Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 28 octobre 2013 à 15h00
Avenir et justice du système de retraites — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a examiné le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites le 23 octobre dernier. À l’issue de ses travaux, elle n’a pas adopté le texte résultant de ses délibérations.

Comme vous le savez, nos discussions porteront donc sur le texte du projet de loi dans la rédaction issue du vote de l’Assemblée nationale.

Avant de revenir plus précisément sur la position exprimée par la commission, permettez-moi de souligner à titre personnel les grandes avancées contenues dans les mesures présentées par le Gouvernement.

Vous l’avez rappelé, madame la ministre, ce projet de loi s’articule autour de trois grandes lignes directrices : le redressement des comptes des régimes de retraite à court terme et la correction de la trajectoire financière de long terme ; la priorité donnée à l’équité, qui exige de mieux prendre en compte les évolutions sociales et la diversité des parcours professionnels dans l’acquisition des droits à la retraite, notamment pour les femmes et les plus jeunes de nos concitoyens ; le renforcement du droit à l’information des assurés et l’amélioration de la coordination entre les régimes.

Premier axe, l’exigence de redressement. Les données du problème sont connues, et le diagnostic est partagé. Depuis les années quatre-vingt-dix, les régimes de retraite sont confrontés à une forte montée en charge des droits acquis, sous l’effet de la démographie. Cette évolution structurelle met en danger la pérennité financière de notre système de retraites par répartition.

L’objectif de retour à l’équilibre, envisagé à l’horizon 2020 par la réforme de 2003, puis à l’horizon 2018 par celle de 2010, ne sera pas atteint en l’absence de mesures nouvelles.

Si, à court terme, la branche vieillesse verra cette année son solde s’améliorer très sensiblement, une nouvelle dégradation de celui-ci interviendrait dès 2014 à législation inchangée. Le déficit conjoint du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, devrait s’élever à 6 milliards d’euros cette année, contre 8, 9 milliards d’euros en 2012. Il se creuserait à nouveau dès l’année prochaine, pour atteindre un total de 7, 4 milliards d’euros.

À plus long terme, le besoin de financement du système est évalué à 20, 7 milliards d’euros en 2020, dont 7, 6 milliards d’euros pour le régime général, le FSV, et les régimes de retraite de base non équilibrés par subvention.

Dans ce contexte, le projet de loi dont nous allons débattre vise à préserver notre système par répartition tout en respectant une exigence fondamentale : demander à tous les Français des efforts modérés et équitablement répartis et organiser une montée en charge des mesures dans des conditions d’anticipation raisonnables.

Je pense en particulier à l’allongement progressif de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Il s’agit de garantir un ajustement de la trajectoire financière dans des conditions que les assurés pourront anticiper et sans brutalité, contrairement à d’autres réformes, pour les générations proches de la retraite.

Cette mesure est juste. Elle s’accompagne de plusieurs dispositifs visant à compenser ses effets pour les personnes exerçant des métiers pénibles, ayant commencé à travailler jeunes ou à carrières heurtées.

Deuxième axe, l’équité. Le projet de loi prend en compte la situation des assurés les plus pénalisés, auxquels les précédentes réformes ont apporté très peu de réponses.

Le texte traduit, et c’est la première fois, par un dispositif universel, le compte personnel de prévention de la pénibilité, le devoir qui incombe à la société de prévenir la pénibilité et d’en compenser les effets. La prise en compte de la pénibilité au cours de la vie professionnelle et dans l’acquisition des droits à la retraite constitue assurément le dispositif phare du présent texte. Elle est l’aboutissement d’un long cheminement entamé voilà plus de dix ans.

En effet, c’est durant les travaux préparatoires de la réforme de 2003 que la pénibilité et ses effets sur l’espérance de vie et la retraite ont été pour la première fois abordés. Les partenaires sociaux engagèrent ensuite une négociation, qui échoua malgré plus de deux ans de travaux, mais qui fixa la liste des facteurs de risques professionnels. C’est sur la question du financement qu’elle achoppa ; les entreprises refusèrent d’y prendre part et renvoyèrent à la solidarité nationale sur des sujets relevant des conditions de travail, de son organisation, mais aussi des besoins de la société, car il est indéniable que le travail de nuit est utile à la collectivité.

En 2010, la définition des dix facteurs de risques professionnels reconnus comme sources de pénibilité, ainsi que l’instauration d’une obligation de tenue, par l’employeur, d’une fiche individuelle de prévention des expositions pour les salariés qui les subissent ont marqué une étape supplémentaire dans la reconnaissance des conséquences des conditions de travail sur la santé après la retraite. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, les hommes qui occupent les professions les plus qualifiées ont, à 50 ans, une espérance de vie en bonne santé très supérieure à celle des ouvriers.

