Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 13 septembre 2013 à 9h30
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

… même si nous regrettons qu’elle se focalise elle aussi sur la question des soins sous contrainte, laissant les professionnels et les patients dans l’attente d’une grande loi de santé mentale.

Le fait qu’une nouvelle fois la psychiatrie ne soit abordée que sous l’angle des soins sous contrainte constitue nécessairement une approche réductrice de la psychiatrie alors que notre pays a toujours été le fer de lance d’une psychiatrie humaine et bienveillante.

Disant cela, je pense particulièrement à l’apport du docteur Lucien Bonnafé qui voulait « détruire le système asilaire et bâtir son contraire sur ses ruines », ce qui a conduit à la « psychiatrie de secteur », fondée par la circulaire du 15 mars 1960, une approche résolument moderne des soins psychiatriques dans laquelle les infirmières et infirmiers jouent un rôle central. Ces derniers ne sont plus limités à un rôle de gardiens, mais deviennent de véritables acteurs de soins, permettant enfin, et pour la première fois, aux équipes de psychiatrie de sortir des murs de l’hôpital et de travailler dans la ville, sur le terrain, avec celles et ceux qui s’y trouvent. Bonnafé avait une volonté de désaliéner la folie afin de « restaurer le potentiel soignant existant dans le peuple ».

C’est pourquoi je suis convaincue que nous avons besoin d’une grande loi de santé mentale et qu’un tel débat nous aurait permis – et j’espère qu’il nous permettra –, ensemble, de renoncer à la notion même de soins ambulatoires sans consentement, rebaptisés ici « programmes de soins », qui reposent de mon point de vue sur une confusion entre soins et « prise de médicament » ; la contrainte continue à s’étendre dans la cité alors qu’elle était auparavant circonscrite à l’hôpital.

Pour nous, il est au contraire urgent de desserrer l’étau de la contrainte. Je dois d’ailleurs dire que nous nous réjouissons de l’amendement, présenté par notre collègue Jacky Le Menn, tendant à préciser que les programmes de soins ne peuvent en aucun cas être mis en œuvre sous la contrainte. Cela constitue une première étape, même si nous savons pertinemment qu’une contrainte indirecte existe, puisque le non-respect du programme de soins peut entraîner le retour à une hospitalisation complète.

Comme vous le savez, la décision du Conseil constitutionnel ne rendait pas obligatoire, d’un point de vue juridique, l’intervention du législateur sur cette question. Il nous aurait été possible de rester inactifs dans l’attente de la date butoir du 1er octobre 2013 pour que les dispositions concernant les UMD, déclarées non conformes à la constitution, tombent d’elles-mêmes.

Le député Denys Robiliard a fait le choix de légiférer ; cela n’est pas anodin, puisque cela a pour effet de repositionner les UMD, qui ne sont après tout que des services particuliers – notre collègue les a qualifiés d’ « intensifs » –, qui apportent une réponse particulière à l’état d’un patient à un moment donné. En effet, rien ne justifiait, outre la volonté de certains de stigmatiser les patients en UMD, de confier à ces services une dimension législative, quand les autres services hospitaliers ne font eux, généralement, que l’objet d’un traitement réglementaire. Aussi, en replaçant les UMD dans le droit commun de l’hospitalisation complète, la présente proposition de loi rompt avec l’amalgame, voulu par le précédent gouvernement, entre les malades difficiles, présentant des besoins particuliers auxquels il faut répondre, et les malades dangereux.

Il est un autre apport significatif de cette proposition de loi : les dispositions relatives aux personnes déclarées pénalement irresponsables. L’auteur de la proposition de loi a souhaité maintenir un régime juridique qui leur soit spécifique. Toutefois, il sera désormais limité aux seules personnes ayant commis des actes d’une particulière gravité, c’est-à-dire ceux pour lesquels les peines encourues sont d’au moins cinq ans d’emprisonnement s’agissant des atteintes à la personne et de dix ans d’emprisonnement s’agissant des atteintes aux biens.

Afin de mettre notre droit en conformité avec la Constitution, sur la base de la décision rendue le 20 avril dernier, ce texte modifie, comme pour les patients en UMD, le régime d’entrée et de sortie d’hospitalisation sans consentement. Cette mesure est positive. Elle a même été considérablement améliorée depuis que notre commission a adopté, sur l’initiative de M. le rapporteur, un amendement supprimant l’obligation d’une double expertise psychiatrique en complément de l’avis du collège prévu par la loi pour que le juge se prononce sur la mainlevée des soins sans consentement. Ce traitement discriminatoire nous paraissait injustifié et aurait fait courir le risque d’une nouvelle sanction du Conseil constitutionnel. Avec l’adoption de cet amendement, le texte est plus juste et écarte, sur ce point du moins, un tel risque.

