En préambule, je tiens à saluer la démarche de M. le ministre, qui a souhaité associer à son déplacement à Bruxelles, le 6 septembre dernier, pour défendre devant la Commission européenne la position de la France en matière d’étiquetage de produits alimentaires, une délégation de parlementaires issus de l’ensemble des formations politiques.
J’ai toujours milité pour doter notre système judiciaire d’un mécanisme permettant aux citoyens lésés individuellement d’agir collectivement en justice, afin de rééquilibrer un rapport de force inégal.
Monsieur le ministre, votre projet de loi a le mérite d’introduire, par le biais de son chapitre Ier, ce formidable outil dans notre système juridique, comme le souhaitaient depuis longtemps les écologistes. C’était l’un des soixante engagements de la campagne présidentielle du candidat François Hollande.
Toutefois, le modèle d’action de groupe que vous proposez est bien en deçà des enjeux et de l’immense potentiel que son mécanisme devrait recéler.
Tout d’abord, il est regrettable que le champ d’application de ce projet de loi soit limité au droit de la consommation et exclue le droit des sociétés, le droit boursier et, surtout, les préjudices en matière de santé et d’environnement.
Qui plus est, ce texte ne prévoit qu’une indemnisation des préjudices matériels, à l’exclusion des dommages corporels, du préjudice écologique et du préjudice moral. L’action de groupe se trouve ainsi vidée d’une grande partie de sa substance.
Monsieur le ministre, est-il utile de rappeler que bien des affaires, comme celles du Mediator, des prothèses PIP ou de l’amiante, révèlent précisément des préjudices physiques et moraux ?
Mes chers collègues, prenons un exemple concret : si les victimes du Mediator formaient une action de groupe comme celle-ci semble se dessiner au travers du texte, elles seraient dédommagées du prix du médicament, alors que les multiples conséquences avérées sur leur santé, telles que les problèmes cardiovasculaires, voire les décès, seraient exclues en droit.
Une seconde critique tient au monopole accordé à quelques associations de protection des consommateurs, qui seraient seules habilitées à saisir la justice. Cette restriction du droit d’agir semble s’opposer au principe de libre et égal accès à la justice reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme. Officiellement, il s’agit d’éviter les dérives des actions de groupe « à l’américaine ».
Mais j’attire votre attention, monsieur le ministre, sur les mécanismes suivants et sur certaines lacunes du texte qui nous est soumis.
Ainsi, aucun dispositif n’est prévu pour financer ces actions très lourdes.
Selon le texte du projet de loi, les consommateurs ne sont pas tenus d’adhérer à l’association qui engage l’action de groupe. Si l’association les représente, ils ne sont pas éligibles à l’aide juridictionnelle, et l’association non plus. Or, si une association agit au nom de tous, elle devra faire payer ceux qui lui donnent pouvoir, ou se faire financer par d’autres sources. Le risque est que des fonds de pension ou autres organismes « investissent » dans un procès ! En clair, un fonds de pension américain pourra gagner de l’argent grâce aux dommages-intérêts issus d’une action de groupe visant une entreprise française ! Et s’il est possible que les consommateurs bénéficient de l’aide juridictionnelle, en cas de sollicitation, un fonds de pension, par exemple, avancera l’argent et se paiera sur l’aide juridictionnelle, ce qui favorisera une forme de spéculation financière.
Ainsi conçue, on le comprend, l’action de groupe perd une large partie de sa raison d’être.
Certes, monsieur le ministre, nous avons bien pris acte de l’engagement du Gouvernement de créer ultérieurement deux actions de groupe spécifiques au domaine de la santé et à celui de l’environnement. Toutefois, cette perspective ne nous satisfait pas, car cela affaiblit l’efficacité de l’action de groupe que vous entendez mettre en place.
L’exécutif fait le choix de segmenter l’action de groupe et veut imposer le filtre des associations. Ne cède-t-il pas un peu vite aux industriels et au MEDEF, qui disent craindre les effets d’une action de groupe « à l’américaine », avec ses dérives ?
Il est facile d’objecter que les class actions les plus spectaculaires outre-Atlantique – je pense notamment à celles qui ont visé les industries du tabac ou des cas de pollution de l’eau – n’ont en rien affaibli les entreprises ; elles les auront rendues plus responsables !
J’attire votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que les abus constatés outre-Atlantique sont induits par le système judiciaire américain, dont le mécanisme des « dommages-intérêts punitifs » expose les entreprises et fait de l’action de groupe un marché très lucratif, en particulier pour les cabinets d’avocats.
En France, il n’en va nullement de même. L’action de groupe en matière de santé ou d’environnement serait un processus gagnant-gagnant de co-construction, puisqu’il permettrait aux citoyens d’aider les acteurs économiques à améliorer la qualité de leur offre, et finalement à gagner en compétitivité.
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas oser présenter un projet de loi ambitieux, au champ d’application étendu à tout type de préjudice, à tout type de juridiction, qui permettrait aux citoyens de se regrouper sans passer par l’intermédiaire d’une association agréée et serait profitable à l’ensemble des personnes lésées ?
Je terminerai en disant qu’il est essentiel que l’action de groupe soit un véritable outil juridique. Nous devons pouvoir soutenir un projet de loi solide, pérenne et universel, et travailler à élaborer des solutions pour le financement des procédures. Alors, et seulement alors, l’engagement pris par le Président de la République sera respecté.