Merci de me recevoir. Je me sens en très bonne compagnie : les sénatrices Evelyne Didier et Laurence Rossignol sont deux membres éminents du comité pour la fiscalité écologique.
Cette audition prolonge la réflexion amorcée depuis six mois. Une mesure de fiscalité écologique doit être précédée d'un travail de réflexion, d'information et de consultation des acteurs ; puis vient le temps de la décision, du débat au Parlement et des arbitrages. En tant que président du comité pour la fiscalité écologique et professeur d'université, mon rôle est de travailler en amont, pour fournir une information fondée sur une expertise impartiale.
Notre comité a constitué plusieurs groupes thématiques. Un comité étudie la fiscalité sur l'énergie, qui représente trois quarts des 40 milliards des recettes dites écologiques. Le groupe sur les déchets, auquel appartient Evelyne Didier, réfléchit à une remise à plat d'une fiscalité que l'accumulation des dispositifs - la fiscalité sur la collecte des ordures, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), les taxes sur le recyclage etc. - a rendue très complexe. L'ensemble n'est pas lisible aux yeux du citoyen et n'envoie pas d'incitations claires. Un autre groupe, auquel je vais me consacrer, a pour objet l'artificialisation des sols et la fiscalité locale. Le développement urbain consomme toujours plus de sols, notamment agricoles ou forestiers. Il s'agit de réfléchir à une meilleure occupation des sols déjà artificialisés, aux modalités de la taxe d'aménagement ou du versement pour sous-densité. Un groupe sur l'eau se met en place. Il analysera les enjeux liés à la tarification de l'eau et les problématiques nouvelles liées au respect de la biodiversité. Les agences de bassin doivent être revues à cette aune.
Conformément au souhait des cabinets des ministres, nous n'avons pas travaillé sur l'écotaxe poids lourds, afin de ne pas perturber l'aboutissement d'un mécanisme proposé par le gouvernement précédent. Nous mettrons sur pied un groupe sur les transports, en partenariat avec le laboratoire d'économie des transports de Lyon pour étudier l'effet des péages urbains ou les liens entre pollution et transports. La pollution liée au CO2 est la plus simple à aborder : comme la quantité de CO2 émise dans l'atmosphère correspond à la quantité de carbone contenue dans le combustible, il suffit d'asseoir la taxation sur cette dernière. En revanche, la taxation du carbone est impuissante pour résoudre les pollutions locales liées aux particules fines car le volume émis dépend des véhicules. Il convient alors de tarifer l'usage des véhicules, par exemple leur utilisation en ville.
Avant d'avancer des propositions sur la fiscalité de l'énergie dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, nous avons souhaité établir un diagnostic. La fiscalité énergétique représente 75 % des 40 milliards de recettes considérées comme écologiques en France. Or cette fiscalité sur l'énergie n'a aucun caractère écologique, mais résulte plutôt d'une sédimentation de dispositifs au fil de l'histoire. Ainsi la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), quatrième ressource fiscale de l'Etat, et bientôt troisième, est l'héritière de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), créée en 1928 pour compenser la baisse de rendement de l'impôt sur le sel, créé par Saint-Louis. De même, si nous taxons fortement les carburants, bien que moins que l'Allemagne ou la Hollande, notre fiscalité sur les combustibles, notamment le gaz naturel, est très modérée. En 1951, après la découverte du gisement de Lacq, la France avait en effet mis en place une fiscalité de soutien à la production de gaz naturel.
Notre comité a adopté deux avis qui ont fait l'objet de consensus. Le premier est qu'il n'y a pas compatibilité entre notre objectif de diminuer par quatre nos émissions de carbone et de gaz à effet de serre d'ici à 2050 et l'absence de composante carbone dans notre fiscalité énergétique. Si l'industrie et l'énergie sont sur des trajectoires compatibles avec le respect de l'objectif, les transports, le bâtiment et l'agriculture en sont loin. Deuxième avis : nous constatons que l'écart de taxation entre l'essence et le diesel, au profit de ce dernier, est parmi les plus élevés d'Europe, tandis qu'hors d'Europe - ainsi qu'au Royaume-Uni - le diesel est davantage taxé que l'essence. Cet écart de taxation n'est pas pertinent d'un point de vue écologique mais s'explique par des raisons historiques : il y a vingt ans l'essence était considérée comme plus nocive à cause du plomb qu'elle contenait et nous connaissions mal les nuisances provoquées par les microparticules. De plus, la taxation du diesel constitue un instrument de soutien sectoriel à l'égard notamment des agriculteurs, des chauffeurs de taxis, du transport routier ou des marins-pêcheurs. Il ne nous appartient pas de porter un jugement sur l'opportunité d'un tel soutien ; toutefois d'autres mesures, sans incidence écologique néfaste, seraient envisageables. Pour le transport routier par exemple, le carburant n'est qu'un élément du coût de production : n'oublions pas que le coût du chauffeur français est supérieur de 20 % à celui de l'allemand... sans parler de celui du bulgare !
