Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission du développement durable s’est saisie pour avis des articles relatifs à l’action de groupe, des articles relatifs à l’information du consommateur sur la réparabilité des produits et la durée des garanties légales, des articles concernant la protection des indications géographiques, ainsi que de deux mesures ponctuelles relatives aux transports.
Premier sujet : l’action de groupe. Les articles 1er et 2 du projet de loi introduisent dans notre législation une action de groupe en matière de droit de la consommation et de la concurrence. C’est l’aboutissement d’un débat de près de trente ans auquel le Sénat a largement contribué.
À l’heure de la crise économique, il est plus que jamais essentiel de rétablir la confiance des consommateurs dans les mécanismes, y compris contentieux, de régulation du marché. L’action de groupe est une procédure démocratique en ce qu’elle facilite l’accès de chacun à la justice. Le dispositif, considérablement amélioré par le travail en commission, encadre correctement les risques de dérives pour les entreprises.
Nous aurons l’occasion de débattre largement des améliorations restant à apporter au texte, mais une problématique me semble fondamentale, celle des délais dans le cadre de la procédure d’action de groupe.
Il est prévu, dans le dispositif, que le juge statue dans une seule et même décision sur la responsabilité du professionnel et sur les modalités de constitution du groupe et de réparation des consommateurs lésés. Cependant, les mesures de publicité du jugement ne peuvent être mises en œuvre aux frais du professionnel qu’une fois que cette décision n’est plus susceptible de recours ordinaires ou de pourvoi en cassation.
Faut-il nécessairement attendre l’extinction de toutes les voies de recours ? Nous savons tous que cela peut prendre de nombreuses années. Or, plus ce délai sera long, moins le consommateur aura conservé les éléments de preuve nécessaires, et moins il aura envie de s’engager dans une procédure judiciaire pour obtenir réparation.
J’ai conscience de l’équilibre délicat que le texte cherche à trouver entre sécurité juridique pour les entreprises, d’une part, et garantie des droits des justiciables, d’autre part. Je suis néanmoins convaincu que nous pouvons encore affiner le texte sur ce point.
En tout état de cause, cette réforme est l’occasion pour la commission du développement durable d’affirmer fortement la nécessité d’une extension, à moyen terme, de l’action de groupe à la santé et à l’environnement.
Certes, certaines problématiques environnementales pourront d’ores et déjà se trouver incluses dans le champ d’application du dispositif prévu. Ainsi, un contentieux se développe actuellement autour des démarches de responsabilité sociale et environnementale des entreprises, la fameuse RSE. Trois associations ont par exemple déposé plainte, en février dernier, contre l’entreprise coréenne Samsung. Elles estiment que les engagements éthiques de la marque induisent le consommateur en erreur, dans la mesure où des violations sévères du droit du travail ont été constatées dans les usines de ses fournisseurs en Chine. Or, à partir du moment où les démarches RSE deviennent un argument dans la vente de biens, une action de groupe pourra tout à fait être engagée par une association sur le fondement du non-respect de ces démarches éthiques, qui constitue une pratique commerciale trompeuse.
Cela reste toutefois insuffisant. Il faudrait que trois types de dommages au moins soient ouverts à l’action de groupe.
Tout d’abord, je citerai les dommages résultant des activités de santé : les exemples récents sont nombreux, du sang contaminé aux prothèses PIP en passant par le Mediator.
Ensuite, nous pensons aux dommages résultant des produits alimentaires : les victimes de scandales alimentaires de masse, comme l’affaire de la vache folle, ou, plus récemment, de la viande de cheval, pourraient demander réparation par ce biais.
Enfin, les dommages résultant des atteintes environnementales devraient être concernés : il s’agirait non seulement des atteintes à la santé des personnes du fait d’une catastrophe environnementale, mais aussi des dommages matériels éventuellement subis. Les exemples sont, là encore, nombreux, du scandale de l’amiante aux marées noires sur nos plages bretonnes.
Pour éviter une multiplication des recours abusifs et un risque de déstabilisation des entreprises, il faudrait bien entendu prévoir un filtre. On pourrait, sur le modèle de l’action de groupe proposée dans le texte, donner l’intérêt à agir aux associations environnementales. Dans ce cas, il importerait de régler la question de leur représentativité, qui fait aujourd’hui souvent débat.
L’intérêt à agir pourrait également être donné aux agences sanitaires et environnementales de l’État, voire, dans certains cas, aux collectivités territoriales. Cette question devra être tranchée.
Pour faire avancer la réflexion sur le sujet, nous avons donc tenu à faire adopter par la commission des affaires économiques un amendement à l’article 2 tendant à réduire le délai de remise du rapport sur le bilan de l’action de groupe de quatre ans à trente mois. Il est expressément précisé que, dans ce document, devra figurer l’étude des modalités de l’extension de l’action de groupe à la santé et à l’environnement.
