Intervention de Frédéric Van Roekeghem

Commission des affaires sociales — Réunion du 22 octobre 2013 : 1ère réunion
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 — Audition de M. Frédéric Van roekeghem directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés cnam

Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Cnam :

Oui, nous oscillons entre 75 % et 76 %. Toutefois les taux de remboursement, qui ont tendance à s'accroître mécaniquement, à cause notamment du remboursement à 100 % des médicaments onéreux, ont en effet décru sous l'effet de mesures de déremboursement. Cela traduit cependant des situations contrastées : par exemple, l'assurance maladie prend en charge 95 % des dépenses hospitalières ; inversement, l'optique et le dentaire sont remboursés à un taux bien plus bas que les autres soins dits courants. Les neuf dixièmes de nos dépenses concernent 40 % de nos assurés. L'assurance maladie obligatoire représente donc une forte solidarité : l'équilibre entre les ménages bien portants et les malades a été maintenu depuis plus de 70 ans ; on peut noter que la réforme Obama recherche cet équilibre, elle repose sur le pari de convaincre les jeunes de s'assurer pour rendre supportable l'extension de l'assurance à des malades qui n'ont pas les moyens de s'assurer. Tout repose sur la règle selon laquelle chacun reçoit selon ses besoins et cotise selon ses moyens, avec des adaptations pour les plus modestes. Il ne faudrait pas dériver, sans un arbitrage politique effectif, vers un modèle complètement différent, qui poserait d'ailleurs des problèmes de soutenabilité. Le débat sur les frontaliers en fait foi : en segmentant, il est aisé de proposer des tarifs avantageux aux assurés sans risque, surtout s'ils sont réassurés par la solidarité nationale. Que le Parlement s'exprime sur le taux de prise en charge et sa répartition entre assurés et risques éclairerait le débat public. Evitons que la solution de facilité consistant à dérembourser des soins qui semblent peu dynamiques ne fragilise l'équilibre global.

L'avenant n° 8 à la convention médicale avait trois piliers : la lutte contre les tarifications excessives, la mise en place d'un contrat d'accès aux soins, offrant une alternative à la situation actuelle du secteur 2 non régulé, et l'opposabilité des tarifs pour les personnes éligibles à l'ACS.

Le programme contre les tarifications excessives (plus de 150 % de dépassement) se déroule comme prévu. Les médecins de secteur 2 ont reçu un courrier d'information générale fin février ; les directeurs de caisses primaires d'assurance maladie ont appelé ou rencontré ceux qui avaient des pratiques susceptibles d'être jugées excessives ; ces entretiens se sont déroulés convenablement : deux tiers des médecins ont pris des engagements, le plus souvent oralement ; l'équilibre a été maintenu entre la médecine libérale et le secteur hospitalier, qui n'a pas été exonéré de cette politique. Une période d'observation s'est déroulée du 11 mars au 30 avril 2013. A son terme, plus de 500 médecins ayant une tarification excessive ont reçu, en juillet, des courriers d'avertissement ou vont en recevoir un prochainement. Si ces médecins ne modifient pas leur politique tarifaire dans les deux mois, nous saisirons les instances paritaires locales qui prendront une sanction pouvant aller jusqu'au déconventionnement partiel ou total ou à la suspension du droit de dépasser. Bien que nous préférons la pédagogie, il sera vraisemblablement nécessaire de sanctionner les cas les plus emblématiques. Les premières saisines de commissions paritaires régionales (CPR) interviendront avant la fin de l'année.

Contrairement à ce qu'on a pu publier ici ou là, la stabilisation à fin 2012 du taux de dépassement a été confirmée sur les neuf premiers mois de 2013. L'observation de cohortes de médecins indique une diminution à deux chiffres du taux de dépassement, avec un effort substantiel des professeurs d'université-praticiens hospitaliers (PU-PH), qui parfois méconnaissaient tout simplement la cotation des actes libéraux.

Près de 9 200 contrats d'accès aux soins ont été signés, à 70 % avec des spécialistes, contrairement à ce qu'affirme une campagne outrancière. Des généralistes de secteur 2 qui peuvent ainsi prendre le train de l'évolution du mode de rémunération ont également signé un contrat. La date d'entrée en vigueur, d'ici la fin de l'année, sera bientôt connue. Nous nous préparons avec les éditeurs de logiciels métiers.

