 11 ter du projet de loi, relatifs au financement public des petits partis, posent un véritable problème de constitutionnalité. Les amendements n° 4, 5, 6, et 7 que j’ai cosignés avec mon collègue Alex Türk, mais qui intéressent en fait quasiment tous les députés et les sénateurs non-inscrits, tendent d’ailleurs à y répondre.

Il s’agit de lever la confusion sur ce que les médias appellent parfois les « micro-partis ». Cette notion n’a aucun fondement juridique. De plus, elle est source d’ambiguïté, car elle recouvre deux situations radicalement différentes. Sur ce sujet, je commencerai donc par une mise au point sémantique, pour préciser les deux catégories de micro-partis.

La première catégorie est celle des micros-partis, tels qu’ils apparaissent, notamment, dans l’affaire Woerth-Bettencourt. Ce sont en fait des satellites d’un grand parti et non de réelles structures indépendantes. Il ne s’agit que de constructions artificielles créées par tel ou tel responsable politique membre à titre principal d’un grand parti, qui se sert de son micro-parti pour contourner la réglementation.

Par exemple, les dons à un même parti politique étant plafonnés, il suffit de créer un micro-parti pour doubler le plafond du don. De même, pour une campagne électorale, un candidat a intérêt à faire un don au micro-parti qu’il a créé, lequel reverse ensuite la somme à son compte de campagne. Cet artifice permet alors au candidat de bénéficier de la déductibilité fiscale sur la dépense en cause.

Ce sont ces différents aspects qui sont ciblés de manière d’ailleurs très imparfaite et très incomplète par l’article 11 ter du projet de loi. À cet égard, je le reconnais, il faut remettre de l’ordre, et je voterai cet article.

La seconde catégorie de micro-partis correspond à des petits partis qui sont, eux, bien réels et qui, malgré une audience faible, voire très faible à l’échelon national, ont un ancrage local fort dans tel ou tel secteur géographique. Ces petits partis ne sont en aucun cas des satellites artificiels de grandes structures, car leurs responsables ne sont pas parallèlement adhérents d’un grand parti.

C’est cette seconde catégorie de micro-partis qui est ciblée par l’article 11 bis. Or l’aide publique de l’État est à juste titre répartie proportionnellement à la représentativité de chaque formation politique.

Pour la première fraction de cette aide, le critère de représentativité est le nombre de suffrages obtenus aux élections législatives, et il est parfaitement admissible qu’un seuil soit fixé, par exemple avoir présenté cinquante candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages.

Pour la seconde fraction, le critère de représentativité prend en compte le nombre de parlementaires. Toutefois, les grands partis, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont toujours essayé d’étouffer les tentatives de dissidence en leur sein et la concurrence que peut leur faire localement tel ou tel petit parti politique. Pour évincer les petits partis, ils ont donc subordonné l’accès à la seconde fraction de l’aide de l’État aux exigences de la première fraction.

Or un petit parti peut très bien être représentatif sur la base du nombre de parlementaires rattachés, sans pour autant disposer d’une couverture territoriale de cinquante candidats sur l’ensemble de la France obtenant au moins 1 % des suffrages.

Le meilleur exemple est celui du Nouveau Centre sous la précédente législature. Ce parti avait un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale et même des ministres, mais, faute d’un ancrage sur l’ensemble du territoire, il ne remplissait pas la condition des cinquante candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages.

Face à cette situation, et pour ne pas être spoliés de leur droit légitime à l’aide de l’État, ces petits partis ont été obligés de trouver des palliatifs. C’est la raison pour laquelle, sous la précédente législature, des partis tels que Debout la République, ayant plusieurs parlementaires, ou le Nouveau Centre, ayant même un groupe parlementaire et des ministres, ont été obligés de se rattacher à des partis dits « d'outre-mer ». Il est en de même sous la législature actuelle pour le CNI, le Centre national des indépendants, et pour le MPF, le Mouvement pour la France, de M. de Villiers.

La véritable solution à cette situation paradoxale devrait être que chaque parlementaire puisse choisir librement son parti politique de rattachement, ce qui serait la moindre des choses dans une démocratie.

Mes collègues Alex Türk et Philippe Darniche et moi-même avons tous trois la même légitimité et la même représentativité que n’importe quel autre sénateur dans cette enceinte. Nous l’avons prouvé en parvenant à être élus face à l’énorme machine de guerre des grands partis politiques. Il en est de même pour les députés indépendants et non-inscrits à l’Assemblée nationale, qui, eux, ont en plus affronté le suffrage universel direct.

