Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à souhaiter la bienvenue à nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et à sa présidente, sur un sujet - les jeux vidéo - qui constitue un pan important de notre économie tant en matière d'emplois que de valeur ajoutée.
Merci de nous accueillir, Monsieur le Président, pour un rapport qui a donné lieu à un travail en commun fructueux entre nos deux commissions.
La parole est à présent aux rapporteurs, M. André Gattolin pour la commission de la culture et M. Bruno Retailleau pour notre commission des affaires économiques.
En février dernier, les commissions en charge de la culture et des affaires économiques ont décidé d'inscrire les jeux vidéo à leur programme de contrôle. Elles ont donc créé un groupe de travail confié à M. Bruno Retailleau et moi-même, dont nous vous présentons aujourd'hui les conclusions.
Au fil de nos auditions et déplacements, les jeux vidéo nous sont apparus tant comme des objets culturels et artistiques que comme des produits technologiques et, en tout état de cause, comme un vecteur de croissance pour nos territoires.
Je vous proposerai pour ma part un état des lieux des pratiques de jeu en France et présenterai ce qui constitue l'un des fleurons de ce secteur dans notre pays : la formation des professionnels, avant de laisser la parole à mon collègue Bruno Retailleau, qui vous exposera les enjeux économiques de cette industrie. Nous conclurons ensemble par la présentation de nos pistes de travail pour l'avenir.
La naissance du jeu vidéo remonte à 1962 avec la création de Space War par un étudiant du Massachussetts Institut of Technology (MIT). Dix ans plus tard, c'est Pong qui fait véritablement connaître ce nouveau divertissement au grand public et marque le début d'une grande aventure aux États-Unis, puis au Japon et en Europe. Vous avez tous à l'esprit les phénomènes de société que constituèrent tour à tour Pac Man en 1980, Tétris en 1983, Mario en 1985, Tomb Rider en 1996, Les Sims en 1999 ou, plus récemment, Call of Duty en 2003.
Chacun de ces jeux à succès est associé à une évolution technologique : des jeux d'arcade aux ordinateurs, des consoles de salon aux consoles portables, des jeux en réseau aux jeux sur smartphones. Avec l'arrivée d'Internet et du téléphone portable, les pratiques se sont ainsi largement modifiées. Elles sont désormais protéiformes et varient selon le support de jeu choisi.
Les jeux eux-mêmes sont aujourd'hui très variés. La classification habituelle distingue les jeux d'aventure, de course, de tir, de gestion, de plateforme, de rôle, de simulation, de sport, de réflexion, d'apprentissage, ou encore les jeux massivement multi-joueurs en ligne, dont World of Warcraft, avec 12 millions d'abonnés, constitue l'exemple le plus abouti.
S'agissant des supports, si les jeux physiques, c'est-à-dire vendus en boîte, représentent toujours le marché le plus lucratif, les jeux en ligne ou sur les réseaux sociaux, ainsi que les jeux sur smartphones, où des options payantes sont proposées au joueur, connaissent une croissance massive.
Ces évolutions ont conduit à un développement considérable des pratiques. Selon le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), 60 % des Français joueraient de façon occasionnelle ou assidue. Parmi eux, autre surprise, 46 % sont des femmes. Il faut dire que près de la moitié des foyers français sont équipés d'une console de jeux, 65 % d'un ordinateur et 84 % d'au moins un téléphone portable. Autrefois cantonné à un public d'initiés et de passionnés, le jeu vidéo se place ainsi désormais en tête des pratiques culturelles des Français.
L'âge moyen des joueurs s'établit à près de 35 ans, un quart d'entre eux étant âgé de plus de cinquante ans. Les jeux de mémoire et les jeux de cartes ont démocratisé le jeu vidéo chez les séniors, tandis que les femmes sont particulièrement consommatrices de jeux sur les réseaux sociaux et sur mobile.
Le jeu vidéo continue cependant à être l'objet de nombreux débats. Le premier d'entre eux concerne la faible reconnaissance du secteur au plan culturel. Les ministères de la culture et de l'économie s'en partageant traditionnellement la compétence, aucune des deux tutelles ne considèrent véritablement le développement de l'industrie du jeu vidéo comme une priorité.
Autre débat, et non des moindres : le jeu vidéo constitue-t-il une pratique à risque ou, au contraire, un nouveau vecteur d'apprentissage ?
Les jeux font l'objet d'une classification selon l'âge des publics auxquels ils sont destinés. En Europe, le système dit « PEGI » informe, depuis 2003, les acheteurs sur le contenu des jeux et définit, notamment, les jeux interdit aux mineurs, sans pour autant que cette information ne soit assortie d'une stricte interdiction de vente. Cette classification, mise au point par les industriels eux-mêmes, est extrêmement précise et utile.
Le débat sur la dangerosité des jeux vidéo ressort de celui, plus large, relatif au risque d'aliénation de l'homme par la machine, c'est-à-dire à une dépendance créatrice d'asociabilité voire de violence, risque auxquels les enfants et adolescents seraient plus particulièrement exposés. Au regard des auditions de chercheurs que nous avons menées et des récentes études parues sur ce sujet, il apparait que ce risque doit être considérablement relativisé : il ne concernerait que des publics fragiles, consommateurs de jeux particulièrement violents, où l'usage d'un avatar dans le cadre d'un environnement graphique réaliste peut engendrer une identification à un personnage violent.
A l'opposé, les jeux vidéo sous la forme de « serious games » sont considérés par certains comme les nouveaux supports éducatifs. Là encore, il convient de relativiser. Certes, ils occupent une place de choix dans les programmes scandinaves et anglo-saxons, où ils sont envisagés comme une ruse éducative pour amener l'enfant à s'intéresser à une question ou à résoudre un problème. Mais ces usages scolaires des jeux électroniques sont encore peu fréquents dans nos classes. D'aucuns en réfutent d'ailleurs l'intérêt, estimant que l'attitude ludique n'est pas compatible avec une injonction à jouer pour apprendre. En d'autres termes : l'apprentissage et le jeu demeureront irrémédiablement deux notions étrangères, quelle que soit la forme du jeu.