De plus, l’intervention du juge des libertés et de la détention, dont je souhaite rappeler qu’il a pour mission de veiller à ce qu’aucune mesure privative de liberté ne soit décidée de manière arbitraire, est portée de quinze à douze jours. Cette réduction est bienvenue, même si, comme M. Robillard, nous aurions préféré que le JLD intervienne dans un délai n’excédant pas dix jours. Notre groupe a d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.

Enfin, je voudrais une nouvelle fois saluer l’apport significatif de M. le rapporteur, Jacky Le Menn, qui, par voie d’amendement en commission, a supprimé les dispositions relatives à la visioconférence ; à cet égard, je suis particulièrement satisfaite des propos tenus par Mme la ministre.

Vous l’aurez compris, d’une manière générale, l’analyse que mes collègues du groupe CRC et moi-même portons sur cette proposition de loi, notamment modifiée par M. le rapporteur en commission, est positive. J’espère d’ailleurs que ce texte sera enrichi par nos débats et par l’adoption d’un certain nombre de nos amendements.

En effet, à l’image de ma collègue Jacqueline Fraysse, députée, je regrette profondément que cette proposition de loi n’ait pas réduit, pour ne pas dire supprimer, le rôle du représentant de l’État dans le processus d’hospitalisation sans consentement.

Naturellement, les décisions prises par le préfet, singulièrement en matière d’hospitalisation sans consentement, sont encadrées. Il n’en demeure pas moins que nous sommes réticents à l’idée qu’il puisse, afin d’éviter un trouble à l’ordre public, décider de l’hospitalisation de l’un de nos concitoyens ou de nos concitoyennes. Nous avons déposé à ce sujet plusieurs amendements qui nous donneront l’occasion d’en débattre, même si je prends note de l’adoption de certains autres, présentés par M. le rapporteur, qui tendent, là encore, à réduire les prérogatives du représentant de l’État.

Pour notre part, nous plaidons pour la suppression de l’hospitalisation sans consentement en cas de troubles à l’ordre public et souhaitons qu’à terme, afin d’éviter les risques d’hospitalisations arbitraires, celle-ci ne soit possible que si la personne présente des troubles mentaux dont la nature même empêche son consentement et qui compromettent la sûreté d’autrui ou de la personne elle-même.

Conformément à ce que nous avions défendu en 2011, nous sommes favorables, comme bon nombre de professionnels et comme le propose le Syndicat de la magistrature, à une suppression de la dualité entre la procédure d’admission à la demande d’un tiers et la procédure d’admission à la demande du représentant de l’État, précisément dans le but de réduire les possibilités d’intervention de ce dernier.

Je regrette également que cette proposition de loi ait maintenu ce que toutes et tous à gauche, au Sénat, avions dénoncé comme étant une forme de garde à vue psychiatrique de soixante-douze heures, imposant aux personnes atteintes de troubles mentaux des mesures privatives de liberté particulièrement dérogatoires au droit commun.

De la même manière, la proposition de loi ne remet nullement en cause la possibilité offerte aux procureurs de la République de supprimer l’effet suspensif d’une délibération du juge des libertés et de la détention visant à procéder à la mainlevée de la mesure d’hospitalisation, contraignant ainsi le patient à rester hospitalisé sans son consentement, alors même qu’un juge des libertés et de la détention avait prononcé une décision de remise en liberté. Généralement, en droit commun, les mesures libératoires sont exécutoires. Pour nous, rien ne doit s’opposer à ce que ce principe s’applique aux personnes hospitalisées sans leur consentement.

Enfin, si nous saluons la réintroduction dans la loi d’un mécanisme de sortie d’essai, qui reposerait sur un principe d’autorisation sauf opposition, nous considérons que les durées demeurent trop courtes et qu’il aurait fallu dissocier le cas des sorties réalisées avec un proche de celles réalisées avec un membre de la communauté médicale.

Toutefois, malgré toutes ces réserves, vous l’aurez compris, le groupe CRC votera cette proposition de loi. Il s’agit d’une étape positive avant une loi globale concernant la santé mentale qui, je l’espère, ne devrait plus tarder à nous être soumise. §

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