Séance en hémicycle du 28 octobre 2013 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • carrière
  • pénibilité
  • retraité

La séance

Source

La séance est ouverte à quinze heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (projet n° 71, résultat des travaux de la commission n° 96, rapport n° 95, avis n° 76, rapport d’information n° 90).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous présenter aujourd’hui le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. Il est important de répondre au défi de la branche vieillesse de notre sécurité sociale, dans un contexte de grande transformation de la société.

La réforme, pour être à la fois juste et efficace, doit s’inscrire dans notre histoire, marquée par l’attachement profond des Français à notre pacte social. Dans le même temps, elle doit permettre de relever les défis actuels, faute de quoi elle n’apporterait aucune garantie et ne créerait pas de confiance pour l’avenir. Aujourd’hui, la gauche montre qu’une réforme des retraites peut être porteuse de progrès social, de droits nouveaux, tout en apportant des garanties financières.

Les Français sont attachés à la retraite, pour plusieurs raisons.

D’abord, la retraite est un rempart contre l’incertitude. C’est un droit inaliénable. Elle permet à tous les retraités de ne plus être les victimes de la grande pauvreté et d’obtenir « de la collectivité des moyens convenables d’existence », pour reprendre le Préambule de la Constitution de 1946, qui a valeur constitutionnelle aujourd’hui.

La retraite, c’est aussi la promesse faite à chaque Français qu’il existe une vie libérée des contraintes du temps après une vie de travail, une vie au travail. C’est la garantie que la fin de la vie active est non pas le début d’une vie sans activité, mais bien la possibilité donnée à tous nos concitoyens d’exercer une autre forme de liberté, de se consacrer autrement à la contribution que l’on doit apporter à notre société. C’est la possibilité donnée à chacun de suivre cette « ligne de vie et d’espoir », selon la très belle formule que Pierre Mauroy a employée ici même, d’inventer un nouvel âge de la vie, celui des loisirs, de la famille, de la transmission, de l’engagement associatif...

La retraite, enfin, est un puissant facteur d’égalité ; nous nous en réjouissons tous. C’est notre système de retraite par répartition qui a permis de rapprocher le niveau de vie des retraités de celui des actifs occupés.

Tout cela, nous le devons à un système mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, grâce au Conseil national de la Résistance, le CNR, dont le génie aura été d’avoir créé un modèle évidemment en phase avec la société d’après-guerre, mais aussi d’avoir forgé des principes universels sur lesquels nous devons prendre appui pour préparer l’avenir.

Alors que s’élèvent des voix pour contester notre protection sociale et prôner le chacun pour soi de la capitalisation, je veux ici réaffirmer avec force mon attachement profond, et celui de tout le Gouvernement, à notre système de retraites par répartition.

Contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, cet attachement n’est pas la marque de l’immobilisme ; l’immobilisme serait le plus sûr chemin vers l’abandon.

La responsabilité du Gouvernement, c’est de regarder les choses en face, avec lucidité. Dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons annoncé qu’une réforme s’imposait pour garantir l’avenir de notre système de retraites par répartition et ne pas céder aux sirènes de la capitalisation. Sans attendre, nous avons répondu aux injustices les plus criantes nées des décisions du précédent gouvernement. C’est le sens du décret que j’ai signé au mois de juillet 2012. Il a d’ores et déjà permis à près de 60 000 personnes ayant commencé à travailler dès le plus jeune âge de partir à 60 ans. À terme, 100 000 personnes seront concernées.

La responsabilité du Gouvernement, c’est aussi de répondre avec ambition aux transformations de notre société, à commencer par les transformations démographiques. Les générations du baby-boom vivent plus longtemps, et cela va continuer. Jusqu’en 2060, nous gagnerons une année de vie tous les dix ans. La natalité de notre pays, l’une des plus élevées d’Europe, est une chance. Ce dynamisme démographique est un atout majeur pour l’avenir ; il est porteur de confiance pour notre système social. Pour autant, cela ne nous exonère pas de notre responsabilité immédiate.

Nous vivons plus longtemps. Les conditions de vie et de travail ont évolué et se sont diversifiées.

Souvenons-nous de ce qu’était la société au moment lors de la mise en place de notre pacte social. La grande majorité des enfants quittaient l’école à 14 ans pour aller travailler. Les femmes s’occupaient de la vie domestique et devaient demander une autorisation à leur mari pour exercer un métier. Les couples ne divorçaient pas. Les salariés entraient dans une entreprise après leurs études ou après l’école et la quittaient quatre décennies plus tard, au terme d’une carrière tout entière menée en son sein. Ce « monde d’hier» n’est pas celui que nous connaissons. Qui peut le regretter ?

En ignorant l’évolution de notre société, en niant ces nouvelles réalités, en réduisant la question des retraites à de simples ajustements comptables, les gouvernements précédents ont laissé l’injustice prendre racine. Nous devons désormais adapter notre système de retraites afin de permettre que, pour chacun d’entre nous, les aléas nés de la carrière professionnelle ou de la vie personnelle soient pris en compte. Une réalité simple s’impose à nous : nous ne pouvons tous partir à la retraite dans les mêmes conditions, dès lors que nos vies, personnelles et professionnelles, n’ont pas suivi les mêmes trajectoires.

Alors que les femmes ont des pensions inférieures d’un tiers à celles des hommes, qu’un salarié sur cinq travaille en situation de pénibilité et que les jeunes sont confrontés à la banalisation des stages, il nous faut agir.

C’est pourquoi la lutte contre les injustices est au cœur de notre projet. Toutefois, elle serait vaine si nous ne relevions pas le défi du financement, auquel nos régimes de retraite sont confrontés.

Les réformes qui ont émaillé les vingt dernières années n’ont pas garanti la pérennité de notre système. Faut-il le rappeler ? Voilà trois ans à peine, alors que la crise était déjà là, Éric Woerth promettait « zéro déficit en 2018 ». On ne peut donc pas prétendre que la crise explique la situation et l’effondrement des comptes sociaux ! §

Quelques mois après le vote de cette loi, au demeurant injuste, ...

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

... la réalité s’impose, implacable : si nous n’agissons pas, le déficit atteindra 20 milliards d’euros en 2020 et plus de 26 milliards d'euros en 2040.

Face à ceux qui prônent la privatisation, nous voulons garantir que notre modèle social ne servira pas de variable d’ajustement.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Pour faire face à ses responsabilités, le Gouvernement a fait le choix d’une longue concertation, engagée dès l’été 2012.

En effet, nous avons refusé d’agir comme le précédent gouvernement, qui s’était engagé dans la voie de la force et de la brutalité.

M. Gérard Longuet s’exclame.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Nous avons consulté, dialogué, discuté. C’est notre méthode pour gouverner. Nous ne pouvons pas faire des choix majeurs pour l’avenir de notre pays sans faire vivre notre démocratie sociale.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Et, à la démocratie sociale succède la démocratie parlementaire. C’est ainsi qu’une période de débat avec le Parlement s’est engagée. La discussion à l'Assemblée nationale a permis de préciser et de nourrir le texte de la réforme. Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous revient désormais de poursuivre ce travail, autour de propositions concrètes permettant d’apporter des réponses aux préoccupations de nos concitoyens.

Quels sont les défis financiers que nous avons à relever ? Je l’ai déjà rappelé, le déficit atteindra 20 milliards d'euros en 2020 et 26 milliards d'euros en 2040 !

Pour ce faire, nous avons retenu trois principes.

Premièrement, nous avons décidé de nous inscrire dans un horizon long, pour rompre avec les tentatives de colmatage et de rafistolage menées précédemment. Ainsi, 2040 devient la date d’horizon de notre réforme. Il est indispensable d’offrir davantage de visibilité et de stabilité aux jeunes actifs et de définir les conditions dans lesquelles ils pourront partir à la retraite. C’est le fondement de la confiance.

Deuxièmement, nous avons fait le choix de respecter les projets de ceux qui s’apprêtent à partir en retraite. Dans cette perspective, l’allongement de la durée de cotisation, mesure importante et structurante de ce projet de loi, n’interviendra qu’à partir de 2020, afin…

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… que les Français aient le temps d’ajuster leurs projets.

Troisièmement, nous avons voulu une mobilisation de l’ensemble des composantes de notre société. Toutes les générations, tous les acteurs économiques contribueront. Tous les régimes seront concernés, les régimes spéciaux, comme ceux du public et ceux du privé.

Si nous avons souhaité cette mobilisation collective, c’est parce que, pour nous, les régimes de retraite sont au cœur du pacte social. Et puisque nous sommes collectivement attachés à ce pacte social, il est légitime que chacun apporte sa contribution.

Ainsi, des mesures immédiates de redressement seront prises pour répondre à l’urgence jusqu’en 2020.

Les entreprises et les actifs verront leurs cotisations croître de manière mesurée et progressive.

Les retraités seront également appelés à contribuer. La revalorisation de leurs pensions, à l’exception de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, interviendra le 1er octobre 2014, et non le 1er avril. L’effort est ponctuel, limité et responsable ; contrairement à ce que prétendent certains, le montant des pensions ne baissera pas.

M. Philippe Bas s’exclame.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Ces contributions représentent assurément un effort, qu’il ne s’agit pas de nier. Mais nous avons un objectif, cesser de faire peser sur les générations futures le poids de l’indécision du passé, et une ambition, ouvrir de nouveaux droits aux salariés d’aujourd’hui.

À partir de 2020, le relais sera pris par l’allongement de la durée de cotisation, qui sera progressivement portée à quarante-trois annuités en 2035.

Puisque nous vivons collectivement plus longtemps, il est normal de travailler un peu plus longtemps. La durée de cotisation augmentera d’un trimestre tous les trois ans à partir de 2020. Cette règle sera inscrite dans la loi, ce qui constitue une garantie.

Désormais, la durée de cotisation devient le socle de notre système de retraites et le principal critère de choix et d’arbitrage pour les salariés. En portant cette durée à quarante-trois annuités à l’horizon 2035, nous prenons acte de la diversité des parcours professionnels et du fait que certains ont commencé à travailler tôt. Il serait donc injuste de faire peser sur leurs épaules un relèvement de l’âge légal de départ en retraite.

Dès lors que nous faisons de la durée de cotisation la variable clé, il est normal de tenir compte de la diversité des parcours professionnels et de vie. La grande nouveauté du texte est précisément d’introduire une variation de la durée de cotisation en fonction des parcours professionnels.

Porter une vision de long terme, c’est aussi en finir avec la navigation à vue des années précédentes, qui a nourri la défiance des Français.

À cet égard, l’instauration d’un mécanisme de pilotage constitue une innovation majeure. Un comité de suivi sera mis en place. Il aura pour mission de formuler des recommandations, qui constitueront un élément essentiel du débat public et permettront de suivre pas à pas les équilibres financiers et sociaux de nos régimes. Pour faire face à d’éventuelles difficultés ponctuelles, le comité pourra recommander des transferts depuis le Fonds de réserve pour les retraites. Cette procédure de suivi doit contribuer à dédramatiser le débat sur les retraites. Le Gouvernement sera interpellé, mais les avis ne s’imposeront pas à lui, puisqu’il conservera in fine sa liberté de décision.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

L’objectif de réduction des déficits est décisif, mais il doit servir un projet de société nous permettant de renouer avec le sens du progrès.

Désormais, notre système de retraites tiendra compte de la diversité des parcours professionnels et de leurs conséquences sur l’espérance de vie, qui ne s’allonge pas de la même manière pour tous : celle d’un ouvrier reste aujourd’hui inférieure de six ans à celle d’un cadre. Nous devons pouvoir répondre à cette injustice. Port de charges lourdes dans les métiers du bâtiment ou de la manutention, exposition au bruit, à des températures élevées, à des produits dangereux ou encore travail de nuit, qui touche de plus en plus de femmes… nous ne saurions ignorer ces situations de pénibilité, qui concernent plus de 3 millions de personnes.

Dix critères de pénibilité ont été identifiés et élaborés par les partenaires sociaux. À partir du 1er janvier 2015, chaque Français exposé à l’un de ces facteurs se verra doté d’un compte de prévention de la pénibilité lui permettant de cumuler des points. Un trimestre d’exposition vaudra un point. Lorsque le salarié sera exposé à au moins deux facteurs de pénibilité, il sera crédité pour la même période de deux points.

Ce compte lui permettra ensuite de faire le choix de réorienter sa carrière grâce à la formation, de bénéficier de temps partiel rémunéré à temps plein ou de valider jusqu’à huit trimestres pour le calcul de sa retraite.

Le dispositif de prise en compte de la pénibilité a été précisé et renforcé lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.

Ainsi, le passage à temps partiel au titre de la pénibilité a été facilité : il pourra désormais intervenir tout au long de la vie active.

Les règles transitoires pour les salariés proches de la retraite ont été précisées. Concrètement, les salariés de plus de 52 ans auront davantage la possibilité de convertir leurs points pénibilité en temps partiel ou en trimestres de retraite, et pas seulement en trimestres de formation.

Ce compte sera bien évidemment financé par les entreprises. Nous allons travailler en 2014 à la mise en place d’un dispositif que je veux simple, accessible et pratique. Il s’agit d’en faire un élément non pas de complexité pour les entreprises, mais de simplicité pour l’ensemble du monde du travail.

Notre réforme comporte également des avancées sociales majeures pour les femmes. Elle leur permettra de valider l’intégralité de leurs congés de maternité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Par ailleurs, les femmes sont les premières victimes du temps partiel : à l’avenir, 150 heures de travail rémunérées au SMIC suffiront à valider un trimestre, contre 200 heures actuellement. Au-delà, le Gouvernement a exprimé sa volonté de revoir notre système de droits familiaux, de manière que celui-ci bénéficie davantage aux femmes.

Les jeunes sont confrontés aux difficultés croissantes d’entrée dans la vie active.

Répondre à leurs aspirations, c’est d’abord garantir aux 400 000 apprentis actuellement en formation que tous leurs trimestres de travail en alternance seront validés. C’est ensuite faciliter la validation des périodes de chômage non indemnisé pour ceux qui connaissent des périodes de chômage ou de travail précaire. C’est encore permettre à tous ceux qui travaillent pour financer leurs études de valider plus facilement ces périodes grâce à la réduction du seuil de validation d’un trimestre. Enfin, nous proposons à tous ceux qui ont obtenu un diplôme après le baccalauréat de valider jusqu’à quatre trimestres en cotisant à un tarif préférentiel. Les jeunes pourront recourir à cette aide jusqu’à dix ans après la fin de leurs études.

Le dispositif de rachat aidé a été étendu à deux catégories de travailleurs lors du débat à l’Assemblée nationale : les anciens apprentis et les assistantes maternelles.

J’avais posé deux principes sur les périodes de stage : pas de validation sans cotisation et, surtout, pas de banalisation des stages au regard des contrats de travail.

La loi permettra de valider deux trimestres au titre des stages en contrepartie d’une contribution mensuelle, que j’ai souhaitée limitée et mesurée.

La justice, c’est également prendre en compte la situation des personnes handicapées, ainsi que celle de leurs aidants. Les premiers auront demain plus facilement accès à la retraite anticipée et pourront bénéficier plus rapidement d’une retraite à taux plein. Pour les seconds, nous faisons en sorte que le temps passé auprès d’un proche en situation de handicap soit mieux pris en compte grâce à la création d’une nouvelle majoration d’assurance. Nous ouvrons ainsi l’accès à l’assurance vieillesse des parents aux foyers, quelles que soient leurs ressources, ce qui garantira aux aidants familiaux une continuité dans leurs droits à retraite.

Notre projet s’adresse enfin au monde agricole : les plus faibles pensions de notre pays sont celles des agriculteurs ou, en tout cas, d’une partie d’entre eux. Cette situation exigeait une réponse forte. D’ici à 2017, les plus modestes des chefs d’exploitation verront leurs pensions portées à 75 % du SMIC. Les retraites des femmes d’exploitants seront aussi significativement améliorées.

Enfin, le manque de transparence et de lisibilité de notre système de retraites entretient la défiance de nos concitoyens.

C’est pourquoi j’ai tenu à ce que cette réforme simplifie les conditions d’accès aux informations concernant la retraite et sa liquidation.

Notre système est complexe, et nos régimes de retraite sont nombreux. Les Français réclament une clarification des règles, une simplification des démarches et une transparence accrue des dispositifs.

Aussi chaque Français disposera-t-il désormais de son compte individuel de retraite, qui lui permettra de suivre l’évolution de ses droits et de faciliter l’ensemble de ses démarches. Les règles de calcul et le versement des pensions seront unifiés pour les polypensionnés.

Une fois encore, nous avons été pragmatiques. C’est ce que les Français attendent de nous. C’est ainsi que nous pourrons rétablir la confiance.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la pérennité de notre système social appelle l’engagement de tous. Il faut faire preuve d’audace et accepter de transformer les règles existantes. C’est à vous qu’il appartient, aujourd’hui et dans les jours qui viennent, de prendre la responsabilité d’apporter des réponses concrètes, fiables et pérennes à l’ensemble de nos concitoyens. C’est à vous qu’il appartient de répondre à la demande de justice exprimée par les femmes, les jeunes et ceux qui travaillent dans des conditions pénibles. C’est à l’aune de cette responsabilité que nous pourrons ensemble construire le système social de demain. Je suis certaine que vous ne vous y déroberez pas.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a examiné le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites le 23 octobre dernier. À l’issue de ses travaux, elle n’a pas adopté le texte résultant de ses délibérations.

Comme vous le savez, nos discussions porteront donc sur le texte du projet de loi dans la rédaction issue du vote de l’Assemblée nationale.

Avant de revenir plus précisément sur la position exprimée par la commission, permettez-moi de souligner à titre personnel les grandes avancées contenues dans les mesures présentées par le Gouvernement.

Vous l’avez rappelé, madame la ministre, ce projet de loi s’articule autour de trois grandes lignes directrices : le redressement des comptes des régimes de retraite à court terme et la correction de la trajectoire financière de long terme ; la priorité donnée à l’équité, qui exige de mieux prendre en compte les évolutions sociales et la diversité des parcours professionnels dans l’acquisition des droits à la retraite, notamment pour les femmes et les plus jeunes de nos concitoyens ; le renforcement du droit à l’information des assurés et l’amélioration de la coordination entre les régimes.

Premier axe, l’exigence de redressement. Les données du problème sont connues, et le diagnostic est partagé. Depuis les années quatre-vingt-dix, les régimes de retraite sont confrontés à une forte montée en charge des droits acquis, sous l’effet de la démographie. Cette évolution structurelle met en danger la pérennité financière de notre système de retraites par répartition.

L’objectif de retour à l’équilibre, envisagé à l’horizon 2020 par la réforme de 2003, puis à l’horizon 2018 par celle de 2010, ne sera pas atteint en l’absence de mesures nouvelles.

Si, à court terme, la branche vieillesse verra cette année son solde s’améliorer très sensiblement, une nouvelle dégradation de celui-ci interviendrait dès 2014 à législation inchangée. Le déficit conjoint du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, devrait s’élever à 6 milliards d’euros cette année, contre 8, 9 milliards d’euros en 2012. Il se creuserait à nouveau dès l’année prochaine, pour atteindre un total de 7, 4 milliards d’euros.

À plus long terme, le besoin de financement du système est évalué à 20, 7 milliards d’euros en 2020, dont 7, 6 milliards d’euros pour le régime général, le FSV, et les régimes de retraite de base non équilibrés par subvention.

Dans ce contexte, le projet de loi dont nous allons débattre vise à préserver notre système par répartition tout en respectant une exigence fondamentale : demander à tous les Français des efforts modérés et équitablement répartis et organiser une montée en charge des mesures dans des conditions d’anticipation raisonnables.

Je pense en particulier à l’allongement progressif de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Il s’agit de garantir un ajustement de la trajectoire financière dans des conditions que les assurés pourront anticiper et sans brutalité, contrairement à d’autres réformes, pour les générations proches de la retraite.

Cette mesure est juste. Elle s’accompagne de plusieurs dispositifs visant à compenser ses effets pour les personnes exerçant des métiers pénibles, ayant commencé à travailler jeunes ou à carrières heurtées.

Deuxième axe, l’équité. Le projet de loi prend en compte la situation des assurés les plus pénalisés, auxquels les précédentes réformes ont apporté très peu de réponses.

Le texte traduit, et c’est la première fois, par un dispositif universel, le compte personnel de prévention de la pénibilité, le devoir qui incombe à la société de prévenir la pénibilité et d’en compenser les effets. La prise en compte de la pénibilité au cours de la vie professionnelle et dans l’acquisition des droits à la retraite constitue assurément le dispositif phare du présent texte. Elle est l’aboutissement d’un long cheminement entamé voilà plus de dix ans.

En effet, c’est durant les travaux préparatoires de la réforme de 2003 que la pénibilité et ses effets sur l’espérance de vie et la retraite ont été pour la première fois abordés. Les partenaires sociaux engagèrent ensuite une négociation, qui échoua malgré plus de deux ans de travaux, mais qui fixa la liste des facteurs de risques professionnels. C’est sur la question du financement qu’elle achoppa ; les entreprises refusèrent d’y prendre part et renvoyèrent à la solidarité nationale sur des sujets relevant des conditions de travail, de son organisation, mais aussi des besoins de la société, car il est indéniable que le travail de nuit est utile à la collectivité.

En 2010, la définition des dix facteurs de risques professionnels reconnus comme sources de pénibilité, ainsi que l’instauration d’une obligation de tenue, par l’employeur, d’une fiche individuelle de prévention des expositions pour les salariés qui les subissent ont marqué une étape supplémentaire dans la reconnaissance des conséquences des conditions de travail sur la santé après la retraite. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, les hommes qui occupent les professions les plus qualifiées ont, à 50 ans, une espérance de vie en bonne santé très supérieure à celle des ouvriers.

Je le souligne, le dispositif se veut non pas uniquement réparateur, mais également incitatif. Par la formation, les salariés confrontés à la pénibilité pourront faire évoluer leur parcours professionnel et, ainsi, ne pas rester bloqués dans des postes pénibles.

Il est également apporté une contribution essentielle à la concrétisation de l’objectif d’équité, via les mesures en faveur des femmes, des jeunes, des assurés à carrières heurtées – d’ailleurs, ce sont souvent les mêmes –, des personnes handicapées et de leurs aidants familiaux, ainsi que des retraités agricoles : abaissement du seuil de rémunération permettant de valider un trimestre d’assurance vieillesse de 200 heures au SMIC à 150 heures au SMIC avec report sur l’année suivante du reliquat d’heures, mise en place d’une aide forfaitaire au rachat d’années d’études supérieures, dispositif améliorant les droits à la retraite des apprentis, création d’une majoration de durée d’assurance pour les aidants familiaux chargés d’un adulte lourdement handicapé ou encore garantie pour les petites pensions agricoles d’atteindre 75 % du SMIC en 2017.

Troisième axe, la mise en œuvre du droit à l’information. Le projet de loi marque le début d’une nouvelle étape. Des progrès considérables ont été réalisés au cours des dix dernières années avec l’installation du groupement d’intérêt public, ou GIP, Info Retraite, dont certains d’entre vous ont largement participé à la mise en place. Il est composé de l’ensemble des régimes de retraite obligatoires de base et complémentaires.

Les travaux de ce groupement sont unanimement reconnus. Ils ont d’ailleurs contribué à modifier la conception des jeunes générations dans leur approche de la retraite. L’ensemble des partenaires sociaux et des représentants des régimes de retraite m’ont d’ailleurs confirmé le bien-fondé de l’action de ce GIP lors des travaux préparatoires en commission.