Addictifs, éducatifs ou ludiques, les jeux vidéo suscitent tant la critique que l'enthousiasme. Dans tous les cas, ils font partie intégrante de notre société, de nos loisirs à nos modes d'apprentissage et de socialisation. Certaines technologies développées par l'industrie du jeu vidéo vont même jusqu'à investir des activités traditionnelles (entreprises, presse, politique, etc.) ; c'est ce que l'on appelle la « gamification » de la société.
Les autres débats qui agitent le secteur des jeux ne concernent pas le produit lui-même, mais les conditions d'embauche et de rémunération des salariés.
En France, les jeux vidéo sont essentiellement produits par des studios de moyenne et de petite taille et par des équipes jeunes et pluridisciplinaires. La moyenne d'âge n'y dépasse souvent pas trente à trente-cinq ans, les femmes représentant environ un tiers des effectifs. Issus d'une multitude de milieux professionnels, parfois autodidactes, il s'agit de passionnés, recrutés essentiellement sur la base de contrats à durée indéterminée (CDI), même si les graphistes bénéficient parfois du régime de l'intermittence et que, crise oblige, les contrats à durée déterminée (CDD) sont en augmentation. Or, les responsables de studios que nous avons rencontrés nous ont indiqué que la réglementation applicable aux CDD se pliait mal aux contraintes de la production de jeux. En effet, la date de fin de projet est rarement connue du jeu. Ils appellent donc de leurs voeux, et il s'agit d'une revendication ancienne, la mise en place de contrats plus adaptés au secteur, dont la durée coïnciderait avec la production du jeu, dès lors que les salariés ne sont pas embauchés en CDI.
S'agissant de la rémunération des créateurs de jeux vidéo, il convient de rappeler que l'application du droit d'auteur à ces produits a fait l'objet, depuis les années 1990, d'une instabilité jurisprudentielle chronique. Tour à tour considéré comme un logiciel, une oeuvre audiovisuelle, collective ou de collaboration - chaque définition emportant une application différente du droit d'auteur -, les jeux ont, depuis 2004, fait l'objet de plusieurs études pour tenter de mettre en place une réglementation pérenne. La dernière mission en date, lancée par la ministre de la culture, Mme Aurélie Filippetti, en 2012, a définitivement tiré un trait sur une application du droit d'auteur au jeu vidéo, hormis pour quelques créateurs renommés et, grâce à un accord avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), pour les compositeurs de musique de jeu.
De fait, après plusieurs mois de discussion et malgré les compromis proposés par les représentants des sociétés de gestion collective des droits, les acteurs du jeu vidéo ont renoncé à l'application d'une telle réglementation, qui se prête mal à des produits dont l'obsolescence est très rapide, lui préférant le système actuel d'un intéressement des salariés au résultat du jeu, financièrement plus intéressant pour la très grande majorité d'entre eux, tout en assurant leur fidélisation et leur motivation sur un projet.
Je souhaite enfin aborder devant vous la grande qualité des formations françaises en matière de jeu vidéo.
On compte aujourd'hui une cinquante d'écoles spécialisées sur le territoire national, dont certaines, comme Supinfogame que nous sommes allés visiter à Valenciennes, sont renommées au-delà de nos frontières.
Les formations françaises ont pour spécificités de dispenser un enseignement pluridisciplinaire, mêlant arts, technique, culture générale et privilégiant le travail en équipe dans les conditions d'un vrai studio. Cette méthode permet aux étudiants d'obtenir rapidement un emploi à l'issue de leur cursus, malheureusement souvent à l'étranger, où les studios apprécient particulièrement tant la maîtrise technique que la sensibilité artistique - la « french touch » - et le niveau de culture et d'histoire, essentiels à une narrativité de qualité, des diplômés français.
Les jeux vidéo présentent une double nature, culturelle et économique. Je vous rappelle, à titre de comparaison, que le cinéma lui-même fut pendant longtemps, dans notre pays, rattaché au ministère de l'industrie, avant de l'être à celui de la culture. Le jeu vidéo est progressivement devenu un objet culturel à part entière, comme l'illustre la présence de certains jeux dans les collections du musée d'art moderne de New-York, le MOMA.
Le modèle économique du jeu vidéo est extrêmement particulier. Il représente un marché mondialisé et hyperconcurrentiel, réparti à parts à peu près égales entre l'Asie, l'Amérique du Nord et l'Europe. Notre pays, qui y a longtemps occupé une position de leader, se voit aujourd'hui concurrencé par de nouveaux venus comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique. Estimé à 53 milliards de dollars par l'institut d'études IDATE, soit davantage que les marchés du cinéma ou de la musique, il a longtemps été dominé par le modèle dit du « hit AAA », dans lequel quelques « blockbusters » se vendant à des millions d'exemplaires permettent de financer des milliers d'échecs. Or, ce modèle est aujourd'hui en perte de vitesse du fait de l'explosion des coûts de production, de l'asymétrie des progrès des supports de jeu - le « hard » -par rapport aux contenus- le « soft » - et de l'essor de jeux sur réseaux sociaux ou téléphones mobiles.
La moitié de l'investissement réalisé dans les jeux vidéo est affecté aux dépenses de marketing. Le jeu Grand Theft Auto V (GTA V), qui vient de sortir, a ainsi coûté 200 millions d'euros à produire, pour moitié consacrés à sa promotion.
40 à 50 % des ventes de jeux sont réalisées pendant les quelques jours qui suivent leur sortie et concentrées sur la période des fêtes de fin d'année. Les préventes représentent d'ores et déjà 500 millions d'euros pour GTA V, le précédent record étant de 375 millions d'euros pour Call of duty.
Notre pays possède quelques-uns des éditeurs majeurs du jeu vidéo sur le marché mondial, avec Ubisoft et Gameloft notamment. Activision-Blizzard, qui réalisait plus d'un milliard d'euros de bénéfices au début des années 90, a longtemps été détenu par Vivendi, avant que ce dernier ne s'en sépare car estimant l'économie du secteur trop risquée.
Les entreprises sont majoritairement jeunes -55 % ont moins de cinq ans d'existence- et petites - 50 % ont moins de 10 salariés. Leur taux de mortalité est particulièrement élevé, supérieur d'un tiers à celui des entreprises allemandes du secteur.