Je le souligne, le dispositif se veut non pas uniquement réparateur, mais également incitatif. Par la formation, les salariés confrontés à la pénibilité pourront faire évoluer leur parcours professionnel et, ainsi, ne pas rester bloqués dans des postes pénibles.

Il est également apporté une contribution essentielle à la concrétisation de l’objectif d’équité, via les mesures en faveur des femmes, des jeunes, des assurés à carrières heurtées – d’ailleurs, ce sont souvent les mêmes –, des personnes handicapées et de leurs aidants familiaux, ainsi que des retraités agricoles : abaissement du seuil de rémunération permettant de valider un trimestre d’assurance vieillesse de 200 heures au SMIC à 150 heures au SMIC avec report sur l’année suivante du reliquat d’heures, mise en place d’une aide forfaitaire au rachat d’années d’études supérieures, dispositif améliorant les droits à la retraite des apprentis, création d’une majoration de durée d’assurance pour les aidants familiaux chargés d’un adulte lourdement handicapé ou encore garantie pour les petites pensions agricoles d’atteindre 75 % du SMIC en 2017.

Troisième axe, la mise en œuvre du droit à l’information. Le projet de loi marque le début d’une nouvelle étape. Des progrès considérables ont été réalisés au cours des dix dernières années avec l’installation du groupement d’intérêt public, ou GIP, Info Retraite, dont certains d’entre vous ont largement participé à la mise en place. Il est composé de l’ensemble des régimes de retraite obligatoires de base et complémentaires.

Les travaux de ce groupement sont unanimement reconnus. Ils ont d’ailleurs contribué à modifier la conception des jeunes générations dans leur approche de la retraite. L’ensemble des partenaires sociaux et des représentants des régimes de retraite m’ont d’ailleurs confirmé le bien-fondé de l’action de ce GIP lors des travaux préparatoires en commission.

Chaque assuré peut aujourd’hui se voir communiquer un relevé de situation individuelle et obtenir à sa demande un entretien avec un conseiller de sa caisse.

Je souhaite insister sur le spectre d’action très large qui sera donné à l’Union des institutions et services de retraites. Cette dernière reprendra l’an prochain les missions du GIP Info Retraite, sans renier naturellement le travail déjà accompli. D’ailleurs, c’est ce travail qui nous permet aujourd’hui de passer à la phase suivante, mais en l’amplifiant : à l’information des citoyens s’ajouteront la simplification et la mutualisation pour les usagers à travers une coordination renforcée entre régimes.

Je conclus sur la nécessité de redonner confiance dans la faculté des régimes de retraite à remplir leurs objectifs, non seulement financiers, mais aussi sociaux, auxquels, je l’imagine, nous sommes tous profondément attachés.

Le nouveau mécanisme de pilotage annuel du système de retraite prévu à l’article 3 y contribuera efficacement. Il s’agit de mettre un terme aux réformes périodiques sans vision dans la durée. De plus, conformément aux recommandations du rapport Moreau sur l’avenir des retraites, qui a été remis au Premier ministre au mois de juin dernier, le mécanisme permettra de mieux distinguer la phase de diagnostic réalisée dans l’enceinte de dialogue et de concertation que constitue le Conseil d’orientation des retraites, ou COR, de la phase d’expertise technique au sein du nouveau comité de suivi, qui exercera une fonction d’alerte et de proposition. Les tâches seront clairement réparties, et la décision finale appartiendra au Gouvernement et au Parlement.

En tant que rapporteur, j’ai naturellement eu l’occasion de détailler chacun de ces points devant la commission des affaires sociales au cours de la réunion d’examen du texte.

À l’issue du débat général, la commission a adopté quatre articles, dont certains revêtent une grande importance. Je pense en particulier à l’article 2, relatif à l’allongement de la durée d’assurance requise pour l’attribution du taux plein, et à l’article 6, relatif au compte personnel de prévention de la pénibilité. Je constate d’ailleurs, à l’examen des amendements extérieurs, que certains collègues ayant voté dans un sens à la commission des affaires sociales ont pourtant déposé des amendements allant en sens contraire... Mais nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.

La commission a également adopté plusieurs amendements que j’avais proposés pour simplifier la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité et améliorer la gouvernance du système.

Pour des raisons différentes, voire parfois contradictoires selon les formations politiques – nous aurons largement l’occasion de revenir sur ces divergences au cours de la semaine –, la commission n’a pas adopté les autres articles du projet de loi. Elle n’a donc pas non plus adopté le texte résultant de ses délibérations.

J’ai bien entendu les points de vue exprimés par nos collègues de l’opposition, ainsi que par certains groupes de la majorité sénatoriale. Je ne les partage pas tous, mais j’espère que nos débats contribueront à rapprocher nos positions, afin de sauvegarder ce qui pour nous est l’essentiel : les retraites de demain.

Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous rendre compte avant que notre Haute Assemblée n’entame l’examen de ce projet de loi, enrichi et précisé par l’Assemblée nationale. §

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