Intervention de Geneviève Roy

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 octobre 2013 : 1ère réunion
Avenir et justice du système de retraites — Table ronde avec les partenaires sociaux organisations patronales

Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales :

Loin de résoudre les problèmes, cette réforme complexifie et met en péril les régimes complémentaires sur lesquels les partenaires sociaux avaient pourtant trouvé un accord l'an dernier. Elle annulera les efforts consentis pour sauver le régime Agirc-Arrco, le patronat ayant accepté une hausse des cotisations vieillesse et les syndicats de salariés une moindre revalorisation des pensions. Dès 2018, ce régime se trouvera de nouveau sans ressources. Le régime des retraites sera plombé plutôt que sauvé.

Ne pas reporter l'âge d'ouverture des droits, c'est dire aux jeunes actifs qui ont fait des études qu'ils ne prendront pas leur retraite à soixante-deux ans mais à soixante-six ans. Il aurait mieux valu que nos générations acceptent de reporter l'âge d'ouverture afin de ne pas faire porter sur les jeunes l'intégralité de l'effort. Il sera possible de racheter des trimestres, dans la limite de quatre. Il est extrêmement important d'envoyer un signal aux jeunes, notamment les apprentis.

Rien non plus sur la convergence des régimes de la fonction publique et du privé, qui est loin d'être effective : 9 milliards d'euros de déficit pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux, 5 milliards d'euros pour le privé, qui compte quatre fois plus de salariés ! Les chefs d'entreprise ne comprennent pas cette absence d'harmonisation.

Le compte de prévention de la pénibilité porte bien mal son nom, puisqu'il ne fait que réparer. La cotisation augmentera pour toutes les entreprises, avec une surcote pour celles qui ont des postes estampillés pénibles - alors que la France a déjà un taux de prélèvement obligatoire parmi les plus élevés au monde. Le coût du travail n'est certes pas le seul responsable de notre manque de compétitivité, mais il y contribue substantiellement. Loin de le contenir, nous l'accroissons ! Les cotisations au régime de base ont déjà été augmentées avec l'élargissement du dispositif carrières longues ; une nouvelle hausse interviendra au 1er janvier 2014. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) compensera, dit-on, mais les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) n'auront rien avant l'an prochain.

Indépendamment de son coût, ce compte de prévention de la pénibilité sera source de complexité administrative pour les petites entreprises. C'est tout sauf un choc de simplification ! Le chef d'entreprise devra-t-il, chaque matin, comptabiliser le nombre de minutes pendant lesquelles chaque salarié aura été exposé à la chaleur, au froid ? C'est kafkaïen ! Je suis chef d'entreprise dans un secteur qui compte des métiers relevant des dix critères de pénibilité. Pour certains critères, je fais de la prévention, mais pour le travail de nuit, je ne sais que faire. Devoir apposer ma signature sur une fiche de poste estampillé « pénible », tout en ayant une obligation de résultat dans la protection de la santé de mes salariés, me pose problème.

Pour la CGPME, la pénibilité doit être traitée avant tout sous l'angle de la prévention. Quelle réponse faire au salarié d'une TPE ou PME qui demanderait à changer de poste après avoir suivi une formation s'il n'y a pas de poste à lui proposer ? Ce sera un licenciement à la charge de l'entreprise, qui devra de toute façon recruter un remplaçant : on ne fait que déplacer le problème. Il sera encore plus difficile pour le chef d'entreprise de traiter l'inaptitude au travail par le reclassement. Le travail de nuit est déjà compensé par du temps de repos et des majorations de salaire. Allons-nous passer de la double peine à la triple peine ? Les chefs d'entreprises refuseront des marchés les obligeant à recourir à du travail pénible, et vous verrez qu'après 22 heures tout sera fermé : plus de restaurants, plus de cinémas, la vie sera très calme ! La Ville lumière risque de s'éteindre...

Vous allez nous exposer à la concurrence européenne : la France sera la seule en Europe à avoir un tel dispositif, au moment où la directive « détachement » va nous autoriser à recruter des travailleurs d'Europe de l'Est, payés au Smic français mais sans les charges et sans compte de prévention de la pénibilité ! La CGPME est fermement opposée à ce compte : c'est une question de survie des entreprises et de l'emploi. Nous ne recruterons plus, et nous recourrons à des travailleurs extérieurs dès que possible.

Nous voulons être associés à l'élaboration des critères qui seront établis par décret. Il faudrait au moins reporter l'entrée en vigueur du dispositif : il sera techniquement impossible d'être prêts en 2015. Plus les critères seront assouplis, plus le public concerné sera nombreux, ce qui posera problème aux entreprises mais aussi au régime lui-même. Si l'on cumule les carrières longues avec le compte de prévention de la pénibilité, c'est 40 % d'une classe d'âge qui pourra déroger aux règles de droit commun en matière de départ en retraite. Aucun régime ne peut supporter cela.

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