La France, parmi les pays leaders du jeu vidéo dans les années 80 avant que le secteur ne soit confronté à la bulle Internet de la fin des années 90, doit aujourd'hui lever certains obstacles au développement de ce marché. Parmi ceux de nature générale, on relève l'instabilité du cadre règlementaire, une insuffisance de l'offre de capital-risque, notamment au regard de ce qui existe aux États-Unis, ou encore la concentration du marché au profit de quelques grands groupes autour desquels évoluent un très grand nombre de PME atomisées.
Parmi les obstacles sectoriels, on note la faiblesse des compétences managériales dans le secteur et le mauvais calibrage des aides publiques : le Fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV), géré par le CNC et doté de 3 millions d'euros seulement, qui au surplus ne finance pas les dépenses de marketing ; le crédit d'impôt jeux vidéo (CIJV), sous-consommé du fait essentiellement de l'existence de pas moins de 64 critères à remplir pour y prétendre ; le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dont l'avantage proposé est compensé par la hausse récente de la TVA ; le crédit d'impôt recherche (CIR), dont la complexité d'instruction incite au développement d'officines spécialisées prélevant des commissions de 20 à 30 % ; et enfin des aides européennes, qui vont bientôt être ouvertes.
Je mentionnerai pour finir qu'un intérêt majeur de l'industrie des jeux réside, pour notre pays, dans la territorialisation des lieux de production, qui, à la différence des autres industries culturelles, ne sont pas situés qu'à Paris.
S'agissant de nos propositions, nous suggérons d'abord de créer une plateforme de valorisation et de distribution des jeux vidéo de production française. Ce support de vente, qui est appelé à se développer avec la dématérialisation des jeux, connaît un véritable succès aux États-Unis. Cependant, le taux de commissionnement y est souvent prohibitif ; il serait ici beaucoup plus faible. Cette « maison » virtuelle des jeux vidéo serait une structure centrale pour le soutien des nombreuses PME du secteur.
Ensuite, il serait opportun d'instaurer un guichet unique centralisant les demandes de soutien diverses. Le CNC, déjà gestionnaire de divers crédits d'impôt et compétent pour l'image animée, serait tout indiqué pour en être chargé.
Afin de financer les mesures de soutien au secteur, nous vous proposons de créer une taxe sur l'ensemble des jeux vidéo vendus sur support physique sur notre territoire, suivant l'exemple du mécanisme géré par le CNC pour le cinéma. De l'ordre de quelques centimes d'euros, elle s'appliquerait sur des millions d'exemplaires vendus chaque année, et génèrerait ainsi des sommes non négligeables. 80 % des jeux vendus en France n'y étant pas produits, cette taxe s'appliquerait également aux jeux étrangers. Elle supposerait toutefois de mener des négociations avec les autorités européennes.
S'agissant de la formation, il nous faut renforcer les aspects économiques et managériaux dans nos cycles d'étude spécialisés. Des avancées en ce sens ont été réalisées à Nice Sofia-Antipolis ou encore à Valenciennes ; il faut les poursuivre et mieux intégrer ces formations dans des pépinières d'entreprises.
Nous proposons par ailleurs deux séries de mécanismes sur le plan économique.
D'une part, il faut mieux cibler les politiques d'aides publiques. Nous souhaitons doubler le plafond du FAJV, actuellement de 200 000 euros, et réduire de moitié le seuil d'accès au CIJV, qui est aujourd'hui réservé aux jeux dont le coût de développement est supérieur ou égal à 150 000 euros. Enfin, le CIR doit être simplifié pour que les entreprises puissent mieux en bénéficier.
D'autre part, au-delà des aides et des subventions, les entreprises ont besoin de renforcer leurs fonds propres. À cette fin, nous soutenons le principe des prêts participatifs, que la Banque publique d'investissement (BPI) pourrait mettre en place en utilisant la ressource des investissements d'avenir.
Ces propositions permettraient de donner un nouvel élan au secteur des jeux vidéo en France.
S'agissant de la taxe que vous avez évoquée, je crains qu'elle soit difficile à appliquer dans un domaine où les jeux sont souvent achetés à l'étranger.
Je crois que les serious games sont un élément majeur pour la formation au 21e siècle. Comment peut-on en soutenir la production ? S'agissant de la BPI, comment pourrait être déclinée son intervention ?
Les jeux vidéo véhiculent souvent une vision peu avantageuse des femmes. Avez-vous abordé la question de leurs contenus ?
Dans le même sens, comment aborder la question de la violence des jeux vidéo ? Quelles réflexions sociologiques ont-elles été conduites sur les risques qu'ils présentent ?
Alors que certains jeunes ne donnent pas la priorité à leur alimentation ou à leur cadre de vie, les jeux vidéo ne risquent-ils pas d'engendrer dépendance et addiction ? Vous devriez attirer l'attention sur ce danger.
De toutes les auditions que nous avons conduites, il ressort qu'il est difficile d'établir une corrélation entre la pratique des jeux vidéo et celle d'actes extrêmes. De plus, les pratiques se diversifient : par exemple, les femmes sont nombreuses à jouer et accèdent également à des emplois de création dans les entreprises produisant des jeux. S'agissant du contenu de ces derniers, je pense qu'il manque une catégorie « interdit à la vente aux mineurs ».
L'addiction est un risque et les familles ont un rôle à jouer pour la prévenir. S'agissant de la BPI, nous avons souhaité qu'elle mette en place un fonds participatif pour les jeux. Quant à la taxe proposée, nous nous sommes inspirés du mécanisme vertueux instauré pour le cinéma ; elle porterait sur les jeux vendus en boîte, sur le sol français.
Je me demande comment on peut qualifier de culturelle cette industrie lorsqu'on voit certains contenus qu'elle produit. Ce rapport devrait aborder la question des problèmes d'addiction et du regard parental.
Le rapport est très documenté. Toutefois, il me semble plus orienté sur le développement économique du secteur que sur les contenus. Je propose que nous autorisions sa publication tout en prévoyant de poursuivre la réflexion sur les contenus et leur impact.
La commission des affaires économiques et la commission de la culture autorisent la publication du rapport.
La commission procède ensuite à l'audition de M. Philippe Wahl, candidat proposé à la présidence du conseil d'administration de La Poste.
En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la nomination, par décret du président de la République, du candidat proposé à la présidence du conseil d'administration de la Poste ne peut intervenir qu'après audition par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique et donnera lieu à un vote à bulletin secret. Il ne pourra être procédé à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages.
