Cependant, alors que le débat a été engagé à l'Assemblée nationale à la suite de ce que l'on a appelé « l'affaire Vincent Humbert » et que la mission d'information a été créée sur l'initiative du président Jean-Louis Debré moins d'un mois après le décès du jeune Vincent, on peut s'étonner légitimement que cette proposition de loi n'apporte pas de solution aux cas de même nature.
On nous dit que cette proposition de loi pose le principe du droit de laisser mourir, que c'est une position équilibrée et qu'il faut s'en tenir là. Pour l'instant, les avis divergent.
De mon point de vue, il existe un autre droit, qui est celui de demander à mourir et qui peut s'exprimer par l'expression : « la mort opportune ».
Certes, deux principes fondamentaux s'affrontent : d'une part, celui du respect de la vie, qui est le fondement même de nos sociétés, qui devrait d'ailleurs être plus répandu et qui est la raison même de l'engagement des médecins et, d'autre part, celui du respect de la dignité de l'homme et de sa liberté en ce qui concerne la fin de sa vie.
Il faut bien avouer qu'aujourd'hui plus qu'hier, grâce aux progrès considérables des techniques médicales, on peut s'interroger sur le passage entre la vie et la mort.
La seule mort contre laquelle les médecins ne peuvent rien est la mort cérébrale. En effet, on ne peut pas encore remettre en marche un cerveau qui ne fonctionne plus, mais on peut soutenir un coeur qui cesse de battre, on peut retenir pendant des mois le dernier soupir d'un malade grâce à la respiration artificielle, on peut filtrer le sang à la place des reins défaillants, on peut nourrir une personne qui ne peut plus s'alimenter normalement, on peut l'hydrater si elle ne peut plus boire normalement, et on peut même plonger dans un coma artificiel celles et ceux pour qui la douleur serait insupportable.
Pendant longtemps, l'homme n'a eu aucun pouvoir de décision sur le moment où la vie s'arrête. Aujourd'hui, la situation est différente, et grâce à ce que l'on appelle les « machines à vivre », on peut aider un organisme à fonctionner encore malgré tout, pendant des jours, des mois, des années.
Cette réalité doit nous interpeller, comme elle interpelle l'opinion publique ; il existe des exemples en France, mais aussi dans d'autres pays comme les Etats-Unis. Le législateur doit se poser la question de savoir comment répondre concrètement à cette situation, comment mettre le droit en adéquation avec la réalité médicale.
C'est précisément ce que nous vous proposerons, mes chers collègues, avec les différents amendements que le groupe socialiste vous présentera, et notamment celui qui permettrait de répondre à la situation « Vincent Humbert ».
En effet, chacune et chacun d'entre nous peut mettre fin à ses jours si la vie lui semble insupportable. Le suicide n'est pas sanctionné et il est considéré dans notre pays comme l'expression ultime de la liberté individuelle. Pourquoi celles et ceux qui n'ont pas les moyens physiques d'accomplir librement cet acte, alors qu'ils auraient justement toutes les raisons de le faire et de trouver leur vie insupportable - si tant est que l'on puisse encore parler de vie - ne seraient pas autorisés à demander une aide ? Pourquoi ne peut-on apporter cette aide à ceux qui ont perdu l'usage de leur corps, mais pas leur liberté d'adulte, qui sont majeurs et sains d'esprit ?
Nous devons répondre à ces questions et nous devons prévoir les conditions dans lesquelles ces personnes pourront êtres aidés, alors qu'elles ne peuvent plus agir elles-mêmes.
Mes chers collègues, je n'ignore pas que ces considérations mettent en jeu nos convictions les plus profondes, mais je crois que nous devons les dépasser pour atteindre ce qui est le devoir du législateur.
Lors de son audition devant la commission des affaires sociales, M. le ministre nous a dit que ce texte était certainement le plus important que le Parlement ait examiné depuis une trentaine d'années. En outre, je le souligne pour rendre hommage à nos collègues députés, ce texte est d'origine parlementaire.
Le Parlement, c'est l'Assemblée nationale, mais c'est aussi le Sénat, qui examine aujourd'hui ce texte en première lecture. Les sénateurs doivent faire entendre leur voix. Le Sénat participe à la discussion et au vote des lois, il les améliore techniquement et sur le fond ; c'est sa vocation et, j'allais même dire, la raison d'être du bicamérisme. Une longue carrière de député m'a convaincu qu'il apportait des améliorations aux textes qui étaient examinés souvent très rapidement en première lecture.
Et sur un texte aussi important, notre Haute Assemblée n'aurait rien à dire, comme l'a suggéré, dans son rapport, M. Dériot, à qui je veux rendre hommage pour sa sincérité et sa probité ! Fort heureusement, M. le président de la commission des affaires sociales a présenté ce matin un certain nombre d'amendements qui ont été adoptés par la commission.
J'espère que le Sénat, dans sa grande sagesse, suivra M. le président de la commission, que ce texte sera amendé et qu'ainsi la Haute Assemblée aura fait entendre sa voix.
Mes chers collègues, nous sommes attendus par l'opinion publique. Nous devons apporter notre pierre à cet édifice, nous devons l'améliorer, nous devons aller plus loin dans le sens qui est souhaité par un très grand nombre de nos concitoyens.
Comme l'écrivait Montesquieu dans Les Lettres persanes : « il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante ». Dans ce domaine, plus encore qu'en d'autres, c'est ainsi que l'on doit légiférer.
Pour ma part, c'est aussi avec la conscience de répondre à de vraies demandes, à des cris de souffrance qui ne trouvent pas de réponse que je vous propose, avec le groupe socialiste, de modifier la proposition de loi qui nous est soumise et je ne la voterai qu'à cette condition.