Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 17 octobre 2013 à 21h30
Simplification des relations entre l'administration et les citoyens — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée :

Mais c’est au nom du Gouvernement tout entier que je vais vous présenter les conclusions de cette commission mixte paritaire sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens.

Mon propos sera certainement plus long que celui de M. le rapporteur. Mme Lebranchu, qui est actuellement en déplacement en Corse dans le cadre d’une mission difficile, m’a demandé de bien vouloir développer de manière approfondie les enjeux du présent projet de loi.

Le texte, qui a été adopté à l’unanimité dans les deux chambres grâce à un travail très constructif, contient plusieurs réformes structurelles qui marqueront l’histoire de notre administration.

Notre modèle français a besoin d’un nouveau souffle. Parce que nous vivons dans un monde en perpétuelle évolution, le temps est venu d’adapter notre droit. Nos administrations fonctionnent avec le souci permanent de répondre à nos attentes citoyennes et républicaines, et de s’adresser à tous les citoyens, sur l’ensemble de notre territoire. Mais l’heure est aujourd’hui venue d’accomplir le choc de simplification que le Président de la République a appelé de ses vœux.

Ce choc va de pair avec la réforme de l’État que nous avons engagée. Nous savons tous l’importance que l’ensemble des Français accordent à la puissance publique. Leur demande est très forte. Et nous savons aussi que nos services publics y répondent au mieux, au quotidien comme dans les situations d’urgence, avec organisation et efficacité. Pourtant, de nouveaux usages numériques se sont fait jour, et ils n’ont pas irrigué toutes les administrations de la même manière.

Les relations avec les administrations sont le fait de textes législatifs dispersés et disparates. À l’heure du numérique, entreprises et citoyens, qui sont parfois égarés dans un dédale de demandes et de formulaires, en appellent à plus de simplicité, de rapidité et d’efficacité.

Ce que les citoyens mesurent en fait assez mal, c’est l’origine des pesanteurs. Elles sont souvent le fait de droits et protections divers. C’est le cas par exemple de l’échange de données entre les administrations, qui ne peut pas se faire en raison de la protection des droits individuels. Si nous voulons simplifier, il faut donc en passer par la loi. C’est précisément l’objet des différentes habilitations que le Gouvernement vous soumet aujourd’hui.

Les réformes structurelles profondes sont au nombre de trois : d’abord, le droit de saisine de l’administration par voie électronique ; ensuite, la généralisation de l’accord tacite, que vous avez évoquée, monsieur le rapporteur ; enfin, l’adoption d’un programme très ambitieux, que nous avons baptisé Dites-le nous une seule fois.

Notre premier objectif est de faire entrer de plain-pied l’administration dans l’ère numérique en ouvrant au citoyen la possibilité de saisir toute administration par voie électronique, y compris par lettre recommandée.

Nous allons donner aux échanges électroniques une vraie valeur, celle qu’ils ont acquise dans notre société. Communication électronique et communication épistolaire seront demain placées au même niveau et auront la même valeur. L’administration n’aura plus le choix et devra se conformer aux nouveaux usages.

Bien sûr, nous saurons mettre en place les garde-fous nécessaires pour nous prémunir des demandes abusives : c’est tout l’intérêt de procéder par ordonnance.

Dans le même esprit, nous souhaitons également ouvrir la possibilité aux usagers d’accéder à leur dossier en cours d’instruction. Ils pourront ainsi interagir avec l’administration en améliorant leur projet et en anticipant une décision favorable. Il s’agit de renforcer la transparence de l’élaboration de la décision administrative et de limiter les risques contentieux.

Pour encadrer l’ensemble de ces relations entre citoyens et administrations, un nouveau code des relations sera élaboré. Ses contours ont été dessinés lors du premier comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, au mois de décembre 2012. Destiné au public, il rassemblera les grandes lois relatives aux droits des administrés, ainsi que plusieurs règles dégagées par la jurisprudence. Il s’agit également de toiletter des dispositifs isolés qui dérogeraient sans raison à la règle générale. Il fera l’objet d’une autre ordonnance.

Nous vous proposons également une réforme structurelle sur la règle de l’accord tacite de l’administration, réforme que nous avons introduite par amendement ici même en mois de juillet dernier.

Aujourd’hui, le silence de l’administration doit être considéré comme un rejet implicite. Il s’agit d’un principe de droit qui impose au législateur de prévoir expressément toutes les procédures échappant à ce principe. Il en va ainsi de l’autorisation de travaux ou encore de la mise en chômage partiel.

Le Gouvernement souhaite renverser le principe : demain, le silence vaudra accord. Évidemment, ce travail mérite d’identifier toutes les procédures d’autorisation et d’élaborer la liste de celles qui devront faire exception : les autorisations en matière de santé publique, de défense, de sûreté nucléaire ou de protection des droits individuels seront évidemment exclues. Pas de risque qu’un médicament soit mis sur le marché, faute de réponse de l’administration !

Comme Mme Marylise Lebranchu s’y est engagée, ce travail sera effectué en concertation avec les parlementaires. En tant que ministre déléguée chargée de la décentralisation, je peux aussi vous garantir que les élus des collectivités seront associés aux travaux conduits par le Secrétariat général du Gouvernement.

Enfin, à l’Assemblée Nationale, nous avons introduit le dispositif Dites-le nous une seule fois, sur lequel je souhaite m’appesantir un peu.

Ce programme fait partie des chantiers prioritaires définis par le CIMAP du 18 décembre 2012. Il vise à diminuer considérablement le nombre de sollicitations faites aux entreprises par les différentes administrations.

Aujourd’hui, une petite entreprise est obligée d’envoyer 3 000 informations par an à l’administration. Demain, il faudra diviser ce chiffre par deux ou par trois.

La réussite d’un tel programme repose sur l’harmonisation des définitions des données demandées aux interlocuteurs de l’administration et sur la mise en place de systèmes d’échanges de données au cas par cas, qui préservent les droits et garanties individuelles.

Le Gouvernement n’est pas le premier à avoir eu l’idée d’une telle réforme. Reconnaissons à l’ancienne majorité une tentative en ce sens, avec un programme « armoire numérique sécurisée » des entreprises. Malheureusement, le dispositif, qui reposait sur le principe d’un stockage généralisé des fichiers auxquels auraient eu accès les différentes administrations, s’est révélé impossible à mettre en place, du fait du risque que ces échanges généralisés faisaient peser sur la protection des droits individuels et du fait de l’absence de chef de file réellement identifié pour conduire les différents chantiers.

Le Gouvernement a donc décidé de reprendre l’objectif, mais de limiter le programme à du partage de données au cas par cas. Il a confié cette responsabilité au Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, le SGMAP.

Le premier objectif consiste à éditer, d’ici à la fin 2013, une première version d’un annuaire de 100 données redondantes, précisant leur définition, leur libellé, les administrations qui collectent, celles qui les utilisent, et la nature des secrets qui les protègent. À cette fin, le SGMAP a initié une analyse précise du contenu des 1 000 formulaires recensés concernant les entreprises, pour identifier les 100 données les plus redondantes.

Les premiers résultats ont confirmé l’intérêt du chantier. Par exemple, une entreprise doit communiquer plus de 15 fois son chiffre d’affaires par an ou plus de 10 fois ses effectifs à l’administration.

Il existe toutefois des obstacles à lever, et ils relèvent de la loi. C’est l’objet de l’habilitation.

Par exemple, l’ordonnance permettra d’harmoniser les notions d’effectifs et de chiffre d’affaires pour ce qui concerne les personnes morales, ainsi que les notions de nom ou d’adresse des personnes physiques. Elle établira aussi la liste donnée par donnée et administration par administration pour lesquelles l’échange sera possible. Cette liste sera soumise à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

Enfin, pour limiter les tracasseries administratives, le Gouvernement souhaite généraliser, pour certaines pièces, le principe de la déclaration sur l’honneur, comme pour les pièces justificatives fournies avec la déclaration d’impôts : on peut notamment citer le K bis, le certificat d’immatriculation au registre des sociétés. Dès lors que la loi autorisera la consultation des données recueillies par l’une des administrations demandeuses, l’autre pourra se contenter d’une déclaration sur l’honneur.

Les trois réformes structurelles profondes que nous vous proposons de lancer aujourd’hui n’auront pas d’effet immédiat ; elles seront progressives. Je vous invite à en faire la promotion, car elles répondent aux souhaits de tous. Malheureusement, les éditorialistes qui en appellent régulièrement à des réformes structurelles les passent sous silence. Les réformes les plus structurelles ne sont pas forcément les plus médiatiques !

Avec le texte porté par mon collègue Pierre Moscovici, qui vise à simplifier les procédures applicables aux entreprises, et l’autre texte sur la réforme de la Commission consultative d’évaluation des normes, devenue le Conseil national d’évaluation des normes depuis le vote de la Haute Assemblée intervenu voilà une dizaine de jours, le texte d’aujourd’hui forme le trépied juridique du choc de simplification.

Il ne suffit pas d’en appeler à simplifier : dans un État de droit, simplifier doit se faire dans le respect des droits individuels et des libertés, mais aussi dans le souci de l’égalité et de la protection des plus vulnérables.

Simplifier n’est pas simple. Le Parlement doit y prendre sa part de responsabilité en veillant à ce que les droits fondamentaux soient préservés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai souvent évoqué ici, l’action publique du XXIe siècle doit être plus efficace, plus proche des citoyens et moins coûteuse. Elle doit soutenir le changement et le progrès, et non bloquer les initiatives et les volontés d’avancer.

Le choc de simplification annoncé par le Président de la République le 28 mars 2013 est au cœur de la logique de l’amélioration de la compétitivité de nos territoires.

La force de notre État, c’est d’avoir su, et de savoir toujours et encore s’adapter. La force de nos services publics, c’est aussi de s’adapter sans cesse.

Par cette habilitation, nous allons améliorer la réactivité des services administratifs chargés de veiller au respect des procédures, et nous allons prendre des mesures qui auront des conséquences réelles sur la vie quotidienne de tous.

Aussi, avec Mme Lebranchu et le Gouvernement tout entier, nous remercions la Haute Assemblée de bien vouloir voter une dernière fois sur ce texte, et de s’associer ainsi à cette réforme. J’ai d’ailleurs lu les rapports dont elle a fait l’objet au Sénat et à l’Assemblée nationale avec délice, tant ils étaient précis et proposaient de véritables voies de simplification.

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