Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 13 septembre 2013 à 9h30
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a censuré, dans sa décision du 20 avril 2012, deux dispositions du code de la santé publique. Ces dispositions, issues de la loi du 5 juillet 2011, portaient sur les conditions de sortie de soins pour les malades psychiatriques séjournant ou ayant séjourné en unité pour malades difficiles ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale.

Le Conseil constitutionnel a différé l’effet de sa décision au 1er octobre 2013, ce qui laissait quand même au Gouvernement dix-huit mois pour modifier les dispositions censurées. Ce laps de temps était largement suffisant pour se pencher sérieusement sur ce sujet complexe, intime, touchant à l’encadrement juridique des soins psychiatriques sans consentement, qui concernaient quelque 70 000 personnes en 2011.

Or le Gouvernement n’a pas profité de ce délai. Le texte n’a été déposé à l’Assemblée nationale que le 3 juillet et n’a été débattu en séance que le 25 juillet. Nous voilà donc obligés d’examiner cette proposition de loi en session extraordinaire, à marche forcée ! Ce faisant, le Gouvernement prive le Sénat d’un vrai débat sur la santé mentale. Il serait bon que le Gouvernement ne considère par la Haute Assemblée comme une simple chambre d’enregistrement.

Ce texte est pourtant d’une importance capitale, car les soins psychiatriques sans consentement s’articulent autour de trois exigences fortes liées à des enjeux majeurs : soigner les malades, garantir la sécurité des citoyens face à des comportements potentiellement dangereux et protéger les droits et libertés fondamentaux des patients hospitalisés sous contrainte.

La loi du 5 juillet 2011 a mis en place des avancées majeures en matière d’encadrement des patients potentiellement violents et de contrôle judiciaire des mesures d’hospitalisation sans consentement. Elle a créé un régime spécifique plus strict que le précédent pour les sorties de soins prononcées par le juge ou par un représentant de l’État à l’égard des patients en UMD ou déclarés pénalement irresponsables. Elle a également introduit un contrôle systématique des mesures d’hospitalisation par le juge des libertés et de la détention dans les quinze jours suivant l’admission du patient.

Bien sûr, cette loi n’était pas parfaite et la Haute Assemblée avait déjà formulé des réserves sur certaines de ses mesures. Nous avions d’ailleurs largement modifié le texte initial.

Permettez-moi de rappeler quelques-unes de ces dispositions : il s’agissait d’offrir la possibilité au juge de statuer en chambre de conseil, de prévoir le recours à une « salle d’audience spécialement aménagée [...] pour assurer la clarté, la sécurité et la sincérité des débats et permettre au juge de statuer publiquement » et enfin d’encadrer le recours à la visioconférence, avec un aménagement spécifique de la salle d’audience et un avis médical attestant que l’état mental du patient n’y fait pas obstacle.

Le juge constitutionnel, pour sa part, a estimé que la loi ne présentait pas de garanties suffisantes justifiant l’existence d’un régime dérogatoire au droit commun. Pourtant, le texte qui nous est proposé aujourd’hui va bien plus loin que les modifications requises par la décision du Conseil constitutionnel. Plus encore, il revient sur certaines des avancées juridiques apportées par le législateur en 2011.

Madame la ministre, je tiens à vous dire que la position du groupe UMP n’est pas guidée par des calculs politiciens. Le sujet est trop important. La proposition de loi apporte au code de la santé publique certaines modifications appréciables et auxquelles nous sommes favorables.

Disant cela, je pense particulièrement à la simplification des démarches administratives à la charge des professionnels de santé, à la création de sorties thérapeutiques de courtes durées pour les patients hospitalisés ou encore à la tenue à l’hôpital des audiences devant le juge.

Mais le problème majeur de ce texte est qu’il rompt complètement l’équilibre qui prévalait dans la réforme de 2011 entre la protection des droits des malades et la protection de la sécurité des autres citoyens. Vous supprimez purement et simplement le suivi médical spécifique des patients placés dans des unités pour malades difficiles que permettait le régime dérogatoire de mainlevée des soins.

Or, le Conseil constitutionnel n’a jamais considéré que le législateur ne pouvait pas prévoir des dispositifs spécifiques, plus stricts, en matière de sortie de soins pour certaines catégories de patients psychiatriques jugés dangereux pour eux et pour les autres. Il s’est contenté de dire que certaines dispositions de la loi du 5 juillet 2011, en l’état actuel, n’encadraient pas avec une précision suffisante les conditions d’hospitalisation.

