Commission des affaires sociales

Réunion du 3 octobre 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • pénibilité
  • pénible
  • reclassement

La réunion

Source

La commission procède à une table ronde avec les organisation patronales dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1376 (AN-XIVe) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites en recevant les organisations représentatives des employeurs, avant les organisations syndicales de salariés le 9 octobre prochain. Le Medef est représenté par M. Frédéric Agenet, vice-président de sa commission Protection sociale, Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale et M. Guillaume Ressot, directeur des affaires publiques. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) est représentée par Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales. L'Union professionnelle artisanale (UPA) est représentée par M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Caroline Duc, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement.

Debut de section - Permalien
Frédéric Agenet, vice-président de la commission Protection sociale du Medef

Ce projet de réforme suscite bien des interrogations. Il ignore le besoin de financement du régime de retraite de la fonction publique, des régimes spéciaux, tout comme celui des régimes complémentaires du secteur privé. Faire reposer l'objectif de retour à l'équilibre du régime général sur une hypothèse de croissance de 1,6 % entre 2011 et 2020 est très hasardeux : il faudrait que la croissance s'établisse durablement à un niveau que nous avons rarement connu, a fortiori de manière prolongée. De quoi hypothéquer le retour à l'équilibre...

Comment le compte personnel de prévention de la pénibilité sera-t-il financé ? Le rapport Moreau est très prudent sur les hypothèses de montée en puissance du dispositif. Le Gouvernement estime à trois millions le nombre de comptes qui seront ouverts à partir de 2015. Les données de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) semblent indiquer que ce chiffre est sous-estimé. Pour les entreprises, c'est une bombe à retardement. L'expérience montre que, dans un contexte d'allongement de la durée d'activité, ouvrir une possibilité de départ anticipé crée un puissant appel d'air.

Loin d'encourager la prévention, ce dispositif risque au contraire d'accentuer les phénomènes de trappe à pénibilité. Nous ne partons pas de rien : les conventions collectives prévoient déjà, pour la plupart des travaux pénibles, des majorations de salaire qui peuvent aller, dans certains cas, jusqu'à 40 %. Cela rend difficile les reclassements, nul ne renonçant aisément à un tel avantage financier. Si nous ajoutons encore des incitations, la prévention passera au second plan. Ce dispositif sera, de surcroît, fort complexe à mettre en oeuvre pour les grandes entreprises et plus encore pour les petites.

Quant aux dispositions concernant les jeunes ou les femmes, bien que socialement légitimes, elles doivent inspirer la plus grande prudence étant donné les incertitudes qui pèsent sur leur financement. Soyons pragmatiques !

Debut de section - Permalien
Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales

Loin de résoudre les problèmes, cette réforme complexifie et met en péril les régimes complémentaires sur lesquels les partenaires sociaux avaient pourtant trouvé un accord l'an dernier. Elle annulera les efforts consentis pour sauver le régime Agirc-Arrco, le patronat ayant accepté une hausse des cotisations vieillesse et les syndicats de salariés une moindre revalorisation des pensions. Dès 2018, ce régime se trouvera de nouveau sans ressources. Le régime des retraites sera plombé plutôt que sauvé.

Ne pas reporter l'âge d'ouverture des droits, c'est dire aux jeunes actifs qui ont fait des études qu'ils ne prendront pas leur retraite à soixante-deux ans mais à soixante-six ans. Il aurait mieux valu que nos générations acceptent de reporter l'âge d'ouverture afin de ne pas faire porter sur les jeunes l'intégralité de l'effort. Il sera possible de racheter des trimestres, dans la limite de quatre. Il est extrêmement important d'envoyer un signal aux jeunes, notamment les apprentis.

Rien non plus sur la convergence des régimes de la fonction publique et du privé, qui est loin d'être effective : 9 milliards d'euros de déficit pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux, 5 milliards d'euros pour le privé, qui compte quatre fois plus de salariés ! Les chefs d'entreprise ne comprennent pas cette absence d'harmonisation.