Monsieur Wahl, vous êtes depuis janvier 2011 président du directoire de la Banque postale, après vous être vu confier une mission de préfiguration par le président du groupe, M. Jean-Paul Bailly. Vous êtes aujourd'hui candidat à sa succession. Le groupe La Poste est confronté à trois défis : s'adapter à la baisse de l'activité courrier, remplir ses obligations de service public et faire face à la mécanisation de l'activité et à la numérisation des services, avec ses conséquences sur les personnels. Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre projet pour le groupe La Poste ?
Je suis honoré de présenter devant votre commission ma candidature à la présidence de La Poste. Celle-ci est un grand groupe public de services de proximité. Le choix de ce terme est un acte fondateur stratégique. Depuis 25 ans, toutes les postes du monde ont évolué ; toutes n'ont pas choisi de mettre les services de proximité au coeur de leur activité. Même si toutes nos activités sont soumises à la concurrence, nous assumons quatre missions de service public, qui correspondent aux valeurs postales de proximité territoriale et d'accès à tous : les bureaux de poste sont des bureaux sans sas, ouverts aux usagers.
C'est une très grande entreprise, qui emploie plus de 250 000 personnes. En 2012, son chiffre d'affaires était de 21,5 milliards d'euros ; son résultat d'exploitation, de 800 millions d'euros, son résultat net, d'environ 570 millions. Lorsque nous décidons d'équiper nos facteurs en véhicules électriques, nous achetons 10 000 véhicules !
Pour résoudre son équation stratégique, le groupe doit relever trois défis. Le premier est industriel. Les volumes du courrier ont baissé de 18,6 % entre 2007 et 2012. Au Royaume-Uni et en Italie, la diminution a été de 25 % ; en Suisse, de 9 %. En 2007, nous avons transporté 18 milliards d'objets ; en 2020, nous pensons en transporter 9 milliards. La fréquentation de nos 17 000 points de contact, auxquels nous sommes, comme vous, très attachés, est également en baisse - le phénomène frappe encore plus les agences bancaires. Nos métiers sont confrontés à la révolution numérique, même si le commerce électronique offre aussi des opportunités.
Le deuxième défi est économique. Si le résultat d'exploitation est resté stable ces dernières années, entre 700 et 800 millions d'euros, on enregistre au premier semestre 2013 un recul de 24 %. Il importe de trouver de nouvelles recettes, de nouveaux profits pour répondre à cette évolution de nos métiers.
Enfin, avec ses 250 000 employés, la Poste doit relever un défi social. La révolution numérique représente une menace pour les emplois, mais aussi une opportunité, et nous avons été capables d'inventer de nouveaux métiers.
La modernisation nécessaire pour faire face à ces défis a été engagée depuis 2002 : la « métiérisation » de notre groupe, autour des quatre métiers que sont le courrier, le colis, la Banque postale et le réseau grand public ; le règlement du lourd problème des retraites ; la modernisation industrielle des plateformes du courrier ; la transformation des bureaux de poste et la quasi disparition des files d'attente ; l'accélération du développement du colis vers l'e-commerce et l'internationalisation, qui fait de nous le numéro deux du colis en Europe ; l'évolution de la relation entre la Poste et les élus, grâce aux commissions départementales de présence postale territoriale ; l'augmentation du capital de 2,7 milliards d'euros, apportés par l'État et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ; enfin, le grand dialogue mené en 2012, qui connaît ses premières réalisations en 2013. Bref, sous la conduite de son président Jean-Paul Bailly, auquel je rends hommage, la Poste a déjà beaucoup changé.
Je pense que mon parcours me prépare à répondre à cette charge. J'ai alterné entre service public et secteur privé. Fonctionnaire d'origine, élève de l'ENA puis membre du Conseil d'État, j'ai participé, comme conseiller technique au cabinet du Premier ministre Michel Rocard, à de grandes réformes : la contribution sociale généralisée (CSG), la réunion des « ailes françaises » (UTA, Air Inter et Air France), la création en 1990 de la dotation de solidarité urbaine (DSU), l'organisation de la TVA communautaire, mais aussi la réforme Quilès des PTT.
Pour faire face à ces enjeux, j'ai comme atout d'être postier. Depuis deux ans et demi, je dirige le directoire de la Banque postale, la banque des postières et des postiers. Nous avons réintégré la banque dans La Poste. Cela a été l'occasion de tisser des liens avec les élus et leurs associations ; à la demande du gouvernement, la Banque postale s'est mobilisée en 2011 et 2012 pour répondre à l'impasse du financement des collectivités territoriales. Avec la CDC, nous avons construit en moins d'un an une banque des collectivités qui a déjà accordé 1,2 milliard d'euros de crédits à long terme et 2 milliards de crédits de trésorerie.
En 2004, à la demande de Jean-Paul Bailly, j'ai effectué deux missions de conseil, l'une sur la banque et son réseau, l'autre sur l'adaptation de l'organisation corporate à l'arrivée d'une banque au sein du groupe. Enfin, depuis deux ans et demi, j'ai participé aux réflexions sur l'avenir du groupe au sein du comité exécutif de La Poste dont je suis directeur général adjoint.
Je suis également un banquier. J'ai été responsable de la Compagnie bancaire, où je dirigeais 10 000 personnes ; entre 1999 et 2004, j'ai participé à la transformation du groupe Caisse d'épargne, dont j'étais directeur général, à la tête de 40 000 salariés. J'ai participé au difficile redressement de Havas, au sein du groupe Bolloré, puis travaillé pour Royal Bank of Scotland. J'ai développé des activités à l'international et vécu un an au Royaume-Uni. Il me paraît utile d'être postier et d'avoir connu autre chose que la Poste. J'ai toujours privilégié, au cours de ma carrière, les projets de transformation des entreprises que j'ai dirigées.