Il est donc quelque peu facile de caricaturer le rattachement d’élus comme nous à des partis d’outre-mer. En effet, si les grands partis politiques n’avaient pas essayé de nous étouffer en nous privant des droits dont disposent les autres parlementaires, nous n’en serions pas là.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’amendement n° 4 de notre collègue Alex Türk et moi-même vise en priorité à supprimer la subordination qui a été artificiellement créée entre la seconde partie de l’aide de l’État et les règles d’éligibilité afférentes à la première partie.

En tout état de cause, il n’est pas correct de changer la règle du jeu de manière rétroactive, car, tel qu’il est rédigé, l’article 11 bis instaure une nouvelle règle en prenant en compte les candidatures aux élections législatives de 2012. Or, en 2012, on ignorait totalement les nouvelles contraintes prévues dans cet article. Pour répondre à ce constat, Alex Türk et moi-même avons déposé l’amendement n° 7.

Enfin, outre ces remarques de principe, je conclurai en rappelant les problèmes constitutionnels fondamentaux que nous évoquons au travers de nos amendements n° 5 et 6.

L’article 1er de la Constitution dispose : « La France est une République indivisible. » En outre, l’article 3 indique : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » À ce titre, les parlementaires sont tous égaux et représentent dans leur globalité la souveraineté nationale.

Un député ou un sénateur représente donc toute la France et pas la circonscription ou le département dans lequel il est élu. Ainsi, après l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1871, un député qui n’avait pas démissionné a conservé son mandat jusqu’à la fin de la législature, bien que le territoire fût juridiquement devenu allemand. De même, lors de l’indépendance de Djibouti, le député de ce territoire a conservé son mandat jusqu’à la fin de la législature, tout en étant par ailleurs président de la nouvelle République. Lors de l’indépendance de l’Algérie, il a fallu une décision explicite de destitution des députés concernés, ce qui prouve a contrario que leur mandat n’était pas automatiquement rattaché à un territoire précis.

Or l’article 11 bis du projet de loi crée une distinction entre parlementaires dits « d’outre-mer » et parlementaires dits « de métropole ». Une telle différence de traitement entre les représentants de la Nation en fonction de leur circonscription d’élection serait contraire au principe d’égalité et à celui d’indivisibilité de la souveraineté nationale que proclament les articles de la Constitution que j’ai cités.

De plus, si un parti politique n’a présenté qu’un candidat à Saint-Pierre-et-Miquelon, il n’y a aucune raison de permettre à un député élu en Nouvelle-Calédonie de s’y rattacher et de refuser la même possibilité à un député élu dans le Finistère, un département qui est tout de même deux fois moins loin de Saint-Pierre-et-Miquelon que la Nouvelle-Calédonie ! Un parlementaire de Nouvelle-Calédonie n’a pas plus de rapports avec Saint-Pierre-et-Miquelon qu’un parlementaire du Finistère, et rien ne permet de justifier une rupture de l’égalité de traitement entre ces deux parlementaires ou entre partis politiques.

Enfin, l’article 4 de la Constitution dispose que les partis et groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement ». Or l’article 11 bis interdirait aux parlementaires de se rattacher librement à certains partis ou groupements politiques. Il empêcherait aussi les petits partis d’outre-mer de bénéficier du soutien de tout député ou sénateur élu dans une circonscription métropolitaine, alors que ces députés sont également des représentants de l’ensemble de la Nation.

En résumé, l’article 11 bis instituerait donc une différence de traitement entre les représentants de la Nation en fonction de leur circonscription d’élection, ce qui est contraire à la fois au principe d’égalité et au principe de souveraineté nationale.

En outre, il compromettrait, au détriment des petits partis d’outre-mer, l’expression démocratique des divers courants d’idées et l’exigence du pluralisme, ce qui est également contraire à ces principes.

Mes chers collègues, en concertation avec certains autres parlementaires non inscrits, très minoritaires dans cette assemblée, je tenais à ce que ces réflexions figurent au Journal officiel.

Toutefois, puisque je viens de défendre une motion tendant à opposer la question préalable et que je ne souhaite pas prolonger indûment les débats, je retire à présent cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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