Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Réunion du 9 octobre 2013 à 22h00
Radio france europe — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, née aux États-Unis des excès de l’ultralibéralisme, la crise financière qui a déferlé sur le monde a mis en évidence la fragilité de la construction européenne.

Cette crise est financière, économique, sociale, mais elle est aussi morale, identitaire, existentielle.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, grâce à l’intuition de ses pères fondateurs, l’Europe a parfaitement répondu au défi de l’établissement d’une paix durable sur notre continent.

Quarante ans plus tard, après l’implosion de l’URSS, la chute du mur de Berlin et la dissolution du Pacte de Varsovie, l’Europe a été capable de répondre à un deuxième grand défi : celui de sa réunification. Certes, la question de savoir s’il fallait privilégier l’élargissement ou l’approfondissement s’est posée. D’ailleurs, elle se pose toujours. Mais, face à cette interpellation forte de l’histoire venue des anciens pays de l’Est, pouvait-on ignorer la profonde aspiration de tous ces peuples à retrouver auprès de nous la liberté et la démocratie ?

Aujourd’hui, l’Europe fait face à son troisième grand défi : celui de la mondialisation. Resterons-nous acteurs de l’histoire ou n’en serons-nous plus que les spectateurs ?

Jadis, les affaires du monde se réglaient autour de la Méditerranée. Puis, pendant plusieurs siècles, cela s’est fait autour de l’Atlantique. Aujourd’hui, et plus encore demain, ce sera autour du Pacifique, où nous ne sommes pas. Ce défi géostratégique est important. Il est d’autant plus difficile à relever qu’il est accompagné de la plus grande crise économique que nous ayons subie depuis la guerre. Comment imaginer que chaque État européen puisse s’en sortir seul quand on sait que, dans moins de cinquante ans, un seul pays de l’Union figurera peut-être dans les dix premières puissances mondiales ?

La naissance de l’Europe s’est faite dans un climat quasiment euphorique : la paix, le plan Marshall, le baby-boom, puis les Trente Glorieuses, durant lesquelles il était possible de produire et de redistribuer dans des conditions exceptionnelles. Un tel climat était propice à un consensus sur l’Europe et à des avancées institutionnelles importantes, même si la politique des petits pas a toujours été la règle.

L’institution du Conseil européen, l’élection du Parlement européen au suffrage universel, la création de l’euro et, plus récemment, le traité de Lisbonne, ont été des étapes significatives.

Aujourd’hui, le seul mot de « traité » fait peur à tout le monde.

Une telle situation est d’autant plus préoccupante qu’elle se déroule sur un fond de désamour et de scepticisme des populations à l’égard de l’Europe. On assiste même à la résurgence des nationalismes, des populismes et des séparatismes.

Il est vrai que la gouvernance de l’Europe n’est certainement pas étrangère à ces difficultés.

L’ultralibéralisme mondial, auquel l’Europe a volontiers adhéré, la persistance du mode intergouvernemental dans le processus de décision, la répugnance de chefs d’États à déléguer une part de souveraineté au profit d’une plus grande intégration et d’une plus grande efficacité, la pratique de plus en plus répandue d’un mode de gouvernance qui rétrécit l’horizon, fondé sur ce que j’appellerai le « carré tragique » que constituent les sondages, le marketing, la tactique électorale et la communication au détriment d’un projet à long terme par lequel le peuple se sentirait appelé : tout cela concourt à un certain ensablement de la construction européenne.

Or jamais l’Europe n’a été aussi nécessaire. À l’heure de la mondialisation, c’est en étant davantage Européens que nous pourrons rester souverains.

Certes, les mesures mises en œuvre après la crise de 2008 ont d’ores et déjà permis de réorienter la gouvernance économique, bancaire et budgétaire, à un rythme qu’il eût été impossible d’atteindre en période de croisière. Mais nous sentons bien qu’il faut avoir le courage d’aller au-delà et que le passage de l’Europe économique à l’Europe politique ne se fera pas automatiquement.

Il s’agit d’un saut qualitatif indispensable, car l’Europe sera politique ou ne sera plus.

Or l’Europe politique suppose deux conditions : le courage et l’ambition des gouvernants – nous attendons beaucoup du couple franco-allemand à cet égard – et l’adhésion des peuples. C’est sur ce second point que porte la proposition de résolution que j’ai l’honneur de vous présenter. Je remercie la présidence et le bureau de notre assemblée de m’y avoir autorisé, comme je vous remercie de votre présence ce soir, madame la ministre.

J’ai eu plaisir de constater il y a encore peu de temps, même si la situation a évolué depuis, que ma proposition était soutenue par des collègues de différents groupes, dans la majorité comme dans l’opposition. Je m’en félicitais.

