Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de l'agriculture pour 2006 est examiné à l'issue du débat concernant le projet de loi d'orientation agricole, ce qui, à mes yeux, rend encore plus fade ce type d'exercice annuel où chacun s'exprime, certes, mais sans pouvoir changer une virgule au texte. C'est donc sous la double empreinte de la LOLF d'une part, et de la future loi d'orientation agricole, d'autre part, que le budget de l'agriculture nous est présenté dans un cadre de rigueur désormais habituel.
Je dirai tout d'abord quelques mots sur les effets de la loi organique relative aux lois de finances qui écarte de ce projet de budget des points aussi essentiels que l'enseignement agricole et la qualité sanitaire de l'alimentation. J'ose cependant espérer que cette présentation ne nous interdira pas de parler de ces sujets.
Par ailleurs, la LOLF, censée gérer les deniers publics avec rigueur, ce qui, a priori, pourrait satisfaire tout le monde, se traduit non par une rigueur de gestion, mais par une gestion de rigueur. Cette dernière prend tout d'abord la forme d'une chasse aux emplois ; ainsi, 1 000 postes sont supprimés au ministère et des centaines de suppressions sont enregistrées dans l'enseignement agricole public et privé.
Mission, programme, action, le mauvais film de la LOLF se trouve dans tous les budgets, avec son cortège de coupes sévères, de réductions de crédits, d'incitations à serrer la vis à tous les niveaux, pour tous les exécutants qui risquent gros en refusant de se couler dans le moule.
Autre aspect particulier du débat : il ne porte vraiment que sur 16 % des masses financières de l'agriculture pour 2006, dans la mesure où les financements communautaires pèsent 34 %, la protection sociale 47 % et les contributions des collectivités locales 3 %. Cet aspect relativise le débat et met en lumière le fait que rien n'est prévu pour faire face, demain, à la baisse significative des financements communautaires.
Enfin, la décentralisation au niveau régional des crédits des directions de l'agriculture et de la forêt n'est-elle pas le prélude à de fortes sollicitations à l'égard des budgets régionaux appelés à combler les lacunes béantes créées par les effets de la LOLF ?
L'année 2005 aura été marquée par la crise laitière initiée par les industriels de la transformation, qui ont anticipé les mesures de la PAC et l'évolution du commerce mondial.
En Bretagne, l'une des premières victimes de cette filière de la PAC est la laiterie Nazart située à Fougères, en Ille-et-Vilaine, qui a été mise en redressement judiciaire. Les autres industriels profitent de l'occasion pour imposer des prix encore plus bas aux producteurs et les contraindre à se regrouper au sein d'une coopérative de collecte. Quant aux quatre-vingt-quinze salariés concernés, ils risquent fort d'avoir de grandes difficultés à retrouver du travail quand la liquidation sera prononcée.
Ce triste exemple illustre malheureusement ce qui risque de se produire au centuple demain eu égard aux effets d'une réforme négative de la PAC et du bradage de l'agriculture à Hong-Kong.
Pour ce qui concerne la grippe aviaire, médiatiquement étouffée par le mouvement des banlieues, les premiers effets négatifs se font sentir. La baisse de 25 % de la consommation constatée au mois d'octobre et qui se poursuit entraîne un allongement automatique des durées de vide sanitaire et porte atteinte aux trésoreries des aviculteurs, déjà très éprouvées par les crises précédentes. Monsieur le ministre, des mesures spécifiques seront-elles prises pour atténuer les effets financiers de la crise sanitaire ?
Comme je le mentionnais tout à l'heure, de très nombreuses mesures du projet de loi d'orientation agricole viennent étayer et justifier ce projet de budget. Nous ne ferons pas la fine bouche, monsieur le ministre, au sujet de votre engagement à créer un groupe de travail relatif à l'installation des jeunes et aux modalités d'attribution de la dotation aux jeunes agriculteurs, la DJA. Le combat que je mène avec mes camarades depuis de nombreuses années mérite de connaître une issue favorable pour celles et ceux qui s'installent sans aide, mais qui s'installent malgré tout et se trouvent particulièrement exposés aux aléas du métier d'agriculteur.
Le syndicat des jeunes agriculteurs vient de nous solliciter à propos du financement du stage préparatoire à l'installation, qui n'est pas financé, ce qui n'augure rien de bon pour la suite des événements.
Beaucoup d'hypocrisie demeure autour de ce dossier crucial de l'installation. Ou bien nous décidons collectivement de tout faire pour installer un maximum de jeunes actifs dans nos campagnes - ce qui suppose des moyens financiers et un peu d'imagination pour l'accompagnement technique et financier de celles et ceux qui n'ont pas les diplômes requis -, ou bien nous poursuivons la politique actuelle, c'est-à-dire celle des discours sans acte, car ce n'est pas le plan crédit-transmission du projet de loi d'orientation agricole qui va régler le problème.
La question d'un réel revenu rémunérateur demeure une question centrale qui n'a été qu'effleurée et de façon peu convaincante compte tenu des mesures adoptées lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole.
Qu'il s'agisse de la valorisation des biocarburants, de l'organisation de l'offre ou de l'assurance récolte, toutes ces mesures pèseront peu et ne remplaceront pas l'impérieuse nécessité d'aboutir au paiement des produits agricoles à leur prix de revient réel par l'interdiction de la vente à perte, la réduction sensible des marges des centrales d'achat et l'amélioration du pouvoir d'achat des plus démunis.