Chaque assuré peut aujourd’hui se voir communiquer un relevé de situation individuelle et obtenir à sa demande un entretien avec un conseiller de sa caisse.

Je souhaite insister sur le spectre d’action très large qui sera donné à l’Union des institutions et services de retraites. Cette dernière reprendra l’an prochain les missions du GIP Info Retraite, sans renier naturellement le travail déjà accompli. D’ailleurs, c’est ce travail qui nous permet aujourd’hui de passer à la phase suivante, mais en l’amplifiant : à l’information des citoyens s’ajouteront la simplification et la mutualisation pour les usagers à travers une coordination renforcée entre régimes.

Je conclus sur la nécessité de redonner confiance dans la faculté des régimes de retraite à remplir leurs objectifs, non seulement financiers, mais aussi sociaux, auxquels, je l’imagine, nous sommes tous profondément attachés.

Le nouveau mécanisme de pilotage annuel du système de retraite prévu à l’article 3 y contribuera efficacement. Il s’agit de mettre un terme aux réformes périodiques sans vision dans la durée. De plus, conformément aux recommandations du rapport Moreau sur l’avenir des retraites, qui a été remis au Premier ministre au mois de juin dernier, le mécanisme permettra de mieux distinguer la phase de diagnostic réalisée dans l’enceinte de dialogue et de concertation que constitue le Conseil d’orientation des retraites, ou COR, de la phase d’expertise technique au sein du nouveau comité de suivi, qui exercera une fonction d’alerte et de proposition. Les tâches seront clairement réparties, et la décision finale appartiendra au Gouvernement et au Parlement.

En tant que rapporteur, j’ai naturellement eu l’occasion de détailler chacun de ces points devant la commission des affaires sociales au cours de la réunion d’examen du texte.

À l’issue du débat général, la commission a adopté quatre articles, dont certains revêtent une grande importance. Je pense en particulier à l’article 2, relatif à l’allongement de la durée d’assurance requise pour l’attribution du taux plein, et à l’article 6, relatif au compte personnel de prévention de la pénibilité. Je constate d’ailleurs, à l’examen des amendements extérieurs, que certains collègues ayant voté dans un sens à la commission des affaires sociales ont pourtant déposé des amendements allant en sens contraire... Mais nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.

La commission a également adopté plusieurs amendements que j’avais proposés pour simplifier la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité et améliorer la gouvernance du système.

Pour des raisons différentes, voire parfois contradictoires selon les formations politiques – nous aurons largement l’occasion de revenir sur ces divergences au cours de la semaine –, la commission n’a pas adopté les autres articles du projet de loi. Elle n’a donc pas non plus adopté le texte résultant de ses délibérations.

J’ai bien entendu les points de vue exprimés par nos collègues de l’opposition, ainsi que par certains groupes de la majorité sénatoriale. Je ne les partage pas tous, mais j’espère que nos débats contribueront à rapprocher nos positions, afin de sauvegarder ce qui pour nous est l’essentiel : les retraites de demain.

Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous rendre compte avant que notre Haute Assemblée n’entame l’examen de ce projet de loi, enrichi et précisé par l’Assemblée nationale. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.

En tant que rapporteur pour avis, je me suis attaché à apprécier la réforme dans sa globalité, en tenant compte à la fois des mesures inscrites dans le présent projet de loi, dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014, ainsi que des mesures réglementaires.

Deux critères principaux ont ensuite guidé mes travaux et les réflexions de la commission des finances : les conséquences financières de la réforme sur les régimes de retraite dans la perspective de leur rééquilibrage, et sa contribution à la consolidation des finances publiques.

Avant de vous présenter les conclusions de ces analyses, permettez-moi de revenir sur quelques constats.

La réforme des retraites de 2010 avait pour objectif de rétablir l’équilibre financier du système en 2018. Toutefois, il est très vite apparu que l’objectif ne serait pas atteint, notamment en raison de la dégradation de la conjoncture économique. Les ressources des régimes de retraite, assises sur la masse salariale, et les dépenses de pensions, indexées sur les prix, sont en effet très sensibles à la croissance. Après un rebond d’activité en 2011, où nous avons atteint 2 % de croissance, nous avons, hélas ! connu une croissance nulle en 2012, et l’année 2013 ne sera guère meilleure.

C’est la raison pour laquelle le Conseil d’orientation des retraites a constaté, dans son onzième rapport, remis au mois de décembre 2012, que le besoin de financement du système de retraites ne serait pas nul en 2018, comme cela était prétendu dans le projet de réforme de 2010, mais qu’il serait de l’ordre de 20 milliards d’euros, soit près d’un point de PIB. En l’absence de réforme, le déficit global des régimes devrait croître régulièrement au cours des prochaines années, passant de 13, 2 milliards d’euros en 2011 à 21 milliards d’euros en 2020.

Cette projection de solde du système de retraites repose sur un scénario, dit « scénario B », défini par le COR et retenu par le Gouvernement. Le scénario B retient les hypothèses macroéconomiques suivantes : un taux de chômage à long terme de 4, 5 % et une croissance de la productivité du travail de 1, 5 %, hypothèse cruciale, puisque, par construction, le pouvoir d’achat des salaires est censé évoluer au même rythme.

Ces deux hypothèses ont fait l’objet d’une discussion nourrie au sein de la commission des finances. Je rappellerai tout d’abord que ces hypothèses correspondent à celles qui sont utilisées par le COR pour établir ses projections en 2010 et qui ont donc présidé à la réforme de 2010. De plus, l’hypothèse de croissance de la productivité correspond à l’évolution moyenne observée depuis le début des années 2000 jusqu’au déclenchement de la crise. Enfin, et je tiens à le souligner il s’agit d’hypothèses de long terme : il est en effet supposé que le taux de chômage effectif convergera progressivement vers le niveau de 4, 5 % d’ici à 2030, c'est-à-dire à un horizon de moyen et long termes.

Au-delà de ces hypothèses de long terme, le Gouvernement a réactualisé la projection de trajectoire financière des régimes de retraite établie par le COR, afin de prendre en compte la révision à la baisse des hypothèses de croissance à court terme, ainsi que l’accord conclu entre l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés, ou ARRCO, et l’Association générale des institutions de retraite des cadres, ou AGIRC, du mois de mars 2013, et qui permettra à ces régimes complémentaires de réaliser 3 milliards d’économies d’ici à 2017.

Les perspectives démographiques, quant à elles, sont fondées sur les projections de population réalisées en 2010 par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE. Elles indiquent que la population active continuerait de croître jusqu’en 2025, pour ensuite se stabiliser, avant de repartir à la hausse à partir de 2035. Ainsi, nous devrions connaître une période critique entre 2025 et 2035, au cours de laquelle la population active resterait stable et la population de retraités continuerait à augmenter jusqu’à l’extinction du papy-boom en 2035.

Partant de l’ensemble de ces constats – effets de la crise économique, persistance des déficits, stagnation de la population active à moyen terme, en tout cas entre 2025 et 2035 –, il apparaît à la fois nécessaire et urgent d’agir.

J’en viens à la réforme elle-même. Sa démarche en deux temps correspond au diagnostic établi.

En premier lieu, d’ici à 2020, de nouvelles recettes et des mesures d’économie permettront de réduire le déficit de l’ensemble des régimes de base, dont le régime général, de 8, 8 milliards d’euros à 300 millions d’euros, c’est-à-dire de ramener ces régimes pratiquement à l’équilibre en 2020. Dès 2014, le report de la date de revalorisation des pensions au 1er octobre permettra aux régimes de retraite d’économiser 800 millions d’euros ; la hausse modérée et progressive des cotisations vieillesse déplafonnées rapportera 2, 2 milliards d’euros. À partir de 2015, le rendement de la fiscalisation des majorations de pensions pour enfants, soit environ 1, 2 milliard d’euros, sera intégralement reversé à la branche vieillesse de la sécurité sociale.

En second lieu, une mesure structurelle viendra prendre le relais entre 2020 et 2035. L’allongement de la durée de cotisation d’un trimestre tous les trois ans permettra à l’ensemble des régimes de retraite de réaliser des économies substantielles, de l’ordre de 5, 4 milliards d’euros en 2030 et de 10, 4 milliards d’euros en 2040. À partir de la génération née en 1973, la durée d’assurance requise pour obtenir une retraite à taux plein sera de quarante-trois annuités, soit un partage équitable des gains d’espérance de vie à soixante ans entre période de travail et temps passé à la retraite. Ces mesures permettront d’équilibrer durablement les régimes de base à partir de 2020.

Restent les déficits résiduels des régimes complémentaires et des autres régimes de base équilibrés par une subvention, c’est-à-dire les régimes des fonctionnaires et les régimes spéciaux. Pour les régimes complémentaires, il appartiendra évidemment aux partenaires sociaux de définir les conditions de leur retour à l’équilibre sur le long terme. Ils n’éviteront sans doute pas – mais ce n’est là qu’une opinion personnelle – un passage au moins partiel de rendements constants à des rendements décroissants.

La hausse des cotisations et de la durée d’assurance les concernera également les fonctionnaires et les assurés des régimes spéciaux. Afin éviter de faux débats, je rappelle que, pour les fonctionnaires, un alignement du taux de cotisation vieillesse avec celui des salariés du secteur privé est d’ores et déjà mis en œuvre : en 2020, les taux seront identiques entre le public et le privé, soit une augmentation de près de trois points pour les fonctionnaires en l’espace de dix ans.

Pour terminer, je souhaiterais replacer la présente réforme dans un contexte plus large : celui de la consolidation des finances publiques.

Les mesures prévues dans le cadre de la réforme du système de retraites représentent une part substantielle de l’effort structurel prévu au titre de l’exercice 2014. Ainsi, l’effort en recettes de 2, 7 milliards d’euros programmé en 2014 repose en grande partie sur les mesures nouvelles entrant dans le périmètre de la réforme, à savoir les hausses de cotisations de retraite et la suppression de l’exonération d’impôt sur le revenu des majorations de pensions, dont l’effet est évalué à 3, 4 milliards d’euros.

Il en va de même de l’effort en dépenses. Sur les 15 milliards d’euros d’économies prévus en 2014, 800 millions d’euros résulteront du report du 1er avril au 1er octobre de la date de revalorisation des pensions.

Avec une réduction des déficits de 4, 1 milliards d’euros dès 2014 et de l’ordre de 7 milliards d’euros en 2017, la réforme apportera une contribution significative au respect de la trajectoire des finances publiques sur la période de programmation 2012-2017.

La présente réforme participe également à la réalisation de l’objectif de moyen terme de solde structurel, en contribuant à ce que l’équilibre structurel soit atteint en 2017. Au-delà de la fin de la période de programmation, après 2017, la réforme contribuera encore de manière significative au rééquilibrage des comptes publics. L’effet des mesures de redressement devrait atteindre un peu plus de 8 milliards d’euros à l’horizon 2020, tandis que le gain net de la réforme atteindrait un peu moins de 20 milliards d’euros en 2040.

Dès lors, la réforme, en combinant des mesures à différents horizons temporels, représente un pas important vers une plus grande soutenabilité des finances publiques à long terme. Là où la réforme de 2010 limitait son horizon aux huit années suivantes, celle-ci se projette dans les vingt ans à venir et même à l’horizon 2040. Au total, les volets dépenses et recettes de la réforme des retraites des régimes de base conduisent à améliorer la soutenabilité de 0, 5 point de PIB de manière actualisée. Elle est donc équivalente à une amélioration du solde structurel et pérenne de 0, 5 point de PIB.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission des finances a émis un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La parole est à Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système des retraites a pour objectif, entre autres, de limiter les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, objectif qui a justifié la saisine de notre délégation par la commission des affaires sociales, ce dont nous la remercions. La délégation aux droits des femmes a adopté mardi 22 octobre le rapport que je vous présente aujourd’hui. Il est assorti de onze recommandations.

Nous le savons tous, le niveau des retraites en France se caractérise par des véritables inégalités dans le service des pensions entre les hommes et les femmes ; ce projet vise à les corriger. Nous nous en félicitons, d’autant qu’une telle préoccupation a rarement été prise en compte dans les projets de réforme des retraites examinés au cours des dernières années.

Le rapport de la délégation commente les inégalités en détail, avec un chiffre éloquent : le montant des retraites des femmes représente, en moyenne, 58 % de celles des hommes, si l’on ne considère que les droits propres. En moyenne, une femme retraitée reçoit donc un peu plus de la moitié de ce que perçoit un homme.

Ce n’est qu’en tenant compte des droits familiaux que le montant moyen des retraites des femmes parvient à représenter 72 % de celui des retraites des hommes. Si l’on intègre les droits familiaux, il reste encore une différence de 28 % entre retraites des femmes et retraites des hommes. Cette différence révèle l’insuffisance des droits propres des femmes. C’est là le fil conducteur de notre rapport.

Autre aspect des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, les femmes liquident leurs droits plus tard que les hommes, avec une différence de quinze mois en moyenne.

D’une manière générale, les réformes mises en œuvre depuis vingt ans, en allongeant la durée des cotisations, ont désavantagé les femmes et amplifié les inégalités. Les injustices appliquées à des situations injustes finissent toujours par accroître les injustices. C’est particulièrement vrai pour le calcul de la retraite de base établi sur les vingt-cinq meilleures années, par définition défavorable aux carrières courtes, voire « hachées » que connaissent de nombreuses femmes. Ainsi, pour toutes les mesures ayant visé à allonger la durée de cotisation ou choisi d’autres critères pour le calcul des pensions, rendant plus difficile l’accès à la retraite pour tous, le phénomène a été amplifié pour les femmes.

Toutefois, ce qui est injuste, ce n’est pas le système de retraite ; c’est tout ce qui se passe avant l’accès des femmes à la retraite.

Si les carrières des femmes sont courtes, c’est parce que ce sont le plus souvent elles qui interrompent leur activité pour participer à l’éducation des enfants. Le même problème se pose d’ailleurs quelques années plus tard pour accompagner des parents âgés. Ainsi, les femmes, après avoir eu une partie de leur vie consacrée à s’occuper des jeunes enfants, puis des adolescents, connaissent une petite pause jusqu’à ce que les parents soient eux-mêmes dépendants. À ce moment, ce sont elles qui reprennent le rôle d’entretien des improductifs que l’on identifie depuis l’histoire de l’humanité, ce qui a toujours pesé sur les femmes.

C’est au trois quarts sur les femmes que reposent l’entretien et l’aide aux parents âgés. En rédigeant ce rapport, j’ai même découvert un petit indicateur que je vous livre : il y a davantage de femmes mariées – je parle de femmes mariées non veuves – dans des établissements pour personnes âgées dépendantes que d’hommes mariés. Les femmes mariées gardent leur époux dépendant à la maison, tandis que les époux placent leur femme dépendante en maison pour personnes âgées. §

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La vie des femmes est une longue addition d’inégalités.

Tout se joue avant soixante ans. Si les carrières des femmes sont courtes, c’est parce que ce sont plus souvent elles qui interrompent leur activité. On pourrait penser que l’accroissement régulier du taux d’activité des femmes devrait permettre aux retraites de femmes de rejoindre celles des hommes de manière spontanée, au fil du temps.

Cependant, et le Conseil d’orientation des retraites l’a fait observer devant la délégation, le maintien d’interruptions de carrière liées à la famille, et principalement aux enfants, va maintenir très longtemps encore un différentiel de 20 % entre retraites des hommes et retraites des femmes. Cela pose la limite de nos perspectives de développement des droits propres des femmes.

Ces interruptions d’activité sont parfois contraintes par l’insuffisance de solutions d’accueil pour jeunes enfants et par leur coût. À cet égard, je souligne, comme le fait la délégation aux droits des femmes à chaque fois qu’elle en a l’occasion, le déficit chronique de places de crèche en France. Un enfant sur deux, soit 800 000 enfants, n’a pas de place dans une structure collective d’accueil. La moitié des enfants sont donc gardés par leur parent, c’est-à-dire, en général, par leur mère. Vous avez là l’explication pour les pensions de retraite amoindries par rapport à celles des hommes que nous retrouverons quelque trente-cinq ans plus tard.

Le travail à temps partiel concerne également de très nombreuses femmes, soit qu’elles le subissent – c’est souvent la seule offre d’emploi qui leur a été proposée – soit qu’elles y ont recours pour mieux concilier travail et contraintes de la vie quotidienne. Or qui dit « travail à temps partiel » dit aussi « salaire partiel », puis « retraite partielle ».

Parmi l’ensemble des facteurs qui vont conduire à une inégalité importante dans les pensions entre les hommes et les femmes, il y a, certes, des carrières « hachées » mais aussi l’immobilisme de l’évolution du partage des tâches domestiques au sein du couple. Aujourd’hui, ce sont toujours les femmes qui assument à 80 % les tâches domestiques, hormis le jardinage et le bricolage, qui relèvent rarement du quotidien… Elles se trouvent donc en permanence à devoir choisir ou combiner les contraintes de la vie quotidienne et le travail.

Si les retraites des femmes sont encore très inférieures à celles des hommes, ce n’est pas qu’une question de durée de la carrière ; c’est aussi une question de niveau de salaire.

Or, comme le rapport le développe, les salaires des femmes restent inférieurs à ceux des hommes. Même en faisant abstraction des facteurs d’inégalité salariale, comme le temps de travail ou les différences de qualification, c’est-à-dire à compétence égale, niveau d’activité égal, poste égal, il reste toujours une différence de 9 % entre les salaires des femmes et les salaires des hommes. Cette situation « inexpliquée » tient à une sorte de préjugé à l’encontre des femmes.

Le constat de ces inégalités au travail nous renvoie à la question de la dévalorisation trop fréquente des activités professionnelles des femmes et à la nécessité d’une révision des grilles de classification professionnelle.

Je mentionnerai à présent un autre aspect des inégalités entre hommes et femmes au travail, même si cela ne se traduit pas par des différences immédiates sur le niveau des retraites. Je fais référence à la prise en compte de la pénibilité, dont les critères correspondent généralement au travail des hommes. Les facteurs définis dans le code du travail devraient être révisés dans un sens prenant en compte la pénibilité au féminin.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

J’y reviendrai quand j’exposerai les recommandations de la délégation.

Voilà pour le contexte dans lequel intervient le projet de loi. Mme la ministre et les deux rapporteurs qui m’ont précédée à la tribune en ont détaillé les dispositions ; je n’y reviendrai pas. Je concentrerai mon propos sur les onze recommandations adoptées par la délégation le 22 octobre dernier.

La première recommandation vise à réaffirmer la priorité qui doit s’attacher aux droits propres des femmes et à souligner l’importance des lois sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes pour permettre à celles-ci de se constituer des droits propres. Dans cette logique, la délégation a réaffirmé son souhait que des négociations entre partenaires sociaux permettent une refonte des grilles de qualification professionnelle qui ne soit pas discriminante au regard de l’égalité entre hommes et femmes.

La deuxième recommandation vise à assimiler à un facteur de pénibilité les conditions de travail impliquant pour les salariées et les salariés un emploi fractionné avec des amplitudes quotidiennes disproportionnées par rapport au temps effectivement travaillé. À ce stade, il s’agit non pas d’ajouter au code du travail un nouveau facteur de pénibilité, mais de réputer ces conditions de travail assimilées à un facteur de pénibilité. C’est l’objet de l’un des amendements que j’ai déposés avec des collègues de la délégation pour tirer les conséquences de cette recommandation.

La troisième recommandation demande l’établissement de statistiques de pénibilité effectuées sur la base d’une différenciation entre hommes et femmes – pardonnez-moi, chers collègues de l’UMP, mais je crains qu’il ne s’agisse de « genderiser » la pénibilité ! –, ainsi qu’un bilan de l’évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes. L’un des amendements que nous déposons concerne cette question. En effet, les dix facteurs de pénibilité définis par le code du travail ne sont pas tous adaptés à la spécificité des emplois féminins.

On objecte généralement le fait que les critères de pénibilité résultent de négociations syndicales.

Pour que ces négociations reflètent la réalité, une autre recommandation vise précisément à assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des délégations syndicales appelées à participer à des négociations en matière de pénibilité. C’est l’objet d’un amendement déposé pour tirer les conséquences des recommandations.

La délégation demande aussi que les salariés souhaitant bénéficier d’un temps partiel soient informés des conséquences de ce choix sur leur future retraite, même s’ils ne se préoccupent pas nécessairement de leur retraite en raison de leur jeune âge. Il faut attirer leur attention sur les conséquences de leur choix, par un vecteur d’information qui reste à discuter. Ce pourrait être le relevé de situation individuelle, une mention sur le contrat de travail ou encore une mention sur les offres de travail à temps partiel. En tout cas, il serait bon que le travail à temps partiel soit assorti d’un petit warning : « Attention, le travail à temps partiel nuit gravement à votre retraite. »

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

On peut tout à fait passer l’aspirateur à ce moment. Il n’est pas nécessaire d’imposer aux femmes de ménage des horaires totalement décalés et difficilement compatibles avec une vie de famille, d’autant que, bien souvent, les femmes de ménage n’habitent pas à côté de leur lieu de travail ; elles doivent donc se déplacer pour venir nettoyer nos bureaux juste avant le début du service des transports en commun.

La délégation a renouvelé son souhait de décourager le recours excessif au temps partiel par une majoration des cotisations patronales.

Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, la délégation demande qu’une étude soit menée pour évaluer les conséquences d’un passage à des modes de calcul des droits à retraite tenant compte des carrières courtes, soit que l’on se réfère non pas aux 25 meilleures années, mais aux 100 meilleurs trimestres – ce n’est pas exactement pareil ! –, soit que l’on « proratise » les meilleures années en fonction de la durée effective de la carrière. C’est la proposition qui a été formulée par nos collègues de l’Assemblée nationale.

En ce qui concerne l’avenir des droits familiaux, la délégation a souhaité donner quelques indications aux futurs auteurs du rapport prévu par l’article 13 du projet de loi. Nous rappelons que les réformes à venir doivent absolument éviter d’encourager l’interruption ou le ralentissement de la vie professionnelle des femmes et proscrire tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Pour le dire simplement, c’est très bien de compenser dans les pensions de retraite les interruptions de carrière et les périodes de temps partiel des femmes, mais il ne faudrait pas que la solidarité interne au régime général, inter-régimes ou même nationale vienne compenser ce qui relève essentiellement d’une solidarité conjugale. Je parle du fait qu’une femme – quand autant d’hommes que de femmes seront concernés, je parlerai de « l’un des membres du couple » – réduise son activité professionnelle pour que son conjoint puisse mener sa carrière sans être entravé par le poids du quotidien. Compenser, oui ; encourager, non !

La délégation a estimé, sans toutefois trancher sur ce point, qu’il était envisageable de transformer la majoration de 10 % pour trois enfants et plus en une prestation forfaitaire, versée dès le premier enfant.

La délégation demande que les droits familiaux soient centrés sur la maternité, pour qu’ils puissent remplir l’objectif originel de compensation des conséquences de la maternité sur la retraite des femmes.

Enfin, pour la délégation, la redéfinition des droits familiaux qui résultera de la prochaine réforme devra trouver un équilibre entre le versement de prestations et la possibilité de partir à la retraite plus tôt. Il faut en effet donner aux individus le choix entre davantage de prestations et davantage de temps de vie.

