Intervention de Dominique de Legge

Réunion du 21 octobre 2013 à 14h45
Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 — Demande de réserve

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge :

Tout d’abord, le texte table sur 6 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, soit presque le double de la somme arrêtée par la précédente loi de programmation militaire : 1, 5 milliard d’euros correspondent au programme des investissements d’avenir, qui semble assuré, 3, 7 milliards d’euros proviendraient de la vente et de l'exploitation de fréquences – ressource aléatoire dont l'échéancier est incertain, M. Carrère a insisté ce matin sur ce point – et enfin 600 millions d'euros résulteraient de ventes immobilières. Ce dernier produit me semble largement surestimé, parce qu’en contradiction avec la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dite « loi Duflot I », selon laquelle les communes qui achètent des biens de l’État, notamment des terrains militaires, pourraient bénéficier d’une décote. Tout cela me semble peu cohérent.

Ensuite, une incertitude pèse sur le niveau des dépenses. C’est vrai pour les frais de personnels : on nous annonce, après la dérive de 474 millions d’euros constatée en 2012, une insuffisance de financement de 98 millions d’euros en 2013. Ces dépassements ont été financés par redéploiement de crédits d'équipement, en contradiction avec les principes de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Ce redéploiement est préjudiciable à la réalisation des programmes d'équipement. Au-delà de ce poste de dépenses, voici que, depuis plusieurs années, nous devons gérer une masse de reports d’une année sur l'autre de près de 3 milliards d’euros, représentant 10 % du budget annuel. Doit-on considérer que le budget de la défense est en situation de cavalerie perpétuelle, et donc structurellement insincère ?

Ce constat n’est pas nouveau, je vous le concède, et M. Carrère l’a exprimé ce matin de façon très claire. M. Cazeneuve, qui n’était pas encore ministre du budget, s’en inquiétait déjà le 8 juin 2009 lors de l'examen par l’Assemblée nationale de la dernière loi de programmation militaire, alors que, défendant une motion d'irrecevabilité fondée sur une surestimation des recettes et une sous-estimation des dépenses, il concluait à une insincérité du texte. Je crains que, sur ce plan, le changement ne soit pas au rendez-vous !

Enfin, la baisse des effectifs annoncée repose aux deux tiers sur les personnels affectés aux missions de soutien logistique. Ne devra-t-on pas alors recourir davantage à la sous-traitance ? Si un certain degré d’externalisation des fonctions de soutien peut se concevoir en temps de paix, il n’en va pas de même lors d’opérations militaires ! L'emploi de personnels civils et le recours à des services privés me paraissent dans ce cas beaucoup plus difficiles. En effet, je vois mal les cuisiniers de tel grand groupe de restauration ou les ingénieurs de telle grande société d’armement être mobilisés dans le cadre d’opérations extérieures. La crédibilité d'une armée repose sur son indépendance et son autonomie : si, historiquement, nos forces armées, dans toutes leurs fonctions et dans toutes leurs compétences, sont soumises à un statut particulier fondé notamment sur l’obéissance et la disponibilité, c’est précisément pour cette raison.

Au final, les apparences sont maintenues. Les objectifs du Livre blanc sont ambitieux, le discours est volontariste, mais leur traduction budgétaire peu réaliste. La commission de la défense, consciente des aléas pesant sur ce projet de loi de programmation militaire, a déposé des amendements visant à abonder le budget des armées si les recettes devaient ne pas être au rendez-vous et les dépenses être supérieures aux prévisions : c’est l’aveu même que l’on ne peut guère accorder de crédibilité à cette programmation. En outre, si ces amendements expriment la volonté politique de préserver notre indépendance nationale, les mesures qu’ils prévoient ne sont pas pour autant financées. Les prévisions de croissance n’autorisent pas à penser qu’il y ait de ce côté beaucoup de marges de manœuvre pour abonder à l’avenir, s’il en était besoin, le budget de la défense.

Le gouvernement précédent avait certes réduit fortement les effectifs de nos armées. C’était un choix assumé, que vous aviez contesté à l’époque, notamment en termes de suppression d’unités, mais cet effort s’inscrivait dans une politique générale de réduction des coûts demandée à l’ensemble des ministères. Aujourd’hui, vous faites le choix, dans le même temps, de supprimer 23 500 postes supplémentaires dans les armées et d’en créer 60 000 dans l’éducation nationale. Je persiste à penser que la défense méritait des efforts mieux partagés.

En juin 2012, alors que vous preniez vos fonctions, je vous avais interrogé au conseil régional de Bretagne, que vous présidiez encore, sur le maintien des effectifs militaires. Vous m’aviez répondu en ces termes : « Je n’ai pas l’intention de bouger de la ligne de respect de la programmation militaire qui prévoit la suppression de 54 923 emplois, et c’est la ligne que je tiens et pas une autre. Donc ne revenez pas avec cette vieille lune : on renfloue l’éducation en postes au détriment de la défense. » Je vous laisse, mes chers collègues, apprécier le décalage entre ces propos tenus voilà seize mois – pas de suppressions de postes supplémentaires – et les actes d’aujourd’hui !

Mais au fond, l’essentiel n’est sans doute pas là. Vous cherchez, monsieur le ministre – et vous êtes dans votre rôle –, à nous démontrer que, à défaut d’être bonne, cette programmation est un moindre mal et que l’essentiel est préservé. Cependant, vous le savez mieux que quiconque, dans cette affaire, ce n’est pas tant nous, les parlementaires, qu’il faut convaincre, que nos partenaires ou la communauté internationale. La France a perdu de son influence au G20, mais il lui reste une crédibilité en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Je crains que les experts et les observateurs n’aient une lecture du texte moins optimiste que la vôtre, monsieur le ministre, et qu’ils ne constatent que nos programmes prennent du retard, qu’ils sont revus à la baisse et que nos capacités d’intervention et de projection s’affaiblissent. Ils savent qu’avec un effort de défense qui passera sous la barre de 1, 5 % du PIB, l’avenir de notre armée n’est plus assuré. À l’image de ces prévisions budgétaires, notre parole risque d’être peu crédible. L’épisode syrien, de ce point de vue, est révélateur, et l’épisode centrafricain semble marquer une confirmation. §

C’est pourquoi, monsieur le ministre, à regret, une grande majorité des membres de l’UMP ne votera pas ce projet de loi de programmation militaire, constatant son insincérité. La volonté affichée d’indépendance de la France ne peut souffrir tant d’aléas ! §

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