Je pense tout d’abord, et je ne suis sans doute pas la seule, que la relance de la consommation en France ainsi que la prévention et la répression de pratiques frauduleuses ne sont pas liées à l’adoption d’une action collective telle que celle qui est proposée dans le projet de loi ni même au recours aux dispositifs existant dans d’autres ordres juridiques.
Les actions collectives sont un outil au service de la justice et, plus particulièrement, du droit des consommateurs, non un levier macroéconomique au service de la relance de la consommation. Ne faisons pas de l’action de groupe ce qu’elle n’est pas !
En fait, si ce n’est pas sans quelque justesse qu’il est assené que la demande en matière de droits est importante et insatisfaite, il convient de préciser que cette demande est notamment due à une certaine ignorance de notre ordre juridique. Il existe en effet la procédure d’action en représentation conjointe, prévue aux articles L 422-1 et suivants du code de la consommation, ainsi que l’action en réparation d’un préjudice collectif, prévue aux articles L 421-1 et suivants du même code.
L’introduction d’une action de groupe dans notre droit doit donc constituer un véritable saut qualitatif par rapport au dispositif d’action en représentation conjointe, qui permet d’ores et déjà à une association de consommateurs d’agir en justice pour assurer la défense des intérêts des consommateurs. Si cette introduction a lieu, elle doit permettre de combler les lacunes de ce dispositif, en particulier remédier au fait que les associations de consommateurs ne peuvent pas utiliser ce type d’action du fait des risques juridiques et financiers qu’il fait peser sur elles. Or ces dernières ont déjà prévenu qu’elles ne seront probablement pas capables de recourir à l’action de groupe que vous proposez, monsieur le ministre, et ce pour les mêmes raisons juridiques et financières.
Une solution pouvait être envisagée pour pallier les limites auxquelles les associations de consommateurs sont confrontées : permettre aux avocats de déclencher ces actions de groupe et de les accompagner jusqu’à la liquidation. Mais, par souci des dérives dites « à l’américaine », vous avez écarté les avocats de ces actions. D’ailleurs, seuls quelques cabinets auraient sans doute eu les moyens financiers et humains d’en assumer le coût.
L’action collective qui est aujourd’hui soumise à notre examen est donc largement insuffisante en ce sens qu’il est difficile de la distinguer de l’action en représentation conjointe.
Plus inquiétante encore est l’introduction d’une procédure d’action de groupe simplifiée. Cette création nous apparaît comme un aveu. Ainsi, l’action de groupe de droit commun sera un long chemin de croix pour les associations, les consommateurs et les entreprises…
Évidemment, il n’est pas question de remettre en cause les deux phases de l’action de groupe : le jugement et la liquidation. Toutefois, vous avez fait le choix que la phase de jugement soit d’abord l’occasion de statuer sur la responsabilité du professionnel, avant que les consommateurs soient identifiés et le préjudice évalué. Or d’autres formules étaient envisageables et avaient été élaborées. Il aurait été possible de concevoir une première phase à l’issue de laquelle l’action aurait été déclarée recevable, avant de procéder à l’identification du groupe de consommateurs et, enfin, au jugement sur le fond.
Cette chronologie était d’ailleurs celle de la proposition de loi visant à instaurer les recours collectifs de consommateurs, déposée par notre collègue député Luc Châtel en avril 2006. Elle rejoint également l’amendement déposé par notre collègue Philippe Marini.
Cette formule, outre le gain de temps qu’elle apporte à toutes les parties, ne nécessite pas, de surcroît, l’introduction d’une procédure d’action de groupe simplifiée puisque l’identification du groupe de consommateurs est réalisée antérieurement au jugement porté sur le fond.
Mais votre choix fut donc tout autre, et c’est pour cette raison que le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée Nationale fut contraint de déposer un amendement en commission afin de contourner la lourdeur du mécanisme de droit commun.
Cependant, l’impréparation qui a présidé à l’élaboration de ce texte ne s’arrête pas là puisque le rapporteur a dû réécrire cette procédure d’action de groupe simplifiée via le dépôt d’un amendement lors de la séance publique.
De plus, la rédaction en l’état de la section 2 bis relative à la procédure d’action de groupe simplifiée n’est pas acceptable. En effet, vous renvoyez les conditions d’application de cette section à un décret en Conseil d’État, alors même que votre texte reste silencieux sur le sujet des droits de la défense. Il s’agit donc d’un cas manifeste d’incompétence négative.
Outre notre refus de voir adopter cette action de groupe simplifiée dans la précipitation, nous regrettons que le Gouvernement n’ait pas attendu la directive européenne relative à l’introduction d’actions en dommages et intérêts par les victimes de pratiques anticoncurrentielles.
Ainsi, si notre groupe politique demeure bienveillant quant à l’introduction de l’action de groupe dans notre droit, nous sommes plus que jamais préoccupés par la forme que cette action de groupe est en train de prendre, car la formule simplifiée que vous proposez risque d’être détournée pour devenir subrepticement la procédure de droit commun.