Tel est, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le point de vue de la délégation aux droits des femmes sur le projet de loi qui nous rassemble aujourd'hui. Certaines des recommandations que j’ai exposées se traduiront par des amendements ; nous pourrons ainsi en discuter plus précisément au cours du débat.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste . – Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Jean Desessard applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réformes des retraites se suivent et, hélas ! se ressemblent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Celle-ci s’inscrit dans la droite ligne des précédentes, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

… que vous aviez tant décriées, madame la ministre.

Il s’agit d’une énième réforme paramétrique, et non de la réforme systémique que mon groupe appelle de ses vœux depuis 2003. Notre réforme consisterait à mettre en place un régime unique par points ou en comptes notionnels.

En ne jouant que sur les paramètres de l’existant, la présente réforme ne fait que conserver et prolonger l’acquis. Au titre de la conservation, elle ne remet en cause ni l’âge d’ouverture des droits ni celui du taux plein, hérités de la réforme Woerth de 2010. La remise en cause de ces âges était pourtant, me semble-t-il, au programme du candidat Hollande. Au titre de la prolongation, la réforme accroît encore la durée de cotisation, augmente les taux et désindexe partiellement, comme l’ont fait les réformes précédentes.

C’est la raison pour laquelle l’intitulé « projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » est particulièrement trompeur, voire relève de l’imposture. Cette réforme n’est certainement pas de nature à garantir l’avenir du système de retraites, tant son ampleur financière est sous-dimensionnée par rapport aux besoins en jeu. Elle ne peut pas non plus garantir la justice du système, puisqu’elle ne s’attaque en rien à sa complexité, à son opacité, nées de la multiplicité des régimes, et, par conséquent, aux iniquités structurelles qui en découlent.

Je reviendrai sur ces deux points. Sur le plan strictement financier, il est évident que le compte n’y est pas. Le COR, estime que le déficit de tous les régimes est compris entre 20, 9 et 21, 3 milliards d’euros. Or la réforme ne devrait rapporter que 7, 6 milliards d’euros d’ici à 2020, résorbant essentiellement le déficit du régime général et des régimes de base associés.

Je ferai une remarque incidente : on nous explique que la réforme devrait également résorber le déficit du FSV, mais alors, il faut nous préciser par quelle mécanique, puisque les ressources du FSV proviennent pour l’essentiel d’une fraction de la contribution sociale généralisée, la CSG.

La réforme n’affectera que faiblement les déficits des régimes de base de l’État et équilibrés par lui, c’est-à-dire les principaux régimes spéciaux, et des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO. La réforme ne couvrirait donc qu’un tiers du déficit prévisionnel.

Et encore : est-ce garanti ? Ce n’est pas certain, si l’on se réfère aux hypothèses macroéconomiques particulièrement optimistes sur lesquelles se fonde la réforme : d’une part, un taux de chômage diminuant jusqu’à 7, 6 % en 2020, puis 4, 5 % en 2033, alors qu’il n’est jamais passé sous la barre des 9 % depuis vingt ans ; d’autre part, une croissance de 1, 6 % par an en moyenne de 2011 à 2020, alors que son taux sera pratiquement nul entre 2011 et 2014. Cela revient à espérer une croissance de 2, 5 % à partir de 2014. Autant rêver !

Bref, les paramètres de la réforme sont bien peu crédibles. Elle n’est donc pas à la hauteur de l’enjeu. Son ampleur financière est des plus limitées. À titre de comparaison, elle ne représente que le quart du produit de la réforme de 2010 ; vous voyez que je rends justice à cette dernière, monsieur Longuet. Il faudra évidemment une nouvelle réforme avant 2020 : exit la garantie de pérennité.

S’agit-il pour autant d’une réforme juste ? Pas davantage. Ce ne sont pas les quelques mesures de justice qu’elle comporte, dont la plus emblématique concerne la pénibilité, qui en font une réforme juste.

Je reviendrai sur la pénibilité, qui est au cœur du sujet. Bien entendu, nous ne pouvons que soutenir les mesures en faveur des assurés à la carrière heurtée, des jeunes actifs et des femmes ; il vient d’en être question. Je pense en particulier à l’élargissement du dispositif « carrières longues » et à la possibilité de valider toutes sortes de périodes supplémentaires : deux trimestres de chômage, les périodes d’apprentissage, les périodes de formation des demandeurs d’emploi ou encore l’ensemble des trimestres de maternité.

Il en va de même des mesures favorables aux non-salariés agricoles – octroi de points complémentaires, garantie d’une pension minimale de 75 % du SMIC – ou celles qui bénéficient aux assurés handicapés et à leurs aidants.

Cependant, si ces mesures comptent pour leurs bénéficiaires, elles ne représentent pas l’essentiel à l’échelle du système. Elles ne peuvent pas rendre la réforme équitable, dans la mesure où, d'une part, son économie générale ne l’est pas, et où, d'autre part, elles ne s’attaquent pas aux fondements mêmes des iniquités du système.

Je détaillerai ces deux points. Non, dans son économie générale, la présente réforme n’est pas équitable !

Premièrement, elle ne met pas à contribution tous les régimes de la même manière.

Deuxièmement, elle aboutit sans le dire à une baisse nette et substantielle des pensions. Le Gouvernement affirme, et c’est un point important, qu’elle est financée également par les entreprises, les salariés et les retraités : chaque catégorie en financerait un tiers. Il y a là tromperie. En réalité, la réforme met surtout à contribution les salariés, et plus encore les retraités.

Pour apprécier le partage réel des efforts, il convient de coupler les effets de la réforme avec les mesures prises au mois de mars 2013 par les régimes complémentaires. Elles sont censées combler la moitié du déficit prévisionnel de ces régimes à l’horizon 2020.

Les entreprises ne contribueront que marginalement. En effet, pour éviter que la réforme ne pèse sur le coût du travail – c’est une bonne chose, car c’est bon pour l’emploi –, le Gouvernement a annoncé que l’augmentation de la cotisation patronale serait compensée par une fiscalisation partielle du financement de la branche famille. Il devrait en aller de même de la cotisation collective pénibilité. Nous attendons toutefois des éclaircissements, madame la ministre.

Cette neutralisation économique de la réforme est une bonne chose, car elle protège les emplois – elle en créera même peut-être – et contribue à l’équilibre financier général des retraites. Cela signifie que les entreprises ne financeront que l’augmentation de la cotisation employeur du régime complémentaire, pour un coût d’un milliard d’euros.

Les salariés contribueront à la réforme pour une part substantielle, à travers l’augmentation de 0, 3 point de la cotisation salariale de base et de 0, 1 point de la cotisation complémentaire. Cela représente un coût de presque 3 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 0, 4 %.

Pour l’essentiel, les mesures pèseront sur les retraités : fiscalisation de la majoration de pension pour les parents de trois enfants et plus, désindexation partielle des pensions du fait du décalage d’avril à octobre de leur revalorisation sur l’inflation et désindexation totale des pensions complémentaires, soit un coût total de 6 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 2 %.

Dès lors, d’ici à 2020, les entreprises contribueront à hauteur de 10 % des efforts, les salariés à hauteur de 30 % et les retraités à hauteur de 60 %. Le Gouvernement ne le dit pas ; pis, serais-je tenté d’ajouter, il le cache !

Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, la tendance devrait encore s’accentuer après 2020 : pour l’essentiel, l’augmentation de la durée de cotisation à 43 ans devrait se traduire par une baisse des pensions versées. En tenant compte également de leur désindexation, les retraites du privé pourraient baisser de 15 % à 25 % entre 2020 et 2040. Excusez du peu !

La variable d’ajustement est donc bien le niveau relatif des retraites. Parce qu’on doit un minimum de sincérité à nos concitoyens, nous demanderons la suppression des dispositions de report de la revalorisation des pensions.

Troisièmement, la réforme pénalise les familles et les jeunes. Après la menace de la mise sous condition de ressources des allocations, la double baisse du quotient familial et la réduction du congé parental, la fiscalisation de la majoration de pension pour enfants constitue une nouvelle atteinte à la politique familiale. Cette mesure profitera-t-elle pour autant aux retraités ? Il faudrait nous expliquer comment ce serait possible, puisque les majorations de pension sont financées par les caisses d’allocations familiales, les CAF, tandis que le produit de leur fiscalisation sera perçu par le fisc. De plus, en allongeant encore la durée de cotisation après 2020, la réforme pose un sérieux problème d’équité intergénérationnelle.

Le problème est inversé en matière de pénibilité.

Quatrièmement, dernière raison pour laquelle la réforme n’est pas équitable, même sa mesure d’équité la plus emblématique, qui concerne la pénibilité, n’est pas équitable ; seuls les salariés du privé en bénéficieront. Et encore : uniquement ceux qui se seront constitué des droits à partir de 2015.

La réforme n’est donc pas équitable dans son économie générale. C’est d’ailleurs bien pour cette raison que vous n’arrivez même pas à l’imposer à votre propre majorité, madame la ministre.

Rappelons-le, alors que vous bénéficiez à l’Assemblée nationale d’une confortable majorité, le texte n’y a été adopté qu’à une courte majorité, uniquement par les voix socialistes. Et encore : pas toutes ! Ensuite, il a tout bonnement été rejeté par la commission des affaires sociales du Sénat.

Une telle réforme ne peut pas rendre le système plus équitable. Elle demeure paramétrique, c’est-à-dire qu’elle ne remet pas en cause une architecture générale par nature source d’iniquités. Oui, notre système de retraites est fondamentalement inéquitable !

Aujourd’hui, deux assurés peuvent avoir deux carrières parfaitement comparables et se retrouver avec des droits à la retraite allant du simple au double, tout cela parce que les pensions sont fixées en fonction non pas de la carrière, mais du statut.

L’éclatement du système en une myriade de régimes aux règles différentes ne se justifie plus et crée des injustices qui ne peuvent plus être acceptées.

Seule la réforme systémique que nous appelons de nos vœux depuis plus de dix ans est susceptible d’y remédier. L’objectif final serait de mettre en place, comme cela a d’ailleurs déjà été fait dans plusieurs pays européens comme la Suède, l’Italie ou la Pologne, d’ici à 2030 au plus tard, un régime unique, universel, en points ou en comptes notionnels.

Quelles en seraient les modalités précises ? C’est évidemment à la Nation d’en décider. Mais le septième rapport du COR, daté du 27 janvier 2010, en a déjà détaillé les options et les modalités techniques. L’amendement que nous avons déposé vise à établir un calendrier pour la mise en œuvre de cette réforme : nous souhaitons que, sur la base du rapport du COR, le Gouvernement organise une conférence sociale et un débat national sur cette réforme systémique au premier semestre 2015, pour une mise en œuvre au premier semestre 2017.

En réalité, nous avions déjà fait inscrire le principe d’un tel débat sur ce thème dans la réforme de 2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Il devait se dérouler au premier semestre 2013. Non seulement il n’a pas eu lieu, mais lorsque je vous ai interrogée sur ce point voilà quelque temps, madame la ministre, vous avez osé me répondre que ce débat national, c’était le rapport Moreau !

Trêve de mauvaise foi : un débat national avec douze fonctionnaires, tous issus de la haute fonction publique, c’est une vraie plaisanterie !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Le débat doit avoir lieu. Et pour ne pas perdre plus de temps, la réforme doit aussi être programmée dans la foulée, parce que c’est la seule manière de garantir la pérennité financière, l’équité et la transparence du système par répartition.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Elle est d’ailleurs plébiscitée par nos concitoyens : selon un sondage Louis Harris du mois de septembre dernier, 73 % des Français se déclarent « tout à fait favorables » ou « plutôt favorables » à la convergence des régimes public, privé et spéciaux vers un régime unique. C’est même leur seul point de consensus.

Une telle réforme suppose que quatre facteurs soient réunis : un rapprochement du public et du privé, l’extinction des régimes spéciaux, la mise en place en contrepartie d’un système universel de prise en compte de la pénibilité et l’instauration d’une retraite minimale de solidarité revalorisée. Nos amendements s’articuleront autour de ces quatre axes.

Tout d’abord, un premier pas a été fait sur le rapprochement entre public et privé ; Jean-Pierre Caffet l’a rappelé tout à l’heure. Restent quelques différences notables, difficilement justifiables.

La première d’entre elles est le salaire de référence pris en compte. Le rapport Moreau proposait d’ailleurs de l’élargir dans la fonction publique, quitte à intégrer une part des primes dans le calcul. La proposition mérite d’être sérieusement étudiée. Par ailleurs, il n’est pas normal qu’il n’existe pas de caisse des agents d’État. De plus, les différences de règles en matière de pensions de réversion et d’avantages famille n’ont pas de raison d’être. Il convient de les aplanir, souvent d’ailleurs au profit des agents du public. Enfin, à partir du moment où l’on met en place un système de prise en compte de la pénibilité, les catégories dites d’active n’ont plus de raison d’être.

Ensuite, il est bien évident qu’ils n’ont également plus de raison d’être à partir du moment où la prise en charge de la pénibilité est modernisée et universalisée. En effet, ne l’oublions pas, les régimes spéciaux constituent les réponses d’hier à la pénibilité. Ces réponses sont aujourd’hui obsolètes avec le nouveau régime que nous vous proposons. Si l’extinction de ces régimes est progressive, en sifflet, elle pourrait dans un premier temps s’accompagner d’une accélération du calendrier d’augmentation des durées de cotisation.

Surtout, l’axe majeur d’une telle réforme est la mise en place d’un système universel de prise en compte de la pénibilité. Celui qui nous est proposé dans le présent projet de loi va dans le bon sens. Il constitue bien sûr un progrès par rapport au dispositif mis en place par la réforme de 2010, qui avait tendance à confondre un peu trop pénibilité et invalidité. D’ailleurs, notre groupe avait cherché à l’amender.

Cependant, la réforme proposée est problématique à plus d’un titre. Tout d’abord, et je ne reviendrai pas dessus, elle est peu équitable car elle ne concerne que le privé. Ensuite, comme l’ont souligné toutes les personnes auditionnées, elle est d’une complexité telle que l’on voit mal comment les petites entreprises pourront la mettre en œuvre. Cette complexité se retrouve à tous les stades du dispositif, à commencer par celui de la constitution ou de la reconstitution des périodes d’exposition au risque. Dans ces conditions, comment évaluer le montant de la cotisation ? C’est tout simplement l’applicabilité du dispositif qui est sujette à caution, particulièrement dans certains secteurs comme celui du bâtiment.

Un autre facteur de complexité, auquel il est plus facile de remédier, vient du fait qu’elle confond prévention de la pénibilité et prise en charge de la pénibilité à effet différé. Or cela nous semble à la fois une utopie et une erreur fondamentale.

C’est une utopie, parce qu’un tourneur fraiseur, par exemple, qui a fait ce métier toute sa vie, a beaucoup de mal à se reconvertir pour faire autre chose. Dans les TPE et les PME, vous m’expliquerez comment c’est envisageable.

C’est aussi une erreur conceptuelle, parce que la problématique de la prévention de la pénibilité est liée aux conditions de travail et à la formation professionnelle, mais ne concerne pas les retraites.

En revanche, la prise en charge de la pénibilité à effet différé est bien un problème de retraites, puisque c’est lié à l’espérance de vie. C’est la raison pour laquelle nous vous proposerons un amendement visant à recentrer le dispositif sur cette dernière question.

Enfin, le dernier axe est celui de la solidarité. On présente souvent les systèmes par points ou en comptes notionnels comme moins solidaires et redistributifs, car leur variable d’ajustement serait inévitablement le niveau des pensions. Rien n’est plus faux ! Il est des systèmes par annuité très peu redistributifs, comme aux États-Unis, et des systèmes en comptes notionnels très solidaires, comme en Suède.

Autrement dit, un régime unique par points n’écarte pas par nature la solidarité, bien au contraire. D’ailleurs, même le Gouvernement le prouve en attribuant dans cette réforme des points gratuits aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du régime des exploitants agricoles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Selon nous, la mise en œuvre d’une telle réforme devrait être précédée d’une revalorisation substantielle de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui a remplacé le minimum vieillesse. Nous déposerons donc un amendement visant à étudier, dans un rapport, les conditions de revalorisation de cette allocation pour qu’elle soit portée le plus vite possible à 75 % du SMIC.

Madame la ministre, notre position sur ce texte dépendra bien sûr du sort qui sera réservé à ces amendements et, surtout, de l’écoute dont vous aurez fait preuve sur la réforme systémique. Peut-être ne serez-vous pas la ministre qui portera ce projet, mais, nous en sommes convaincus, si ce n’est vous, ce sera l’un de vos successeurs. L’idée fait en effet son chemin, certes trop lentement à notre goût, mais le constat est là !

Madame la rapporteur, dans le rapport que vous aviez cosigné avec notre ancien collègue Dominique Leclerc pour le compte de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, en 2010, vous vous y déclariez favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

J’étais juste favorable à l’examen de l’hypothèse !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

À la page 132 de ce rapport, vous proposiez la mise en place à terme d’un régime de base par points qui devait « revêtir le caractère le plus universel possible ». On ne peut pas être plus clair ! Je regrette que vous ayez changé d’avis !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Du côté des partenaires sociaux, l’idée fait aussi son chemin. Le MEDEF y est favorable, tout comme la CFTC et la CFDT, même si, en ce moment, cette dernière voudrait le faire oublier. Il en est de même du côté de la CFE-CGC. Et nous ne pouvons que saluer nos collègues de l’UMP, qui ont à leur tour repris cette proposition.

Ce sont autant d’éléments qui confortent notre conviction : la réforme systémique aura bien lieu ! Espérons simplement qu’elle n’aura pas lieu trop tard ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourquoi « peut-être » ?

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, rappelez-vous : « Nous, socialistes, proposons une réforme globale, reposant à la fois sur des efforts partagés, une contribution de tous les revenus, y compris ceux du capital, une prise en compte de la pénibilité, l’amélioration de l’emploi des seniors et le maintien de l’âge légal à 60 ans ». Ces mots, mes chers collègues, vous l’aurez compris, ne sont pas les miens ; ce sont bien ceux de Pierre Mauroy en 2010.

Bien que n’étant pas parlementaire à cette époque, je garde le souvenir ému de cet homme, dressé devant vous face à la droite, rappelant combien la retraite à 60 ans a été un « immense espoir de toutes les revendications ouvrières », et combien cette loi phare « restera dans l’histoire de la France. »

Cette profession de foi sur la portée historique, émancipatrice du passage à la retraite à 60 ans, je la partage entièrement. Je regrette que le premier gouvernement de gauche après plus d’une décennie de gouvernements de droite assume lui aussi politiquement ce renoncement à une des conquêtes emblématiques du monde du travail. Je ne peux me résoudre à voir des ministres de gauche, des sénatrices et des sénateurs de la majorité gouvernementale, assumer un tel recul de société en s’appuyant sur le même postulat économique et philosophique que celui que défendait hier la droite et que nous combattions ici même ensemble.

Ainsi, votre réforme serait juste du fait de l’allongement de l’espérance de vie, que l’on sait pourtant précaire en ces temps de crise, surtout s’agissant de l’espérance de vie en bonne santé !

Ainsi, beaucoup d’entre vous s’apprêtent à faire travailler les jeunes jusqu’à 66 ans ou 67 ans, voire plus pour ceux qui réussiront des études longues.

Où est la justice à vouloir imposer à des salariés, déjà usés par le travail, qui subissent la dégradation continue de leurs conditions de travail, des mesures d’allongement de la durée de cotisation ?

Où est la justice à vouloir imposer de nouvelles décotes à des salariés âgés de 52 ans ou 53 ans ou plus, évincés de l’entreprise et parfois licenciés parce que trop vieux, trop chers ? Cela revient uniquement, vous le savez, à les contraindre à accepter des pensions fortement diminuées.

Quel avenir préparez-vous aux salariés à temps partiel, essentiellement des femmes, dont la carrière incomplète se traduira par une réduction des pensions ? Ils sont précaires au travail, et vous les contraindrez à être aussi des retraités précaires.

Pourtant, en 2012, le candidat François Hollande affirmait au Bourget vouloir combattre l’ennemi invisible de la finance.

À peine plus d’un an après son élection, le président François Hollande et sa majorité se disputent avec la majorité d’hier pour savoir laquelle, de la réforme Woerth ou de la réforme Touraine, réduit le plus vite la dépense sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

Vous l’aurez compris, notre opposition à ce projet de loi est aussi fondée sur un constat : l’austérité n’est pas la solution ; c’est le problème ! La réduction à tout prix de la dépense publique et sociale que vous assumez, dans la lignée des gouvernements précédents, ne fait qu’aggraver la crise. En entraînant des destructions massives d’emplois, elle provoque une chute drastique des cotisations sociales perçues, ce qui conduit aux déficits de la branche maladie et de la branche vieillesse, entraînant au final de nouvelles mesures récessives. Tout cela nous précipite dans un cercle vicieux, aux antipodes des aspirations des Français qui ont porté François Hollande au pouvoir.

Il faut dire que, en la matière, le Président de la République a donné le ton : sitôt élu, il a renoncé à renégocier le pacte de stabilité européen, qu’il condamnait la veille. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que M. Barroso ne se gêne pas aujourd’hui pour rappeler à la France l’exigence de mesures d’austérité significatives, notamment en matière de retraites.

Je le sais, madame la ministre, nous divergeons sur ce point, puisque vous considérez que cette réforme ne s’inscrit pas dans une politique d’austérité. Les retraités jugeront d’eux-mêmes. Ils subiront une perte de leur pouvoir d’achat avec l’article 4, qui reporte de six mois la date à laquelle leurs pensions seront réévaluées : 850 millions d’euros en 2014 et 2, 4 milliards d’euros en 2015 seront ainsi ponctionnés sur les pensions de retraite, le plus souvent déjà trop maigres.

Par ailleurs, selon vous, l’allongement de l’espérance de vie justifierait un allongement de la durée de cotisation. Mais cette raison n’est, pour nous, qu’un leurre ! Ce n’est pas essentiellement parce que les Français vivent plus longtemps que les comptes sociaux sont dans le rouge ! C’est parce que les politiques successives menées depuis plusieurs décennies contre l’emploi et les salaires, au nom de la liberté d’entreprendre puis de la compétitivité, ont privé la sécurité sociale des financements dont elle a structurellement besoin ! Le déficit de la sécurité sociale est, d’abord, un déficit artificiel et fabriqué.

Et, là encore, malheureusement, votre politique ne rompt pas avec celle qui a été conduite précédemment par la droite. Rappelons-le, chaque année, près de 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, dont une partie n’est pas compensée, sont accordés aux employeurs.

Ce mécanisme, introduit par M. Fillon, est particulièrement pernicieux, car il encourage les patrons à sous-payer leurs salariés. En effet, plus les salaires sont proches du SMIC, plus les réductions de cotisations sont importantes. Ainsi, si l’on ajoute exonérations et exemptions d’assiettes, tous les ans, ce sont plus de 100 milliards d’euros qui échappent au financement de notre système de protection sociale, dont une bonne partie au financement des retraites.

Au contraire, nous proposons – car nous faisons des propositions sur lesquelles je reviendrai – de mettre en place un système intelligent de cotisations sociales qui favorise les entreprises qui agissent pour l’emploi, la formation, les salaires, et qui pénalise les autres.

Il faut rappeler fortement que, contrairement à une idée trop souvent véhiculée aujourd’hui, notre pays n’a jamais été aussi riche. Depuis trente ans, le PIB, a été multiplié par deux. Et grâce à quoi ? Aux gains de productivité, aux sacrifices et à la précarisation du travail subis par les salariés !