Le compte de prévention de la pénibilité porte bien mal son nom, puisqu'il ne fait que réparer. La cotisation augmentera pour toutes les entreprises, avec une surcote pour celles qui ont des postes estampillés pénibles - alors que la France a déjà un taux de prélèvement obligatoire parmi les plus élevés au monde. Le coût du travail n'est certes pas le seul responsable de notre manque de compétitivité, mais il y contribue substantiellement. Loin de le contenir, nous l'accroissons ! Les cotisations au régime de base ont déjà été augmentées avec l'élargissement du dispositif carrières longues ; une nouvelle hausse interviendra au 1er janvier 2014. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) compensera, dit-on, mais les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) n'auront rien avant l'an prochain.

Indépendamment de son coût, ce compte de prévention de la pénibilité sera source de complexité administrative pour les petites entreprises. C'est tout sauf un choc de simplification ! Le chef d'entreprise devra-t-il, chaque matin, comptabiliser le nombre de minutes pendant lesquelles chaque salarié aura été exposé à la chaleur, au froid ? C'est kafkaïen ! Je suis chef d'entreprise dans un secteur qui compte des métiers relevant des dix critères de pénibilité. Pour certains critères, je fais de la prévention, mais pour le travail de nuit, je ne sais que faire. Devoir apposer ma signature sur une fiche de poste estampillé « pénible », tout en ayant une obligation de résultat dans la protection de la santé de mes salariés, me pose problème.

Pour la CGPME, la pénibilité doit être traitée avant tout sous l'angle de la prévention. Quelle réponse faire au salarié d'une TPE ou PME qui demanderait à changer de poste après avoir suivi une formation s'il n'y a pas de poste à lui proposer ? Ce sera un licenciement à la charge de l'entreprise, qui devra de toute façon recruter un remplaçant : on ne fait que déplacer le problème. Il sera encore plus difficile pour le chef d'entreprise de traiter l'inaptitude au travail par le reclassement. Le travail de nuit est déjà compensé par du temps de repos et des majorations de salaire. Allons-nous passer de la double peine à la triple peine ? Les chefs d'entreprises refuseront des marchés les obligeant à recourir à du travail pénible, et vous verrez qu'après 22 heures tout sera fermé : plus de restaurants, plus de cinémas, la vie sera très calme ! La Ville lumière risque de s'éteindre...

Vous allez nous exposer à la concurrence européenne : la France sera la seule en Europe à avoir un tel dispositif, au moment où la directive « détachement » va nous autoriser à recruter des travailleurs d'Europe de l'Est, payés au Smic français mais sans les charges et sans compte de prévention de la pénibilité ! La CGPME est fermement opposée à ce compte : c'est une question de survie des entreprises et de l'emploi. Nous ne recruterons plus, et nous recourrons à des travailleurs extérieurs dès que possible.

Nous voulons être associés à l'élaboration des critères qui seront établis par décret. Il faudrait au moins reporter l'entrée en vigueur du dispositif : il sera techniquement impossible d'être prêts en 2015. Plus les critères seront assouplis, plus le public concerné sera nombreux, ce qui posera problème aux entreprises mais aussi au régime lui-même. Si l'on cumule les carrières longues avec le compte de prévention de la pénibilité, c'est 40 % d'une classe d'âge qui pourra déroger aux règles de droit commun en matière de départ en retraite. Aucun régime ne peut supporter cela.