Deuxième sujet : l’information du consommateur.
L’article 4 met à la charge du professionnel une obligation générale d’information du consommateur sur les lieux de vente. Un point important est à noter : le fabricant doit également informer le vendeur de la période pendant laquelle les pièces détachées indispensables à l’utilisation des biens seront disponibles sur le marché. Cette information est retransmise par le vendeur au consommateur.
Deux amendements à cet article, proposés par notre commission, ont été adoptés.
Le premier a pour objet de rendre obligatoire l’information du consommateur non plus sur la période pendant laquelle les pièces détachées sont disponibles, mais sur la date jusqu’à laquelle elles seront disponibles. La référence à une date offre une plus grande simplicité de gestion pour l’industriel et, surtout, une meilleure lisibilité pour le consommateur.
Le second vise à rétablir la confirmation par écrit, au moment de l’achat du bien, de cette date de disponibilité. L’information, certes, est déjà communiquée au consommateur avant l’achat, mais il est nécessaire de prévoir une confirmation par écrit, dans le contrat, notamment pour des motifs d’opposabilité.
L’article 6 impose de mentionner, dans les conditions générales de vente applicables aux contrats de consommation, la mise en œuvre et le contenu de la garantie légale de conformité et de la garantie relative aux défauts de la chose vendue. Il s’agit d’un apport important pour l’information du consommateur, lequel ne risquera plus d’acheter, dans le cadre d’une garantie commerciale, des prestations déjà couvertes par les obligations légales du vendeur.
L’article 7 a pour but de consolider les dispositions relatives aux garanties applicables aux contrats de consommation. La garantie légale de conformité, que le consommateur peut mettre en œuvre en cas de non-conformité du bien dans un délai de deux ans, est renforcée.
Nous avons porté, avec MM. les rapporteurs des affaires économiques, un amendement tendant à allonger la période de présomption d’antériorité du défaut de douze à dix-huit mois, et à la fixer à six mois pour les biens d’occasion.
Cette période de présomption de non-conformité permet au consommateur de ne pas avoir à faire la preuve de la défectuosité du bien pour obtenir son remplacement ou son remboursement. La durée totale de la garantie légale est actuellement de deux ans. En pratique, cependant, une fois la période de présomption achevée, il est presque impossible pour le consommateur de faire jouer la garantie légale. Au-delà, il lui faut des moyens d’expertise qu’il n’a généralement pas ou qui sont coûteux. L’allongement de la période de présomption est donc un apport important pour l’effectivité de la garantie légale.
Lors de la discussion des articles, je défendrai à titre personnel un amendement visant à étendre encore cette période de présomption pour l’aligner sur la durée totale de la garantie légale, à savoir deux ans, comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres pays européens – le Portugal, par exemple – sans que cela place les metteurs sur le marché de biens de consommation dans une situation problématique. L’alignement de la durée de présomption sur la durée de garantie légale paraît, de surcroît, plus lisible du point de vue du consommateur.
Je crois qu’il faut faire le lien entre, d’une part, ces réflexions sur la disponibilité des pièces détachées et l’information du consommateur quant à l’existence et au contenu des garanties légales et, d’autre part, le travail en cours concernant l’affichage environnemental.
La commission du développement durable a organisé, le 10 juin dernier, une table ronde afin de faire le point avec Jean-Paul Albertini, commissaire général au développement durable, sur l’expérimentation lancée à l’issue de la loi Grenelle 2 et à laquelle 168 entreprises ont participé. L’analyse des résultats indique le grand intérêt de la démarche, malgré des difficultés techniques indéniables, notamment dans certains secteurs comme l’agroalimentaire ou la filière « jouets ». Ce bilan plaide toutefois pour une extension assez prompte de l’affichage environnemental.
De son côté, la Commission européenne a annoncé le lancement d’une expérimentation de trois ans en vue de l’établissement d’un cadre réglementaire au niveau européen.
La France a donc un temps d’avance sur ces sujets. Il faut que nos acteurs économiques nationaux puissent en profiter, car nous sommes en position de faire de cet affichage environnemental un atout pour notre compétitivité.
Troisième sujet : les indications géographiques.
L’article 23 prévoit, d’une part, la mise en place d’indications géographiques pour les produits manufacturés, d’autre part, un mécanisme préventif de protection des noms des collectivités territoriales. Ces dispositions sont attendues de longue date.
