Intervention de Stéphane Mazars

Réunion du 15 octobre 2013 à 17h00
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage

Photo de Stéphane MazarsStéphane Mazars :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe socialiste d’avoir choisi ce sujet ambitieux et à féliciter le rapporteur, Jean-Jacques Lozach, pour la qualité de son travail. Sa parfaite connaissance de la chose sportive et sa totale implication dans cette mission sont indéniablement à l’origine de son audience.

Je tiens également à féliciter le président de la commission d’enquête, Jean-François Humbert, qui a su rassurer l’ensemble de nos interlocuteurs sur les réelles motivations de notre travail et, partant, établir avec eux un dialogue de confiance et de vérité.

Aussi ancienne que la pratique sportive elle-même, l’utilisation de substances et méthodes destinées à améliorer la performance des sportifs répond à l’accroissement permanent des exigences des athlètes envers eux-mêmes, de leur entourage ou encore du public, qu’il soit spectateur ou téléspectateur.

Les limites sont constamment repoussées : ainsi, à l’épreuve reine de l’athlétisme, le 100 mètres, Usain Bolt a battu le record du monde en 2009 avec 9 secondes 58, que Jesse Owens, en 1936, avait réalisé quant à lui en 10 secondes 30. Pour l’épreuve du saut à la perche, le record détenu en 1940 par Cornelius Warmerdam avec 4, 60 mètres fut largement dépassé par Sergueï Bubka en 1994 avec 6, 14 mètres.

Alors que le sport est associé à l’éthique et à la santé, qu’il fait appel au dépassement de soi, qu’il impose le respect des règles du jeu et celui des adversaires, il devient aujourd’hui trop souvent un spectacle où ces valeurs n’ont plus cours.

En effet, le public et les médias attendent des exploits de plus en plus retentissants. Les entraîneurs, les fédérations, les médecins, les soigneurs et même l’entourage familial des sportifs font peser une pression parfois insoutenable sur les épaules de ceux-ci.

De surcroît, les calendriers surchargés n’accordent aucun répit aux sportifs, qui ne bénéficient du droit au repos qu’une fois blessés... Et encore lorsqu’ils ne continuent pas leur entraînement sous autorisation d’usage à des fins thérapeutiques, pratique du reste particulièrement contestable, comme le relève le rapport de la commission d’enquête.

Dans un entretien accordé en juin 2013 au journal Le Monde, Lance Armstrong déclare qu’il est impossible de gagner le Tour de France sans se doper. §Tricheur ou victime ? Il me semble que le débat sur la responsabilité du sportif est légitime.

Certes, la responsabilisation du sportif requiert des actions de prévention dès le plus jeune âge. Les campagnes de sensibilisation, appuyées sur des études sur les effets indésirables des substances consommées, concourent à la lutte contre le dopage, notamment lorsqu’elles visent les jeunes amateurs. Ces études doivent être régulièrement actualisées pour alimenter nos connaissances en la matière. Des autopsies systématiques lors des décès prématurés des sportifs pourraient en déterminer les causes et contribuer ainsi à la rédaction de notices sur la fréquence des pathologies associées aux différents produits employés.

Cependant, il semblerait que la prévention ne soit pas toujours suffisante. Quoique souvent conscients des risques de pathologies, de morts subites et du possible raccourcissement de leur espérance de vie, les sportifs professionnels continuent de recourir au dopage.

L’argent, nous le savons, n’est pas leur principale motivation. Lors des auditions, le docteur Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport spécialiste du dopage, a affirmé que « le vrai moteur du dopage n’a jamais été l’argent » mais « l’ego, la compétition ».

Ces propos trouvent leur confirmation dans la bande-annonce du documentaire réalisé par Alex Gibney, dans lequel Lance Armstrong déclare : « J’aime gagner, et plus que tout, je déteste l’idée de perdre. Pour moi, ça équivaut à la mort. »

La prévention ne pourra jamais répondre au « tout ou rien ». C’est pourquoi, à titre personnel, avant de suivre les auditions menées par notre commission d’enquête, la pénalisation de l’usage de produits dopants me semblait pertinente.

La pénalisation de l’usage pouvait effectivement sembler efficace.

Au premier chef, il s’agissait d’un message dissuasif, notamment à destination des plus jeunes et des amateurs.

En outre, ce procédé permettait de recourir à des pouvoirs d’enquête élargis, de même que pour les produits stupéfiants, ou comme en Italie où une loi récente a qualifié de délit le simple usage d’un produit dopant.