Debut de section - Permalien
Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale

Je rejoins les positions du Medef et de la CGPME. Nous avons émis un avis défavorable sur ce projet de loi. Cette réforme n'est pas structurelle, elle ne règle pas le problème des déficits. Les réformes se succèdent : 1993, puis 2003, 2010, 2013... A ce rythme, la prochaine viendra dans dix-huit mois ! Nous sommes très attachés au régime de retraite par répartition, qui met les consommateurs en confiance, ce qui est bon pour l'économie. Mais cette réforme accroît encore les prélèvements obligatoires. Le régime des travailleurs indépendants a déjà vu ses charges sociales augmenter de 1,1 milliard d'euros l'an dernier. Les cotisations vieillesse vont être déplafonnées, sous prétexte d'alignement avec le régime général. Or l'augmentation ne sera pas intégralement compensée : il n'y a donc pas d'alignement. Les cotisations des travailleurs indépendants sont calculées sur le bénéfice, qui comprend non seulement la rémunération de l'exploitant mais aussi celle du capital et la part réinvestie dans l'entreprise. Où est la pause fiscale pour les entreprises ? La plupart des chefs de petites entreprises ont le statut de travailleur indépendant et sont donc traités, fiscalement et socialement, comme les ménages. On aggrave en outre les distorsions avec le régime de l'auto-entrepreneur.

Les branches professionnelles se soucient de la pénibilité : quel serait l'intérêt pour l'entreprise de faire travailler ses salariés dans de mauvaises conditions ? Cela est d'autant plus vrai que dans les petites entreprises, le chef d'entreprise participe également à l'acte de production. L'objectif est de travailler sur la prévention, d'abord en réduisant la pénibilité. Dans le bâtiment, la taille des sacs de ciment ou de plâtre a été divisée par deux ; dans la coiffure, des solutions peuvent être trouvées pour limiter la position debout. Cela suppose d'agir de manière collective, or la récente décision du Conseil constitutionnel sur les actions mutualisées nous bloque...

Il est curieux de demander au Parlement de voter le principe du compte de prévention de la pénibilité, et d'en renvoyer la mise en oeuvre à des décisions ultérieures. Il faudra préciser les dix facteurs de pénibilité définis dans le cadre de négociations en fixant des seuils. Le code du travail et le code de la sécurité sociale deviennent de plus en plus virtuels. Un chef d'entreprise qui a deux salariés dans la maçonnerie devra faire des fiches individuelles journalières, puisque chaque salarié exerce l'intégralité du métier. Or l'exposition à un marteau-piqueur peut ne durer qu'une heure... Où est le choc de simplification ? Ce compte pénibilité nous inquiète, qu'il s'agisse de sa faisabilité ou du risque de contentieux qu'il fait naître. Ce qu'il faut, c'est mener des actions de prévention pour améliorer les conditions d'activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

J'ai entendu vos points de vue, qui ne nous surprennent guère. Chacun sait que nous ne sommes pas égaux face à l'espérance de vie. Les travaux exécutés pendant la vie professionnelle pèsent sur l'espérance de vie. Je réfute l'idée selon laquelle les conditions de vie personnelle seraient les seules à jouer, étant donné le temps passé au travail. Nul ne conteste que certains métiers, par ailleurs utiles et nécessaires, dégradent la santé. Ne pensez-vous pas que la création de ce compte personnel de prévention de la pénibilité peut inciter les entreprises à améliorer les conditions et l'organisation du travail ? M. Burban a évoqué des actions collectives. Comment envisagez-vous les choses ?

M. Agenet a parlé de trappe à pénibilité. Mais le compte pénibilité a aussi un objectif de formation et offre à un salarié exposé la possibilité d'envisager des orientations professionnelles nouvelles. En quarante-trois ans de travail, il y a place pour des changements !

