Le système de cotisation doit en effet être vertueux. Un mécanisme incitatif de type bonus-malus, favorisant la prévention, sans exclure la compensation, est une bonne idée. Le passage du travail de nuit au travail de jour peut être accompagné financièrement de manière dégressive. Les conventions collectives affichent parfois ce principe sans qu'il soit mis en oeuvre.
Je me réjouis que la sécurité sociale ne soit pas qu'un guichet et s'attaque à la prévention. Après avoir rencontré la commission Moreau, nous avons fait, conjointement avec la direction des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), une offre de service aux entreprises afin que les caisses nationales vieillesse et maladie, les caisses régionales et nous-mêmes les aidions à réaliser un diagnostic organisationnel et technique de la pénibilité. Conditionner la cotisation à la branche AT-MP aux efforts de prévention va dans le bon sens. J'ai travaillé dans le privé, où rien n'est plus convaincant que le coût de la non-prévention : dire à un chef d'atelier que la compensation d'un trouble musculo-squelettique coûtera 97 000 euros, soit la totalité de sa production mensuelle, c'est l'inciter à faire de la prévention.
Nous pourrions débattre des heures de l'uniformisation des critères. En toute hypothèse, ils conserveront une part d'arbitraire. En matière de bruit, l'employeur est en infraction au-delà de quatre-vingt-cinq décibels, et le seuil d'action, à partir duquel on considère qu'il faut commencer à se protéger, est fixé à quatre-vingts décibels. Fixer le seuil de pénibilité en deçà n'a guère de justification : on ne peut le situer qu'entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq décibels. Autre exemple : selon la position du corps, la déclivité du sol, la température et mille autres facteurs, porter une charge de cinq kilos sera plus ou moins pénible. Nous avons d'ailleurs mesuré les efforts accomplis par les ouvriers d'une entreprise agro-alimentaire : mettre des olives sur des pizzas revient à porter plus de trois tonnes en une journée. Est-ce moins pénible que de soulever 25 kilos par jour en une seule fois ?
Dans le même ordre d'idées, la polyexposition ne se mesure pas. La notion peut en revanche favoriser le débat dans l'entreprise et aider à établir des priorités. Mais l'appropriation de ces sujets prend du temps et il y aura nécessairement des mécontents. Bref, le consensus sur un seuil est impossible.
La question des équivalences n'est pas simple : les points accumulés par un fondeur valent-ils ceux du salarié de l'usine de pizzas ? A nouveau, il ne peut y avoir de fondement scientifique aux critères de distinction.
Les notions de dangerosité, de pénibilité, de risque et d'usure ne sont pas interchangeables, ni même superposables. Le danger, c'est la capacité intrinsèque d'un objet, d'une situation ou d'un produit à provoquer des nuisances. Le risque est l'exposition de l'homme au danger. Une mer démontée est un danger, mais le risque n'apparaît que lorsque vous allez surfer. La pénibilité suppose que les nuisances ont un effet différé dans le temps : c'est pourquoi l'on raisonne sur l'espérance de vie à partir de la retraite. Soyons clairs, ne créons pas la confusion !
Enfin, les comptes de prévention de la pénibilité devraient être, autant que possible, des comptes vides. Il convient pour cela que les entreprises préviennent l'usure au travail, ce qui suppose une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre.