Intervention de Nathalie Goulet

Réunion du 17 octobre 2013 à 15h00
Débat sur le marché du médicament et des produits de santé

Photo de Nathalie GouletNathalie Goulet :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas médecin et je n’exerce aucune profession paramédicale, mais nous sommes tous des malades en puissance. Voilà pourquoi la politique du médicament est un sujet extrêmement important.

« Les antibiotiques, c’est pas automatique ! » Ce slogan, qui a fait florès, part d’un constat : les Français n’ont l’impression de se soigner qu’à partir du moment où ils consomment des médicaments. Les excès de l’automédication, une vulgarisation – via les journaux ou des livres qui font recette : guide des médicaments, sites internet, etc. – qui rassure nos compatriotes, des médecins qui prescrivent trop, voilà des maux bien français !

Permettez-moi de citer quelques chiffres.

Les médicaments, remboursés ou non, représentent près de 40 milliards d’euros de dépenses chaque année, soit un cinquième des dépenses totales de santé et 81 % du budget des hôpitaux publics.

Notre pays dépense près de deux fois plus en matière de médicaments que les autres pays occidentaux.

Chaque année, le déficit de la Caisse nationale d’assurance maladie, la CNAM, est de 10 milliards à 15 milliards d’euros, soit un peu plus du tiers des 38 milliards d’euros de dépenses en médicaments.

Sur environ 100 000 tonnes de médicaments achetés chaque année, un quart finirait à la poubelle, d’où l’idée, qui n’est pas nouvelle, d’une délivrance à l’unité, sur laquelle nous reviendrons certainement tout à l’heure.

Mes chers collègues, puisque nous sommes entre nous, je vais un peu dévier du strict sujet du médicament pour vous parler de la prévention, domaine auquel va ma préférence.

Si, par bonheur, nous abordons cette année la deuxième partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale – ce qui désormais n’est jamais gagné dans cette maison –, je vous ferai des propositions sur un sujet qui m’est cher, à savoir les maladies liées à l’obésité.

« On creuse sa tombe avec sa fourchette », « l'alimentation est notre première médecine », voilà de vieux slogans aux résultats garantis… Cependant, nous avons beaucoup progressé dans la reconnaissance du lien entre santé et alimentation.

Il y a quelques années, nous avons eu ici, sur l’initiative de notre collègue Gérard Dériot, un débat sur l'obésité infantile. Il faut dire que la situation connue aux États-Unis arrive chez nous avec, comme toujours, un petit décalage.

Qualifiée par l'Organisation mondiale de la santé de pandémie de notre siècle, l'obésité touche un milliard d'êtres humains dans le monde et un Français sur dix. Or de nombreuses études aux États-Unis montrent que l'obésité a un coût : 147 milliards de dollars en 2008, contre 78, 5 milliards de dollars en 1998. Ces sommes sont absolument astronomiques !

En France, des études ont également été publiées. Toutefois, les chiffres sont un peu anciens. Il serait donc intéressant, madame le ministre, de bénéficier d’une nouvelle étude sur le coût de l’obésité et des maladies qui y sont liées.

D’après un rapport de 2008, le coût annuel de prise en charge de l’obésité par l’assurance maladie est estimé entre 3 % et 7 % de l’ONDAM, l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. En outre, ce rapport souligne la corrélation entre l'augmentation de la prévalence de l'obésité et l'augmentation du nombre de personnes bénéficiant du régime des affections de longue durée. Les chiffres sont frappants ! L’ensemble des facteurs de risques et complications cardio-vasculaires liés à l’obésité sont ainsi évalués : 15, 9 % des personnes ayant un poids normal sont exposées au risque de cholestérol, contre 21, 5 % pour les personnes obèses. Pour le diabète, les chiffres varient de 5, 8 % à 13, 5 %. Pour l’hypertension, c’est encore plus flagrant : on passe de 17, 6 % à 28, 8 %.

Un exemple, sans doute parmi tant d’autres, illustre bien le propos : 50 % des praticiens qui prescrivent des traitements contre le cholestérol n’ont pas préalablement conseillé à leurs patients de suivre un régime ou de faire du sport. Il est beaucoup plus facile de continuer de manger gras et de prendre quelques comprimés contre le cholestérol que de faire un petit effort alimentaire et un peu de sport…

Développer la prévention était l’ambition de la dernière loi de santé publique du 9 août 2004. J’aimerais vraiment savoir, madame le ministre, si la prévention aura toute la place qui lui est due dans la nouvelle loi annoncée pour 2014.

Songeons à toute la politique du marché du médicament, de sa commercialisation et de sa distribution dont les dysfonctionnements ont été stigmatisés dans l’affaire du Mediator. Pour avoir été vice-présidente avec notre collègue Barbier de la mission commune d’information sur le sujet, je peux vous dire que l’affaire du Mediator n’est que la répétition de l’affaire du Vioxx que nous avions connue dans cette maison – même si je n’y étais pas encore élue – en 2006. Le regretté président de la mission d’information sur le Mediator rappelait ainsi que toutes les propositions nécessaires avaient déjà été énoncées en 2006. Toutefois, cela n’avait pas empêché l’affaire du Mediator puisque aucune de ces propositions n’était passée dans notre droit positif.