Les dix facteurs de la pénibilité ont été définis par les partenaires sociaux. Faut-il les remettre en question, ou sont-ils pertinents ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Agenet, vice-président de la commission Protection sociale du Medef

Nous devrions être tous d'accord sur un objectif : réduire la durée d'exposition à la pénibilité. Pour cela, il faut travailler en priorité sur le reclassement. La loi prévoit que les points accumulés peuvent être utilisés pour se former ou obtenir un temps partiel avant la retraite. Mais on voit sur le terrain que la possibilité d'un départ anticipé occulte les autres options : c'est un véritable appel d'air, d'autant que les salariés savent que la durée d'activité va s'allonger. Les publications syndicales, très prudentes sur la réforme, ne mettent en avant que ce seul élément. Dès lors, comment inciter à solliciter un reclassement ? Il faut travailler avec les partenaires sociaux sur le terrain pour remettre à plat l'ensemble du dispositif de lutte contre la pénibilité dans les entreprises et utiliser les enveloppes disponibles pour inciter au reclassement plutôt qu'au départ anticipé. Parmi les trois options ouvertes par le compte pénibilité, il faudrait faire en sorte que les salariés soient incités à opter pour le reclassement. Sinon, la prévention n'intéressera plus personne.

Debut de section - Permalien
Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales

Je ne nie pas le lien entre conditions de travail et espérance de vie en bonne santé, mais chacun a aussi une responsabilité individuelle : nos salariés travaillent 35 heures, ils ont une vie en dehors du travail qui a aussi un impact sur leur santé ! La négociation sur les dix critères instaurait un filtre médical, sans lequel nous compensons un risque qui ne surviendra peut-être pas. Nous sommes inégaux face aux tâches pénibles, ne serait-ce que physiquement. Sans filtre médical, comment évaluer le risque ?

Comment compenser le travail de nuit ? Je l'ignore. Encore faut-il distinguer entre le travail en trois-huit, avec des changements de rythme physiologiquement difficiles à supporter, et un travail pendant trois nuits de 12 heures par semaine, qui plus est compensé par du temps de repos. Faut-il remplacer les travailleurs de nuit par des digicodes ?

Pour le reclassement, il faut d'abord que les salariés manifestent une appétence pour la formation. Que faire des personnels non qualifiés, qui ne sont pas toujours susceptibles de recevoir une formation qualifiante ? Pôle emploi est-il la solution ? Pour moi, le plus pénible à supporter, c'est de ne pas avoir de travail. Il faut retravailler sur les seuils et rétablir un filtre médical.

Debut de section - Permalien
Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale

Certains métiers pénibles, comme celui des infirmières de nuit, sont nécessaires à la société. N'ayant aucun intérêt à maintenir les personnes dans des situations pénibles nous faisons tout pour réduire la pénibilité. N'oublions pas que 95 % des entreprises françaises comptent moins de cinquante salariés, que 53 % des salariés y travaillent et que 37 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de vingt salariés. Il est compliqué de mener des actions en interne dans ces entreprises-là. Il faut donc des actions collectives, mutualisées. Les branches qui avaient mis en place des complémentaires-santé obligatoires, comme la boulangerie ou la coiffure, ont également développé des actions concrètes de prévention des risques. Pour nous, la pénibilité n'est pas un problème de retraite mais de santé au travail. Dans la boulangerie, les poussières de farine peuvent générer de l'asthme : des actions collectives ont été menées pour diminuer ces poussières dans les fournils. Travailler dans une ambiance sucrée peut donner des caries dentaires : une action collective a instauré des consultations et des soins dentaires gratuits.

Le reclassement n'étant pas toujours possible, il faut des actions collectives concrètes pour réduire la pénibilité. Il y a trente ans, les bouchers portaient sur leur dos des demi-boeufs ; aujourd'hui, les abattoirs découpent davantage, et certains artisans-bouchers ont des systèmes mécanisés de réception de la viande. Ce compte n'arrive-t-il pas trop tard ? L'objectif, c'est de prévenir. Définir des facteurs de pénibilité permettait notamment d'éviter de qualifier certains métiers de pénibles, et donc de décourager les jeunes d'y recourir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Je partage les préoccupations de M. Agenet. Je soutiens ce texte, mais la conjonction avec l'allongement de la durée du travail risque d'inciter les travailleurs à s'orienter vers le départ anticipé plutôt que vers la reconversion dans des postes moins pénibles. Je travaille depuis cinquante ans, mais je serais incapable de faire aujourd'hui le travail que je faisais à vingt-cinq ans. Traditionnellement, la négociation dans l'entreprise prévoyait des compensations salariales à la réalisation des travaux pénibles ou insalubres : il y avait donc concurrence pour les exécuter !