Je serai moins positif sur l'opposabilité tarifaire pour les bénéficiaires de l'ACS : la pratique tarifaire des médecins de secteur 2 a insuffisamment évolué. Un courrier a d'ailleurs été adressé à 700 médecins qui ne respectaient toujours pas la tarification sans dépassement pour les bénéficiaires de la CMU-c. Cette opération sera poursuivie dans le courant de l'année ; après une nouvelle information, nous enchaînerons par un programme de contrôle. Les médecins savent par la carte vitale que leur patient bénéficie de la CMU-c, mais ce n'est pas le cas pour l'ACS. Aussi avons-nous envoyé courant août une nouvelle attestation à tous les bénéficiaires et d'autres pistes seront explorées pour que le médecin puisse en avoir connaissance au moment de la facturation.

Le forfait de 5 euros par patient ne souffrant pas d'affection de longue durée a été mis en place à bonne date : le premier paiement a eu lieu le 10 septembre 2013, le second étant prévu pour novembre ; pour 56 925 médecins éligibles, nous avons versé 27,9 millions d'euros, soit 490 euros par professionnel en moyenne. Le troisième trimestre sera plus faible, ce versement ayant lieu à la date anniversaire du choix du médecin traitant. On estime le coût à 180 ou 190 millions d'euros pour 38 millions de patients, conformément à ce que nous avions déclaré lors de la signature de l'avenant n° 8.

Les négociations concernant la coordination des soins ne pouvaient commencer avant la détermination de la stratégie nationale de santé. Elles s'ouvriront dans les meilleurs délais ; un amendement a été déposé à l'Assemblée nationale pour qu'elles débutent, comme l'a annoncé la ministre, au premier trimestre 2014.

L'article 43 met en place des programmes d'aide au sevrage tabagique, en accord avec les recommandations de la Cour des comptes. En effet, 29 % des 14-75 ans fument quotidiennement, soit 14 millions de personnes, et ce nombre augmente. Un programme d'action sera mis en place avec l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes). Nous ferons profiter du site internet Tabac-info-service les 13,5 millions d'assurés qui ont un compte sur notre site internet - et dont 500 000 se connectent chaque jour -, dans le cadre du développement plus large de sites consacrés à la nutrition, au risque cardio-vasculaire et à la santé du dos.

Les délégués de l'assurance maladie relayeront auprès des médecins traitants les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS). Nous proposerons des outils d'accompagnement des patients, réalisés conjointement avec les sociétés savantes, la HAS et l'Inpes, et ferons connaître les forfaits de prise en charge dont l'accessibilité sera renforcée. L'arrêt du tabac pourrait également être pris en compte dans la rémunération sur objectifs de santé publique dans le cadre de la future loi de santé publique, et pourrait être inscrit comme thème prioritaire du développement professionnel continu (DPC).

Un accompagnement des sages-femmes sera mis en place, pour sensibiliser les jeunes mères avant et après la naissance. Dans notre programme d'aide au retour à domicile déployé auprès de 120 000 jeunes mères, ces dernières peuvent activer un volet dans leur compte internet ; il faudra y intégrer la lutte contre le tabagisme. Les services de la protection maternelle et infantile (PMI) seront aussi concernés, de même que les pharmaciens, avec la conception, en liaison avec leur ordre professionnel, d'un document de liaison pour les premières demandes de substituts nicotiniques. Les forfaits concernant ces derniers seront revalorisés à 150 euros pour certains publics. De nouvelles offres pour le sevrage tabagique seront proposées, en coordination avec l'Inpes, avec l'enrichissement du site Ameli par un module reprenant celui de l'Inpes et intégrant le programme santé active, un programme d'accompagnement spécifique pour les jeunes, une action plus proactive pour la prise en charge des substituts et l'indispensable volet évaluation. Enfin, des services de prévention de proximité s'adresseront à certains publics : femmes enceintes - avec peut-être des ateliers collectifs - et jeunes.

L'article 51 de la loi HPST pose un problème : inspiré de pratiques hospitalières, la délégation d'un élément du processus de soin peut occasionner pour un médecin de ville rémunéré essentiellement à l'acte des pertes de revenu substantielles. Il faut donc coordonner les financeurs, de manière à imaginer de nouveaux modes de rémunération au parcours amortissant les baisses de revenus, et à éviter parallèlement une explosion des coûts.