En revanche, la répartition des richesses entre capital et travail n’a cessé d’évoluer, toujours au détriment de la rémunération des salariés et, donc, mécaniquement, du financement de notre système de protection sociale. Ainsi, nous le disons souvent, la part de richesses qui a bénéficié au capital sous la forme de versement de dividendes a augmenté par rapport à celle qui a profité aux salaires : 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros, ont été dédiés à la finance. Vous persistez pourtant à épargner ces revenus et à faire porter la totalité des sacrifices sur les salariés actifs et sur les retraités.

C’est donc dans la droite ligne de cette politique que s’inscrit l’engagement, que nous déplorons, pris par le Gouvernement devant les patrons réunis en université d’été de compenser la hausse des cotisations patronales pour la branche vieillesse par une réduction de cotisations sociales pour la branche famille. Ainsi, votre réforme n’est ni juste ni équilibrée !

Pourtant, une autre réforme des retraites est possible, une réforme qui ne pénalise ni les salariés, ni les retraités, ni, surtout, notre jeunesse. François Hollande affirmait vouloir faire des jeunes sa priorité et demandait à être jugé sur les mesures qu’il prendrait à leur égard.

À ce stade, ce que nous retenons du présent projet de loi, c’est que son adoption aura pour effet de retarder leur entrée dans la vie active, de repousser l’âge auquel ils signeront leur premier contrat à durée indéterminée, de prolonger une précarité qu’ils subissent déjà trop injustement, et de les pénaliser au moment de la retraite, au risque de rompre le contrat de solidarité entre les générations.

Certes, madame la ministre, vous n’introduisez aucune mesure remettant directement en cause le principe de retraite par répartition auquel nous sommes attachés. Pourtant, vous confiez à un comité de suivi le soin de formuler des recommandations, notamment sur la proposition qui consiste à faire varier le montant des pensions en jouant sur le taux de remplacement. Naturellement, le Gouvernement ne sera pas obligé de mettre en œuvre ces simples recommandations.

Toutefois, l’inscription de ce principe dans la loi ne peut que nous conduire à nous interroger. Car certains à gauche, y compris ici même, au Sénat, soutiennent l’idée d’un basculement du régime actuel dans lequel le calcul des pensions s’effectue sur la base des droits individuels cumulés par les salariés, vers un régime dans lequel un gestionnaire pourra ajuster le niveau des pensions en fonction d’un montant prédéfini, jugé « économiquement » souhaitable.

De la même manière, vous rendez possible le déblocage anticipé du Fonds de réserve pour les retraites, ce qui traduit, vous l’avouerez, le peu de confiance en votre réforme pour sortir durablement les comptes sociaux de la situation de crise qu’ils connaissent !

Durant le débat, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’auront de cesse de porter une autre ambition collective, celle de redonner à la jeune génération confiance en notre système par répartition, tout en refusant le recul de société qui se prépare pour les classes populaires.

Cela nécessite des mesures d’urgence, à commencer par la taxation des revenus financiers des entreprises qui, à ce jour, ne participent pas au financement de notre protection sociale. Les actionnaires, les rentiers, les spéculateurs ont accaparé des milliards d’euros initialement destinés aux travailleurs.

Cette dérive du financement de notre économie contribue à faire pression sur les salaires et entraîne des destructions massives d’emplois. Soumettre ces revenus à cotisations sociales constituerait non seulement une mesure de justice, qui rapporterait entre 20 et 30 milliards d’euros pour la seule branche vieillesse, mais aussi le levier économique le plus efficace en vue de mettre fin à l’hémorragie d’emplois et, donc, de cotisations sociales.

Cela étant, le financement de notre système de sécurité sociale appelle également des mesures à plus long terme. Pour assurer un financement pérenne des retraites et d’un haut niveau, il faut assurer une augmentation significative de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons de moduler le taux des cotisations patronales de telle sorte que la Nation incite les entreprises à préférer la rémunération du travail à celle du capital.

Nous proposons également de mettre fin aux exonérations générales de cotisations sociales et de réduire les aides publiques à destination des entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Madame la ministre, le 7 septembre 2010, lors de la présentation d’une motion de rejet préalable du projet de loi Woerth-Sarkozy portant réforme des retraites, vous affirmiez, dès le début de votre intervention : « Vous faites des mesures démographiques le socle unique de votre projet ; nous pensons qu’une réforme durable passe aussi par la recherche de nouvelles ressources et la relance de l’emploi. »

C’est parce que nous partageons toujours vos propos de 2010 que nous ne pouvons que refuser le projet de réforme que vous défendez ce jour. En effet, non seulement celui-ci valide les reculs successifs de la droite, mais de surcroît il les aggrave en imposant, notamment, une énième augmentation de la durée de cotisation. Ce faisant, vous jetez encore plus aux oubliettes cette formidable conquête sociale qu’est la retraite à 60 ans à laquelle, pour leur part, les parlementaires communistes restent attachés.

Certes, vous me répondrez que, pour la première fois, un projet de loi portant sur les retraites traite de la question de la pénibilité sous un angle autre que celui de l’invalidité, prévoit des droits nouveaux pour les stagiaires, contient quelques avancées du point de vue des années d’études, de la prise en compte de la précarité extrême, de la maternité.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Watrin

J’en conviens, mais on ne peut pas en rester aux dispositions contenues dans votre texte, parce qu’elles sont trop limitées et insuffisantes.

C’est pourquoi le groupe CRC ne ménagera pas ses efforts et proposera des améliorations significatives sur ces différents points, même si, nous le savons, toutes les mesures de progrès que nous vous soumettrons sont de nature sinon à changer les grandes lignes de votre projet, au moins à les atténuer.

C’est une tout autre ambition autour de laquelle la gauche a besoin de se rassembler, comme le collectif La retraite : une affaire de jeunes nous y invite.

En conclusion, c’est une faute politique d’imposer à la jeunesse de si sombres perspectives, alors que la richesse financière de notre pays n’a jamais été aussi grande !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC . – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également, de même que Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà, avec ce projet de loi, dans un nouvel épisode du « feuilleton retraites ».

Depuis la réforme Balladur de 1993, qui a porté de 37, 5 à 40 le nombre d’annuités requis pour obtenir une retraite à taux plein, plusieurs textes se sont en effet succédé en 2003, 2007 et 2011. Force est d’admettre que chacune de ces réformes s’est révélée partielle et incomplète. La dernière n’aura pas suffi à garantir la pérennité financière de l’ensemble des régimes de retraite, puisque l’on évalue le déficit de ces derniers à plus de 20 milliards d’euros à l’horizon 2020, dont 8, 7 milliards d’euros pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux.

Il est clair que la crise économique persistante que nous connaissons modifie considérablement les prévisions d’alors. Peut-être aussi n’a-t-on que trop écouté Michel Rocard qui, en présentant le Livre blanc sur les retraites en 1991, prédisait qu’une grande réforme en ce domaine serait de nature à faire sauter plusieurs gouvernements…

Les gouvernements de gauche se sont donc tout bonnement abstenus d’agir et les gouvernements de droite, malgré un courage certain et une bonne volonté, se sont contentés de corrections de trajectoire au lieu d’engager une réforme d’ampleur, qui aurait clos le sujet une bonne fois pour toutes. Je le dis sans ambages, car, en 2003 comme en 2010, j’avais alerté sur l’insuffisance des mesures.

Aujourd’hui, c’est la gauche que l’on trouve à la manœuvre sur cette question. Jusqu’à présent, elle en parlait souvent, critiquait les réformes proposées sans remettre en cause, d’ailleurs, les dispositifs adoptés lorsqu’elle en avait l’occasion. En effet, malgré vos critiques véhémentes, chers collègues de la majorité, vous n’avez pas révisé la réforme Balladur et, quoi que vous en disiez, vous ne revenez pas, au grand dam de l’orateur qui m’a précédé, à la retraite à 60 ans, contrairement à l’engagement du candidat Hollande.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Mais peut-être est-ce heureux…

Le nouvel épisode du feuilleton que vous nous proposez n’échappe pas aux canons du genre. Pis, il semble avoir été guidé par un impératif, celui d’éviter les cortèges de mécontents, qui a conduit à reporter notamment sur les retraités, qui ne défilent jamais, le poids d’une grande partie du déficit !

Vous avez choisi d’allonger la durée d’assurance de 41, 5 à 43 annuités. À mon sens, cette mesure est la moins lisible, pour ne pas dire invisible, pour les assurés ; mais sans doute est-ce volontaire ! Cette manière de faire est surtout utopique et peu honnête à l’égard des jeunes générations !

Car un salarié qui aura commencé à travailler à 23 ans ne pourra prendre sa retraite qu’à 66 ans pour percevoir une pension à taux plein, alors que vous claironnez que l’âge légal de départ à la retraite demeure 62 ans. Vous prenez le risque que des Français ne cessent leur activité à cet âge tout en subissant une décote et, donc, une baisse significative du montant de leur pension.

Finalement, en refusant de toucher à cet âge légal, vous favorisez les plus aisés, ceux qui auront pu capitaliser ailleurs et pourront, contrairement aux plus modestes de nos concitoyens, supporter cette décote. Je ne pense pas que ce soit le vrai sens de la justice !

Personnellement, et je l’ai toujours indiqué, j’estime qu’il faut avoir le courage de reporter l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, tout en prévoyant, évidemment, des dérogations raisonnées applicables à ceux qui ont commencé à travailler tôt. Certains de nos voisins l’ont fait, sans que les syndicats ou la population y voient une remise en cause d’un droit légitime de chacun : ils ont bien compris qu’il s’agit d’être réaliste et cohérent eu égard à l’écart croissant entre la durée de la vie et celle de l’activité professionnelle.

Le vrai progrès social consisterait non pas à permettre un départ rapide à la retraite, mais plutôt à rendre la période de travail moins pesante, voire plus gratifiante, en particulier en fin de carrière. C’est pourquoi nous devons améliorer les conditions de travail, l’accompagnement des carrières et la formation tout au long de la vie.

Vous allez me rétorquer que vous répondez à cette exigence avec le compte personnel de prévention de la pénibilité. L’exercice de certains métiers pénibles peut avoir des effets à long terme, irréversibles sur la santé et entraîner de grandes différences en matière d’espérance de vie.

Bien évidemment, il faut traiter ces inégalités et, lorsqu’elles sont avérées, compenser cette usure par le travail.

Mais vous nous demandez, une fois de plus, d’adhérer à un dispositif sans nous décrire précisément son mode de fonctionnement et, surtout, sans nous fournir de véritable étude d’impact. À cet égard, les petites entreprises sont légitimement inquiètes des charges administratives et financières induites par votre dispositif, surtout dans le contexte économique actuel.

Par ailleurs, comme l’a souligné à juste titre le Conseil d’orientation des retraites dans son rapport du mois de janvier dernier, « il ne revient pas au système de retraite de régler la totalité des questions liées à la pénibilité au travail par un système de compensation systématique et l’approche à privilégier est celle de la prévention et du traitement de ces situations de pénibilité au moment où elles se produisent », et ce à titre individuel selon moi.

À chaque réforme, on a tendance à faire peser sur le système de retraite les dysfonctionnements ou les inégalités qui relèvent le plus souvent des entreprises ou du marché du travail. Ainsi, vous prévoyez des compensations pour les seniors, les femmes, les jeunes actifs, les assurés ayant eu une carrière heurtée, les non-salariés agricoles, les assurés handicapés et leurs aidants... Ces mesures répondent à des situations réelles, j’en conviens, mais celles-ci devraient être réglées partiellement en amont.

S’agissant des femmes, le problème, qui a été largement évoqué, est dû au fait qu’il persiste un insupportable différentiel entre elles et les hommes en termes de rémunération, et qu’elles occupent des emplois à temps partiel souvent non choisi.

De la même manière, la France se distingue par son faible taux d’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans. Or ce sont les conditions de travail, économiques, sociales, sociologiques, qu’il faut réformer !

Vous prétendez corriger un certain nombre d’inégalités. Mais qu’en est-il de la convergence entre les différents régimes, régime privé, régime public, régimes spéciaux ? Les Français doivent avoir le sentiment que les mêmes règles s’appliquent à tous. Sinon, la confiance dans le système est minée.

Malgré les réformes des dernières années, des disparités majeures subsistent – je l’admets –, qui alimentent régulièrement la chronique, avec vérités ou fantasmes. Nous devons aborder cette question dans un esprit de responsabilité. Disant cela, je m’adresse aussi bien à ceux qui cherchent à opposer les uns aux autres qu’à ceux qui s’accrochent à un « contrat » initial souvent dépassé.

Vous l’avez dit, madame la ministre, les efforts devront être partagés par tous. Une réforme qui épargnerait certaines catégories de salariés ne serait pas comprise. Le rapport Moreau proposait, notamment, de rapprocher les règles de calcul des pensions de la fonction publique de celles du secteur privé. Qu’en avez-vous fait ?

Je pourrais parler aussi du nouveau mauvais coup porté aux retraités, après la ponction de l’an dernier, ou encore de l’augmentation du taux des cotisations des actifs et des employeurs : cette mesure me paraît moins pertinente que la hausse de la CSG, qui permettrait de combler le déficit de ce régime plus facilement. J’y reviendrai lors de l’examen des articles.

Pour conclure, vous l’aurez compris, je ne suis pas convaincu que votre réforme suffise à ouvrir des perspectives durables. Son impact net est évalué à 8, 1 milliards en 2020. On est bien loin du compte !

Les gouvernements ont choisi jusque-là de « feuilletonner », avec une succession d’ajustements paramétriques. Or ce qui est gênant dans les mauvais feuilletons, c'est qu'il faut d’ores et déjà appréhender l’épisode suivant... Le temps est peut-être venu d’un dénouement avec une véritable réforme qui remette à plat l’architecture de notre système de retraite, en recherchant cohérence et lisibilité pour les assurés.

C’est aujourd’hui, malheureusement, encore une occasion manquée. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps, en 2010, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Vous nous promettiez une loi qui devait résoudre les problèmes pour longtemps.

Nous avions prédit, pour notre part, qu’il faudrait remettre l’ouvrage sur le métier assez rapidement. C’est chose faite !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Nous avions donc dit, à l’époque, que la réforme n’allait pas résoudre tous les problèmes.

Le débat avait alors duré trois semaines, samedis et dimanches compris. J’avais même appris l’existence, grâce au sénateur Fischer, de la convention collective des ouvriers chapeliers, et de bien d’autres professions. §Nous avions bénéficié d’une bonne formation sur les conditions de travail dans le monde ouvrier et sur l’état des droits à la retraite dans nombre de métiers...

La différence, cette fois, c’est que la réforme est proposée par un gouvernement de gauche, qui comprend des ministres écologistes. Cela se voit tout de suite !

J’en veux pour preuve l’affirmation, à l’article 1er, de notre attachement au système de retraite par répartition.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

On croit généralement que le système de retraite par répartition est redistributif. Or ce n’est pas le cas, dans la mesure où les montants des pensions sont fixés en fonction des cotisations versées, un dispositif qui reproduit ainsi la hiérarchie des salaires : celui qui a beaucoup gagné et cotisé gagne encore beaucoup à la retraite.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

À l’échelon individuel, le système n’est donc pas redistributif. Au niveau collectif, en revanche, il existe des correctifs : l’État compense les petites retraites et aide ceux qui, sans son intervention, ne toucheraient pas de pension. Surtout, le Parlement fixe la part du PIB consacrée aux retraites qui, en 2012, s’élevait à 14, 4 %.

Plusieurs facteurs nous conduisent à nous interroger, aujourd’hui, s’agissant de la réforme des retraites.

L’augmentation de l’espérance de vie est le principal argument avancé.

Certes, l’espérance de vie après 60 ans est passée de dix-sept à vingt-cinq ans entre 1950 et 2012. Cette augmentation devrait néanmoins peu à peu s’amoindrir, eu égard aux limites biologiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Selon nous, écologistes, il n’est pas certain, compte tenu du mode de vie actuel, de la mauvaise alimentation et de l’ensemble des pollutions que nous subissons et qui favorisent l’augmentation des cancers, que cette espérance de vie continue à augmenter. Au contraire, on peut s’attendre, dans les années qui viennent, à une inversion de tendance. Nous en reparlerons...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Quel oiseau de mauvais augure ! C’est la fin du monde...

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

M. Jean Desessard. Bien sûr, les écologistes sont des pessimistes ! Mais je n’ai pas parlé de fin du monde, monsieur Caffet : j’ai dit qu’il fallait faire attention.

M. Roger Karoutchi s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Les prédictions de l’INSEE et duConseil d’orientation des retraites prévoient ainsi un allongement d’un an seulement par décennie dès aujourd’hui.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Ce n’est déjà pas mal !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Les calculs des écologistes sont encore plus pessimistes.

L’impact financier est également limité. Selon une étude de la CNAV, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, l’effort financier sur les retraites du régime général s’élèvera en 2017 à 17, 1 milliards d’euros, sur lesquels – les chiffres deviennent alors intéressants ! – 11, 8 milliards d’euros sont liés au papy-boom et 3, 4 milliards d’euros aux retraites anticipées ; seul 1, 9 milliard d’euros pourra être imputé aux gains d’espérance de vie, soit un peu plus de 10 %.

Le facteur déterminant pour les retraites, ce n’est donc pas l’espérance de vie, mais le papy-boom !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Non, c’est une question de démographie ! L’espérance de vie, cela signifie que chacun d’entre nous vit plus longtemps. Quant au papy-boom, il désigne le nombre important de personnes qui partent à la retraite.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

800 000 personnes font valoir leur droit à la retraite chaque année, contre seulement 500 000 en 2001.

Ce problème avait été anticipé de longue date par le gouvernement de Lionel Jospin

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

... qui, s’inspirant de mesures similaires instaurées en Suède, en Espagne ou au Japon, avait mis en place un organisme dédié à cet effet : le Fonds de réserve pour les retraites, le FRR, destiné à accumuler des fonds jusqu’en 2020 pour faire face au déséquilibre démographique.

Mais ce fonds n’a pas été correctement doté. En 2010 – vous savez qui était alors au pouvoir ! –, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

... le montant des actifs s’élevait à 33 milliards d’euros, soit seulement 10 % de l’objectif initial à l’horizon 2020, fixé à 300 milliards d’euros.

De plus, le précédent gouvernement a fait le choix de ponctionner ces réserves pour alimenter la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, bouleversant ainsi le calendrier prévu de près de dix ans.

On l’avait pourtant prédit, mais on n’en a pas tenu compte !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Quel est l’impact réel du papy-boom ?

Selon un rapport du COR, si la part des personnes âgées de plus de 60 ans dans la population totale passe de 23 % en 2010 à 31 % en 2035, ce pourcentage devrait sensiblement rester le même jusqu’en 2060. Autant dire qu’une fois passée une période difficile, on y verra clair plus tard ... §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Ensuite, l’augmentation de la productivité nous permet de tempérer ce constat négatif.

Entre 1960 et 2000, la productivité horaire a été multipliée par trois. Cette tendance se poursuivra à l’avenir avec les nouvelles technologies, comme la robotique pour le secteur secondaire.

Enfin, soyons positifs : la retraite ne peut plus être considérée comme une période d’inactivité. Les seniors consomment...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

... et participent donc à l’économie. Si l’on réduit le montant de leur pension, c’est autant d’argent en moins qui circulera.

Certes, l’argent des seniors qui passent six mois à l’île Maurice, au Portugal ou au Maroc ne profite guère à la vie économique de l’Hexagone.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Peut-être faudrait-il, d’ailleurs, se pencher sur cette question...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Retirez-leur leur passeport !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Exception faite de ces cas, les seniors, je le répète, consomment, travaillent, aident, participent à l’économie. Souvent, aussi, ils exercent des activités bénévoles, importantes et même nécessaires, qui contribuent à la citoyenneté.

Ce qui pèse le plus aujourd’hui sur le déficit de notre système de retraite par répartition, vous le savez, mes chers collègues, ce sont le chômage

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

... et une croissance quasiment inexistante.

Je ne reprendrai pas les termes de l’excellent plaidoyer du groupe CRC. Augmentation de 10 points de la rémunération du capital, 30 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales : corriger toutes ces mesures permettrait de financer les retraites sans que l’on ait besoin d’aller chercher l’argent ailleurs, en particulier en diminuant le montant des petites pensions.

Cela étant, notre système de retraite par répartition recèle plusieurs dysfonctionnements et inégalités qu’il nous faut combattre dès aujourd’hui.

Notre collègue Laurence Rossignol l’a très bien expliqué, les femmes sont victimes, du point de vue des droits à la retraite, d’une véritable discrimination. En effet, la retraite moyenne qu’elles perçoivent s’élève à 72 % de celle qui est touchée par les hommes.

Si l’on se penche sur les retraites complémentaires, les chiffres sont encore plus alarmants : pour le régime ARRCO, la pension moyenne des femmes représente 58 % de celle des hommes, et pour le régime AGIRC, seulement 40 %. Nous devons lutter contre cette discrimination.

De plus, notre mode de calcul des retraites laisse peu de place à une réelle prise en compte de la précarité. Sont en effet validés autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 200 heures rémunérées au SMIC. Cette disposition ne permet pas aux assurés exerçant une activité à temps très partiel, à faible durée de travail ou à faible revenu de valider quatre trimestres dans l’année. Or nous savons que la précarité augmente.

Enfin, le système de retraites français est d’une complexité rare : il existe plus de 600 régimes de base et 6 000 régimes complémentaires. L’évolution du marché de l’emploi et la fin des carrières uniques nous incitent à réfléchir à des mesures de convergence entre les régimes, pour que la diversité et la richesse des parcours ne soient plus un obstacle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Comment expliquer aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils vont devoir travailler jusqu’à 67 ans s’ils ont fait des études, alors que leurs aînés pourront se retirer du marché du travail à 62 ans ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Caffet

C'est déjà le cas pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Les jeunes âgés de moins de 25 ans connaissent actuellement un taux de chômage de 24 % tandis que celui des seniors s’établit à plus de 7 % et que les personnes âgées de plus de 50 ans représentent environ 30 % du total des chômeurs de longue durée. Si des emplois existent, pourquoi ne pas les proposer à ceux qui sont aujourd’hui au chômage, c'est-à-dire les jeunes et les seniors ?

Les écologistes estiment que le travail doit faire l’objet d’un réel partage. Nous ne pouvons construire un modèle durable pour notre système de retraites en continuant à nous accrocher à l’illusion d’une croissance forte et infinie. Nous devons amorcer la transition de notre économie, pour ne pas épuiser la totalité de nos ressources en cherchant à produire toujours plus. Nos gains de productivité nous permettent d’envisager non seulement le « vivre mieux », mais aussi le « travailler mieux ». Ces objectifs devraient être partagés par tous, car ils constituent la véritable urgence. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposerons la suppression l'article 2.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Quant à l’article 4, il comporte l’une des mesures de financement qui devrait rapporter près de 1 milliard d’euros jusqu’en 2020. Malheureusement, l’effort demandé sera également supporté par les personnes les plus fragiles financièrement.

En effet, il est prévu de reporter la revalorisation des pensions de retraite, hors minimum vieillesse, du 1er avril au 1er octobre de chaque année. Les personnes qui relèvent de l’allocation de solidarité aux personnes âgées sont exclues de ce dispositif, ce dont nous nous réjouissons. Néanmoins, nous ne considérons pas qu’une personne retraitée qui touche un peu plus de 787, 26 euros par mois puisse être considérée comme suffisamment aisée pour supporter un décalage de six mois en matière de revalorisation de sa pension de retraite.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Par conséquent, nous proposerons la suppression de cet article.

Malheureusement, il me reste peu de temps pour parler des points positifs du projet de loi que nous examinons

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

En conclusion, et vous l’avez indiqué, madame la ministre, les réalités de l’après-guerre ne sont plus celles d’aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Nous partageons ce diagnostic : l’après-guerre était une période de reconstruction et de développement des techniques et visait le plein-emploi. Aujourd’hui, tout en connaissant des secteurs ou des périodes de surproduction, nous sommes à la limite de la récession, en situation de chômage massif et de montée de la précarité. De ce fait, le système de retraite par répartition doit être repensé.

Le présent projet de loi constitue une réponse urgente, qui applique la vieille recette de l’allongement des années de cotisation. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une solution pérenne. Face à un chômage massif, la solidarité passe d’abord par un emploi pour tous, et non par plus de travail pour certains et la relégation dans la précarité pour les autres.

Lors de l’examen de ce texte, nous n’échapperons pas au débat sur le projet de société que nous souhaitons. §

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un bonheur d'entendre notre collègue Jean Desessard, car il a la vertu de ceux qui, découvrant un monde, s’aperçoivent de choses très simples, en l’espèce, de ce que le roi est nu.

En effet, il ressort de l’examen de la réforme qui nous est proposée que, pour le Gouvernement, une seule évidence s'impose de l'analyse de la crise des régimes de retraite : le problème de la « bosse démographique » entre 2020 et 2035 lequel pourrait être résolu par la mobilisation de fonds grâce à l'allongement de la durée de cotisation.

Mais cet allongement pèsera sur les personnes âgées aujourd'hui de moins de 40 ans, qui subiront la double peine : cotiser pour elles-mêmes et payer les dettes des générations précédentes, qui n’auront pas eu le courage de tirer les leçons d'une analyse, hélas, monsieur Desessard, beaucoup plus grave et beaucoup plus sérieuse que votre truculente présentation, dans laquelle vous omettez des réalités importantes.

Tout d'abord, je voudrais rappeler une évidence. Le problème des retraites est national. Il doit être partagé par les majorités qui ont vocation – c'est la loi de la démocratie – à se succéder.

Chers collègues de la majorité, en ramenant l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans en 1982, vous aviez créé une situation nouvelle sans la financer. Nous avons fait notre part du travail : nous avons pris nos responsabilités avec les réformes de 1993, 2003, 2008, 2010 et même 2011. À aucun moment, madame le ministre, nous n’avons pu bénéficier d'un regard bienveillant, attentif, voire – pourquoi pas rêver ? – d'un soutien de l'opposition d’alors, comme cela a pu être le cas dans d'autres pays qui se sont attaqués au même problème. Or, lorsque l’on a vocation à gouverner le pays, l’on doit s'efforcer d’avoir une vision à long terme, allant bien au-delà que la prochaine élection !

Si nous n’avions pas mené à bien ces réformes, le COR évalue la charge de la dérive des retraites à 3 points de PIB pour 2020, et à 6, 5 points pour 2030. Excusez-moi du peu !

De surcroît, notre pays, avec 14, 4 % du PIB consacrés aux régimes de retraite, se situe déjà au troisième rang européen. Si nous n’avions pas réalisé ces réformes structurelles et paramétriques, il serait au premier rang.

Monsieur Desessard, c'est parce que les charges sociales sont lourdes et renchérissent le coût du travail que l'emploi est rare. Elles privent nos compatriotes de l'espérance de trouver un emploi.

J’en viens maintenant, madame le ministre, aux raisons pour lesquelles nous ne soutiendrons pas votre projet de loi.

Tout d’abord, il refuse l'analyse de fond, la prise en considération des éléments de long terme. Ainsi, vous ne tirez pas les conséquences de l'allongement de l'espérance de vie. Passer de trois cotisants pour un retraité à un cotisant et demi pour un retraité sur le très long terme implique simplement de changer de système : l'équilibre des Trente Glorieuses ne sera en effet plus jamais retrouvé.

Cette première observation mérite d'être complétée par une seconde qui renvoie dans les coulisses la peu convaincante théorie de la bosse. La vie active a elle-même changé. On le constate, madame la rapporteur, à la lecture de certains éléments de votre rapport.

Non seulement l'espérance de vie s'allonge, mais encore l'accès à la vie professionnelle se fait plus tard, les carrières sont moins linéaires et beaucoup plus aléatoires en raison de la concurrence liée à la globalisation et du progrès technologique.

En outre, les réserves de productivité, qui ont permis notamment aux régimes complémentaires d'être largement excédentaires pendant des décennies, ne sont plus disponibles.

De plus, élément nouveau dont personne ne parle, les carrières des salariés français seront de plus en plus internationales, ce qui implique la jonction de systèmes de retraites profondément différents. Nous vivons cette situation en Lorraine, où 70 000 travailleurs sont salariés au Luxembourg, en Allemagne, voire en Belgique, pays dont les régimes de retraite sont différents du nôtre. Or vous méconnaissez cette mutation.

Par ailleurs, que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en plaigne, il faut le constater : la vie familiale a, elle aussi, complètement changé. Cette évolution se traduit par une démographie qui ne suffit plus à assurer le renouvellement de notre population. Cessons de dire que le taux de natalité est un atout pour la France !

Le système du CNR, auquel vous faites référence, est merveilleux, mais il ne fonctionne que dans un pays aux frontières fermées, ayant la maîtrise de sa monnaie et dont la démographie est largement positive. Ces trois vérités ont disparu. Il serait temps pour vous que vous ouvriez les yeux !

Nous sommes tous attachés au système français de retraite par répartition, parce qu’il s'inscrit dans une volonté de solidarité, qui est le ciment d'une république. De surcroît, par définition, tout régime de retraite est financé par les actifs. En fait, toute la question est celle des modalités.

En revanche, nous ne pouvons que regretter la complexité de notre système – il ne peut en être autrement –, complexité parfois renforcée par les travailleurs eux-mêmes, salariés ou travailleurs indépendants, qui s'efforcent de construire des systèmes plus personnels en raison de leurs inquiétudes sur la viabilité des régimes de retraite.

Tout l'investissement des petits propriétaires bailleurs, par exemple, présente en réalité certains caractères d'un régime de retraite par capitalisation. En ayant recours aux mécanismes organisés par les différentes lois visant le financement des logements, ces propriétaires se constituent par précaution une forme de retraite complémentaire par capitalisation, qui n’est pas orientée vers l'actionnariat des entreprises et donc le développement économique.

Mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur un point. L'ambition redistributive du régime par répartition n’est plus en mesure d'être assurée si les curseurs de la durée de vie professionnelle ne sont pas fortement poussés dans le sens d'un allongement.

Le système français de retraite est profondément redistributif. Il est bon qu’il en soit ainsi, parce que les carrières peuvent être confrontées à des accidents de conjoncture ou bien à des choix familiaux. Ce système permet, par exemple, d'aider ceux qui ont été frappés par le chômage ou qui ont élevé des enfants. Ce soutien est peut-être insuffisant, madame Rossignol, mais il est plus important que celui que connaissent la plupart des autres systèmes européens.

Pour que ce système redistributif fonctionne, encore doit-il disposer des moyens nécessaires et cesser de se substituer aux éventuelles défaillances du marché du travail. Nous aborderons cette question lors du débat sur la prise en compte de la pénibilité. Certaines dépenses doivent être assurées par les employeurs, au terme d’un dialogue entre syndicats patronaux et syndicats de salariés, et ne doivent pas être supportées par les régimes de retraite qui n’en ont, hélas, pas la capacité.

En résumé, notre régime de retraite, qui était parfaitement légitime à l’époque des Trente Glorieuses, ne l'est plus à ce jour.

Enfin – je rejoins sur ce point mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe –, alors qu’il a l'ambition d'être universel, il est en réalité parfaitement rigide et méconnaît les droits acquis au fur et à mesure de la diversité des carrières et des efforts de chacun.

Les régimes de retraite complémentaire sont des régimes de retraite par points, tout comme l’IRCANTEC. Ce sont également des régimes par répartition, mais ils sont autocorrecteurs : lorsqu’ils dérivent vers un déséquilibre, ils se corrigent d'eux-mêmes, en jouant sur la valeur du point, pour revenir à une situation d'équilibre d'ensemble. Ils sont modernes.

Vous récusez par principe toute réflexion systémique, et vous condamnez par voie de conséquence notre système issu des Trente Glorieuses à exploser du fait de son incapacité à gérer des problèmes de structures lourds, longs et durables. Vous apparaissez comme les tenants de l'égoïsme d'une génération : encore une minute, monsieur le bourreau, nos concitoyens âgés de moins de 40 ans paieront pour nos propres erreurs et nous nous contenterons d'augmenter les cotisations !

À cet égard, je comprends l'exaspération des alliés de la majorité du groupe CRC, car l'essentiel de l'effort demandé en termes de cotisations, renchérissant le coût du travail ou diminuant le pouvoir d'achat, est d'abord supporté par les retraités eux-mêmes, en particulier par ceux qui ont eu des enfants, alors qu’ils sont particulièrement méritants. Vous pénalisez les familles ayant eu trois enfants et plus, qui ont pourtant permis l'équilibre du régime par répartition. Les retraités en général sont bel et bien les premiers contributeurs de votre réforme. En outre, vous rendez certains d’entre eux imposables, alors qu’ils ne l'étaient pas auparavant. N’oublions pas non plus les salariés !

Quant aux entreprises, madame la ministre, il serait agréable que vous dissipiez, devant la Haute Assemblée, une ambiguïté, qui fait sourire tous les spécialistes de l'économie française depuis l'université d'été du MEDEF. Vous nous dites, avec un aplomb merveilleux, que la hausse de cotisations de 0, 3 % sera partagée entre employeurs et salariés, alors que dans le même temps le Gouvernement indique que les employeurs seront indemnisés de ce surplus de cotisations. Seulement par qui seront-ils indemnisés ? Par des impôts prélevés sur la consommation ou sur les revenus, de sorte que la charge sera supportée en totalité par les retraités et par les actifs !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Que les entreprises soient exonérées, on m’objectera qu’un libéral aurait toutes les raisons de s’en féliciter. Aussi vais-je peut-être vous surprendre : je préférerais une discussion de fond avec les industriels et les chefs d’entreprise de toutes les branches sur une réforme systémique en mesure de réussir…

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

… à une exonération à la petite semaine dans le cadre d’un système qui n’a aucune chance de survie.

Pendant les longs jours et les longues nuits que notre débat va durer, …

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

… nous aurons l’occasion d’aborder les problèmes de fond, notamment à la faveur de l’examen des amendements du groupe UMP qui reposent sur deux principes.

Le premier de ces principes est qu’une réforme systémique est absolument indispensable.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

C’est la raison pour laquelle nous voterons les amendements visant à instaurer un régime par points fondé sur des comptes notionnels : présentée par le groupe UDI-UC, cette proposition appartient à notre culture.

Lorsque le Président de la République a écrit à la Commission européenne pour lui transmettre le rapport économique destiné à la rassurer sur les intentions budgétaires et financières françaises, il a fait valoir, avec une malice de chef-lieu de canton

Murmures sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Ce n’est pas digne !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

… que, certes, l’âge de départ à la retraite ne serait pas modifié, contrairement à ce que la Commission européenne nous demande – au demeurant, on se demande bien pourquoi –, mais que l’allongement à 43 ans de la durée de cotisation, combiné à un âge moyen d’entrée dans la vie active de 23 ans, conduirait de fait à un report à 66 ans de l’âge de départ à la retraite à taux plein.

Pour notre part, nous préférons décider dès maintenant, courageusement, de fixer l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Tel est le second principe qui inspire nos amendements et qui est destiné à rendre aux Français le contrôle de leur système de retraites.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Les moyens nouveaux liés à cette mesure permettraient de lutter contre un certain nombre d’injustices.

Par ailleurs, la convergence du régime général, de celui de la fonction publique et des régimes spéciaux que nous proposons dégagerait des marges suffisantes pour maintenir le système, comme nous l’avons fait lors des quatre réformes précédentes, mais aussi pour améliorer significativement la solidarité, dans le cadre d’un équilibre d’ensemble assuré par l’appel au travail des Français !

Applaudissements sur les travées de l'UMP . – Mme Muguette Dini applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, que l’annonce de cette réforme ait d’abord suscité des interrogations, on peut le comprendre, s’agissant d’un sujet aussi sensible pour tous nos concitoyens ; mais un examen approfondi nous persuade de la pertinence et de la solidité du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.

Pour ma part, j’aborde cette discussion avec une conviction que je souhaite vous faire partager.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

En tant que socialistes, nous pouvons être fiers de vous, madame la ministre, et du gouvernement que vous représentez. Je tiens à saluer le courage, la détermination et l’esprit d’ouverture avec lesquels vous avez préparé cette réforme structurante indispensable. Vous avez réussi un exercice difficile, d’autant plus périlleux qu’il fallait faire face au poids du passé et des avantages considérés comme acquis.

Il fallait aussi tenir compte de la diversité qui caractérise notre système de retraites. À cet égard, mes chers collègues, je vous rappelle qu’il existe trente-cinq régimes de base et complémentaires, dont le plus important compte plus de 8, 5 millions d’actifs affiliés et le plus petit seulement une centaine. La plupart reposent sur le principe de la répartition, mais d’autres sont fondés sur un système de points ou, parfois, de capitalisation. Sans compter que les taux de cotisation et les méthodes de liquidation diffèrent d’un régime à l’autre.

Reconnaissons-le : nos concitoyens se perdent souvent dans ce labyrinthe !

Je tiens à remercier également nos collègues Christiane Demontès, rapporteur, Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ils ont mené à bien l’analyse du projet de loi avec force intelligence et objectivité, préparant des rapports étayés dans des délais relativement courts.

Mes chers collègues, le présent projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites porte un titre parfaitement approprié à son objet.

Il faut se souvenir que, en 2010, un projet de loi censé résoudre le problème du financement des retraites, dont les auteurs promettaient même un redressement total, avait provoqué une colère généralisée et le déferlement de 3 millions de personnes dans la rue. N’oublions pas non plus que, si nous ne réagissons pas, le déficit structurel devrait atteindre 20 milliards d’euros en 2020 : il y a donc urgence à agir !

C’est pourquoi le Gouvernement a décidé d’engager une réforme de fond, avec une triple ambition : proposer une réforme responsable, qui tienne compte de la réalité incontournable que constitue l’allongement de l’espérance de vie, une réforme équilibrée, qui partage équitablement les efforts, et une réforme juste, qui accorde enfin à certaines catégories de travailleurs les droits qui leur ont été refusés lors des précédentes réformes.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le Gouvernement a respecté l’engagement de François Hollande en apportant, dès le début de la législature, un premier correctif au système de retraites ; je veux parler du rétablissement de la retraite à 60 ans pour les salariés ayant cotisé toutes leurs annuités.

Ce projet de loi consacre trois objectifs : garantir dans la durée notre système de retraite par des mesures justement réparties, donner un souffle de justice au système créé voilà soixante-dix ans et rendre celui-ci plus simple et accessible à tous.

Indiscutablement, ces trois objectifs font de cette réforme une réforme de gauche : nous pouvons l’affirmer et je vais m’employer à vous le démontrer.

L’article 1er du projet de loi réaffirme le choix de la retraite par répartition, qui constitue un pacte de solidarité entre les générations et suppose une confiance partagée. Il est tout à l’honneur du Président de la République, du Premier ministre et de la ministre des affaires sociales et de la santé, tous trois socialistes, d’assurer la pérennité de ce système en relevant le défi de l’allongement de la durée de la vie.

De fait, l’espérance de vie devrait continuer de progresser d’une année tous les dix ans jusqu’en 2060 : aujourd’hui de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes, l’espérance de vie à 60 ans devrait atteindre un peu plus de 25 ans pour les hommes et 30 ans pour les femmes en 2040.

Par ailleurs, le phénomène bien connu des retraités du baby-boom est un facteur supplémentaire de déséquilibre du système.

L’heureuse augmentation de l’espérance de vie nous autorise, pour ne pas dire nous invite, à allonger la durée de cotisation pour rétablir l’équilibre financier dans la délicate période 2020-2040.

Dans un esprit de responsabilité et de transparence, le Gouvernement propose de remodeler le dispositif de pilotage du système de retraites, qui s’articule selon des étapes précises.

Le comité de suivi des retraites s’assurera, sur le fondement des travaux du Conseil d’orientation des retraites, du respect des objectifs financiers et sociaux du système de retraites ; il proposera des mesures correctrices si des écarts par rapport aux objectifs sont constatés, ce qui est un gage de sécurité.

Si le titre Ier du projet de loi a pour fil rouge l’équilibre financier, dont je reparlerai dans quelques instants, son titre II a pour fil rouge la justice. La pénibilité des métiers, les inégalités entre les hommes et les femmes, les carrières fractionnées, la situation des jeunes et le handicap sont autant de facteurs d’injustice : le projet de loi vise à corriger ces injustices, qui ont affaibli la solidarité du système par répartition.

Je n’entrerai pas dans le détail des différents dispositifs ; ils seront présentés lors de l’examen des articles.

J’insisterai seulement sur l’article 6, qui prévoit la création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité. Il s’agit d’une avancée sociale majeure, intégralement financée par les employeurs, ce qui du reste est logique, car la pénibilité est avant tout une conséquence de l’emploi. Ce système harmonise la prévention et la réparation, sur le fondement des dix critères de pénibilité définis par les partenaires sociaux en 2008.

Grâce à cette mesure, plus de 3 millions de salariés pourront cumuler jusqu’à 100 points de pénibilité ouvrant droit à des trimestres cotisés permettant d’avancer un départ à la retraite jusqu’à deux ans, à une formation professionnelle en vue d’une évolution vers des métiers moins pénibles ou à une conservation de la rémunération en cas de passage à temps partiel. Ceux qui cumulent un métier parmi les plus durs et une espérance de vie parmi les plus faibles sont enfin soutenus ! De plus, un service en ligne permettra aux assurés de consulter l’état actualisé de leur compte pénibilité.

L’article 6 nous place au cœur de la lutte sociale pour défendre les conditions de travail de nombreux ouvriers, faire valoir la prévention et dialoguer avec les syndicats. Assurément de gauche, cette réforme ! Qui pourrait soutenir le contraire ?

Mieux encore : le Gouvernement enfonce le clou de la justice en proposant de meilleures retraites pour les femmes. De fait, leurs parcours professionnels rythmés par la place prise par la famille dans leur quotidien ou par les temps partiels subis en font les grandes perdantes du système actuel. C’est notamment à leur intention que le projet de loi prévoit une meilleure prise en compte des temps partiels. Remarquez, mes chers collègues, que 82 % des femmes pourront valider plus facilement leurs quatre trimestres annuels. N’est-ce pas là une mesure de gauche ?

Pour ce qui concerne la protection des publics fragiles, il faut aussi souligner que, à compter du 1er janvier 2014, seront réputés cotisés tous les trimestres acquis au titre de la maternité, quatre trimestres acquis au titre du chômage, au lieu de deux actuellement, et deux trimestres acquis au titre du versement d’une pension d’invalidité. Ne sont-ce pas des mesures de gauche ?

Par ailleurs, le projet de loi encourage le rachat par les jeunes actifs d’années d’étude, faculté aujourd’hui très peu utilisée en raison de son coût élevé ; le tarif de rachat de trimestres sera plus avantageux pour les plus jeunes et les salariés percevant les plus faibles revenus.

Le texte prévoit également la validation de tous les trimestres pour les apprentis et les jeunes en alternance. Quant aux stages rémunérés en entreprise, ils pourront donner lieu au versement de cotisations d’assurance vieillesse.

Le monde agricole n’est pas non plus oublié : le projet de loi concrétise les engagements pris par le candidat François Hollande en améliorant le niveau des petites retraites des non-salariés agricoles.

Enfin, nous aborderons lors de la discussion des articles la situation des personnes défavorisées et l’élargissement de l’accès à la retraite pour les travailleurs handicapés, mais aussi la meilleure reconnaissance des aidants familiaux.

Mes chers collègues, toutes ces mesures sont bien à mettre à l’actif d’un gouvernement de gauche !

Trois innovations majeures doivent encore être signalées : un compte retraite en ligne, un pilotage des chantiers de mutualisation et une réforme visant à tendre vers un interlocuteur unique pour les polypensionnés. Un service en ligne permettra à l’assuré, pour tout service et à tout moment, d’accéder à son relevé actualisé de carrière, de réaliser certaines démarches administratives et d’échanger avec les régimes concernés des documents dématérialisés.

Dans ces conditions, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites est-il un petit projet de loi, comme certains voudraient le faire croire ?

Madame la ministre, vous avez judicieusement choisi non pas de déconstruire les bases législatives déjà en place, mais d’en limiter les effets pervers, d’en combler les manques et d’en améliorer la structure.

Cette réforme est concrète et pragmatique ; elle est en adéquation avec la réalité et avec l’avenir prévisible. Menée avec un souci de concertation, elle s’inscrit dans une évolution progressive de long terme et dépasse les seuls raisonnements comptables de court et moyen terme.

Ce projet de loi vise à rétablir une justice sociale en ciblant des catégories de travailleurs aujourd’hui en difficulté, comme les femmes, les jeunes, les handicapés ou les aidants familiaux.

J’ai gardé pour la fin la question peut-être la plus difficile : celle des équilibres financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Pour étayer mon propos, je rappellerai brièvement l’histoire des retraites, l’émaillant d’évocations surprenantes pour certains.

De l’année 1945, nous devons retenir trois noms : Alexandre Parodi, Ambroise Croizat et Pierre Laroque, que j’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises, et au moins deux fois longuement.

La première mesure prise fut le maintien du statut des fonctionnaires ; la deuxième mesure fut, le 17 mai, la création, dans le cadre d’un système par répartition, de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, qui regroupe les agents des collectivités et des hôpitaux.

Il fallait aussi choisir un système. Au risque de vous surprendre, mes chers collègues, un point ne souleva aucune difficulté : l’âge de la retraite, qui passa de 60 ans à 65 ans. À l’époque, après les nombreux décès causés par la guerre, un certain pessimisme démographique fut à l’origine d’une telle décision.

Contrairement à ce que l’on peut entendre, deux sujets firent l’objet de débats très difficiles. Le premier portait sur la question du régime unique. Le second opposait systèmes de répartition et de capitalisation. Ambroise Croizat, ministre du travail et de la sécurité sociale de l’époque, trancha en faveur du maintien de tous les régimes existants et du système par répartition, même si certains, de façon surprenante, défendirent avec beaucoup de ferveur le système par capitalisation.

Peut-être aurait-il fallu prévoir des solutions pour les régimes qui risquaient d’être en difficultés plus tard. Peut-être aurait-il fallu constituer quelques réserves.

Le choix de maintenir les régimes existants impliquait une solidarité entre les régimes.

Ainsi, la loi de 1974 prévit-elle, face aux difficultés de certains régimes, de créer un régime unique en quatre ans. En attendant, a été créée une compensation, c'est-à-dire une aide des régimes les plus favorisés en faveur des régimes les plus défavorisés. Je peux dire ici que la CNRACL y a contribué fortement, à hauteur de plus de 65 milliards d’euros depuis 1974.

Il faut bien le reconnaître, madame la ministre, ce dispositif est à bout de souffle et il faudra le revoir. En 1974, on n’avait pas tenu compte des capacités de trésorerie de l’ensemble des régimes.

Pour atteindre l’équilibre, le premier levier, cela a été indiqué, est l’emploi.

Je rappelle que, sous le gouvernement de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, le nombre de chômeurs avait beaucoup diminué. À son arrivée au pouvoir, ce gouvernement avait dû faire face à un déficit de 54 milliards de francs. Il avait rétabli l’équilibre en 2002, grâce au développement de l’emploi.

Je rappelle aussi que la répartition contient dans son principe même une règle fondamentale : les employeurs et les salariés cotisent pour les retraités. C’est un système d’assurance contributif sur le produit du travail. Certains parlent même de salaires différés, conformément d’ailleurs à la théorie défendue par Ambroise Croizat. Permettez-moi, mes chers collègues, de vous lire un extrait du guide de l’assuré social et des vieux travailleurs de l’époque, dans lequel le ministre écrivait : « La gestion est d’ores et déjà confiée aux assurés eux-mêmes. […] Pas d’étatisation ni de fonctionnarisation. […] L’État […] n’a plus qu’un simple rôle de contrôle technique et financier à exercer. »

Voilà le résumé d’une position qui ne doit pas être oubliée : les actifs paient pour les retraités. Ainsi, si l’on veut respecter cette règle, l’équilibre doit être trouvé dans le seul périmètre du travail.

Le présent projet de loi prévoit une augmentation des cotisations salariales et employeurs, la diminution des pensions du fait du recul de la revalorisation du 1er avril au 1er octobre et l’allongement de la durée de cotisation à partir de 2020. Comme je le disais tout à l’heure, l’allongement de l’espérance de vie nous autorise à prendre une telle disposition

Exclamations sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

En revanche, le projet de loi ne modifie pas l’âge légal de départ à la retraite. Même si de nombreux facteurs évoluent, tel l’âge auquel un jeune commence à travailler, à partir d’un certain âge peut se poser la question de l’aptitude au travail.

Enfin, je n’oublie pas le paradoxe qui caractérise l’emploi des seniors. Nombreux sont ceux qui sont écartés par les employeurs du monde du travail avant l’âge légal de départ à la retraite.

Quant au recours à l’emprunt, il fallait bien évidemment l’éviter ! Plus généralement, le projet de loi veille à ce que les financements ne soient pas assis sur des bases éphémères ou privilégiant la fiscalité, ce qui constituerait un risque de dérive de l’assurance vers l’assistance, comme on a pu l’observer sous le régime de Pétain.

La contribution sociale généralisée, dont on a beaucoup parlé, finance aujourd'hui les droits non contributifs. J’estime, pour ma part, qu’il s’agit d’une piste à ne pas abandonner. D’abord, la compensation généralisée pourrait venir au secours des régimes « morts », qui ne bénéficient plus que de contributions restreintes, tel le régime des mines. Étant fils de mineur, je n’ai rien contre les mineurs, mais je suis contraint de constater une telle situation.

Enfin, si la CSG finance le système, comme il est possible de l’imaginer, les salariés devront voir leur contribution diminuer, pour ne pas avoir à payer deux fois.

Le Gouvernement propose donc une réforme de fond s’inscrivant dans la durée, réparant des injustices, privilégiant les mesures à l’adresse des publics défavorisés. La concertation avec les partenaires sociaux a fonctionné sereinement et le dialogue reste ouvert. Ce projet de loi contient en lui-même la garantie de grands principes de gauche, qui accompagneront pour longtemps les citoyens actifs, futurs retraités. C’est un texte qui assure et rassure.

Oui, il y a urgence à équilibrer financièrement le système, à donner de la visibilité sur le long terme, à mettre en place les moyens nécessaires pour assurer la pérennité du système par répartition, auquel nous sommes tous attachés, à rassurer et informer, particulièrement les plus jeunes, qui doivent garder confiance, en un mot à dire la vérité. Tout cela implique humilité et responsabilité de la part de tous les acteurs, partenaires sociaux et élus, qui devront faire preuve de lucidité et penser avant tout aux jeunes et à leur avenir.

Enfin, un devoir s’impose à nous, élus nationaux, responsables politiques : être fidèles et respectueux des règles empreintes de générosité et de solidarité fixées en 1945 par le Conseil national de la Résistance, sous l’impulsion d’Alexandre Parodi, Ambroise Croizat et Pierre Laroque. C’est dans cet esprit que le groupe socialiste aborde le présent débat. §

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les inégalités professionnelles et salariales dont les femmes sont victimes s’amplifient à la retraite, tous les intervenants l’ont souligné.

La précarité, qui ne cesse de s’étendre, demeure sexuée et ce sont les femmes qui payent le prix fort de plusieurs décennies de politique d’austérité dans le secteur tant public que privé. Deux retraités pauvres sur trois sont des femmes.

La recherche effrénée par le patronat d’une réduction constante du coût du travail se traduit concrètement par l’explosion des contrats précaires et atypiques, qui font la part belle aux temps partiels. Ainsi, 82 % de ces contrats sont signés par des femmes et la grande majorité d’entre elles déclarent, lorsqu’elles sont interrogées, qu’elles préféreraient être recrutées sur la base d’un temps plein.

Les femmes sont plus nombreuses à être recrutées en CDD. Une étude menée par la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, en 2010 rappelait que seulement 41 % des CDI étaient signés par des femmes. D’ailleurs, le premier motif invoqué par les femmes ayant cessé de travailler est la fin d’un contrat précaire, alors que voilà vingt ans les raisons personnelles primaient. Cette situation renvoie naturellement à une certaine conception de la place des femmes dans le monde du travail, encore trop empreinte de la domination masculine, selon laquelle leur rémunération ne constituerait qu’un complément de salaires au foyer du ménage.

Mais elle est aussi la traduction concrète et poussée à l’extrême d’une autre forme de domination : celle de l’argent sur l’humain. Car les femmes payent plus que les hommes le prix d’un modèle économique dans lequel les richesses produites sont détournées et orientées vers la finance, la rémunération du capital prime sur celle du travail et l’organisation même de celui-ci est tournée vers l’accroissement des richesses accordées à une minorité. C’est une situation que nous ne pouvons accepter. Elle nous révolte d’autant plus que les pouvoirs publics l’encouragent en subventionnant les emplois précaires, à grand renfort d’exonérations de cotisations sociales.

À cette pression permanente sur les salaires qui s’accompagne d’une dégradation continue des conditions de travail des femmes, s’ajoute une politique d’austérité imposée par les gouvernements successifs, au prétexte qu’il faudrait réduire les déficits. Ainsi, bien que les femmes perçoivent des salaires inférieurs de 27 % à ceux des hommes et des pensions inférieures de 42 %, les réformes successives, en allongeant la durée de cotisation, en augmentant la décote et en relevant l’âge légal de départ à la retraite, ont encore dégradé un peu plus la situation des femmes. Le présent projet de loi, dont l’objectif affiché est de réduire les inégalités dont les femmes sont victimes une fois à la retraite, ne résoudra rien.

Je fais mienne cette analyse du Collectif national pour les droits des femmes, le CNDF : « les femmes continueront à toucher moins de retraite que les hommes, auront des carrières moins longues, partiront plus tard, écoperont des décotes et ne bénéficieront que rarement des surcotes ».

Certes, le projet de loi prévoit quelques mesures positives, que nous ne boudons pas : modification des règles de validation des trimestres pour les temps partiels, ou encore prise en compte de la maternité dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue. Toutefois, celles-ci sont de portée limitée et ne corrigent les inégalités qu’à la marge.

L’allongement de la durée de cotisation frappera de plein fouet les femmes et les décotes réduiront encore leurs pensions injustement basses. C’est l’élément majeur de cette réforme. Mais, comme l’a souligné notre collègue Dominique Watrin, nous avons des propositions alternatives.

La lutte en faveur de l’égalité de pension entre les femmes et les hommes passe par une lutte contre les inégalités professionnelles, singulièrement salariales. À cette fin, nous proposons d’instaurer une cotisation patronale sur les emplois à temps partiel, de telle sorte que les employeurs qui abusent de ce type de contrats cotisent pour la branche vieillesse dans les mêmes proportions qu’ils le feraient s’ils recrutaient des salariés à temps plein.

Nous proposons également de repenser les conditions de calcul des retraites des salariés précaires, notamment de celles et ceux qui ont été longtemps en CDD ou au chômage, pour retenir uniquement les meilleures annuités de cotisations et garantir dans tous les cas une retraite au moins égale au SMIC. Il faut cesser d’encourager les emplois précaires en supprimant les exonérations de cotisations sociales accordées aux employeurs en la matière et imposer, à l’inverse de cette logique libérale, une modulation de cotisations en fonction de la politique salariale des entreprises, de telle sorte que le recours aux emplois précaires soit rendu fiscalement et socialement moins intéressant.

En bref, pour garantir aux femmes une retraite digne et égale à celle des hommes, l’égalité doit passer des frontons de nos écoles à la réalité de la société. Nous en sommes loin !

Nous ne souscrivons absolument pas au postulat, partagé par un grand nombre, selon lequel l’allongement de l’espérance de vie induit naturellement un allongement de la durée du travail. Nous pensons au contraire que, pour vivre plus longtemps, il faut d’abord être en bonne santé, quelle que soit la pénibilité des emplois qu’on a pu occuper.

Pour toutes ces raisons et celles qu’a développées tout à l’heure Dominique Watrin, nous voterons contre cette réforme. §

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, consultation et négociation, choix de mise en œuvre progressive des dispositions de refinancement, trajectoire d’équilibre pour le long terme, mesures de justice pour ceux qui exécutent des tâches pénibles, pour les femmes, pour les jeunes, pour les non-salariés agricoles, pour les personnes handicapées, pour les aidants familiaux et pour les travailleurs précaires, simplification et clarification de l’accès aux droits, création d’un système de pilotage durable : dans le contexte de vieillissement démographique et de crise économique, sociale et budgétaire que nous connaissons, cette réforme a l’ambition de maintenir et de préserver pour l’avenir un système de retraite par répartition solidaire et d’être en même temps gage de progrès social.

Avec ce texte, nous changeons incontestablement de méthodes, de projet et de perspectives.

La méthode a changé, parce que la négociation a remplacé le passage en force que nous avons connu voilà peu sur le même sujet, …

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

… contre les milliers de manifestants d’alors et contre le Parlement par le recours, notamment, au vote bloqué.

Le projet a changé, parce qu’il comporte de nombreuses mesures de justice et crée des droits nouveaux.

La perspective, enfin, a changé, parce qu’elle s’inscrit dans la durée, celle qui est nécessaire à une mise en œuvre raisonnée des mesures de court terme et celle qui anticipe et prépare l’avenir.

Les uns jugent que cette réforme est financièrement trop rigoureuse, les autres qu’elle ne l’est pas assez. Et si pratiquement tous les articles du texte ont été rejetés en commission, mercredi dernier, c’est pour des raisons radicalement opposées !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Tout aussi paradoxalement, certains ont souhaité un vrai débat en séance publique et ont déposé des amendements dans cette perspective, mais cautionneraient, en la votant ou en s’abstenant, la motion tendant au renvoi à la commission, ce qui couperait court à toute discussion.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Ce n’est pas bien de dire cela ! C’est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Les enjeux de ce projet devraient pourtant porter au réalisme et à la sincérité.

Est-ce une réforme systémique ? La question n’est pas éludée. Elle est posée notamment par la commission Moreau, qui a estimé, à mon sens à juste titre, que le choix de la technique de gestion des droits – par annuités, par points ou par comptes notionnels – est en réalité secondaire dans la mesure où les instruments et les indicateurs retenus pour piloter les régimes dans chacun des modèles permettent de prévoir une part de droits contributifs et une part de droits relevant d’une logique de solidarité, de même que chacun a la capacité de répondre aux besoins d’ajustements, en fonction du contexte démographique et de la croissance.

La question est moins celle des modalités de gestion, qui dépendent essentiellement des objectifs qu’on leur fixe, que celle de l’architecture de notre système, dispersée entre les vingt et un régimes de base différents recensés par le Conseil d’orientation des retraites, auxquels s’ajoutent les régimes complémentaires obligatoires.

Améliorer la performance du système suppose d’abord une convergence de principes et d’outils. En ce sens, la commission Moreau recommandait de privilégier au préalable une coordination et une mutualisation entre régimes : celles-ci limiteront les coûts, simplifieront les relations des assurés avec les caisses et permettront, à terme, de constituer la base partagée favorable à une unification.

Tel est le choix du présent projet de loi, qui prévoit, pour la première fois, à l’article 3, un pilotage crédible du système par le biais d’un comité de surveillance des retraites, renommé « comité de suivi des retraites » par l’Assemblée nationale, permanent et restreint pour être opérationnel. Faut-il rappeler que le COPILOR, le comité de pilotage des régimes de retraite, créé par la réforme de 2010, à la composition pléthorique, s’est réuni une seule fois en séance plénière et n’a rendu aucun avis ?

Ceux que devra rendre le comité en question, à date fixe, seront publics, transmis au Parlement et au Gouvernement, lequel, après concertation avec les partenaires sociaux, se prononcera devant la représentation nationale. Les décisions ne pourront plus être différées.

Le comité aura compétence non seulement sur les équilibres financiers, mais également, là encore à la différence de son prédécesseur, sur la pénibilité, sur la situation comparée des droits à pension dans les différents régimes, sur celle des hommes et des femmes et sur le pouvoir d’achat des retraités. Le pilotage prévu n’est donc pas seulement financier, il est également social. Enfin, le Fonds de réserve pour les retraites, détourné et vidé de ses actifs à la fin de 2010 de manière peu responsable, retrouvera sa fonction d’origine.

Les dispositions de l’article 3 constituent en réalité une innovation structurelle majeure pour notre système de retraite.

La deuxième rupture fondamentale à laquelle procède cette réforme est de s’inscrire dans le temps long. Les besoins de financement du régime ont été quantifiés dans cette perspective par le COR, selon différentes hypothèses. Selon le scénario intermédiaire retenu, ces besoins s’établissent pour l’ensemble des régimes, de base et complémentaires, à hauteur de 20, 7 milliards d’euros en 2020 et de 26, 6 milliards d’euros en 2040, compte tenu de l’accord national interprofessionnel AGIRC-ARRCO du 13 mars dernier.

Trois mesures d’équilibre immédiat et une mesure de long terme doivent assurer la trajectoire d’équilibre du régime, essentiellement celui du régime général.

La hausse du taux des cotisations vieillesse déplafonnées s’appliquera de manière proportionnée et progressive sur quatre ans. En 2014, elle représentera une augmentation de 2, 15 euros par mois pour une personne rémunérée au SMIC.

Le décalage de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre permet de ne pas recourir à une baisse durable du montant des pensions ou à une modification des mécanismes d’indexation. Par ailleurs, il ne touchera pas les bénéficiaires du minimum vieillesse, d’une pension d’invalidité et d’une rente accident du travail-maladie professionnelle.

Je veux dire un mot, à cet instant, madame la ministre, de l’allocation équivalent retraite, l’AER, suspendue en 2009 par le précédent gouvernement, remplacée – en partie seulement – par l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, sur laquelle je veux appeler votre attention.

Le décret du 4 mars dernier témoigne d’une volonté réelle de répondre à une urgence, mais ne permet pas la prise en compte des trimestres validés au titre de l’allocation de solidarité spécifique pour les générations 1952 et 1953 et exclut la génération 1954. Compte tenu de l’article 40 de la Constitution, l’Assemblée nationale a prévu qu’un rapport serait remis trois mois après la promulgation de la future loi. Notre collègue Martial Bourquin propose de limiter ce délai à un mois. Madame la ministre, ce serait bien le moins ! Pouvons-nous compter sur votre avis favorable dans la suite du débat ? Je vous en remercie par avance.

Troisième mesure d’effet immédiat, la suppression de l’exclusion des majorations de pension de 10 % de l’assiette d’imposition des retraités ayant élevé au moins trois enfants est inscrite dans le projet de loi de finances. La Cour des comptes et la commission pour l’avenir des retraites ont en effet montré que cette majoration est inéquitable à plusieurs titres : elle bénéficie aux pensions les plus élevées, davantage aux hommes qu’aux femmes, et varie selon les régimes. Son intérêt redistributif est, selon le comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, égal à zéro. Sa suppression permettra une plus juste redistribution des avantages familiaux de retraite.

Mesure de long terme enfin, qui n’entrera en vigueur qu’à compter de 2020, de manière progressive et limitée dans le temps, l’augmentation de la durée d’assurance doit permettre d’absorber, jusqu’en 2035, la « bosse démographique » due au baby-boom d’après-guerre.

Je veux souligner ici la vision globale des équilibres recherchés par le Gouvernement et la responsabilité dont on doit le créditer à cet égard. Les pensions de retraite versées en 2011 représentaient 271, 5 milliards d’euros, soit 13, 6 % du PIB. Elles constituent la première dépense de notre système de protection sociale. La réforme des retraites prend donc toute sa part dans la trajectoire de solde structurel définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 du 31 décembre 2012. Selon le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2014, « au total, les volets dépenses et recettes de la réforme des retraites des régimes de base présentée par le Gouvernement [représentent] une amélioration du solde structurel immédiate et pérenne de 0, 5 point de PIB. »

J’ai parlé aussi de progrès social, et progrès social il y a ! La reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité sont emblématiques à cet égard et constituent l’axe majeur de ce projet de loi, tout autant que la méconnaissance volontaire de la réalité des conditions de travail a été la caractéristique majeure de la réforme Fillon, alors qu’il est bien établi que l’espérance de vie en bonne santé, donc la durée de la retraite, est largement dépendante de ces conditions.

En 2010, outre que pénibilité et invalidité avaient été sciemment confondues, avait également été prévue la possibilité de négocier, par accord collectif de branche, un dispositif de compensation de la charge de travail des salariés exerçant des travaux pénibles. Était aussi prévue la création, avant le 31 mars 2011, d’un comité scientifique chargé d’évaluer les conséquences de l’exposition aux facteurs de pénibilité sur l’espérance de vie sans incapacité. Aucune branche n’a négocié d’accord et le comité envisagé n’a jamais été installé. C’est dire la volonté réelle qui était celle du précédent gouvernement !

Mais avançons. Mesure en faveur de l’emploi des seniors avec l’amélioration du dispositif de retraite progressive, bonification des droits à la retraite des femmes avec la validation de trimestres au titre du congé de maternité, amélioration des droits des travailleurs précaires avec, notamment, l’abaissement du seuil d’acquisition d’un trimestre de 200 à 150 heures SMIC, amélioration des droits des jeunes pour la validation des périodes d’apprentissage en alternance, de stage et le rachat de périodes d’études, amélioration des petites pensions des non-salariés agricoles avec, en particulier, la création d’un minimum de 75 % du SMIC garanti aux chefs d’exploitation ayant une carrière complète, accès à la retraite anticipée facilitée pour les personnes handicapées et, last but not least, amélioration des droits des aidants familiaux avec, entre autres, la création d’une majoration de durée d’assurance : telles sont quelques-unes des mesures prévues par ce projet de loi.

Avec cette réforme, madame la ministre, vous substituez à la brutalité une action préventive, dans le cadre – et telle était la recommandation du rapport Moreau – « d’un processus permanent d’examen exigeant de notre système. » Vous prouvez ainsi, parce qu’elle prend en compte et améliore réellement la situation du plus grand nombre des assurés les plus fragilisés, que c’est une réforme d’espoir et de confiance.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parce qu’il est le produit de notre histoire sociale, notre système de retraite par répartition doit être préservé. Il y va de l’égalité, de la solidarité et de la cohésion sociale, autant de principes et de valeurs qui doivent guider l’actuelle majorité.

Nous devons à la fois garantir le pouvoir d’achat des retraités d’aujourd’hui et assurer une retraite décente aux générations futures. Lors de la dernière conférence sociale, le Président de la République l’a très justement rappelé : « Parler des retraites, c’est parler de l’avenir. C’est parler de cette promesse que la société fait à chaque génération et à chacun de ses membres. »

Malgré les réformes engagées au cours des vingt dernières années, le déséquilibre financier de notre système de retraite menace sa pérennité. Les prévisions du Conseil d’orientation des retraites, publiées au mois de décembre dernier, sont alarmantes : si rien n’est fait, le système de retraite accusera un déficit de plus de 21 milliards d’euros en 2020 !

Rappelons que la réforme de 2010 prétendait pourtant garantir l’équilibre à l’horizon 2020. Son principe reposait sur une idée simple : comme les Français vivent plus longtemps, il faut reculer l’âge légal de départ à la retraite. Cette réforme, imposée aux forceps et sans concertation – nous l’avions alors combattue –, était injuste et financièrement irresponsable. Elle n’a pas tardé à se solder par un échec.

Rétablir l’équilibre des régimes est de nouveau une impérieuse nécessité pour permettre non seulement aux actifs qui arrivent en fin de carrière de partir à la retraite dans de bonnes conditions, mais aussi aux jeunes d’accéder à une retraite convenable.

Vous l’avez rappelé, madame la ministre, il s’agit de relever un triple défi. Nous devons faire face aux contrecoups de la crise économique de ces dernières années et à une réalité démographique qui pèse de plus en plus lourd sur notre système de retraites. Mais la solidarité ne doit en aucun cas devenir un fardeau pour ceux qui devront en faire preuve.

Si aucune réforme n’est mise en œuvre, le montant des pensions des futurs retraités baissera considérablement. Nos concitoyens les plus aisés, à l’inverse des plus défavorisés, capitaliseront alors pour compléter leur retraite. Par conséquent, les inégalités ne feront que s’accroître et la fracture sociale s’accentuera.

Garantir l’avenir de notre système de retraites suppose aussi que nous engagions une réflexion plus globale. Dans le souci de renforcer le système par répartition, les radicaux de gauche appellent de leurs vœux depuis plusieurs années la mise en place d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Nous avons très tôt plaidé pour une réforme qui consisterait à remplacer les annuités par des points ou des comptes notionnels au sein d’un régime universel. Le septième rapport du COR, publié au mois de janvier 2010, a d’ailleurs démontré que le passage à un régime par points ou en comptes notionnels était techniquement possible et permettrait, notamment, d’intégrer des dispositifs de solidarité. Je regrette à ce titre que la réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique demandée par le Sénat en 2010 n’ait jamais eu lieu.

Pour autant, madame la ministre, votre projet de loi comporte de très bonnes mesures, lesquelles apportent des solutions. La création du compte personnel de prévention de la pénibilité, en particulier, est une excellente initiative.

Alors que la réforme de 2010 établissait une véritable confusion entre pénibilité et invalidité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

… la pénibilité est enfin reconnue comme étant l’exposition à des facteurs de risque qui réduisent l’espérance de vie sans incapacité. Nous ne pouvons que souscrire à cette mesure. Toutefois, nous vous proposerons d’assouplir le dispositif. Ainsi, pourquoi les salariés seraient-ils obligés de consacrer les vingt premiers points à la formation ? Il est important, selon nous, de leur laisser le choix de l’utilisation de leurs points.

Par ailleurs, le présent texte comporte des avancées, notamment pour ce qui concerne les personnes ayant eu des carrières longues ou heurtées, ou encore les retraites agricoles. Les mesures d’aide au rachat de trimestres d’études, de valorisation des années d’apprentissage et de stage destinées aux jeunes vont également dans le bon sens.

Je me réjouis des quelques dispositions tendant à améliorer les droits à la retraite des femmes. Je pense, par exemple, à la validation des périodes de congé de maternité. En revanche, je regrette vivement que la refonte des majorations de pension visant à mieux compenser l’arrivée d’enfants dans le foyer soit renvoyée à 2020. Je vous rappelle que les femmes retraitées percevaient, en 2011, une pension moyenne de 932 euros alors que celle des hommes s’élevait à 1 603 euros.

Enfin, les sénateurs RDSE, comme les députés du groupe RRDP, ne sont pas favorables au report de la revalorisation des pensions au 1er octobre. En effet, cette mesure va entraîner une diminution du pouvoir d’achat des petits retraités.

Vous avez déclaré, madame la ministre, qu’il n’avait jamais été question de mettre à contribution les plus petites retraites. « Le Premier ministre l’a toujours dit et je le répète, les petites pensions sont préservées », avez-vous affirmé. C’est pourtant incontestablement l’inverse qui va se produire !

Certes, les personnes qui perçoivent l’allocation de solidarité aux personnes âgées seront épargnées par ce gel de six mois. Toutefois, est-il nécessaire de rappeler que seules 600 000 personnes perçoivent cette allocation, alors que 1, 6 million de retraités vivent sous le seuil de pauvreté ? Aussi proposerons-nous un amendement visant à supprimer cette disposition particulièrement injuste.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, si nous sommes conscients de l’impérieuse nécessité d’agir sur le dossier des retraites, nous nous prononcerons en fonction de nos travaux en séance, auxquels nous serons particulièrement attentifs. Notre responsabilité sera à la hauteur de l’enjeu. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je concentrerai mes propos sur le volet pénibilité du présent projet de loi.

Mais je veux tout d’abord rappeler que, depuis vingt ans, ce sont des gouvernements de droite et du centre qui ont conduit toutes les réformes visant à pérenniser les régimes de retraite. Des mesures fortes en termes financiers, en termes de justice sociale ou d’équité, ont été prises régulièrement, en 1993, 2003, 2008 et 2010. Notons le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue, les prémices de la convergence entre les régimes publics et privés, l’introduction de la notion de pénibilité et le report de l’âge de départ à la retraite. Le COR a estimé que l’ensemble de ces réformes aurait un impact financier total de plus de 3, 5 points de PIB en 2020.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. Aujourd’hui, vous reconnaissez enfin la nécessité d’agir et vous nous expliquez que vous allez garantir l’avenir du système de retraites avec cette réforme qui n’en est pas une, comme Gérard Longuet l’a justement démontré tout à l’heure : en effet, vous trouvez 7 milliards d’euros alors qu’il en faudrait 20 ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) La gauche est coutumière des rendez-vous manqués s’agissant de réforme des retraites !

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Il est tellement plus facile de diminuer l’âge de la retraite en le faisant passer de 65 à 60 ans que de réformer vraiment, même si cette mesure est très lourde de conséquences pour les jeunes générations que vous trompez ainsi !

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

En matière de pénibilité, le texte s’inscrit dans le prolongement de l’introduction de cette notion dans le code du travail en 2003, puis de la réforme de 2010, qui a maintenu l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les salariés ayant une incapacité dont le taux s’établit entre 10 % et 20 %. Cette réforme a également prévu que les entreprises de plus de cinquante salariés devraient élaborer un plan contre la pénibilité au travail.

À cette époque – il faut le rappeler –, l’opposition, c’est-à-dire la majorité actuelle, n’a voté aucune de ces dispositions !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous reprochez aux réformes de 2003 et 2010 de n’avoir pris en compte que les facteurs d’incapacité et d’inaptitude et non pas la question plus large de la pénibilité. Mais il est très difficile de définir et d’évaluer précisément cette notion. Chacun la conçoit, l’interprète et la vit de façon différente.

En outre, tout travail peut contenir des tâches pénibles. Les effets de la pénibilité varient selon les entreprises, les postes, les individus. Ils dépendent aussi de facteurs extraprofessionnels tels que les habitudes et les conditions de vie, les conceptions en matière de santé, d’hygiène et de sécurité.

Le projet d’un compte personnel de prévention de la pénibilité fait fi de toutes ces subtilités, car il est prévu arbitrairement que toute entreprise devra appliquer les mêmes règles. Je le qualifierai de « hors-sol » et dogmatique, voire de quasiment inapplicable sur le terrain.

En matière de financement, une nouvelle fois, vous laissez une facture impayée pour les années à venir, une « ardoise », si j’ose dire, pour les prochaines générations.

En effet, le coût de la mise en place de ce compte est estimé à 2, 5 milliards d’euros en 2040, tandis que les deux cotisations qui lui sont affectées rapporteront seulement 800 millions. Il est donc irresponsable de proposer un système dont on sait d’ores et déjà qu’il sera déficitaire de plus de 1, 5 milliard d’euros à terme. Qui va payer la différence ?

De surcroît, les cotisations additionnelles créées pour financer ce compte s’ajoutent à la hausse de 0, 3 % des cotisations employeurs prévue par le projet de loi.

L’ensemble de ces mesures représente, pour les entreprises, une charge supplémentaire de 12 milliards d’euros sur quatre ans, qui s’ajoute – faut-il le rappeler ? – au coût du retour à 60 ans de l’âge de départ légal à la retraite pour les personnes ayant eu des carrières longues décidé au mois de juin 2012 et qui s’élève à 10 milliards d’euros.

La disposition en cause aura une nouvelle fois de lourdes conséquences sur le chômage, dont vous n’arrivez toujours pas à endiguer la croissance depuis bientôt dix-sept mois.

Les cotisations salariales et patronales dépassent désormais 65 % du montant du salaire brut du salarié et pèsent excessivement sur l’emploi. Et force est de constater que les décisions de votre gouvernement ne vont pas forcément aider le marché de l’emploi à retrouver le dynamisme qui lui fait si cruellement défaut !

Par ailleurs, le texte que nous examinons va défavoriser les entreprises françaises face à la concurrence européenne. La France sera en effet le seul pays européen à s’être dotée d’un tel dispositif, au moment où l’Union européenne va autoriser l’embauche de travailleurs d’Europe de l’Est rémunérés, certes, au SMIC français, mais sans charges équivalentes et sans compte personnel de prévention de la pénibilité !

Alors que vous prétendez faire du choc de simplification administrative une priorité, vous introduisez, permettez-moi de vous le dire, un fardeau de complexité pour de nombreuses entreprises. C’est le cas, par exemple, de la fiche de prévention des expositions, qui doit être remplie pour chaque salarié en fonction de l’activité pénible qu’il exerce au cours de la journée. Les entreprises familiales employant quelques salariés, qui exercent souvent des activités très différentes au cours d’une même journée, ne pourront pas respecter un tel dispositif.

Oui, nous faisons encore fausse route avec ce débat qui prend en compte une approche que je qualifierais de négative du travail ! Réduire une activité professionnelle à la pénibilité revient en effet à envoyer un mauvais signal à ceux qui entrent dans le monde du travail. Certains métiers sont pénibles par nature, et ils le resteront, malgré la politique de prévention. C’est le cas, par exemple, d’activités du bâtiment, secteur qui connaît déjà des difficultés d’embauche et dont les acteurs craignent que ce caractère « pénible » ne repousse encore des candidats.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous courez le risque de voir les entreprises avoir davantage recours à l’intérim ou à la main-d’œuvre étrangère.

Notre approche, contrairement à la vôtre, repose non pas sur l’éventualité d’une atteinte physique, mais sur l’usure constatée chez le salarié. Elle est donc fondée sur des critères médicaux plutôt que sur une compensation sociale.

Je l’ai déjà indiqué, nous ne pouvons donner une définition uniforme et rigide de la pénibilité, comme prétend le faire ce projet de loi. Pourquoi les infirmières des hôpitaux publics devraient-elles être exclues du dispositif, alors que vous l’imposez dans les établissements de santé privés ?

La situation sera en réalité pire pour les infirmières qui ont accepté un passage en catégorie A en contrepartie d’une perte du bénéfice de la catégorie active, mais qui ne seraient pas couvertes par le nouveau dispositif.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

C’est l’UMP qui n’a pas voulu les intégrer ! C’était un marché de dupes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Où sont l’équité et la justice ?

Finalement, vous voulez faire passer tout le monde sous la toise, à défaut de pouvoir faire entrer tous les individus dans le même carcan ! Vous êtes en train de reproduire la désastreuse et funeste erreur des 35 heures ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous voulez imposer arbitrairement la même réglementation à tout le monde, quels que soient les secteurs, les branches, et les réalités de l’entreprise. Or les critères de la pénibilité devraient justement relever des négociations collectives, plutôt que de la loi ou du décret.

Les conventions collectives et les accords d’entreprise prévoient d’ores et déjà pour les activités pénibles des mesures de compensation, par exemple des majorations de salaire qui peuvent aller jusqu’à 40 %, des primes, des temps de repos, du travail à temps partiel... Le dispositif supplémentaire qui nous est proposé sera-t-il cohérent avec les règles existantes de compensation et de réparation ? Vous allez créer une multitude d’exceptions qui rendront le système incompréhensible et injuste.

On peut craindre également que les salariés bénéficiant d’un compte personnel de prévention de la pénibilité ne tiennent pas à voir leurs conditions de travail s’améliorer, ce qui constitue pourtant notre objectif commun, à nous sénateurs, et ce quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

En outre, ces fiches de poste risquent de faire naître des conflits entre salariés et employeurs quant aux critères d’évaluation de la pénibilité de telle ou telle tâche. Il se pourrait que certains employeurs hésitent à embaucher sur des postes pénibles pour éviter des situations trop difficiles à gérer, ce qui serait contre-productif pour l’emploi, convenez-en.

Enfin, je le répète, la prise en compte de la pénibilité n’a pas sa place dans le présent projet de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Cette question doit être réglée en amont des carrières, car elle dépend en premier lieu des conditions de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

La pénibilité doit être prise en considération dans le montant des rémunérations des salariés. Il ne revient pas aux retraites de par leurs gènes, si j’ose dire, de corriger les aléas d’une carrière.

Aujourd’hui, vous cherchez à compenser les grandes insuffisances de votre réforme. §Ce que vous nous proposez n’est rien d’autre qu’une nouvelle usine à gaz inapplicable et ne permettra pas, loin s’en faut, d’atteindre tous les objectifs que vous poursuivez. De surcroît, les entreprises en pâtiront. Il faut changer de cap !

En réalité, vous cherchez à donner du contenu à une réforme manquant de perspective, de conviction et de courage.

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Cette réforme manque de perspective : elle prévoit des aménagements à courte vue qui font l’impasse sur l’ambition d’associer toutes les générations dans un grand projet qui promouvrait les solidarités partagées et refondées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Cette réforme manque de façon préjudiciable de conviction : faute de lisibilité et d’adhésion des Français, elle fragilise le contrat social de notre pays.

Cette réforme manque de courage, enfin, eu égard aux responsabilités qui sont les nôtres, et les vôtres, dans l’exercice du pouvoir. Nos compatriotes, non seulement pour participer à l’effort national et surmonter les difficultés que nous traversons actuellement, mais aussi pour garantir nos retraites de façon durable, peuvent comprendre la réelle situation.

Ce déni de réalité porte en lui les germes d’une responsabilité coupable, qui pourrait se révéler explosive, faute de cap fixé et de stratégie clairement identifiée pour la France et pour les Français. §

Debut de section - PermalienPhoto de René Teulade

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, un seul mot revient sans cesse : « retraite ». Ce terme polysémique recèle l’idée de départ, de congé, mais recouvre une kyrielle de réalités différentes, qui ont été longuement et parfaitement exposées.

Quel est donc le panorama aujourd’hui ? La retraite est envisagée sous un regard paradoxal. Toujours perçue comme une période de vie paisible, elle n’en demeure pas moins une source d’inquiétude. J’en veux pour preuve un sondage Ipsos réalisé au mois d’avril dernier pour l’Union mutualiste retraite et liaisons sociales, selon lequel 80 % des Français s’inquiètent de leurs conditions de vie à la retraite.

Pour autant, il est un rêve doré qui reste d’actualité : dans l’imaginaire collectif, la retraite prend la forme d’un droit à l’épanouissement personnel. La liberté et les nouvelles opportunités qu’offre ce temps de vie sont appréciées, par opposition aux contraintes d’un emploi trop souvent subi plutôt que choisi. À l’inverse de l’époque de la jeunesse où l’émancipation par rapport à l’habitus familial ne peut être que relative, où l’aliénation par le travail est à bien des égards tangible, la retraite est probablement le moment où l’homme prend le plus conscience de sa liberté.

Cette période est mise à profit de différentes manières, et il ne faut pas nécessairement prendre le terme « retraite » au pied de la lettre et l’assimiler à un repli en dehors de la cité.

Comme nous l’avions souligné dans un rapport du Conseil économique et social de 2000, intitulé L’avenir des systèmes de retraite, la fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale. Il suffit de considérer les milliers de retraités qui s’occupent bénévolement du tissu associatif maillant nos territoires pour comprendre l’importance de leur place au sein de notre société et de notre vie publique. En somme, comme l’écrivait si intelligemment Montaigne, « la vieillesse est l’âge où nous vivons l’intégralité de notre condition d’homme, et non seulement une partie tronquée de cette condition. »

Cependant, comme toute liberté, celle qui est inhérente à la retraite n’est que partielle. Elle ne peut être entière, sous peine de provoquer d’importants déséquilibres, notamment financiers, dans notre système. Or ce risque est si réel que pas moins de trois réformes ont marqué la dernière décennie, en 2003, 2008 et 2010. À l’issue de celle qui a été engagée par le Gouvernement, une quatrième aura pérennisé à moyen terme le système solidaire hérité du programme du Conseil national de la Résistance et qui vise, conformément à l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, à garantir la sécurité matérielle.

Dans l’immédiat, au regard de la situation démographique du pays et du départ à la retraite des générations du baby-boom, le besoin en termes de financement du système s’établira à environ 20 milliards d’euros en 2020, soit 1 % du produit intérieur brut. Ces chiffres sont maintenant bien connus. Une nouvelle réforme des retraites n’est donc pas un luxe ; c’est une exigence.

Sans entrer dans le détail des ajustements financiers, présentés excellemment par Mme le rapporteur tout à l’heure, il est probant de constater que les mesures contenues dans le présent projet de loi répondent à deux principes liés et incontournables : l’équité et la justice. En effet, chacun doit contribuer au rééquilibrage du système de retraites en fonction de son parcours professionnel et de ses revenus. Ce principe a été rappelé et est accepté. En particulier, le Gouvernement a veillé à ne pas paupériser celles et ceux, malheureusement de plus en plus nombreux, qui sont déjà à la lisière de la pauvreté. Les classes moyennes inférieures ne peuvent supporter le coût de cette réforme.

Par ailleurs, comme le rappelle Yannick Moreau, auteur du rapport éponyme, la réforme des retraites est l’occasion de rétablir la justice au cœur de notre système. Sur ce sujet, j’aimerais effectuer une incise et faire part de mon regret à la suite du débat polémique et caricatural autour du mode de calcul des pensions entre secteur public et secteur privé, qui a initialement saturé l’espace médiatique.

À niveau de salaire identique, le taux de remplacement est quasiment similaire entre fonctionnaires et salariés – 75, 6 % pour la fonction publique, 74, 5 % pour la sphère privée. Autrement dit, pour une carrière comparable, le montant des pensions est équivalent entre ces deux mondes, qui sont régulièrement instrumentalisés et dressés l’un contre l’autre.

Plutôt que de s’escrimer à nourrir les amalgames, les préjugés, les fantasmes, à donner corps à des billevesées absurdes, hier sur les retraites, aujourd’hui sur l’immigration, demain sur l’assistanat sans doute, certains élus s’honoreraient à entrer de plain-pied dans le débat argumenté et à sortir, au plus vite, du dogme démagogique et populiste.

La situation économique, sociale, morale et humaine me semble suffisamment grave pour ne pas être vulgairement traitée par le truchement de slogans et de fariboles qui, à mille lieues d’être des réponses apportées aux problèmes actuels, sont des gesticulations, des actes désespérés et désespérants pour exister.

Maintenant, reprenant le cheminement de mon développement, je souhaiterais démontrer comment la valeur justice est gravée au centre de ce projet de loi, à l’inverse de celui qui avait été voté en 2010. Pour ce faire, je me focaliserai sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes – cela a été excellemment souligné tout à l’heure – et l’amélioration de la retraite des travailleurs handicapés. Ces deux éléments sont très importants.

Il est trop promptement oublié que les retraités ne constituent aucunement un ensemble homogène et que des disparités injustifiables existent. Mécaniquement, les injustices dont sont victimes les femmes pendant leur vie active se conjuguent au moment de la retraite. Ainsi, selon le douzième rapport du Conseil d’orientation des retraites « fin 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droit propre […] des femmes ne représentait que 53 % de celle des hommes ». Si ce ratio progresse, sous l’effet de l’accroissement de l’activité féminine et de la hausse du niveau d’études, il est impérieux de mieux prendre en compte les carrières féminines notoirement heurtées.

Ainsi, dès le 1er janvier 2014, tous les trimestres de maternité seront considérés valides, alors qu’aujourd’hui un seul trimestre est comptabilisé, indépendamment de la durée du congé de maternité. En outre, en vertu de l’article 14 du présent projet de loi, l’acquisition de trimestres sera facilitée pour les assurés percevant une faible rémunération et exerçant une activité à temps partiel réduit, principalement les femmes.

Cependant, il faut garder à l’esprit que les disparités entre les femmes et les hommes liées au montant des pensions trouvent leur racine dans les inégalités qui jalonnent la vie active. Fidèle à mes récentes prises de position au cours de la discussion relative au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, j’insiste sur la nécessité absolue de renforcer l’égalité professionnelle, en particulier salariale.

Par ailleurs, par ce texte, les possibilités d’accès à la retraite anticipée seront étendues pour les travailleurs handicapés ; c’est une avancée importante. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, jugée parfois ubuesque, sera progressivement remplacée par le seul critère d’incapacité permanente à 50 %. De surcroît, conformément à l’article 24, les assurés répondant à ce critère et ne justifiant pas d’une durée de cotisation suffisante pourront néanmoins bénéficier d’une pension à taux plein à 62 ans au lieu de 65 ans.

Je pourrais poursuivre l’énumération des mesures de justice contenues au sein de ce projet de loi et aborder le compte pénibilité, la question de la majoration des retraites des exploitants agricoles, ou encore la situation des polypensionnés, mais je préfère me concentrer sur un dernier aspect de cette réforme.

Celle-ci, par des dispositifs innovants, prend en considération les évolutions modernes, se révèle prospective et anticipe les enjeux qui se font jour. En l’espèce, le Président de la République, à raison, a fait de la jeunesse sa priorité.

Selon le baromètre de la DREES, 57 % des jeunes font montre d’un attachement certain au système de retraite par répartition, mais ils sont circonspects quant à la possibilité de bénéficier d’une pension décente. Les difficultés auxquelles ils doivent faire face pour intégrer le marché du travail, ainsi que les problématiques afférentes telles que le logement ou l’accès aux soins, expliquent ce sentiment de peur, parfois de désespoir et de désarroi, à l’encontre de l’avenir.

Victor Hugo écrivait à propos de la jeunesse : « Il lui est naturel d’être heureuse. Il semble que sa respiration soit faite d’espérance. ». Il serait aujourd’hui surpris de contempler l’évanescence de toute lueur à l’horizon.

Par conséquent, il paraît essentiel de prendre acte de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, résultant aussi bien de l’allongement des études que de la dégradation de l’emploi. Étant donné que les stages sont un passage obligatoire pour tout jeune, que les entreprises et les administrations tirent avantage des compétences acquises par ces étudiants, les députés socialistes ont introduit une disposition juste et pertinente, qui prévoit le versement de cotisations d’assurance vieillesse au titre des stages en entreprise, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une gratification.

Enfin, remédier aux affections du marché du travail – chômage, rigidités, etc. – est également l’un des axes cardinaux permettant de garantir la pérennité de notre système par répartition. Les pensions incomplètes, l’écart du montant des retraites entre les hommes et les femmes, précédemment évoqué, la situation tragique de celles qui ne vivent que des pensions de réversion sont autant de phénomènes reflétant les symptômes pernicieux qui frappent actuellement le marché de l’emploi.

Parallèlement, garantir plus de souplesse implique de ne plus penser linéairement le triptyque formation-emploi-retraite. Aujourd’hui, la vie professionnelle est rythmée par des périodes de formation, et les jeunes générations aspirent à quelques phases de « retraite », singulièrement lors de la naissance ou de l’adoption d’un enfant. In fine, cela revient à offrir une plus grande latitude à chaque individu, à décloisonner les différentes étapes du cycle de vie et à les concevoir plutôt sous la forme d’un enchevêtrement.

En conclusion, cette réforme n’est pas placée sous le seul signe de l’équilibre financier. D’ailleurs, dans un climat politique délicat, voire délétère, le Gouvernement ne pouvait faire l’économie d’une réflexion plus aboutie. Il faut bien saisir que seules la pédagogie et l’affirmation d’un destin commun, fondé non seulement sur l’efficacité des dispositifs mis en œuvre, mais aussi sur la réaffirmation des valeurs et des repères intégralement oubliés ou, à tort, honteusement affichés, …

Debut de section - PermalienPhoto de René Teulade

… assureront l’assentiment à une politique générale aussi complexe que salvatrice.

Au total, de la clarté de l’objectif dépendra l’acceptation par tous de l’effort communément partagé. Notre système de retraites est naturellement lié aux réalités économiques et démographiques. Mais il exige, plus que jamais, une décision politique. C’est là un choix de société ! Aujourd’hui, le présent texte traduit cette démarche. Voilà pourquoi nous devons approuver avec résolution le choix qui nous est présenté ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, depuis 1993, quatre réformes des retraites se sont succédé. Elles forment un tout, qui se distingue à la fois par l’efficacité et par la justice des mesures adoptées.

Un chiffre illustre cette efficacité : en 2020, le produit de l’ensemble de ces réformes permettra de financer nos régimes de retraite à hauteur de 3, 5 % du PIB. C’est énorme ! En 2030, ce montant atteindra 6 % du PIB.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Et la gauche, qu’avait-elle fait jusqu’à présent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Ces réformes sont également empreintes de justice.

Tout d’abord, le fait de réformer efficacement constitue le premier acte de justice. En effet, sans une véritable réforme des retraites, on assisterait à un sauve-qui-peut. Or tous ne peuvent pas se sauver.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Certains peuvent mettre de l’argent de côté pour leurs vieux jours, quand la taxation de l’épargne ne les en dissuade pas. Mais d’autres dépendent exclusivement de leur pension de retraite. Ce sont eux qui, dès lors, voient leur avenir menacé.

Ensuite, la justice a été assurée par les dispositions adoptées dès 2003, grâce à l’accord de la CFDT et de la CGC au sujet des carrières longues. §Elle a également été garantie par les mesures prises en 2010, au titre de la pénibilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je songe par ailleurs aux dispositions qui, à partir de 2003, ont enfin été mises en œuvre, après cinq années d’abstention de la part du gouvernement précédent, celui de M. Jospin, en vue de procéder à une première et importante harmonisation des règles de calcul des droits à la retraite entre les secteurs privé et public.