Comment le compte de prévention de la pénibilité s'articulera-t-il avec les mécanismes déjà mis en place dans le cadre de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), dont la vocation est de lutter contre la pénibilité ? Je suis par ailleurs sensible aux efforts réalisés l'an dernier par le régime social des indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

M. Burban a évoqué une décision du Conseil constitutionnel. Laquelle ?

Il faudra aménager le compte de prévention de la pénibilité pour les PME et TPE si l'on ne veut pas accentuer les difficultés de recrutement dans certaines filières comme les métiers de bouche ou la menuiserie. A estampiller certains métiers comme « pénibles », on risque de dissuader les jeunes et de démolir l'apprentissage.

Le reclassement est sans doute possible dans de grandes entreprises, mais comment faire dans les TPE ? J'étais responsable d'une équipe de logistique de cinquante personnes dans une grande entreprise. Aux caristes, je proposais une formation en posture ou en informatique, mais il n'est pas toujours aisé, même avec la meilleure volonté, de transformer en employés de bureaux ou en agents d'accueil des personnes qui n'ont souvent pas de formation. A cela s'ajoutent les problèmes de santé éventuels. Et la reconversion est encore plus dure à cinquante ou cinquante-cinq ans.

Ne pourrait-on pas réintroduire un minimum de filtre médical ? Les jeunes travaillent désormais tous sur écran et se plaignent de fatigue visuelle ou de mal de dos. Ces emplois seront-ils bientôt considérés comme pénibles ? Tout travail va-t-il devenir pénible ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

La prévention de la pénibilité, ce n'est pas seulement une problématique de santé au travail, c'est aussi la possibilité de vivre sa retraite en meilleure santé possible. Les entreprises font déjà des efforts en matière de prévention. Le travail de nuit est certes indispensable, dans le secteur public comme dans l'entreprise. Cela ne doit pas pour autant interdire toute réflexion sur le sujet : faut-il privilégier le confort ou le développement économique ? Les salariés concernés préfèrent souvent la compensation pécuniaire aux repos compensateurs, d'ailleurs parfois reportables et cumulables. La loi ne devrait-elle pas encadrer davantage les choses et orienter clairement les salariés vers la prévention ?

Remplir le compte individuel de pénibilité sera certainement complexe, notamment pour les PME. Il apparaît en effet kafkaïen de consigner chaque jour, heure par heure, les travaux pénibles effectués. Ne pourrait-on procéder par statistiques, selon les métiers, pour établir un quota mensuel ou annuel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Je vois une certaine contradiction dans vos interventions. D'un côté, vous regrettez que le texte fasse primer la compensation sur la prévention ; de l'autre, vous craignez qu'en l'absence de filtre médical, les compensations ne soient pas toujours justifiées. C'est oublier que la pénibilité a des effets différés ! Les entreprises tardent à agir, les accords et les plans d'action ont pris beaucoup de retard.

Le compte de prévention de la pénibilité ne règle pas tout. Tous les salariés n'en profiteront pas, notamment ceux qui sont en fin de carrière. Mais l'injustice fondamentale, c'est que l'espérance de vie d'un ouvrier est inférieure de sept ans à celle d'un cadre !

Nous avons eu droit au couplet habituel sur la hausse des prélèvements sociaux. Cette réforme générera 16 milliards d'euros d'économie d'ici 2040. L'effort sera supporté à plus de 20 % par les retraités, avec le gel des pensions et la fiscalisation des majorations pour les personnes ayant plus de trois enfants, à 60 % par les salariés, avec la hausse des cotisations ou l'allongement de la durée de cotisation, et à 20 % à peine par les entreprises. Et le Gouvernement a annoncé que la légère hausse de leurs cotisations serait entièrement compensée ! Pourtant, les cotisations sociales ont augmenté quatre fois moins vite que le PIB ; il ne serait pas illogique de leur demander un effort supplémentaire...

En tant que parlementaire communiste, je fais bien la différence entre les TPE-PME et les grands groupes du CAC 40. C'est pourquoi dès 2010 nous avions déposé une proposition de loi soumettant aux cotisations sociales les revenus financiers des entreprises. La mesure rapporterait 30 milliards d'euros à la sécurité sociale et endiguerait la financiarisation de l'économie qui joue contre l'emploi. En France, les dividendes sont deux fois plus élevés que l'ensemble des cotisations sociales versées par les entreprises !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Je pense moi aussi que notre système de retraite doit tenir compte de la pénibilité. Lors de la réforme de 2010, mon groupe avait déposé des amendements en ce sens qui n'ont pu être examinés au Sénat, le débat ayant été écourté. Statistiquement, ceux qui ont exercé un métier pénible profiteront moins de leur retraite. Toutefois, le dispositif proposé par le projet de loi est d'une complexité insondable, sans doute pour avoir voulu associer prévention et réparation. Bien sûr qu'il faut supprimer les postes pénibles ! Il y a cinquante ans, le thème majeur était l'ergonomie du poste de travail ; des progrès considérables ont été réalisés en matière de santé au travail. Néanmoins, ceux qui travaillaient à l'époque - et j'en suis - voient leur espérance de vie en bonne santé réduite. Améliorer ce texte ne sera pas chose aisée. Ne nous laissons pas impressionner par les petits messieurs qui entourent les ministres et ignorent tout de l'entreprise !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Il ne sera pas simple de reconstruire une carrière, notamment pour les polypensionnés. La tâche administrative des chefs d'entreprise sera alourdie. Quant au coût, il risque de dépasser les estimations.

Comme les précédentes, cette réforme ne va pas au bout et n'est pas structurelle. Mme Roy préfèrerait reporter l'âge d'ouverture des droits à la retraite pour éviter de faire porter aux jeunes le poids de la réforme. Certes, les jeunes ont été sacrifiés, mais en reportant l'âge de départ, on ne favorise pas leur entrée sur le marché du travail... En ce domaine, j'admire ceux qui ont des certitudes, car la réalité n'est peut-être pas aussi simple !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Il est indispensable de légiférer. Les conditions de travail restent pénibles pour nombre de salariés en dépit des progrès techniques et médicaux ou de la prise de conscience de certains chefs d'entreprise. Nous avons besoin de la loi pour accélérer les choses et obliger à modifier les pratiques, car trop de salariés souffrent.

Il faut définir les critères de la pénibilité : les facteurs qui diminuent l'espérance de vie, ceux qui diminuent la durée de vie en bonne santé, ceux qui aggravent les risques psychosociaux, souvent négligés. Les conséquences de la pénibilité pèsent sur les salariés mais aussi sur la société tout entière. Il faut travailler sur la prévention, mais aussi sur la formation, la qualification et la valorisation de certains métiers. Les métiers du commerce, des services à la personne ou de l'hôtellerie, par exemple, sont dévalorisés et mal reconnus. Comme ils sont souvent occupés par des femmes, la formation est négligée - sans doute considère-t-on qu'elles sont « naturellement » douées des qualités requises... Ces facteurs aggravent la pénibilité. Les mécanismes de réparation ne doivent pas se limiter à une compensation salariale ou une possibilité de départ en retraite anticipé. Elles doivent aussi inclure un effort de prévention et de formation. Les salariés sont souvent volontaires pour évoluer. Enfin, parmi les facteurs de pénibilité, n'oublions pas le travail à temps partiel, morcelé, avec une forte amplitude horaire qui accroît les temps de trajets.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Madame Roy, ceux qui commencent leur journée à l'aube seront bien contents qu'elle s'arrête à 22 heures !