C'est également toute une culture des modes de consommation qu'il faut revoir dans un monde où les produits élaborés à forte marge bénéficiaire ont pris le pas sur la cuisine domestique traditionnelle.
Concurrence et compétitivité restent les maîtres-mots du marché et continuent d'entraîner l'agriculture dans une course folle aux prix les plus bas pour tendre vers le prix mondial, qui est une véritable aberration économique, sans lien avec la réalité des prix, des coûts de production, des coûts sociaux et environnementaux.
Les pôles de compétitivité, qui regroupent les énergies par secteurs, relèvent de la même logique. Il y a fort à parier qu'ils vont favoriser le capital avant l'emploi, les exonérations de charges avant les salaires et les délocalisations avant l'emploi au pays.
La Bretagne, première région agricole de France, a obtenu, entre autres, le pôle « pêche » et le pôle « aliments de demain ». Elle ne fait cependant pas partie des pôles majeurs qui consomment l'essentiel des crédits. C'est dire l'importance consacrée à l'agriculture de demain dans un contexte pourtant difficile !
Les parlementaires que nous sommes ont été particulièrement sollicités au sujet de l'enseignement agricole public et privé. Hier encore, je recevais une délégation d'enseignants, de parents et d'élèves d'un lycée agricole public des Côtes d'Armor. Même après le transfert de 8, 5 millions d'euros du public en direction du privé, personne ne semble satisfait.
En réalité, la casse de l'enseignement agricole public a été programmée depuis trois ans. La première année, le seuil de recrutement des établissements a été imposé et limité. La deuxième année, les programmes ont été toilettés. Enfin, la troisième année, des classes de quatrième de l'enseignement agricole ont été fermées et des postes d'enseignants ont été supprimés. Demain, la fermeture d'établissements entiers est programmée.
Monsieur le ministre, tout cela est inadmissible au regard du rôle de formation et d'intégration des jeunes du monde rural dans le tissu économique social et culturel local. De surcroît, ces mesures viennent contredire votre volonté de mener une politique d'insertion des jeunes en difficulté.
Il m'est impossible de clore ce débat sans évoquer le sommet de l'OMC qui se tiendra à Hong-Kong du 13 au 18 décembre prochain. Sans vouloir tomber dans le catastrophisme, nombreux sont les agriculteurs de toute obédience syndicale qui pensent que le pire est à craindre.
Il faut tout d'abord relever la faiblesse de l'Europe, qui part divisée sur les questions agricoles en raison de l'importance respective qu'accordent les États à l'agriculture. Cette faiblesse est liée au fonctionnement même de l'Europe alors que des commissaires se permettent de narguer les États, comme l'a fait récemment M. Peter Mandelson en proposant des baisses de tarifs douaniers allant de 35 % à 60 %.
C'est non pas le résultat du référendum du 29 mai dernier qui affaiblit l'Europe, comme le prétendent certains, mais la surdité de celles et de ceux qui n'ont pas perçu le message des urnes traduisant la volonté de démocratiser le fonctionnement de l'Europe et de respecter les spécificités des pays qui la composent.
Les négociations vont faire monter la pression contre les agriculteurs sur trois domaines, à savoir les soutiens internes, les aides à l'export et l'accès au marché.
L'Europe a déjà baissé ses soutiens internes à trois reprises alors que les États-Unis n'entendent pas faire diminuer les leurs et en « redemandent » à l'Europe. Les aides à l'export sont désormais quasi démantelées. En revanche, les attaques qui portent sur l'accès au marché consistent à faire baisser significativement les protections douanières. À ce titre, les propositions de M. Peter Mandelson aboutiraient, en Europe, à une perte estimée à 600 000 emplois d'ici à 2014, les filières bovine et ovine pourraient perdre 20 % de leurs emplois, la filière porcine 28 % et la filière avicole 17, 5 %.
L'OMC veut appliquer les mêmes règles du jeu à des pays offrant des salaires différents, dont les conditions agronomiques, environnementales, climatiques et économiques sont très disparates. Il s'agit d'un véritable jeu de massacre dans lequel les pays les plus faibles seront les premières victimes. Il faut donc que la France oppose son veto à Hong-Kong et pose les bases d'une reconstruction démocratique et humaniste des règles de l'OMC.
Le fil rouge de la politique libérale - je devrais dire le fil blanc -, qui traverse la politique agricole française, la PAC et l'OMC, produit, à chaque niveau, les mêmes effets dévastateurs et ne crée pas les conditions d'une agriculture rémunératrice. La ruralité s'en ressent fortement. Une agriculture dynamique familiale ou multifamiliale est indispensable au regard de la souveraineté alimentaire, de l'environnement et des emplois très nombreux qu'elle génère en amont comme en aval.
La France rurale va mal. Entre 1966 et 2002, elle a perdu 8 950 boulangeries-pâtisseries, 33 200 boucheries, 73 000 épiceries. Elle a également été la première victime des politiques de casse des services publics pour ce qui concerne ses écoles, ses bureaux de poste, ses perceptions, ses gendarmeries.
Il est urgent d'inverser toutes les logiques politiques qui ont conduit à cette situation. Certes, le budget de l'agriculture ne peut à lui seul régler tous les problèmes de la ruralité, mais ses insuffisances nous conduisent à ne pas l'adopter.