Quel peut être, face aux défis que j'ai énumérés, le projet des postiers ? Nous les avons consultés dans le cadre d'une démarche participative, à laquelle ils ont été 150 000 à répondre. Ils nous ont dit d'abord, qu'il faut mieux travailler ensemble, dépasser les territoires de nos métiers, développer des synergies économiques et sociales ; ensuite, qu'il faut vendre plus et mieux ; enfin, qu'il faut donner aux personnels plus d'autonomie pour les transformations à réaliser. J'y vois la preuve de la lucidité et la maturité économique du corps social postal. C'est sur la base de ce projet stratégique, de cette confiance partagée, que nous allons travailler, autour de quatre orientations : devenir leader de la distribution et des services à domicile et de proximité, en développant de nouveaux métiers ; accélérer la transformation numérique du groupe ; développer économiquement celui-ci ; accélérer la croissance interne et externe, notamment à l'international, à partir de notre base européenne.
Les objectifs sont au nombre de trois : la satisfaction des clients, la qualité de vie au travail, la bonne santé économique du groupe. Un résultat d'exploitation en hausse permettra de payer les impôts, de verser des dividendes à nos actionnaires, l'État et la Caisse des dépôts, et de continuer à investir massivement pour nous moderniser et grandir.
Ces responsabilités, je souhaite les exercer en suivant trois principes : développement, service public et progrès social. L'entreprise est d'abord une communauté ; quand elle se met en mouvement, son objectif doit être le développement afin de répondre à la baisse des volumes.
Ce qui réunit les postières et les postiers, ce sont les valeurs du service public : l'attachement profond au lien social, au développement territorial, à la proximité et à l'accès à tous. Notre groupe, avec l'État, les collectivités territoriales et la société française toute entière, doit participer à la modernisation des services publics.
Quant au progrès social, il va au-delà du dialogue social, qui est à la fois ma philosophie et ma méthode. Dans une entreprise de main d'oeuvre, la motivation, le partage du sens et l'engagement produits par le dialogue social sont une nécessité absolue. Nous devons tous rechercher un impact sociétal positif de La Poste : participer au développement de notre pays, mettre en relation les hommes et les entreprises, être un facteur d'innovation, donner à nos actions un sens de développement responsable : notre groupe a une empreinte carbone nulle et privilégie les achats responsables.
C'est un projet d'ampleur. Je serai très fier de le conduire, si vous me faites confiance.
Ce contrat d'entreprise est finalement très proche du précédent, et c'est heureux, puisqu'il réaffirme les quatre missions de service public confiées à La Poste : service universel postal, transport et distribution de la presse écrite, accessibilité bancaire, aménagement du territoire par la présence postale. Attention à ne pas trop céder à la pression pour transformer des bureaux de plein exercice en agences postales et relais-poste... Le volume de courrier baissant, le groupe doit diversifier ses activités, sans négliger ses missions de service public, qui restent une nécessité absolue. Sur ce point, le contrat d'entreprise n'est guère explicite. Les services à la population doivent être privilégiés, ce qui suppose d'assurer la qualité de vie au travail. Il faut dresser un diagnostic de la situation sociale dans l'entreprise, notamment en matière de précarité et de souffrance au travail, et créer les conditions d'un meilleur dialogue social avec les organisations syndicales représentatives. Enfin, les indicateurs mesurant la qualité de service sont contestés ; le système de l'Union postale universelle aurait le mérite de fournir des résultats chiffrés plus précis, notamment sur le respect de l'objectif de distribution à J+1.
A en juger par une expérience personnelle, c'est parfois plutôt J + 1 semaine...
Le président Bailly a déclaré qu'il partirait l'esprit serein si Philippe Wahl lui succédait. Voilà qui est rassurant.
La Poste est un grand donneur d'ordres. En tant que groupe historique de service public, mettez-vous plus d'éthique dans vos relations commerciales avec vos fournisseurs ? Portez-vous une attention particulière aux petites et moyennes entreprises (PME) ?
L'évolution du métier de facteur est très intéressante. Les nouveaux services sont toutefois mal connus et mal vendus. Dans ma commune, je me suis ainsi intéressée à Postéo et Cohésio. Impossible de connaitre le contenu et le coût du service, sur lequel votre site Internet est muet : il a fallu que je prenne rendez-vous avec vos collaborateurs - qui sont venus à deux, quand un seul aurait suffi - et ne m'ont guère renseignée...
Le président Raoul a récemment reçu une délégation des agents dits reclassés de La Poste et de France Télécom. En 1993, la loi a permis aux agents des PTT soit de conserver leur grade et statut d'origine, soit d'opter pour les nouveaux grades propres aux entreprises nouvellement créées. Or, ces agents ont dans les faits été privés de déroulement de carrière. L'arrêt du Conseil d'État du 11 décembre 2008 et le décret du 14 décembre 2009 ont relancé la promotion de ces fonctionnaires, mais sans effet rétroactif : après dix-neuf années de blocage, la hausse n'est que de 2 % par an depuis 2009... Comment comptez-vous répondre aux attentes légitimes de ces personnels ?
Je veux rendre hommage à Jean-Paul Bailly, qui a été un grand président de La Poste, et a même anticipé son départ pour transmettre ses responsabilités dans les meilleures conditions possibles. Votre tâche ne sera pas aisée. Il vous faudra affronter des défis nouveaux tout en préservant l'ADN de La Poste : ses métiers, ses missions de service public. La Poste est l'incarnation symbolique du service public à la française.
La loi garantit les 17 000 points de contact mais vous permet d'en modifier la structure : bureau, relais, agence. Le président de la Banque postale que vous êtes encore devra aussi avoir à coeur de conforter le crédit aux collectivités, et ceci à des prix raisonnables.
Comment répondre de façon concrète aux deux défis essentiels que sont le numérique et l'international ? Pour ma part, je pense que vous feriez un excellent président de La Poste. Que cela ne vous empêche toutefois pas de répondre à ces questions...
Même si je n'ai pas toujours été d'accord avec Jean-Paul Bailly et ai parfois dénoncé avec véhémence ses choix sociaux, je rends hommage à son grand sens du service public. Je me félicite que le Premier ministre ait suggéré votre candidature pour lui succéder.
Un mot sur le social dans l'entreprise. Le dialogue avec les organisations représentatives demeure un pilier de toute évolution de la maison, notamment en ce qui concerne le stress au travail. Les nouvelles fonctions confiées aux facteurs relèvent plus du service de proximité que du service public ; une partie des agents redoute que leur métier évolue vers un service à la personne amélioré...