Si la construction de l’Europe a été à l’origine essentiellement l’affaire des hommes politiques, des fonctionnaires bruxellois et des grandes entreprises, le besoin s’est très vite fait sentir d’y associer les peuples ; les jumelages, l’office franco-allemand pour la jeunesse, le programme Erasmus s’inscrivent dans cette perspective. Mais, au moment où le projet européen est contesté par une partie de l’opinion publique, une relance de l’Europe par les peuples est devenue indispensable.

Cela passe par une meilleure connaissance mutuelle et une plus grande intimité des peuples européens entre eux. La radio peut être un moyen, parmi beaucoup d’autres, d’y parvenir.

Il ne s’agit surtout pas de créer Radio Bruxelles ou Radio Strasbourg ! Les institutions doivent comprendre, même si ce sont elles qui apportent l’essentiel du financement, que les peuples n’adhèreront à l’idée de l’Europe qu’à travers une meilleure connaissance mutuelle de chaque pays de l’Union, de son histoire, de sa culture, de sa vie quotidienne, et non à travers l’actualité des institutions européennes.

Il s’agit d’offrir à nos concitoyens la possibilité de mieux connaître ce qui nous rapproche ou ce qui nous distingue des autres peuples de l’Union européenne, à travers une connaissance immédiate et régulière de réalités ou d’événements culturels, sportifs, politiques, économiques, sociaux et festifs qui font la société de chaque peuple.

Si, grâce à Radio France Internationale, RFI, les Français peuvent être informés de la vie de tel ou tel pays africain, ne serait-il pas légitime qu’ils puissent l’être aussi des peuples avec lesquels nous construisons l’Europe ?

Dans cette perspective, mon idée première consistait à proposer la création d’une radio, Radio France Europe, RFE, qui émettrait vingt-quatre heures sur vingt-quatre de manière que l’auditeur soit certain à tout moment de pouvoir se brancher sur une réalité européenne au lieu d’être contraint à des tranches horaires qui ne correspondent pas nécessairement à la propre organisation de son emploi du temps. J’en espérai une audience raisonnable.

Toutefois, même si l’on ne peut guère comparer ma proposition, dont l’objet est de faire connaître les autres peuples européens, et non pas le travail des institutions européennes, l’analyse des différentes tentatives antérieures, ainsi que la situation financière nécessairement contrainte à laquelle s’attacherait une telle création imposent peut-être plus de modestie. Il semble donc nécessaire de procéder par étapes, en partant de ce qui existe. Pour autant, la démarche doit rester empreinte d’une certaine ambition. Nous ne devons pas perdre de vue, à terme, l’objectif initial, à savoir la création d’une radio émettant au moins dix-huit heures par jour et entièrement dédiée à une meilleure connaissance de chaque partenaire de l’Union européenne.

Par ailleurs, il s’agit de faire connaître non pas la France en Europe, mais les pays européens en France, en souhaitant évidemment que cette démarche française soit un jour copiée par chacun de nos partenaires pour ce qui les concerne. Or cette expérience n’a encore jamais été vécue, ni mise en œuvre.

L’autre raison d’une démarche plus pragmatique vient du fait qu’un contrat est actuellement en cours entre l’Union européenne et le groupement d’intérêt économique ayant remporté l’appel d’offres, Euranet Plus. Il convient donc de le respecter.

L’Europe n’est pas totalement absente de notre univers de radiodiffusion. Je pense à Accents d’Europe ou à Carrefour de l’Europe, qui, sur l’initiative de Radio France Internationale et Euranet Plus, regroupe treize radios, concerne 20 millions d’auditeurs et diffuse en France, à travers BFM, des informations européennes à raison de soixante-quinze minutes par jour.

Mais cette radio, qui, à ma connaissance, ne couvre pas tout le territoire national, est davantage orientée vers la diffusion d’informations de nature politique, ayant trait notamment à la vie des institutions, ce qui reflète une conception différente de cette proposition de résolution.

Néanmoins, ce serait déjà un progrès si, par exemple, France Inter, qui l’avait, je crois, un temps envisagé, rejoignait Euranet Plus pour additionner ses propres efforts à ceux de BFM. Ce serait une étape significative vers la création d’une radio française qui rapprocherait nos concitoyens des autres peuples européens.

Certes, il y aurait encore à faire ensuite, mais c’est un premier pas qui témoignerait de la volonté de reconquérir durablement et en profondeur les opinions publiques. Il importe en effet que celles-ci soient favorables à la construction européenne, dont, en définitive, dépend le destin de chacune et de chacun d’entre nous.

En fait, il y a deux façons d’aborder une telle proposition de résolution. Soit l’on reste dans la sphère des communications et l’on fait l’inventaire de toutes les difficultés à surmonter, notamment techniques et financières. Soit l’on s’élève à un niveau politique en envisageant l’avenir de la construction européenne, et, si l’on y croit, en se promettant de mettre en œuvre progressivement tous les moyens nécessaires, l’objectif étant d’une grande importance.

À la veille des élections européennes, il m’a semblé que la question méritait d’être posée. §

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