Ce n’est pas la première fois que nous avons l’occasion d’évoquer ces questions. Un projet de loi examiné en 2011 par la commission des affaires économiques du Sénat et une proposition de loi déposée en 2012 à l’Assemblée nationale n’avaient pu aboutir, faute de dispositifs suffisamment précis. Sont proposés ici des mécanismes complets et cohérents, dont la mise en œuvre rapide permettra de répondre à des besoins de plus en plus pressants.
Les indications géographiques pour les produits industriels et artisanaux pourraient concerner plus d’une centaine de produits français, qu’il s’agisse des dentelles de Calais, de la tapisserie d’Aubusson ou encore du granit de Bretagne.
Nul n’ignore ici le succès des indications géographiques protégées, mises en place depuis vingt ans à l’échelle européenne pour les produits agroalimentaires. Elles représentent aujourd’hui près de 20 % du chiffre d’affaires des industries agroalimentaires françaises et 30 % de la valeur de leurs exportations.
L’extension de ce dispositif aux produits manufacturés répond à une demande forte des producteurs, dans un contexte où la pression concurrentielle liée à la mondialisation accroît l’importance de la différenciation des produits comme moyen d’attirer la clientèle, en mettant en avant les qualités des savoir-faire locaux et, donc, en soutenant le tissu économique rural.
Cette démarche est également dans l’intérêt des consommateurs, qui sont de plus en plus attachés à l’authenticité et à la qualité de ce qu’ils achètent.
Quant au dispositif préventif de protection des noms des collectivités territoriales que tend à instaurer le projet de loi, il repose sur deux éléments : un mécanisme d’alerte des collectivités, à l’occasion du dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant leur dénomination, et un droit d’opposition auprès de l’INPI, l’Institut national de la propriété industrielle.
Ce dispositif viendra soutenir les collectivités territoriales qui, actuellement, ne peuvent jouer à armes égales avec certains acteurs économiques cherchant à usurper leur dénomination pour tirer profit de leur réputation. Aujourd’hui, elles peuvent seulement engager une procédure judiciaire, avec les coûts et les incertitudes que cela comporte. Nous avons tous en tête les difficultés du village de Laguiole qui, après maintes procédures devant le juge, n’a toujours pas obtenu gain de cause face à l’entrepreneur qui a fait enregistrer la marque Laguiole dans trente-huit des quarante-cinq catégories de produits répertoriées par l’INPI.
En ce qui concerne le mécanisme d’alerte, il est prévu que les collectivités qui souhaitent en bénéficier se signalent auprès de l’INPI. Sans doute aurait-il été préférable de mettre en place un système plus automatique, en particulier à destination des petites collectivités. Mais toutes les solutions envisageables se heurtent à la question des moyens de l’INPI et à un problème de droit international des marques. Nous nous en tenons donc à la solution proposée par le Gouvernement, qui paraît raisonnable.
L’article 24 garantit l’effectivité des dispositions que je viens d’évoquer par la mise en place de sanctions pénales renforcées en cas de fraude aux indications géographiques pour les produits manufacturés.
Quatrième sujet : la mise en place de sanctions administratives dans le secteur des transports. Notre commission s’est en effet saisie des articles 56 et 69, qui concernent ce secteur.
L’article 56 définit, de façon similaire pour chaque mode de transport – ferroviaire, routier, fluvial, maritime et aérien –, un régime de sanctions administratives en cas de manquement aux obligations communautaires relatives à la protection des droits des passagers. Il s’agit d’une disposition à caractère essentiellement technique, que nous approuvons.
L’article 69 définit également un régime de sanctions administratives, mais pour la profession récente de moto-taxi. Il permet notamment le retrait de la carte professionnelle en cas d’infraction à la réglementation.
Le régime de stationnement de l’ensemble des taxis est, par la même occasion, revu pour tirer les conséquences d’une récente décision du Conseil constitutionnel. Je ne m’y attarderai pas, soulignant simplement que le régime des taxis motos diverge encore fortement de celui des taxis voitures, pour un service presque identique rendu à l’usager. Sans doute faudra-t-il un jour envisager une certaine forme de convergence.
La commission du développement durable ne voit pas d’opposition à l’adoption de ces deux articles en l’état.
La philosophie de ce projet de loi est de rétablir la confiance entre les différents acteurs de l’économie, car cette confiance est au cœur de la reprise économique. Rétablir la confiance passe par l’amélioration de l’information des consommateurs sur leurs droits et sur la nature des biens et services achetés. Cela passe aussi par la garantie de l’existence d’une voie de recours efficace, peu coûteuse et collective lorsque les consommateurs sont victimes des manquements de certains professionnels. Cela passe enfin, de manière plus générale, par un rééquilibrage des relations entre consommateurs et entreprises.
Avec ce texte, le consommateur devient un acteur clé de la régulation et nous nous en félicitons.