L'esprit de service public dépend largement du statut public, qui conforte l'indépendance face aux pressions pouvant être ressenties quand on vend des services marchands. La Poste va percevoir des sommes considérables au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) : pourquoi ne négocierait-elle pas avec les partenaires sociaux un bon usage de ces fonds, pour le développement de l'entreprise mais aussi l'amélioration des conditions de travail et de rémunération des salariés ?
À mon tour de saluer le remarquable travail de Jean-Paul Bailly. Vous nous avez exposé les grands défis auxquels est confrontée La Poste. Mon village, qui compte 500 habitants, a vu son bureau de poste refait, puis fermé. Un point Poste a été ouvert dans la médiathèque : grâce aux synergies, les choses fonctionnent bien. Or j'apprends, par hasard, qu'on envisage de le supprimer : certaines opérations ne peuvent plus y être réalisées, comme le transfert d'un livret de caisse d'épargne sur le compte postal ; il a été rattaché à la poste du chef-lieu du département ; on n'y vend plus de timbres de collection - pourquoi cette brimade ? Beaucoup d'opérations peuvent se faire par Internet, me dira-t-on. Mais les personnes âgées qui vivent en zone rurale ne savent pas s'en servir. Estimez-vous qu'il y a trop de points de contact ? Comment faire pour les préserver et assurer votre mission de service public ?
La loi garantit les 17 000 points de contact. C'est une force pour notre entreprise. Nous avons tissé des liens avec les élus, et les bureaux de poste ne sont transformés qu'avec leur accord. Je regrette qu'il y ait pu avoir un manquement à cette règle... Je ne réclame pas la réduction du nombre de points de contact : ils font partie de notre identité. Il faut les transformer quand c'est nécessaire. Vous avez évoqué les synergies possibles avec une médiathèque ; c'est aussi vrai avec une régie des eaux ou une mairie.
Tous les réseaux commerçants de distribution physique sont affectés par la révolution numérique, des magasins aux agences bancaires. À nous d'être le réseau de proximité. C'est en inventant et en offrant de nouveaux services que nous trouverons des solutions. Il est essentiel de préserver le maillage territorial et de l'adapter, avec vous. Par exemple, dans les tout petits bureaux ruraux, le facteur pourrait aussi être guichetier : le bureau resterait ouvert et offrirait un emploi au facteur. Autre expérience, qui sera bientôt lancée par Philippe Bajou : équiper les agences postales communales de tablettes numériques pour offrir l'accès à un certain nombre de services de La Poste. Plus la numérisation éloigne le client du service, plus le besoin de proximité croît.
Dans un groupe de 250 000 salariés, la question sociale est un sujet clé. Il ne m'appartient pas de qualifier devant vous la qualité du dialogue social. Le rapport Kaspar a engagé un diagnostic du fonctionnement social et humain du groupe ; nous avons appliqué la totalité de ses conclusions et Jean Kaspar remettra en octobre un rapport de suivi, un an après. En janvier dernier, nous avons signé avec cinq des sept organisations syndicales un accord sur la qualité de vie au travail, dont les dix-sept mesures d'application immédiate ont toutes connu un début de mise en oeuvre. Il s'agit de mesures de prévention des difficultés : développement d'un réseau de ressources humaines de proximité, référent dans ce domaine pour tout nouveau manager, renforcement de la formation, développement de la médiation pour les risques psycho-sociaux, développement de la médecine du travail. Quatre autres grandes négociations ont été engagées ; l'une, sur le télétravail, vient d'être signée par six des sept organisations syndicales. Six accords sont intervenus depuis le début de l'année : tous les syndicats ont signé au moins l'un des six, même si aucun n'a été signé par les sept. Voilà la philosophie et la méthode que je compte poursuivre.
Nous donnons à nos facteurs les outils du numérique numériques : d'ici la fin de l'année, nous doterons près de 15 000 facteurs du smartphone « Factéo » : à la fois téléphone et terminal Internet, il donne accès aux offres, messages et au courrier du groupe ; il servira en outre pour les signatures électroniques, pour les réexpéditions et comme identifiant numérique. Nous pourrons ainsi développer de nouveaux services numériques. Vous me dites que nous disposons de marges de progrès ? C'est une bonne nouvelle ! Fin 2014, 50 000 facteurs disposeront de ce terminal et fin 2015, tous les facteurs en seront équipés.
Le colis concentre l'essentiel de notre activité internationale. Avec GeoPost, qui représente 10 % du volume, 20 % du chiffre d'affaires et 30 % du résultat d'exploitation pour le colis, nous sommes le numéro deux de ce marché colis en Europe. GeoPost nous servira de base pour nous développer à l'international. Plongé dans le bain de la concurrence internationale, notre groupe doit se donner les moyens de progresser. Le succès domestique n'est d'ailleurs possible avec certains grands acteurs du e-commerce et du colis que si nous offrons une ouverture à l'international.
En achats, nous dépensons 3 à 4 milliards par an : c'est considérable. Nous avons signé des chartes avec les PME pour qu'elles puissent suivre en permanence les différents marchés. Nous avons, sous la conduite de Jean-Paul Bailly, lancé un grand appel d'offres national sur le véhicule électrique : nous en avons acheté 10 000 ; plusieurs milliers de véhicules sont allés vers d'autres entreprises. Notre savoir-faire en matière d'achat est reconnu et nous nous efforçons de respecter l'éthique du service public comme celle du développement industriel.
La question des agents reclassés de La Poste est particulièrement complexe. Aujourd'hui, 5 000 personnes sont concernées, sur 250 000 salariés, ou plutôt sur 124 000 fonctionnaires. Elles conservent la possibilité de rejoindre les corps de classification. Leur taux de promotion dans les corps de reclassement est même légèrement supérieur à celui des corps de classification. Nous leur avons permis de rejoindre la fonction publique d'État, mais pour l'instant seules 52 personnes l'ont fait. Il faudra donc poursuivre la négociation. Des milliers d'entre eux ont rejoint le corps de classification. Lors de la réforme Quilès, 90 % des fonctionnaires de La Poste ont rejoint ces corps. Tout en étant attentifs à la situation particulière des agents reclassés, nous devons respecter les règles du droit public et nous montrer équitables. Or, dans son arrêt de 2008, le Conseil d'État a explicitement interdit toute reconstitution de carrière, d'où la complexité de cette question.