Néanmoins, les arguments développés à l’encontre d’une telle solution me semblent aujourd’hui pertinents, pour ne pas dire convaincants.

En effet, nous avons l’expérience de la loi du 1er juin 1965, qui pénalisait l’usage de stimulants à l’occasion de compétitions sportives. L’application de ce texte s’est heurtée à des obstacles, en raison de la difficulté de prouver le caractère intentionnel de cet usage. Quarante-huit ans plus tard, il resterait aussi difficile d’établir cet élément moral de l’infraction, et partant la responsabilité pénale des sportifs eux-mêmes.

Au surplus, le rapport de la commission d’enquête rappelle la difficile articulation entre la sanction pénale, d’une part, et les sanctions disciplinaires, d’autre part, la première et les secondes pouvant, dans certains cas, se contredire.

Qui plus est, les procédures judiciaires sont toujours plus longues que les procédures disciplinaires ou administratives. Cette situation contrevient à l’objectif d’une réponse rapide à la tricherie et aux atteintes portées à la santé.

La réponse pénale est sans aucun doute plus adaptée à la détention ou au trafic de produits et de méthodes interdites, comme le prévoit du reste notre droit actuel. En effet, il est plus opportun de pénaliser ceux qui tirent un profit direct de cette atteinte à la santé publique. Nous savons qu’il peut parfois s’agir de réseaux particulièrement bien organisés, aux activités multiples.

À ce titre, il faut relever qu’en dépit d’un cadre juridique pénal très élaboré la France connaît quelques lacunes dans la lutte contre les trafiquants, faute d’échange systématique d’informations entre les services répressifs, les services douaniers et l’Agence française de lutte contre le dopage. Or cette coopération est un moyen essentiel pour appréhender le fléau à sa source et, ce faisant, entraver la diffusion de ces produits, destinés non seulement aux initiés mais aussi au grand public.

Voilà pourquoi nous soutenons pleinement toutes les propositions du rapport allant dans le sens d’une collaboration renforcée et systématique entre tous les acteurs de la lutte contre le dopage.

Parmi les sanctions disciplinaires, seules sont dissuasives celles qui sont susceptibles d’avoir une influence réelle sur la carrière des sportifs. Ainsi, il serait intéressant de porter les suspensions de deux à quatre ans en cas de consommation de produits lourds.

Par ailleurs, il est évident que les fédérations nationales ou internationales ne doivent plus disposer à la fois des pouvoirs de contrôler, d’instruire le dossier et de prononcer la sanction. L’indépendance à l’égard du monde sportif doit être garantie pour éviter tout conflit d’intérêts patent.

De même, pour être indépendants, les contrôles doivent être confiés aux agences nationales de lutte contre le dopage, sans que soit requise l’autorisation de la fédération internationale ou, à défaut, de l’Agence mondiale antidopage, l’AMA.

Une fois les fédérations dessaisies de ces pouvoirs de contrôle, la sanction collective mériterait d’être étudiée. Au demeurant, pourquoi ne pas aller plus loin, notamment en modulant les sanctions financières selon les bénéfices tirés de la tricherie ?

Enfin, les dispositifs de sanction ne peuvent s’appliquer si les moyens de contrôle n’évoluent pas. La création du passeport biologique en 2008 au sein de certaines fédérations, comme l’UCI, puis sa mise en œuvre pour tous les sportifs de France – de haut niveau, espoirs et professionnels – permettra de contrer les évolutions technologiques visant à passer entre les filets de la détection. Associé à un accroissement des contrôles inopinés, à un ciblage plus aléatoire des substances et au recours à des témoignages, le passeport biologique constituera un outil redoutable pour déceler les infractions à l’éthique sportive.

Madame la ministre, nous connaissons votre attachement aux valeurs fondamentales du sport et votre engagement indéfectible sur le front de la lutte antidopage.

Nous savons qu’un projet de loi relatif au sport sera soumis au Parlement l’année prochaine, et nous ne doutons pas que vous retiendrez bon nombre des soixante propositions contenues dans le présent rapport.

Nous espérons que vos responsabilités au sein de l’AMA permettront à la voix de la France, qui, dans ce combat a toujours compté parmi les plus fortes, d’être entendue par tous et en tout lieu. Il s’agit, là aussi, de faire respecter l’égalité entre tous, entre nos athlètes et les autres.

C’est un dur combat, que d’aucuns pourraient croire perdu d’avance, …

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