Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai par évoquer les sujets qui ne sont pas traités par la proposition de loi. Ce texte ne refonde pas la politique de secteur, qui reste en pratique le pilier des soins libres en psychiatrie, même si elle a été privée de base légale spécifique par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST ».
Ce texte ne règle pas la question de l’inégalité des moyens et de la diversité des pratiques de prise en charge en psychiatrie sur le territoire. Il ne remédie pas à l’absence parfois totale d’activités programmées lors du retour à son domicile d’un malade hospitalisé pendant une longue période. Il n’améliore pas le fonctionnement des commissions départementales des soins psychiatriques, qui ne sont pas constituées partout, ce qui est regrettable. Il ne traite ni de la prévention primaire ni de l’éducation thérapeutique des patients. Il ne développe pas le rôle des équipes mobiles de psychiatrie ni ne renforce la continuité de la prise en charge des malades par les équipes. Il ne met pas en place une personne de confiance adaptée à la situation spécifique de la maladie mentale et de sa prise en charge, alors même que cette mesure est réclamée par de nombreuses associations.
Ces sujets sont essentiels pour la prise en charge de l’ensemble des personnes souffrant de troubles mentaux, et il faut que des réponses soient apportées aux problèmes rencontrés au quotidien par les soignants et les malades. Nous prenons l’engagement que ces enjeux essentiels pour l’ensemble des personnes souffrant de troubles mentaux seront traités dans le cadre qui leur est adapté, à savoir le volet santé mentale de la loi de santé publique à venir. Nous n’esquivons donc pas le débat sur ces sujets. Mais la proposition de loi qui nous vient de l’Assemblée nationale n’a pas vocation à les aborder, car elle ne concerne pas la réalité de l’immense majorité de la prise en charge psychiatrique aujourd’hui. Son objectif est circonscrit, précis et nécessaire.
Les associations de patients nous l’ont rappelé fortement et nous en sommes nous-mêmes convaincus, la confiance est au fondement de la relation thérapeutique, que les soignants nomment « alliance thérapeutique ». La contrainte s’oppose généralement aux soins. De fait, c’est la confiance entre le malade et l’équipe soignante qui permet aujourd’hui la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux sous forme ambulatoire dans 85 % des cas. Même parmi les personnes hospitalisées, 80 % le sont avec leur consentement. Mais, pour 20 % d’entre elles, la contrainte a été le seul moyen de permettre l’accès aux soins.
Pour cette petite minorité de malades, la pathologie a aboli le discernement. Or, comme me l’a dit avec sagesse un des psychiatres que j’ai eu la possibilité d’auditionner, le discernement est la première des libertés, sans laquelle toutes les autres sont des leurres. Les soins sans consentement sont d’abord, il faut le rappeler, une mesure thérapeutique destinée à permettre aux équipes médicales qui se chargent de cette lourde tâche de tenter de rétablir le discernement des personnes atteintes des pathologies les plus lourdes.
Pour cette minorité, des dispositions spécifiques existent et doivent exister afin de permettre d’assurer l’équilibre entre la logique des soins et la protection des libertés publiques. Une mesure de contrainte qui excède ce qui est strictement nécessaire aux soins est une atteinte grave aux droits fondamentaux de la personne. Le juge constitutionnel a donc décidé un contrôle des soins sans consentement par le juge des libertés et de la détention, et la loi du 5 juillet 2011 l’a mis en œuvre.
Il existe également une autre dimension des soins sans consentement, qui vise la protection des tiers. Parmi les malades qui n’ont pas conscience de leur maladie, une minorité – peut-être huit cents personnes chaque année – peut présenter, à un moment donné, un danger pour autrui. Il y a donc un enjeu en matière de sécurité qui ne peut être ignoré.
La loi du 5 juillet 2011 avait fait, dans cet équilibre difficile entre soins, libertés et ordre public, des choix très contrastés.
D’une part, je l’ai dit, elle a mis en œuvre les exigences constitutionnelles de contrôle par le juge. Elle a en outre mis fin à l’obligation d’hospitalisation complète comme unique forme de prise en charge pour les personnes faisant l’objet d’une décision de soins sans consentement.
Mais, d’autre part, elle a désigné comme potentiellement dangereux, au point qu’un contrôle particulier doive être exercé sur leur sortie des soins sans consentement, les malades appartenant à une catégorie particulière : ceux qui séjournent ou ont séjourné dans une unité pour malades difficiles, ou UMD. Le Conseil constitutionnel a jugé que ce choix était insuffisamment fondé et a censuré les dispositions prévues par la loi pour sa mise en œuvre. Il a également donné raison à notre collègue Muguette Dini, premier rapporteur de la commission des affaires sociales en 2011, en précisant que les soins ambulatoires sans consentement ne peuvent donner lieu à des mesures de contrainte.
En réponse à la censure du Conseil constitutionnel, l’Assemblée nationale et le Gouvernement ont fait le choix de ne conserver des mesures plus strictes de sortie des soins sans consentement que pour les personnes déclarées irresponsables pénalement et ayant commis des actes contre les personnes passibles de cinq ans d’emprisonnement ou des actes contre les biens passibles d’une condamnation de dix ans. Nous partageons ce choix équilibré et médicalement fondé.
De même, la suppression du statut légal des UMD et leur retour dans le droit commun des services hospitaliers nous paraissent adaptés à la réalité qui est la leur. Les UMD ne peuvent plus être assimilées à des unités disciplinaires, comme ce fut le cas lors de leur création au début du XXe siècle. Ce sont des services de soins intensifs, qui doivent être également des services d’excellence permettant, avec un encadrement renforcé, la prise en charge de pathologies particulièrement lourdes. Leur fonctionnement garantit une meilleure prise en compte de la liberté des personnes, notamment au travers de la commission de suivi médical, à laquelle les soignants sont particulièrement attachés ; je le suis moi aussi. Certains s’inquiètent de leur éventuelle suppression. Pouvez-vous nous confirmer, madame la ministre, qu’il n’en sera rien ?
L’Assemblée nationale a également fait le choix de réformer la loi de 2011 sur des points non censurés par le Conseil constitutionnel, mais faisant l’objet d’un large consensus. Je pense particulièrement au rétablissement de dispositions relatives aux sorties d’essai et à l’allègement des procédures et des certificats. Un principe important est posé par le texte, celui de la tenue des séances du juge des libertés et de la détention au sein de l’établissement d’accueil.
La commission des affaires sociales du Sénat partage pleinement l’objectif de cette proposition de loi et a souhaité, dans le temps très limité dont elle a disposé, se placer dans le prolongement du travail approfondi accompli par l’Assemblée nationale, mais aussi, dès 2011, par Muguette Dini et plusieurs sénateurs appartenant à tous les groupes. Les amendements adoptés en commission tendent à renforcer la prise en charge médicale dans le cadre des procédures de soins sans consentement, et spécialement pour les soins ambulatoires sans consentement, et à renforcer les garanties des droits.
Ce texte est nécessaire, attendu et urgent. Malgré son examen rapide, le Sénat aura pu, je le crois, jouer son rôle. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous nous félicitons de son examen et que nous vous proposons de l’adopter dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales. §