Les principales mesures proposées par notre mission d’information ont été reprises dans la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Ce texte représente un progrès indéniable en matière de gouvernance, de pharmacovigilance, d’autorisation de mise sur le marché. En particulier, il a amélioré le traitement des problèmes de fond liés aux conflits d’intérêts. N’oublions pas qu’il y a, d’un côté, l'industrie pharmaceutique, qui représente des intérêts financiers et économiques considérables, et, de l'autre, l’intérêt général avec le bien commun le plus précieux, la santé des personnes. C'est pourquoi la loi entendait établir l’étanchéité la plus absolue possible entre intérêts marchands et protection de la santé des personnes.

À l’époque, j’avais souligné que le dispositif devait être complété. Le projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, dit « projet de loi Sauvé », était de ce point de vue très important. Ce texte prévoyait la création d'une autorité de la déontologie de la vie publique, en remplacement de la commission de déontologie de la loi Sapin de 1993, qui aurait eu pour fonction de centraliser les déclarations publiques d'intérêts. Ce texte n’a toujours pas vu le jour.

Obstinée et ne renonçant pas, j’avais présenté dans le cadre du projet la loi sur la transparence de la vie publique – malheureusement, le Sénat ne les a pas adoptés, malgré mes efforts et ceux de certains de mes collègues – une série d’amendements visant à ce que les élus puissent, dans les déclarations d’intérêts, procéder à une sorte de reconstitution de carrière. Il est important de savoir ce que les gens ont fait avant d’être élus, notamment en lien avec les laboratoires pharmaceutiques. La transparence doit être la plus complète possible !

Vous en conviendrez, madame le ministre, le dispositif du projet de loi Sauvé est intéressant. Dans le projet de loi de santé publique qui doit prochainement intervenir, pensez-vous reprendre certaines dispositions, notamment celles concernant les conflits d’intérêts ? Nous ne sommes pas allés au bout du problème.

Par ailleurs, des actions ont été entreprises pour limiter le prix du médicament : baisse réglementaire des prix, développement des génériques. Là aussi, le travail qui a été fait est important. Ces actions ont conduit à une baisse de 0, 8 % de remboursement de médicaments en 2012 par rapport à 2011, ce qui n’est pas rien.

Vous avez parlé, madame le ministre, de l’expérimentation du conditionnement et de la vente des médicaments à l’unité. C’est un système qui fonctionne aux États-Unis ou en Suède, même s’il est vrai qu’il s’agit de contextes totalement différents. Il nous faut poursuivre le travail entrepris avec les laboratoires afin d’éviter le gaspillage des médicaments dont le poids pèse évidemment sur la collectivité par le biais du budget de la sécurité sociale.

Je le répète, j’espère sincèrement que nous pourrons examiner cette année la seconde partie du PLFSS. Nous sommes un certain nombre de parlementaires à avoir été passablement frustrés, l’année dernière, de ne pas avoir pu travailler sur ce texte, ni d’ailleurs sur la deuxième partie du projet de loi de finances.

Pour conclure, j’évoquerai un dernier point. J’ignore quel sujet aborderont les prochains intervenants, mais, comme je l’ai déjà indiqué, n’étant pas médecin, j’essaie d’identifier les sujets sur lesquels le législateur peut intervenir dans le domaine de la politique du médicament.

Venant d’un département touché par l’amiante et ayant été vice-présidente de la mission d’information sur le Mediator et de celle sur la chirurgie esthétique, j’estime qu’il est urgent de réexaminer la possibilité d’établir des actions de groupe dans le secteur de la santé. En effet, les victimes d’accidents, de scandales liés aux médicaments ou de dysfonctionnements n’ont pas les moyens de rivaliser avec les laboratoires. Compte tenu de la charge des procédures et du fonctionnement général du rouleau compresseur que constitue notre système judiciaire, ils ne font pas le poids. Si nous ne mettons pas en place cette class action, cette action de groupe en matière de santé, nous manquerons une occasion de faire notre devoir de parlementaire et d’aider les plus fragiles, à savoir les victimes. À cet égard, je rappelle qu’une proposition de loi avait été déposée par nos collègues du RDSE sous le n° 484. Il serait grand temps de l’inscrire à l’ordre du jour.

Madame le ministre, la politique de la santé regarde tout le monde, y compris les modestes membres de la commission des affaires étrangères dont je fais partie. J’espère que nous pourrons soutenir l’action que vous menez, qui me semble frappée au coin du bon sens, dans un secteur particulièrement important pour nos concitoyens, qui est celui de la santé.

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