La présente proposition de loi réintègre les patients en unité pour malades difficiles dans le régime de droit commun de l’hospitalisation sans consentement. Ce faisant, elle supprime la définition légale de ces unités donnée par l’article L. 3222-3 du code de la santé publique. Il convient néanmoins de rappeler que les onze UMD existant en France s’occupent de patients aux troubles mentaux particulièrement lourds et aux comportements les plus violents.

Non seulement vous supprimez la référence législative aux UMD mais vous limitez également le régime applicable aux patients déclarés pénalement irresponsables aux seules personnes dont les infractions sont susceptibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement pour les atteintes à la personne et de dix ans pour les atteintes aux biens.

Votre dispositif ne s’appliquera donc qu’aux patients ayant commis des infractions particulièrement graves. Les autres patients pourront quitter leurs soins psychiatriques beaucoup plus facilement, ce qui peut être dangereux à la fois pour eux et pour les autres.

Le texte qui nous est aujourd’hui présenté se fait fort de renforcer les droits des patients et les garanties judiciaires entourant les mesures d’hospitalisation sous contrainte. Ces objectifs sont fort louables mais, faute de temps et faute de concertation, certaines mesures correspondantes apparaissent comme de « fausses bonnes idées ».

Ainsi la présence de l’avocat au moment des audiences devant le juge des libertés et de la détention, le JLD, rendue obligatoire par la proposition de loi, n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact alors même qu’elle va accroître les frais de justice à la charge de l’État.

Madame la ministre, comprenez-nous bien : nous ne sommes pas contre cette mesure sur le fond. D’ailleurs, les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, et de la Cour de cassation sur la présence de l’avocat au cours des procédures judiciaires vont également dans ce sens. Nous regrettons néanmoins la précipitation qui a entouré cette proposition de loi et l’absence d’étude d’impact approfondie.

La diminution du délai à partir duquel le juge judiciaire contrôle la mesure d’hospitalisation sans consentement de quinze à douze jours inquiète fortement l’Union syndicale des magistrats ainsi qu’un grand nombre de professionnels psychiatriques. Une telle réduction aura vraisemblablement un effet relatif. Surtout, elle ne renforce en rien les garanties judiciaires apportées aux patients hospitalisés sous contrainte.

La judiciarisation du système de contrôle a déjà poussé les médecins à être plus vigilants dans le suivi des hospitalisations sans consentement. Le corps médical exerce déjà son propre contrôle donnant lieu à de nombreuses sorties d’hospitalisation.

Ainsi, avant la réforme de 2011, le nombre d’hospitalisations psychiatriques sans consentement atteignant une durée de quinze jours s’élevait à 65 000 contre à peine plus de 35 000 aujourd’hui. En d’autres termes, cette diminution des délais ne permettra pas une augmentation significative du taux de mainlevées judiciaires, ce qui est pourtant le but recherché de la proposition de loi.

Enfin et surtout, c’est moins la question du délai du premier contrôle du juge des libertés et de la détention que la fréquence des contrôles ultérieurs qui nous semble importante. N’aurait-il pas mieux valu, madame la ministre, se pencher d’abord sur la période de six mois entre le premier et le deuxième contrôle du juge ?

Bien que le Conseil constitutionnel l’ait déclarée conforme à notre loi fondamentale, cette disposition nous semble mériter un vrai débat. L’intervalle de six mois, pendant lequel seul un recours du patient ou d’un proche sera possible, peut poser problème au regard des libertés individuelles du malade.

Madame la ministre, vous le voyez, la position du groupe UMP sur la question éminemment délicate des soins psychiatriques se veut constructive, loin des clivages partisans. Il n’est pas question pour nous de tomber dans une opposition stérile entre, d’un côté, « plus de sécurité » et, de l’autre, « plus de liberté ».

La loi du 5 juillet 2011, aussi imparfaite et sans doute incomplète qu’elle soit, avait pourtant jeté des bases solides en matière de politique psychiatrique. Cette loi avait fait l’objet d’une longue préparation parlementaire et d’une vaste concertation avec tous les acteurs du secteur.

Aujourd’hui, nous regrettons vivement que cette proposition de loi soit examinée à la va-vite. Un sujet aussi important méritait mieux. §

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