Debut de section - Permalien
Frédéric Agenet, vice-président de la commission Protection sociale du Medef

La loi peut être nécessaire pour faire évoluer les mentalités, mais pour être efficace, elle doit être adaptée à la réalité. Il importe de redonner une marge de manoeuvre aux partenaires sociaux. Plus le texte sera général, moins il sera applicable. Simplifions, ne créons pas un système kafkaïen. Plutôt qu'un décompte d'apothicaire de l'exposition à la pénibilité, laissons les partenaires sociaux définir, grâce à la négociation, des modèles statistiques de pénibilité selon les branches et les métiers.

Les entreprises sont constituées d'êtres humains, faits d'émotion. Si trois mécanismes sont proposés, il n'est pas surprenant que l'un d'entre eux soit privilégié. C'est pourquoi il faut favoriser le reclassement, ce qui est certes plus facile dans les grandes entreprises que dans les petites. Cela suppose d'établir des plans pluriannuels, une cartographie des métiers pour mettre en place des passerelles, de renoncer à sous-traiter certaines fonctions pour garder ouvertes des possibilités de mobilité... Tout le monde doit tirer dans le même sens. A ce prix, la formation entrera dans les moeurs. Si le dispositif reste en l'état, l'immense majorité des salariés ne retiendra que la possibilité de départ anticipé, compromettant les efforts accomplis pendant des années.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

La décision du Conseil constitutionnel évoquée était celle relative à la clause de désignation prévue par la loi de sécurisation de l'emploi.

Debut de section - Permalien
Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale

Absolument. L'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale a été jugé inconstitutionnel. Cela interdit aux branches professionnelles de mettre en place des mécanismes mutualisés et remet en cause tous les dispositifs de prévoyance qui couvrent aujourd'hui 13 millions de salariés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Quid de la complémentarité entre le compte pénibilité et la branche AT-MP ?

Debut de section - Permalien
Valérie Corman, directrice de la protection sociale au Medef

La branche AT-MP a largement contribué à l'amélioration des conditions de travail et à la baisse de la sinistralité. Le nombre d'accidents du travail est historiquement bas, grâce à une meilleure maîtrise des risques professionnels et de la pénibilité. Le système a fait la preuve de son efficacité, même si la tarification incite moins à la prévention en raison de la hausse de la part mutualisée et cible moins les entreprises à risque. Le dispositif reste orienté vers la prévention ; les interlocuteurs sont connus, ils travaillent ensemble. Ne perturbons pas un fonctionnement clair et lisible en introduisant ce compte de prévention de la pénibilité qui est d'une telle complexité. Comment articuler les deux, demandiez-vous ? Je ne sais pas !

Debut de section - Permalien
Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)

Le texte ne crée pas seulement un compte de pénibilité ; il généralise la fiche d'exposition à tous les salariés de tous les secteurs ! Mécanique déjà lourde et complexe. Il faudra ensuite remplir le compte personnel, selon un barème par points dont l'Assemblée nationale vient d'accentuer encore la complexité. Le décompte, qui n'est pas fondé sur un avis médical objectif, pourra être contesté par le salarié devant les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), et des commissions ad hoc statueront. Kafkaïen, en effet !

La réforme de 2010 a créé un dispositif pénibilité, avec un filtre médical, qui monte lentement en charge. Comment les deux seront-ils articulés ?

L'évaluation du coût du dispositif à l'horizon 2040 est pour le moins hasardeuse. Ce qui est certain, c'est que le montant cumulé des hausses de cotisations employeurs et salariés prévues par le décret du 2 juillet 2012, qui élargit le dispositif de retraite anticipée pour les carrières longues, représente déjà 10 milliards d'euros sur trois ans. Le présent projet de loi prévoit une hausse cumulée de cotisations de 12 milliards d'euros, sur quatre ans. Les prélèvements nouveaux en faveur des retraites auront ainsi augmenté de 22 milliards d'euros entre 2012 à 2017.

