Intervention de Christian de Perthuis

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 24 octobre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Christian de Perthuis président du comité pour la fiscalité écologique

Christian de Perthuis, président du comité pour la fiscalité écologique :

J'apprécie vos propos directs et non convenus. Globalement, je suis convaincu que s'occuper sérieusement et simultanément de l'écologie et de l'économie n'est pas contradictoire. Le meilleur moyen de retrouver la croissance est d'intégrer dans notre réflexion économique l'écologie. La doxa chez les responsables politiques en Europe et dans le monde est de traiter d'abord la question économique, puis, une fois l'économie réparée, de s'occuper de l'écologie. Je l'ai vécu au sommet climatique de Copenhague en 2009. Quant au marché du carbone, je constate que l'on transfère sans difficulté 40 ou 50 milliards à la Grèce, alors que l'on ne parvient pas à prendre une décision pour réanimer ce marché moribond. Si votre commission peut faire passer le message que l'intégration correcte de l'écologie dans l'économie est un levier de croissance, je lui en serai très reconnaissant ; je vous renvoie sur ce point à mon dernier ouvrage Le Capital vert.

Je partage l'opinion de Mme Didier : dans une société où entre un quart et un tiers des ménages ont du mal à boucler leur facture énergétique, alourdir, par la fiscalité, la facture énergétique aggrave la fracture sociale. C'est pourquoi j'ai proposé que l'augmentation de la taxe carbone s'accompagne d'une mesure compensatrice liée au revenu, qui n'a malheureusement pas été reprise par le gouvernement dans le projet de loi de finances. Il faut une compensation, sinon on reculera, ou on ouvrira la boîte de Pandore des exonérations et le Conseil constitutionnel annulera le dispositif.

Monsieur Teston, je ne résiste pas au plaisir de vous lire un extrait du courrier que j'ai envoyé au ministre en marge des propositions : « Les membres du comité considèrent que leur travail serait facilité s'ils avaient une vision plus claire de l'évolution de l'ensemble des prélèvements obligatoires (en masse et en structure) visée par le gouvernement. Cette question se cristallise notamment sur les liens entre fiscalité écologique et financement du CICE. » J'ai accepté la mission parce que je travaille depuis huit ans à l'université sur les questions de tarification de l'environnement, et parce que le comité travaille en totale liberté. Vous parlez de contribution climat-énergie. Dans le projet de loi de finances, il s'agit d'une composante carbone incorporée dans le droit d'accise existant. Le Conseil constitutionnel ne devrait pas la censurer car deux différences majeures existent par rapport aux projets des gouvernements Jospin et Fillon : premièrement, nous ne faisons que modifier une taxe existante ; deuxièmement nous n'incluons aucun système d'exemption.

Quant à la prise en compte des bioénergies, c'est une précision très importante pour la réussite du projet à moyen terme. Il faut un critère rationnel pour ce qui émet du CO2 et le mieux est de retenir la comptabilisation carbone, reconnue par les Nations Unies et appliquée sur les marchés européens. Tout écart par rapport à cette comptabilisation me paraît dangereux.

Pour répondre à Charles Revet, sur la question du lien entre la fiscalité déchets et le recyclage des produits végétaux, je constate que le monde agricole a beaucoup évolué. Nous devons aller vers une agriculture qui recycle tout, vers 100 % de déchets organiques recyclés. Il faut espérer aussi une plus grande efficacité dans l'usage des infrastructures, notamment pour le fret agricole.

Concernant les biocarburants, les prélèvements se feront sur chaque énergie au prorata de sa composante carbone, avec la règle de comptabilisation internationalement reconnu selon laquelle les bioénergies, qui sont dans un cycle court du carbone, n'émettent pas de CO2 net.

À Ronan Dantec je dirai qu'évidemment la fiscalité écologique doit être un élément d'une stratégie globale. Sur les liens entre politique fiscale et politique industrielle : sur les points sensibles, nous avons travaillé avec les pouvoirs publics ; des membres des cabinets du ministère du redressement productif, de Matignon ou de L'Élysée ont assisté à nombre de nos discussions.

En ce qui concerne le prix du diesel et de l'essence, c'est parce que nous avons fermé les yeux sur le prix du diesel depuis vingt ans qu'un grand constructeur est maintenant en difficulté. Nous devons accompagner les constructeurs vers les règles qui seront celles de demain : le diesel ne sera pas le support de la mobilité urbaine des particuliers, ne nous voilons pas la face ; PSA le sait, nous ne pourrons les soutenir avec une fiscalité favorable sur le diesel. C'est ainsi dans le monde entier, et les Allemands font de même. Une bataille industrielle très importante est en cours ; l'alliance Renault-Nissan est une chance, car les Japonais et les Coréens sont les mieux préparés à la mobilité durable.

Je retiens dans les propos de Laurence Rossignol - même si je ne partage pas sa vision très noire de la situation - que la fiscalité environnementale sera mieux comprise si elle sert à financer la transition énergétique. Mais dans ce cas, comment ne pas augmenter les prélèvements obligatoires ? Le choix sera un compromis entre les deux positions.

Effectivement, Monsieur le président, nous avons un problème de pédagogie : la vraie question est l'incitation publique en faveur de l'environnement. Il faut étudier aussi les dépenses de l'État qui sont favorables ou défavorables à l'environnement. Il faut améliorer la dépense publique ; certaines de nos dépenses en faveur de l'environnement ne sont budgétairement pas tenables dans le temps, comme le soutien à certaines énergies renouvelables par des tarifs de rachat élevés. Combien de temps l'Irlande subventionnera-t-elle la tourbe ?

Je rends hommage, Monsieur Bizet, au principe de précaution. Mais ce principe est parfois mal compris par nos concitoyens. C'est un principe d'action, pas d'inaction.

Monsieur Capo-Canellas, vous posez une question essentielle, mais il faudra nous aider à trouver une réponse ! Le basculement d'une fiscalité sur le travail et le capital vers une fiscalité écologique est un message important à faire passer. Ce ne sera pas facile dans un contexte d'augmentation de la pression fiscale, qui n'a d'ailleurs pas commencé avec ce gouvernement. J'ai le sentiment que nous sommes dans la même situation qu'en 1913, lors des débats sur la création de l'impôt sur le revenu. Beaucoup pensaient alors, en toute bonne foi, que cet impôt ne serait jamais créé...

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