Intervention de Henri Tandonnet

Réunion du 10 septembre 2013 à 14h30
Consommation — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Henri TandonnetHenri Tandonnet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès que l’on évoque le sujet de la consommation, un défi s’impose : protéger le consommateur, tout en ne nuisant pas au développement de l’activité économique des entreprises. La mesure phare du projet de loi, l’action de groupe, illustre parfaitement cette difficulté de trouver un équilibre juste et satisfaisant pour l’ensemble des acteurs. Mes deux collègues, Valérie Létard et Muguette Dini, s’étant déjà exprimées sur les autres points du projet de loi, je concentrerai mon propos sur ce sujet.

L’action de groupe est une procédure civile permettant à plusieurs victimes ayant subi un même préjudice de se regrouper pour confier une action en réparation à un tiers, en l’occurrence une association de consommateurs agréée. L’originalité de cette action est qu’elle déroge au principe de droit français selon lequel nul ne plaide par procureur. Cette action offre une nouvelle façon d’obtenir réparation en matière de droit de la consommation et de la concurrence. Cependant, elle doit faire l’objet d’un encadrement très rigoureux, afin de ne pas devenir un facteur de déstabilisation permanent de la compétitivité des entreprises.

II est important de corriger certains raccourcis que nous avons pu lire ou entendre. L’action de groupe ne crée pas de nouveaux droits ; elle constitue seulement une nouvelle manière d’agir, par procureur. Elle ne modifie pas le droit de la réparation, mais permet le regroupement des mêmes victimes d’une violation de la loi ou d’une obligation contractuelle ayant subi un même préjudice dont l’origine est identique. L’action de groupe doit donc être conçue comme s’inscrivant autant que possible dans le droit commun, que ce soit en matière de procédure ou dans le domaine du droit de la réparation. C’est dans cet esprit de simplification que je proposerai des amendements.

Sur le terrain de la procédure, d’abord, pourquoi créer des tribunaux d’exception ? La spécialisation de quelques tribunaux de grande instance est inutile, puisque tous sont capables de connaître des affaires de la consommation – c’est même aujourd’hui leur quotidien. Je suis d’autant plus opposé à cette spécialisation qu’elle aurait plusieurs conséquences négatives. Elle entraînerait un éloignement de la justice, alors que la consommation est une matière qui touche tous les Français. En outre, elle créerait une nouvelle source de contentieux, que les juristes spécialisés ne manqueraient pas d’exploiter : ceux-ci s’opposeraient aux actions de groupe, souvent au détriment des consommateurs, en soulevant des exceptions de procédure sur la compétence. Enfin, elle obligerait à délocaliser des contentieux locaux vers des métropoles régionales.

Avec le même objectif de rapprocher l’action de groupe du droit commun, nous avons déposé un amendement visant à anticiper la constitution du groupe avant l’expiration du recours en cassation : il s’agit de permettre au juge de mettre en œuvre une exécution provisoire des mesures de publicité. Le projet de loi prévoit en effet que le pourvoi en cassation est suspensif, ce qui est contraire au droit commun de la réparation. C’est dire qu’une action de groupe ne pourra pas voir se concrétiser la moindre condamnation avant l’épuisement de toutes les voies de recours, c’est-à-dire avant environ cinq ans lorsque l’affaire est portée jusqu’en cassation. Un tel système rend attractifs les recours dilatoires. Notre proposition vise donc à réduire ce handicap en favorisant la constitution du groupe le plus tôt possible, afin d’éviter aux consommateurs une information tardive et de prévenir la perte des preuves ou des biens.

Au fond, j’approuve l’action de groupe. Alors que la lourdeur et le coût d’une action individuelle devant la justice étaient jusqu’à présent un obstacle totalement décourageant, ce dispositif permettra la réparation de préjudices de faibles montants à travers une mutualisation des coûts. Les victimes pourront ainsi recourir à des expertises onéreuses et à des tests aux coûts souvent très élevés, qui viendront nourrir les débats judiciaires. Cette procédure constitue donc une réelle avancée.

Pourtant, je rappelle que le but poursuivi n’est pas d’ouvrir la voie à de multiples procédures. C’est pourquoi il me semble important de prévoir dans la loi un processus facultatif de médiation, autorisant le recours à un accord amiable tout au long de la procédure.

Au-delà de l’objectif final de réparation du préjudice, la mise en place de l’action de groupe aura, à mon avis, un effet préventif assez fort ; en conséquence, elle sera un moyen d’assainissement des activités commerciales. En effet, si les entreprises veulent échapper au risque d’une action de groupe, elles n’auront pas d’autre choix que de garantir la qualité des produits fabriqués en grande quantité et des services proposés.

Par ailleurs, il me paraît essentiel que la nouvelle action de groupe ne prenne en aucune manière l’apparence d’une procédure d’exception, qui pourrait être source de certaines dérives. À cet égard, la création d’une action de groupe dite simplifiée ne se justifie pas ; j’ai déposé un amendement visant à supprimer cette procédure, que je considère comme inadaptée. Monsieur le ministre, pourquoi encourager la mise en place d’une action de groupe simplifiée et mal encadrée, qui dénaturerait totalement la procédure normale ?

Pour ma part, je pense que le juge saura s’adapter à chaque circonstance et décider de mesures de réparation appropriées à chaque situation. Il faut laisser le juge décider de la manière dont il conduira l’action de groupe. La procédure classique lui laisse suffisamment de latitude, par exemple pour simplifier, s’il le faut, la constitution du groupe de consommateurs lésés. Le code de procédure civile et toutes ses dispositions relatives à la mise en état de la procédure devant le TGI offrent au juge un arsenal de moyens d’instruction qui lui permettra de s’adapter aux circonstances de chaque litige, petit ou grand, simple ou complexe.

Le fond du droit est celui du droit contractuel et du droit de la réparation ; il n’y a aucune nécessité d’innover ou de créer un particularisme. Je le répète, n’ouvrons pas des voies de contentieux en créant de nouvelles juridictions ou de nouvelles procédures, sinon, au lieu de simplifier, ce dispositif aura l’effet inverse !

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