Comment faire passer la rémunération des pharmaciens d'officine, actuellement à la boîte, à une rémunération plus indépendante des volumes et des prix, sans pour autant financer un réseau de distribution qui n'aurait plus de clients ? Avec les syndicats de pharmaciens, nous avons constaté que trois questions devaient être résolues au préalable. Il faut d'abord revoir les contrats de coopération avec les fabricants de génériques sur lesquels le Gouvernement a souhaité de la transparence : ils représenteraient 30 000 euros en moyenne par officine, ce qui contrevient au plafond de 17 % de remise autorisé par le droit de la concurrence. Les pharmaciens réclament ensuite une certaine visibilité pluriannuelle contradictoire avec l'annualité de la loi de financement de la sécurité sociale : il conviendra d'examiner cela avec le Gouvernement - nous avons pu conclure avec les biologistes un accord pluriannuel validé par les deux ministres compétents. D'après nos simulations, et compte tenu du crédit d'impôt compétitivité emploi et de la convention de 2011, l'équilibre global de la distribution pharmaceutique ne sera pas bouleversé en 2013 et 2014 ; en revanche, si l'effort est maintenu en 2015 et 2016, la profession s'interrogera. Nous avons enfin essayé de concilier le souhait par les pharmaciens d'une rémunération à la dispensation et la prévisibilité de cette évolution au vu du risque financier. La rémunération à l'ordonnance est délicate à mettre en place puisque 30 % des médicaments sont achetés par renouvellement ; en même temps, la rémunération à la dispensation peut aller à l'encontre de notre volonté de privilégier des dispensations groupées. Voilà pourquoi nous avons préféré une rémunération pour les ordonnances complexes, donnant lieu à des plans de posologie, notamment pour les personnes âgées, ce qui peut le cas échéant préfigurer une dispensation par pilulier.

Nous proposons de rémunérer le service rendu à la population par le pharmacien séparément du prix du médicament et de plafonner les marges, qui pourraient en effet dépasser mille euros pour certains médicaments très onéreux. Ces propositions faites en lien avec le Gouvernement - qui doit refondre l'arrêté de marges - semblent recueillir l'avis favorable de la fédération majoritaire, les autres fédérations attendant une clarification sur les marges arrière. Je l'ai dit, nous ne subissons pas de pressions trop importantes en termes de délai, et finaliserons notre négociation après le vote de la loi de financement. Celle-ci laissera en revanche des marges de manoeuvre financières relativement étroites.

L'Assemblée nationale a précisé la position de la ministre selon laquelle l'évolution des centres de santé devait intervenir en même temps que la dynamique des soins de proximité. Les progrès dans l'organisation des soins doivent être intégrés dans la négociation future avec les centres de santé. Le conseil de l'Uncam aura à se positionner sur ces questions.

Si nous voulons réaliser des progrès, nous avons besoin d'un pilotage cohérent du parcours de soins. La France a une prise en charge hospitalière plus importante que la moyenne de l'OCDE, mais une organisation de la médecine de ville moins structurée que l'Espagne ou le Royaume-Uni. Les négociations avec les professionnels de santé, que l'assurance maladie mène par délégation, doivent être mises en cohérence avec le pilotage des établissements de santé par l'Etat et les agences régionales de santé. Il faut garder cette articulation sans détruire la valeur ajoutée de chacun. La régulation reste un métier. De ce point de vue, on l'a vu récemment sur l'aide à domicile, l'assurance maladie n'a pas à rougir de son savoir-faire.

Concilier cela avec l'orientation de santé publique est d'ailleurs l'un des enjeux de la stratégie nationale de santé. Le conseil de la Cnam se demande s'il ne devrait pas prendre une position de principe pour que l'évolution retenue fasse évoluer les choses sans que les compétences soient perdues. La ministre s'est montrée très ouverte sur les questions institutionnelles tout en étant prudente. Le Parlement évaluera de ce point de vue la mise en place des agences régionales de santé. Je ne suis pas sûr qu'une étatisation complète du système soit la réponse à tout ; en revanche, j'ai la certitude qu'un pilotage non cohérent n'est pas une bonne solution.

Il faut aussi juger sur les résultats : notre exécution est en deçà de l'Ondam pour la quatrième année consécutive ; nos effectifs ont baissé de 20 %, de manière échelonnée dans le temps et respectueuse du dialogue social. Toutefois, les modèles de négociation avec les offreurs de soins pourraient être plus développés en direction des établissements. Sur le fond, le Parlement doit rendre un arbitrage entre la loi et le contrat. On ne peut pas réformer le système de santé par la seule force de la loi ; la participation des professionnels de santé est incontournable. De ce point de vue, une plus grande participation des établissements de santé est peut-être souhaitable.

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