La thématique du service public et du service de proximité est essentielle, car une partie de notre activité ressortit bien du service public tandis qu'une autre se situe en-dehors. La loi nous prescrit de rendre certains services d'intérêt général, tandis que nous vendons des services de proximité qui ne seront pas nécessairement des services publics. La Poste doit être capable de développer des services de proximité pour aider nos concitoyens, tout en maintenant et même en développant son offre de services publics.
Je me réjouis que vous attachiez une importance toute particulière à la gestion des ressources humaines. L'enquête d'octobre 2012 a démontré que 92 % des Français avaient confiance en leur facteur - un résultat qu'envieraient les politiques. Que nos compatriotes le placent en deuxième position après le boulanger mais avant le sapeur-pompier constitue un atout considérable. Pourriez-vous revenir sur la nécessaire diversification de La Poste que vous prônez ?
Les collectivités territoriales sont souvent appelées à financer le maintien du service public de La Poste. Or, dans les années à venir, elles disposeront de moins en moins de moyens financiers. Ne serait-il pas envisageable d'effectuer une compensation entre bureaux de postes bénéficiaires et déficitaires, un peu comme cela se passe pour le prix du timbre, identique sur tout le territoire, alors que l'acheminement d'une lettre en zone montagneuse coûte bien plus cher qu'en milieu urbain ? La solidarité s'impose alors sur la vérité des prix. L'aménagement du territoire y gagnerait et cela épargnerait aux collectivités d'être systématiquement mises à contribution.
En lien étroit avec les élus, La Poste s'est transformée. L'évolution était nécessaire, même si elle n'a pas toujours été facile. Il y a quelques années, les responsables de La Poste déclaraient que le décor était définitivement planté. Hélas, au fur et à mesure que l'on avance, l'horizon recule et de nouveaux chantiers apparaissent.
Certes, La Poste est un service public et elle est contractuellement liée à l'État. Cependant, elle est aussi une banque et, pour certains de ses responsables, une banque comme les autres. L'un d'eux m'a dit au début de l'été que l'agence de ma commune de 5 000 habitants allait ouvrir plus tard et fermer plus tôt. Comme je m'étonnais, il m'a expliqué qu'il s'agissait des horaires des autres banques. Non, je ne suis pas d'accord ! Le bureau de poste doit ouvrir tôt et fermer tard pour répondre aux attentes légitimes de la population. Certains responsables locaux veulent parfois trop bien faire, et il est dommage qu'ils soient récompensés par des promotions. Vous dites que rien ne pourra se faire sans l'accord des élus : c'est rassurant. Faites savoir à vos troupes que ce qui se dit ici doit être appliqué sur le terrain.
La Poste dispose d'un parc automobile important : que deviennent les véhicules réformés ? Ne serait pas envisageable qu'à l'instar d'ERDF, elle en donne aux associations qui oeuvrent pour les plus démunis ?
En dix ans, les zones rurales ont perdu des dizaines de milliers de bureaux de poste et il n'a pas toujours été tenu compte de l'avis des élus ni de la population. Comme Jean-Claude Lenoir, j'aimerais que ce que l'on entend ici se traduise sur le terrain.
Je ne crois plus non plus à la distribution du courrier à J+1, mais je ne demande qu'à être convaincu...
Le président Jean-Paul Bailly a annoncé l'embauche de 15 000 personnes d'ici 2014, mais dans quels domaines d'activité ?
Le problème des reclassés n'en finit pas. Je voudrais être sûr de votre volonté de régler ce problème. Ce n'est certainement pas sans raison que les syndicats parlent de « martyrs professionnels ».
Vous êtes un grand patron, un grand gestionnaire. Pouvez-vous nous dire quelles sont vos qualités humaines ?
La transformation est nécessaire, avez-vous dit. Le plan Cap Qualité Courrier a supprimé 80 centres de tris, entraînant plus de transports et 40 % d'émissions de CO2 supplémentaires en huit ans, alors même que le volume du courrier diminuait. Il était prévu une filiale, Viapost, pour le fret : cinq TGV devaient remplacer les quinze avions de La Poste. Où en est ce dossier et quelles sont vos perspectives ?
Les dirigeants du groupe ont évoqué une possible impasse pour le secteur courrier à l'horizon 2015, le timbre ne finançant plus les salaires des agents qui traitent le courrier. Ce message est anxiogène : depuis 2008, une quarantaine d'agents du groupe La Poste se suicide chaque année. Ce secteur est en souffrance et les facteurs se plaignent de leurs conditions de travail.
Vous savez l'importance des 17 000 points de vente. Or les premiers contrats avec les communes ont été conclus il y a déjà quelque temps : se poursuivront-ils dans les mêmes conditions ? Pouvez-vous également nous assurer que la distribution du courrier continuera six jours sur sept ?
Je n'ai aucune idée du salaire d'un facteur, le connaissez-vous ? A ce propos, je suis toujours étonné qu'après son passage, l'on voie dans nos villages d'autres personnes distribuer les journaux et d'autres la publicité. Ce n'est pas ainsi que l'on économise des kilomètres.
Votre réponse sur les agents reclassés a été juridiquement très précise, mais les intéressés n'arrivent pas aux mêmes conclusions. Quand ils viennent dans nos permanences, nous ne pouvons leur expliquer qu'ils ne sont que 5 000 sur 250 000. Il faut décidément s'occuper d'eux.
Les questions que nous nous posions sur la présence postale en milieu rural lors du changement de statut de La Poste restent d'actualité. Vous estimez que le développement du numérique et de la proximité iront de pair. Quand l'évolution de l'ADN de La Poste ne s'apparentera-t-elle pas à une mutation génétique ? À la fin, ne nous retrouverons-nous pas devant un « OGM » ? L'ancienne poste à laquelle sont attachés nombre de nos concitoyens - je pense aux plus âgés, qui guettent la camionnette jaune à 11h11 -, existera-t-elle encore dans quelques années ? Comment concilier les mutations indispensables avec le service public de qualité qu'offrait La Poste ?
