Intervention de Alain Richard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 octobre 2013 : 1ère réunion
Publication de l'étude annuelle 2013 du conseil d'état consacrée au « droit souple » — Audition de M. Jean-Marc Sauvé vice-président du conseil d'état M. Christian Vigouroux président de la section du rapport et des études M. Jacky Richard rapporteur général de la section du rapport et des études et M. Laurent Cytermann rapporteur général adjoint de la section du rapport et des études

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Je n'ai pas la souplesse d'esprit nécessaire pour parler à mon aise d'un tel sujet, qui ne me semblait pas à première vue relever du droit. C'est le mérite de votre rapport, qui m'oblige à réfléchir. Comme disait Picasso en parlant de son art qui semblait à certains aussi incompréhensible que du chinois : le chinois, cela s'apprend ! Quels en sont les effets sur l'état du droit de ce phénomène ? L'inconvénient, c'est la plage ouverte au relativisme. L'avantage aurait pu être de retirer le droit souple de la loi, qui en est pleine : malgré le Conseil constitutionnel, qui en enlève peut-être 1 %, combien peut-on y trouver de sympathiques pétitions de principes ? Que celui qui n'en a jamais écrit jette la première pierre ! Les textes législatifs continuent d'en regorger ; mon espoir a dès lors peu de chances d'être satisfait.

Cela pose le problème éthique de la responsabilité des auteurs, qui n'ont pas forcément l'indépendance nécessaire pour créer du droit ; mais aussi un problème de méthode : ce droit, qui peut aboutir à des sanctions, est écrit par des non-juristes. Un guide de légistique s'impose : nombreuses sont les circulaires qui contiennent dans une même phrase une affirmation et son contraire. Le droit, pour avoir un minimum de crédibilité, a besoin d'un minimum de professionnalisme.

Le droit souple doit aussi être analysé à la lumière des rapports de forces. J'ai une phobie, qui s'aggrave depuis 2008 : l'autorégulation des financiers. Un consensus issu du libéralisme au pouvoir à partir des années quatre-vingt considère qu'il est impossible de réguler des technologies trop complexes et trop changeantes, et qu'il vaut mieux laisser faire les professionnels. On a vu le résultat ! C'est la même chose dans le domaine sanitaire. Le pouvoir psychologique que détient la profession médicale sur la population implique un rapport de forces qui interdit au législateur de traiter ses intérêts économiques comme ceux d'autres professions.

Le meilleur droit souple reste, pour un esprit conservateur comme le mien, la jurisprudence. Sur la responsabilité, un seul article du code civil d'une ligne et demie suffit, et je donne souvent à mes collègues législateurs ce conseil : moins vous écrivez, mieux ce sera. Le juge administratif saura ce qu'il doit faire du droit souple, et le distinguer du droit applicable. Mais ce rapport expose insuffisamment la vision que peut avoir sur le sujet l'autorité judiciaire et l'usage qu'en font la CEDH et la cour de justice de l'union européenne (CJUE) : pour cette dernière, en particulier, la notion de proportionnalité cache bien souvent l'opportunité. Votre rapport aurait peut-être gagné à davantage mettre en garde, et à développer le concept d'habilitation au droit souple. Quelqu'un peut aujourd'hui se fonder sur sa position pour l'acquérir par voie coutumière, comme le fait l'association française de normalisation (Afnor) : une simple association qui ne tire sa légitimité que du consensus professionnel.

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