Ces avis ont été adoptés en avril, deux mois avant les arbitrages sur le projet de loi de finances. Comme le délai était court après cette phase de diagnostic, j'ai présenté, en mon nom, des propositions au comité. J'ai préféré recueillir l'intégralité des réactions plutôt que procéder à un vote : sans doute auraient-elles été adoptées, mais notre comité n'a pas vocation à se substituer aux instances représentatives. C'est pourquoi je les ai présentées sous ma responsabilité ; elles n'engagent pas le comité. Vous les trouverez sur notre site.
Ces propositions visent, dans un cadre pluriannuel, à augmenter progressivement la composante carbone de notre fiscalité énergétique, à réduire progressivement l'écart de taxation entre l'essence et le diesel, d'un centime par an jusqu'en 2020, à fixer la taxe sur le carbone à 7 euros par tonne, soit approximativement le prix du marché sur les quotas de CO2.
Comme le Président de la République a annoncé qu'il ne créerait pas d'impôts nouveaux en 2014, il a fallu réduire la composante hors carbone pour compenser l'effet de l'introduction de la composante carbone. Ainsi, dans le projet de loi de finances, le montant de la TICPE ne change pas mais son mode de calcul intègre une composante carbone à 7 euros la tonne et une diminution équivalente de la part hors carbone. Le même mécanisme vaut pour les combustibles. Le prix de ceux dont la composante carbone est inexistante ou faible, comme le gazole, le gaz ou le fioul lourd, augmentera, ce qui représente une hausse globale de 300 millions d'euros en 2014 selon Bercy. Je proposais une montée en régime progressive jusqu'en 2020, soit au-delà du terme du quinquennat actuel, car il importe de fixer une échéance de moyen terme pour envoyer des signaux clairs aux acteurs économiques. Le gouvernement a choisi de ne pas modifier l'écart de fiscalité entre l'essence et le diesel, mais il se montre plus ambitieux sur la montée en régime de la composante carbone qui passe de 7 euros la tonne en 2014 à 14,5 euros en 2015 et 22 euros en 2016, pour un rendement de 4 milliards.
La compensation a pris une part importante de nos discussions, au détriment parfois de l'écologie, comme cela est souvent le cas dans les instances de décision et de réflexion. Ma lettre de mission indiquait que la fiscalité écologique devait rapporter 3 milliards d'euros en 2016 pour financer le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en faveur des entreprises. Ma proposition de retrait des vieux véhicules n'a pas été retenue. Pour les ménages j'ai proposé d'instaurer une compensation dégressive en fonction du revenu, corrigée seulement par la composition du ménage et calculée en fonction de l'ensemble des dépenses énergétiques, carburant inclus. Je ne souhaitais pas prendre en compte la localisation géographique, même si les ménages péri-urbains risquaient d'être pénalisés car l'instauration d'une compensation multicritères se heurte à des difficultés pratiques insurmontables et constitue une mauvaise incitation. Le gouvernement a préféré affecter le surplus de recettes au financement de la baisse de la TVA sur les travaux de rénovation thermique. Mais ces dépenses ne sont pas de même nature et ne permettront pas aux ménages modestes de compenser la hausse du coût de l'énergie.
De plus, le projet de loi ne fait pas de distinction entre le gaz fossile et le biogaz ou les bio-énergies, au bilan carbone neutre car le CO2 qu'elles émettent a préalablement été stocké dans des plantes. Il s'agit d'une erreur de conception car la réforme vise à renchérir le coût des énergies fossiles pour rendre les autres énergies rentables. Il faut de la cohérence. En Suède la taxe sur le CO2 est de 100 euros : il n'est plus rentable de recourir à des énergies fossiles ; tel doit être l'objectif. Bercy craint que cela ne réduise le rendement de la mesure. Mais le but d'une fiscalité écologique est d'envoyer de bonnes incitations, non de remplir les caisses.