Debut de section - Permalien
Georges Tissié

En partie seulement. Et pas pour l'instant.

Debut de section - Permalien
Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales

Reculer l'âge d'ouverture des droits ne freine pas l'entrée des jeunes sur le marché du travail, car le remplacement n'est jamais automatique. Nombre de salariés en fin de carrière sont licenciés avant l'âge légal de départ à la retraite. A la représentation nationale de créer un climat favorable à l'emploi. Ne vous en déplaise, le montant cumulé des hausses de charges est élevé, notre taux de marge historiquement bas. Nous plaidons non pas pour une compensation mais pour une baisse des charges, afin que nos entreprises redeviennent compétitives par rapport à nos concurrents européens - Allemagne, Italie, Espagne - et puissent embaucher. Diminuer le coût du travail sert l'emploi. Nous ne demandons pas de cadeau : seules les entreprises privées peuvent créer des emplois !

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

En Allemagne, 16 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. En Espagne, le taux de chômage est considérable. Quelle société voulons-nous ? Les richesses créées doivent-elles profiter à tous ou bien seulement à quelques-uns tandis qu'une frange croissante de la population s'appauvrit ? Lorsque nous légiférons, nous devons aussi penser aux seniors au chômage qui partent en retraite avec les 500 euros de l'allocation équivalent retraite, aux jeunes qui enchaînent les CDD, aux femmes qui font le ménage à l'aube dans les grandes entreprises...

Debut de section - Permalien
Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale

Vous légiférez pour tous, c'est légitime. Mais attention à la faisabilité de ce que vous votez. Il ne faut pas décourager l'initiative. Collectivement, nous avons tout intérêt à créer de l'emploi. Dans le cas contraire, les gens préféreront rester auto-entrepreneurs plutôt que de prendre le risque d'embaucher. Favorisons plutôt la création d'entreprise et ne créons pas un droit virtuel qui se retournera collectivement contre nous.

Debut de section - Permalien
Frédéric Agenet, vice-président de la commission Protection sociale du Medef

La compétitivité est une préoccupation constante des entreprises. Ne faisons pas de ce projet de loi un handicap de plus pour les entreprises françaises. Aucun de nos voisins ne possède de dispositif de prévention de la pénibilité de ce type. Soyons pragmatiques. Ainsi, pourquoi ne pas réintroduire un filtre médical, quitte à s'en dispenser par exemple pour les travaux en équipe de nuit ? Cela objectiverait le problème, éviterait les effets de masse et limiterait les contentieux.

Debut de section - Permalien
Georges Tissié

A défaut de réintroduire le filtre médical pour les trois facteurs organisationnels, faisons-le au moins pour les sept facteurs techniques.

Debut de section - Permalien
Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales

Les compensations horaires du travail de nuit ne pourraient-elles être inscrites dans le compte de pénibilité ?

La CGPME est attachée au régime par répartition. Comme vous, Madame la présidente, nous ne voulons surtout pas du modèle allemand. Mais en ne traitant pas le fond du problème, cette réforme met en cause notre régime et ouvre la porte à la capitalisation et à l'assurance privée. De même, nous sommes attachés à un Smic plancher ; aux branches et aux entreprises de décider ensuite de la politique salariale. Ne créez pas un monstre que les entreprises ne pourront mettre en oeuvre, et qui les conduirait à ne plus embaucher ou à recourir au travail dissimulé.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Nous entendons votre plaidoyer pour plus de simplification. Le compte personnel de prévention de la pénibilité est un élément important de la réforme des retraites et il tient à coeur d'un grand nombre d'entre nous. Nous allons tenter de simplifier un peu ce texte, même s'il nous faut tenir compte de bien des facteurs. A mes yeux, une société compétitive est celle qui permet à chacun de vivre dignement.