Les jeux vidéo présentent une double nature, culturelle et économique. Je vous rappelle, à titre de comparaison, que le cinéma lui-même fut pendant longtemps, dans notre pays, rattaché au ministère de l'industrie, avant de l'être à celui de la culture. Le jeu vidéo est progressivement devenu un objet culturel à part entière, comme l'illustre la présence de certains jeux dans les collections du musée d'art moderne de New-York, le MOMA.
Le modèle économique du jeu vidéo est extrêmement particulier. Il représente un marché mondialisé et hyperconcurrentiel, réparti à parts à peu près égales entre l'Asie, l'Amérique du Nord et l'Europe. Notre pays, qui y a longtemps occupé une position de leader, se voit aujourd'hui concurrencé par de nouveaux venus comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique. Estimé à 53 milliards de dollars par l'institut d'études IDATE, soit davantage que les marchés du cinéma ou de la musique, il a longtemps été dominé par le modèle dit du « hit AAA », dans lequel quelques « blockbusters » se vendant à des millions d'exemplaires permettent de financer des milliers d'échecs. Or, ce modèle est aujourd'hui en perte de vitesse du fait de l'explosion des coûts de production, de l'asymétrie des progrès des supports de jeu - le « hard » -par rapport aux contenus- le « soft » - et de l'essor de jeux sur réseaux sociaux ou téléphones mobiles.
La moitié de l'investissement réalisé dans les jeux vidéo est affecté aux dépenses de marketing. Le jeu Grand Theft Auto V (GTA V), qui vient de sortir, a ainsi coûté 200 millions d'euros à produire, pour moitié consacrés à sa promotion.
40 à 50 % des ventes de jeux sont réalisées pendant les quelques jours qui suivent leur sortie et concentrées sur la période des fêtes de fin d'année. Les préventes représentent d'ores et déjà 500 millions d'euros pour GTA V, le précédent record étant de 375 millions d'euros pour Call of duty.
Notre pays possède quelques-uns des éditeurs majeurs du jeu vidéo sur le marché mondial, avec Ubisoft et Gameloft notamment. Activision-Blizzard, qui réalisait plus d'un milliard d'euros de bénéfices au début des années 90, a longtemps été détenu par Vivendi, avant que ce dernier ne s'en sépare car estimant l'économie du secteur trop risquée.
Les entreprises sont majoritairement jeunes -55 % ont moins de cinq ans d'existence- et petites - 50 % ont moins de 10 salariés. Leur taux de mortalité est particulièrement élevé, supérieur d'un tiers à celui des entreprises allemandes du secteur.
La France, parmi les pays leaders du jeu vidéo dans les années 80 avant que le secteur ne soit confronté à la bulle Internet de la fin des années 90, doit aujourd'hui lever certains obstacles au développement de ce marché. Parmi ceux de nature générale, on relève l'instabilité du cadre règlementaire, une insuffisance de l'offre de capital-risque, notamment au regard de ce qui existe aux États-Unis, ou encore la concentration du marché au profit de quelques grands groupes autour desquels évoluent un très grand nombre de PME atomisées.
Parmi les obstacles sectoriels, on note la faiblesse des compétences managériales dans le secteur et le mauvais calibrage des aides publiques : le Fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV), géré par le CNC et doté de 3 millions d'euros seulement, qui au surplus ne finance pas les dépenses de marketing ; le crédit d'impôt jeux vidéo (CIJV), sous-consommé du fait essentiellement de l'existence de pas moins de 64 critères à remplir pour y prétendre ; le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dont l'avantage proposé est compensé par la hausse récente de la TVA ; le crédit d'impôt recherche (CIR), dont la complexité d'instruction incite au développement d'officines spécialisées prélevant des commissions de 20 à 30 % ; et enfin des aides européennes, qui vont bientôt être ouvertes.
Je mentionnerai pour finir qu'un intérêt majeur de l'industrie des jeux réside, pour notre pays, dans la territorialisation des lieux de production, qui, à la différence des autres industries culturelles, ne sont pas situés qu'à Paris.