Vous avez mis en place la Banque Postale et vous avez entendu les demandes des élus locaux sur la modération des seuils. Allez-vous continuer à préserver le maillage du territoire avec les relais poste, les agences postales, les bureaux de poste, notamment en milieu rural ? Aurez-vous les moyens de les moderniser ? Que pouvez-vous nous dire de la vente des mobiles par La Poste ? Enfin, les petits déjeuners de travail organisés par Jean-Paul Bailly seront-ils maintenus ? Nous avions la chance d'y aborder tous les problèmes.
En Seine-et-Marne, département pilote, La Poste nous a aidés à mener un aménagement du territoire de qualité. L'Union des maires, dont je suis président, avait longuement négocié avec La Poste et tout le monde est aujourd'hui satisfait. Les mairies des petites communes perçoivent 800 à 900 euros par mois en accueillant une agence postale, et peuvent ainsi rester ouvertes cinq jours sur sept. Continuons dans le même esprit.
J'ai là des preuves nombreuses de votre intérêt pour notre groupe et de vos exigences. D'ici la fin de l'année, nous aurons vendu un million de téléphones mobiles. Ce résultat remarquable témoigne de la capacité de changement des postiers. Le chiffre d'affaires, actuellement inférieur à 100 millions, va augmenter, car nous sommes passés de 2 000 à 10 000 bureaux qui en proposent.
Le contrat tripartite entre l'État, l'AMF et La Poste s'achèvera en fin d'année. Les conditions économiques pour la période 2014 à 2016 seront négociées entre les trois acteurs et feront l'objet d'un nouveau contrat.
La transformation de La Poste doit se faire avec votre accord et elle se fera d'autant plus facilement que nous développerons de nouveaux services, notamment numériques.
L'apparent paradoxe résultant du passage de distributeurs indépendants de journaux et de publicité s'explique par la disparition du monopole postal. Il serait sans doute préférable de concentrer le tir, mais les clients sont libres de leur choix.
Je n'ai pas les mêmes chiffres que vous sur l'impact carbone de La Poste. Peut-être sera-t-il nécessaire de donner des explications à l'occasion de la discussion budgétaire. Certes, le processus industriel et la distribution du courrier a évolué, avec les effets que vous avez dits sur le nombre de plateformes. Mais, nous avons supprimé certaines liaisons aériennes énergivores, nous avons augmenté les transports ferroviaires, même si nous n'avons pas créé la filiale prévue, et nous utilisons sur route des camions double pont pour accroître le volume transporté, si bien que les kilomètres parcourus ont diminué de 4,7 % et les émissions de CO2 de 13,7 %.
Enfin, pour que les métiers courrier, colis et distribution aient une empreinte carbone nulle, La Poste achète des réserves de CO2 en soutenant en Afrique et, demain, en Amérique latine, un certain nombre de projets. Vous le voyez, nous sommes un acteur de logistique urbaine et de la transition énergétique.
La diversification est un élément clé de notre stratégie. Nous voulons trouver des relais de service, partant de croissance, pour des raisons économiques mais aussi pour rendre de nouveaux services à la population. Trois exemples de cette diversification : avec Docapost, nous avons créé à Rennes l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) qui emploie 250 personnes pour numériser les contraventions. Cette agence est un opérateur du ministère de l'intérieur. Les produits Postéo et Cohésio sont de belles offres que nous allons développer sur tout le territoire. Enfin, l'économie circulaire va se développer à l'avenir puisqu'il s'agit de réutiliser les emballages et les biens pour éviter le gaspillage. La Poste a lancé une nouvelle entreprise en pleine expansion, Recy'go, qui collecte les papiers usagés dans les PME.
Ne craignez pas que la Banque Postale devienne une banque comme une autre. Nous faisons tout pour éviter cela. Notre plan stratégique s'appelle « Prouver la différence ». Dans le cadre de la résolution ordonnée de Dexia et du Crédit immobilier de France (CIF), seule la Banque Postale a accueilli les salariés de ces entreprises : 70 collègues de Dexia sont devenus des postiers. Nous avons développé les crédits d'accession sociale à la propriété plus vite que nous nous y étions engagés et avons proposé d'embaucher 200 salariés en congé individuel de formation (CIF).
Nous avons créé avec les Restos du coeur, la Croix-Rouge, le Secours populaire, le Secours Catholique, CRESUS, l'Adie et ATD Quart Monde « L'initiative contre l'exclusion bancaire ». Aucune autre banque n'a été capable de mener une telle action sociale. Nous préparons enfin une initiative bancaire majeure en cours de discussion avec la commission nationale informatique et liberté (Cnil). Les clients en situation de fragilité financière pourront prendre contact avec ces associations pour éviter toute marginalisation financière. Oui, la Banque Postale reste sur son sillon de banque citoyenne différente.
Nos chiffres le montrent, la qualité des services s'est améliorée entre 2002 et aujourd'hui. Un institut de sondage indépendant organise un panel quotidien de 6 000 personnes : chaque jour, elles disent si elles reçoivent leur courrier à J+1 : c'est le cas à 86,9 % contre 76 % en 2002. Nous savons bien que mesure et perception individuelle diffèrent. Enfin, nous avons transporté cette année plus de 13 milliards d'objets. Un tiers des clients veulent que leur courrier soit acheminé rapidement, ils choisissent la lettre rouge. En cas contraire, la lettre verte est la réponse adéquate. Nous ouvrons une possibilité de choix dans la gamme du service public.
Plusieurs d'entre vous ont abordé la question du soutien financier qu'apportent les collectivités locales à l'aménagement du territoire. La convention tripartite répond en partie à vos attentes. En outre, La Poste reçoit une compensation financière de l'État. Une fois ce montant retranché du coût calculé par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), il reste un déficit porté par notre groupe. Nous allons nous efforcer de le diminuer tout en renforçant le lien territorial. Le fait que la Banque postale soit devenue la banque des collectivités locales consolide le lien entre La Poste et les territoires.
Enfin, nous verrons si certains véhicules usagés peuvent être mis à disposition des associations, notamment celles qui luttent avec nous contre l'exclusion bancaire.
Avant de nous séparer, je tiens à dire que la qualité d'accueil dans les bureaux de poste s'est considérablement améliorée ces dernières années.
La commission procède au dépouillement du vote sur la candidature de M. Philippe Wahl à la présidence du conseil d'administration de La Poste.
Le résultat du dépouillement est :
17 voix en faveur du candidat ;
4 votes blancs.