Il faut tirer les enseignements de ces quatre réformes tout à fait essentielles. Or, je dois dire que la proposition formulée par le Gouvernement via le présent texte n’est pas à leur mesure.

En la matière, quelles leçons peut-on tirer du passé ?

Premièrement, chaque Gouvernement doit faire sa part du travail, faute de quoi le gouvernement suivant est obligé de faire le double de sa part !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Prenons un exemple chiffré. Rien n’ayant été fait entre 1997 et 2002, il a fallu étendre, à compter de 2003, la durée de cotisation des fonctionnaires d’un semestre par an. Si cette réforme avait été menée dès 1997, comme il aurait fallu, une augmentation d’un trimestre par an aurait suffi ! On le constate clairement : lorsqu’un Gouvernement ne fait pas sa part du travail, le gouvernement suivant doit doubler l’effort pour redresser les régimes de retraite.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Deuxièmement, les précédentes réformes, qui étaient de vraies réformes, nous ont prouvé qu’il n’y a pas de grand soir des retraites.

Qui peut prétendre garantir, pour la fin des temps, l’équilibre financier des régimes de retraite ? Ce serait stupide, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Ce qu’il faut, c’est que chacun accomplisse réellement sa part du chemin.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas. À partir de 2003, en prévoyant des clauses de rendez-vous à l’horizon de cinq ans

M. Gérard Longuet opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Troisièmement, il faut écarter toute mesure unique. Toute vraie réforme des retraites comporte plusieurs mesures ; le Gouvernement l’a compris et je le constate. Mais encore faut-il que ces dispositions soient suffisamment ambitieuses pour faire face aux difficultés financières des différents régimes.

Quatrièmement, les mesures doivent naturellement s’appliquer à compter du jour où elles sont prises. Prendre des mesures destinées à entrer en vigueur dans sept ans, c’est tout simplement une imposture. Le Gouvernement ne sera plus là dans sept ans !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Quoi qu’il en soit, ceux qui seront aux affaires auront à prendre leurs propres décisions.

Cinquièmement, toutes les réformes qui ont été menées – de vraies réformes, disais-je – nous enseignent qu’il faut se méfier des prélèvements supplémentaires. Au deuxième trimestre de 2013, le taux de dette publique a atteint 93 % du PIB. Le taux de chômage s’établit à des niveaux sans précédent. Le pouvoir d’achat est en berne, l’activité, en plein marasme. Dans de telles circonstances, on ne doit pas créer de nouveaux prélèvements en vue de contribuer à l’équilibre des régimes de retraite. C’est criminel pour l’économie.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C’est, par conséquent, une leçon de plus. Je note à ce titre que les cotisations de retraite n’ont augmenté qu’une seule fois au fil de ces réformes, et encore dans de très faibles proportions. C’était en 2003, c’est-à-dire à une époque où le nombre de chômeurs baissait. Entre 2002 et 2007, le chômage a reculé, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

… pour atteindre un taux jamais vu depuis 1988. Je tiens à vous le rappeler, chers collègues de la majorité ! De même, les déficits publics ont alors reculé de 4 % à 2 %.

Sixièmement et enfin, aucune réforme sérieuse ne peut être menée en la matière sans inclure le secteur public qui, aujourd’hui, à l’horizon de 2020, représente la moitié du besoin de financement des régimes de retraite de base.

Madame la ministre, face à ces axiomes, je constate les nombreuses insuffisances de votre texte. Du reste, ce n’est pas un projet de loi de réforme des retraites. C’est un texte portant diverses dispositions relatives aux retraites ! §À savoir des augmentations de recettes par des cotisations supplémentaires, à contretemps sur le plan économique, et une astuce de chef de bureau – pardonnez-moi, madame la ministre – : le report de la date d’effet de l’indexation. Je suis persuadé qu’il s’agit d’une telle astuce !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je connais bien les chefs de bureau !

S’y ajoutent des mesures d’allongement de la durée de cotisation, qui rapportent deux fois moins que le recul de l’âge de départ à la retraite, et une impasse totale au sujet du secteur public.

Que reste-t-il en définitive ? Une demi-mesure au sujet de l’allongement de la durée d’activité et pas de mesure du tout pour le secteur public. Cette réforme se limite donc à un quart de mesure ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Au surplus, au sujet de la pénibilité, le Gouvernement n’a pas tenu compte de l’avis exprimé au sein du Conseil d’orientation sur les conditions de travail par les partenaires sociaux, au premier rang desquels la CFDT, qui a pourtant approuvé cette réforme sur le principe.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le compte pénibilité vient heurter de plein fouet notre système de prévention des maladies et risques professionnels, inscrit dans le code du travail et orienté par de grandes directives européennes. À mon sens, la complexité ainsi créée va susciter de très grandes difficultés, compte tenu de la contradiction qui se fait jour entre notre système de prévention des risques, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

… et le dispositif du compte pénibilité, introduit via le présent texte.

Avant de conclure, j’évoquerai la mesure relative aux avantages familiaux figurant dans l’étude d’impact, que le Premier ministre a détaillée en présentant ce projet de réforme en septembre dernier. Représentant un produit de 1, 3 milliard d’euros, cette disposition est inique, les familles nombreuses ne pouvant pas épargner autant que les autres pour assurer leur avenir. Pis, on pensait qu’elle contribuerait à équilibrer le financement de nos retraites, mais elle a subitement disparu de cette réforme. Au même titre que la contribution additionnelle en faveur de l’autonomie et de la dépendance, la CASA, créée l’an dernier, elle vient désormais combler le puits sans fond des déficits publics, au lieu d’être affectée à la réforme des retraites ! §

Madame la ministre, nous ne sommes pas dupes. Nous disons à voix haute ce que nous avons constaté : il faut retrouver cette somme, nous en avons besoin. Il est douloureux de voir ces fonds détournés du but annoncé, qui plus est par une mesure scélérate, passez-moi l’expression.

Enfin, monsieur Domeizel, pour juger si une réforme des retraites est utile au pays et à l’intérêt général, il ne s’agit pas de déterminer si elle est de gauche ou de droite.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Au reste, il me semble que le Gouvernement n’est pas parvenu à faire l’unanimité dans les rangs de la majorité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

C’est justement parce que cette réforme n’est ni de droite ni de gauche !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

… et je comprends pourquoi.

Le véritable critère est simple : assurer le rendement nécessaire pour tranquilliser nos compatriotes au sujet de leur retraite sans pour autant peser sur l’activité, l’emploi et le pouvoir d’achat. À cette aune, cette réforme est hélas une non-réforme ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, intervenant parmi les derniers, je ne reprendrai pas toutes les analyses faites sur ce texte. Il est vrai que plusieurs de ses dispositions constituent des avancées qu’il est possible de souligner, même si elles peuvent paraître frileuses.

Pour autant, il n’est pas difficile aujourd’hui d’ajouter au débat des considérations que le législateur semble avoir oubliées. J’entends rappeler ici l’existence de ceux dont la voix ne porte pas suffisamment, s’agissant d’un projet de loi fondamental au point que son intitulé comme son premier article contiennent, comme objectif assumé, la défense de valeurs qui sont au fondement de notre République.

Permettez-moi, dès lors, mes chers collègues, de revenir à ces aspects primordiaux et d’appuyer mon propos sur l’article 1er, qui fixe l’objectif de ce projet de loi. Cela permet de mettre en lumière l’insuffisante prise en compte des trois millions de citoyens qui résident dans les outre-mer et ainsi, je l’espère, de faire bouger les lignes.

Ce projet de loi a le mérite de réaffirmer que le système de retraites par répartition est au cœur du pacte social entre les générations. Il dispose ainsi que « La Nation assigne [...] au système de retraite [...] un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération ». Cela vaut pour tous les retraités, en effet, puisqu’il est alors précisé : « quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie ».

Construisant cette énumération, qui vise a priori à garantir l’équité, le législateur semble cependant avoir oublié sa géographie, car, s’agissant des outre-mer, les mesures du texte se révèlent tout à fait insuffisantes pour assurer une égalité réelle.

Ainsi, pour garantir notre système de retraite, ce qui fonde une des mesures les plus douloureusement vécues par nos concitoyens n’est pas uniforme sur le territoire, et rien, dans ce projet de loi, ne permet de les différencier.

Je veux parler de l’espérance de vie, qui justifie le report toujours plus lointain de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein, que ce texte dissimule sous l’euphémisme « augmentation de la durée d’assurance ».

En Guyane, madame la ministre, l’espérance de vie est inférieure de quatre ans à ce qu’elle est en métropole ! Cette particularité, que l’on retrouve également à La Réunion et, dans une moindre mesure, en Martinique et en Guadeloupe, ne peut être traitée par la seule prise en considération de la pénibilité des conditions de travail ! Certes celle-ci est ressentie plus douloureusement lorsque l’âge avance, et ce texte porte l’espérance d’une prise en compte juste de ces conditions difficiles.

Si l’allongement de la durée de cotisation peut se justifier par l’allongement de l’espérance de vie, quand celui-ci résulte des progrès de l’hygiène, de l’alimentation et de la médecine, alors cette mesure devrait être suspendue, outre-mer, à la réalisation effective d’un meilleur accès aux soins, à l’éradication des infections et épidémies inconnues en métropole, à la prise en compte de l’isolement et l’enclavement des territoires, de l’état souvent précaire et insalubre de l’habitat, des retards dans les infrastructures d’assainissement. Son application devrait donc dépendre de l’objectif de voir l’espérance de vie globale en outre-mer atteindre le niveau de la métropole.

De plus, en outre-mer, deux fois plus de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et les femmes sont souvent multipares et fortement frappées par l’inactivité officielle, ou le chômage. Le chômage structurel est trois fois plus élevé qu’en métropole et impacte alors plus lourdement encore ces fameuses périodes de privation involontaire d’emploi qui ont un effet pénalisant sur le montant et sur la durée de cotisation dans le calcul de la retraite.

Sans une refonte du système économique dans ces territoires, et malgré une prise en compte bienvenue dans ce texte de ces situations difficiles, nous nous préparons, dans les prochaines années, à l’émergence d’une génération de retraités plus pauvres en outre-mer.

Outre la géographie, madame la ministre, n’oubliez pas l’histoire sociale, avec le SMIC DOM, inférieur au SMIC national jusqu’en 1996, l’indemnité temporaire de retraite qui a existé jusqu’en 2008, le revenu supplémentaire temporaire d’activité, supprimé sans compensation en mai dernier, et toutes ces situations particulières, survivances d’un autre âge, qui sont sources d’inégalités avec la métropole.

Si l’on considère, en plus d’une situation de revenus plus faibles que dans l’Hexagone, le contexte de cherté de la vie, la situation devient explosive, y compris chez les fonctionnaires locaux. Ceux-ci sont très majoritairement de catégorie C, ont été tardivement titularisés, et subissent une double décote au moment de leur départ à la retraite. Il n’y a pas de prix « spécial retraités locaux » dans les supermarchés de Cayenne, de Pointe-à-Pitre, de Fort-de-France ou de Saint-Denis de La Réunion !

Madame la ministre, j’espère que ce texte évoluera après cette discussion. Parce qu’il tend à oublier ces situations particulières, il ne contient pas de réponse suffisamment claire aux disparités structurelles que connaissent les outre-mer.

Je formule donc le vœu que les notions d’équité, de cohérence et de cohésion sociale dans les stratégies de développement permettent d’engager un véritable débat sur la retraite dans les outre-mer durant cette semaine, en convoquant les questions de l’emploi, des revenus, de l’insertion et du développement économique. Cette approche, qui est fondamentale, donnera du sens à ce que l’on appelle l’identité législative ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, ce matin, Bertrand Delanoë disait : « je ne comprends pas tout » à la politique du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Certainement ! D’ailleurs, moi non plus je ne comprends pas tout, comme beaucoup.

Madame la ministre, lorsqu’on annonçait, il y a plus d’un an que le Gouvernement allait lancer une grande concertation, j’avais dit, au sein de mon groupe, et également au sein du parti lors d’une convention sur les retraites, que, chacun devant avoir son opinion et ses avis, je voterais d’éventuelles mesures positives que vous prévoiriez, pour faire avancer les choses.

À mon sens, en effet, le sujet des retraites devrait échapper aux affaires partisanes. §

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

On devrait obtenir presque un accord sur ce sujet, au moins pour sécuriser. Je ne parle pas d’assurer définitivement le système. J’ai entendu ce qui a été dit, et tout le monde s’accorde sur le fait que l’on ne peut prétendre faire une réforme des retraites pour vingt ou pour cent ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

C’est pourtant bien ce que vous nous aviez dit !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

La société change, les évolutions sont là, et, comme en Allemagne, il faut accepter que le système évolue d’année en année. Cela n’est toutefois pas dans la culture française. Il faut reconnaître que nous avons une tendance naturelle à croire que, parce que nous avons voté une loi, nous avons fait le travail. Nous nous reposons alors sur la loi de tant… Chez les Allemands, voire chez les Britanniques, on évolue d’année en année ; nous, nous nous arrêtons à la loi que l’on a fait voter il y a dix ans.

Pourtant, le monde change. Madame la ministre, nous entendons bien tout ce qui est dit et nous ne contestons évidemment pas tout : la prise en compte de la pénibilité, des carrières longues, nous l’avions déjà fait. Mais tout de même ! Vous évoquez les quatre réformes précédentes, et j’entends une partie de la gauche dire « Nous ne les avons pas votées et nous avons bien fait ». Pourtant, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, elle ne les a pas défaites, elle les a conservées !

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Une certaine gauche n’est pas revenue dessus !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Cela signifie qu’à certains moments, face à une situation donnée, il faut trouver des solutions.

Soyons sincères : chez nos voisins, qui a augmenté l’âge de la retraite ? M. Schröder en Allemagne, M. Zapatero en Espagne, et je ne citerai pas Tony Blair au Royaume-Uni, pour que vous ne m’opposiez pas qu’il n’est pas de gauche. §Ce ne sont pas des gouvernements de droite, mais des gouvernements socialistes.

Qui a allongé la durée de cotisation en Suède, en Norvège, au Danemark ? Des gouvernements socio-démocrates, pas des gouvernements de droite ! Cela signifie qu’il n’y a pas d’un côté une culture de droite où l’on pressuriserait les employés, où l’on embêterait le monde, où l’on irait contre les salariés, et de l’autre une culture de gauche protectrice, qui aurait le droit de nous traiter de méchants. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas comme cela !

J’aurais sincèrement souhaité que l’on parvienne, sinon à un consensus, malheureusement rare dans la culture politique française, à tout le moins à un texte dont chacun puisse se dire qu’il contient des éléments déplaisants, mais aussi des éléments positifs.

Malheureusement, nous n’en sommes pas là. Pourquoi ? Parce que, soyons francs – et je n’évoque même pas la question de savoir s’il faudra recommencer –, vous évaluez vous-mêmes, au travers de ce texte de réforme, les besoins de financement pour 2020 à quelque 20 milliards d’euros, alors que par ce texte, vous dégagez 7 milliards. Les deux tiers de la somme étant absents, cela signifie donc que, dans deux ou trois ans, un nouveau texte sera nécessaire. Il faudra bien trouver encore quelque chose ! À ce moment-là, vous ne pourrez pas augmenter à nouveau les cotisations, parce que, pour de bon, les retraités comme les salariés vous diront : « Halte au feu ! Notre pouvoir d’achat n’en peut plus ! » On y viendra obligatoirement. Et on se demandera alors s’il faut passer à 63 ans, s’il faut augmenter plus rapidement la durée de cotisation.

Comme un de mes collègues l’a fort bien dit, faire une réforme qui n’est applicable que dans sept, dix ou quinze ans, cela revient à dire : « Après moi, le déluge, que mes successeurs se débrouillent ! »

Dans la pratique, on sait bien que les gouvernements successifs prétendront que les conditions ont changé, que ce n’est plus la même situation, ni la même société. C’est évident !

Quitte à demander des sacrifices, je le dis franchement, ce gouvernement ferait acte d’autorité et de maturité aux yeux de la société française en faisant en sorte de pouvoir dire aux jeunes de vingt ou trente ans qu’il est en train de sauver le système de retraites. Or, après cette réforme, combien de jeunes de vingt ou trente ans vont croire réellement que vous avez sauvé le système de retraites ? Aujourd’hui, combien de jeunes de vingt ou trente ans disent : « De toute façon, il n’y aura plus de retraite quand j’aurai l’âge » ? On entend cela partout !

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Ces jeunes se disent aujourd’hui que ce qui leur est dit est faux et qu’il n’y aura plus rien pour eux.

Il faut sécuriser, et pour ce faire il faut prendre des mesures courageuses. Madame la ministre, des demi-mesures, de simples hausses de cotisations, pas de réforme systémique, pas de réforme structurelle, pas de convergence entre les systèmes public et privé, pas de remise en cause d'un certain nombre de régimes spéciaux, pas de remise en cause de l’équilibre général du monde de la retraite, cela ne sécurise personne !

La vérité, c’est qu’aujourd’hui, après ce vote, quel qu’il soit, tout le monde se dira : À quand le prochain texte ? Quand serons-nous réellement en déséquilibre et quand faudra-t-il donc prendre des mesures fortes ? Quand y aura-t-il une véritable réforme ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Voilà le vrai sujet !

Aujourd’hui, nous venons pour voter des hausses de cotisations ; demain, il faudra faire la réforme des retraites ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Cantegrit

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon propos vise d’abord à rappeler qu’en matière d’assurance vieillesse il existe aussi une assurance vieillesse volontaire pour les salariés français expatriés, ou les parents chargés de famille expatriés. Cette assurance volontaire est gérée par la Caisse des Français de l’étranger, que je préside, pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

Aujourd’hui, 50 000 Français expatriés font usage de cette assurance volontaire : 40 000 d’entre eux relèvent d’entreprises françaises qui expatrient du personnel à l’étranger, et 10 000 sont des assurés individuels.

La cotisation à acquitter est assez élevée : elle peut atteindre 6 200 euros par an. Si, pour les salariés d’entreprises françaises, on peut supposer que l’employeur participe fortement à la prise en charge de cette cotisation, il n’en va pas toujours de même pour les salariés individuels.

Ces chiffres montrent donc le souhait de beaucoup de Français, lorsqu’ils partent travailler à l’étranger, de rester rattachés au système français de sécurité sociale. Tous les Français qui partent hors de France n’ont pas le désir de rompre les ponts avec leur pays d’origine et l’attachement à la sécurité sociale reste souvent très fort.

Malheureusement, l’adhésion à l’assurance volontaire vieillesse est devenue plus compliquée. Alors que cette adhésion était auparavant ouverte aux personnes de nationalité française ainsi que, sous conditions, à certains étrangers, une loi de 2010 a supprimé la règle de la nationalité pour y substituer la condition d’avoir été couvert, pendant au moins cinq ans, par un régime obligatoire d’assurance maladie français.

Cette réforme a d’abord entraîné une grande complexité de gestion, car il est souvent difficile pour une personne de prouver qu’elle remplit cette condition, mais – c’est sans doute le plus grave ! – la difficulté à apporter la preuve de cinq ans d’affiliation à un régime obligatoire d’assurance maladie est peut-être en train de détourner certains jeunes qui partent travailler à l’étranger pour de courtes périodes d’adhérer à l’assurance volontaire vieillesse. Cela est regrettable à un moment où le Gouvernement décide d’allonger la durée de cotisation mais souhaite, en contrepartie, faciliter la validation de certains trimestres de cotisation.

Enfin, les Français de l’étranger qui n’ont jamais résidé en France se voient désormais privés de toute possibilité d’adhérer à l’assurance volontaire vieillesse, ce qui est choquant pour beaucoup de représentants des Français de l’étranger. Il n’y a dans mon propos aucun reproche à votre égard, madame la ministre, la nouvelle règle d’adhésion à l’assurance volontaire vieillesse ayant été instaurée par le précédent gouvernement à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Cantegrit

Mais puis-je exprimer un souhait ?

La Caisse des Français de l’étranger, qui gère cette assurance volontaire, vient d’entrer, avec votre ministère, dans une démarche de convention d’objectifs et de gestion. Ne pourrait-on pas mettre à profit la durée de cette future convention pour réfléchir sereinement, avec vos services, à une règle d’adhésion moins problématique ?

Pour conclure, je voudrais élargir mon propos au-delà du seul sujet de l’assurance volontaire vieillesse.

Diverses réformes sont intervenues pour accroître et améliorer la représentation politique des Français de l’étranger. À la suite d’une modification de la Constitution, onze députés des Français de l’étranger ont été élus, qui se sont ajoutés aux douze sénateurs déjà existants. Plus récemment, une réforme de l’Assemblée des Français de l’étranger a été engagée. L’objectif est de mieux prendre en compte les intérêts et préoccupations des Français de l’étranger.

Or cela ne se traduit pas toujours dans l’action menée au quotidien. Rares sont les textes soumis au vote du Parlement pour lesquels l’impact ou les conséquences des actions proposées ou des réformes envisagées sur les Français de l’étranger ont été préalablement analysés. Le présent projet de loi n’y fait pas exception, ce qui conduira peut-être certains de mes collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France à proposer des amendements.

Aussi, ne serait-il pas souhaitable, madame la ministre, que les services ministériels s’habituent à prendre en compte les préoccupations propres aux Français de l’étranger ou s’interrogent, dès le premier stade de l’élaboration des textes, sur les éventuelles conséquences à leur égard des mesures proposées ? §

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine

Je ne répondrai pas à l’ensemble des interpellations qui m’ont été adressées – nous aurons évidemment l’occasion d’y revenir au cours du débat –, mais je reviendrai sur les points les plus saillants qui structurent la discussion que nous avons sur l’avenir de notre système de retraites.

Pour commencer, je tiens à saluer la qualité de toutes les interventions, et je veux remercier Mme la rapporteur, Christiane Demontès, de la démarche constructive qui est la sienne et des propositions qu’elle a formulées dans son intervention, qui nous permettront de cheminer tout au long du débat.

Je remercie également M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, Jean-Pierre Caffet, d’avoir relevé que la démarche engagée par le Gouvernement participe au redressement des comptes publics et d’avoir souligné que les hypothèses économiques sur lesquelles est fondé ce texte sont identiques à celles qui avaient été retenues précédemment, ce qui, normalement, devrait empêcher toute critique de la part de l’opposition sur ce point.

Je remercie, enfin, Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Laurence Rossignol, d’avoir souligné que ce texte marque des avancées importantes concernant la prise en compte de la situation des femmes. J’ai entendu certaines des propositions formulées, notamment la possibilité laissée aux femmes de se constituer des droits propres, ainsi que d’autres éléments allant en ce sens.

À l’évidence, une réforme des retraites ne peut apporter à elle seule – par la même occasion, je réponds à Mme Cohen – toutes les réponses aux inégalités dont sont victimes les femmes, même si un texte relatif aux retraites doit intégrer des éléments de nature à atténuer les inégalités ou à éviter que celles-ci ne se creusent ; c’est, en tout cas, ce que nous avons souhaité faire.

Je veux dire à Jean-Marie Vanlerenberghe et à tous ceux qui se sont exprimés sur la question d’un système de retraites par points, une réforme systémique, que la position du groupe UDI-UC n’a pas varié au fil des ans, contrairement à d’autres. Ce groupe a régulièrement porté la volonté d’engager une réforme systémique ou dite systémique de notre régime de retraite.

Je ne sous-estime pas l’importance de ces propositions, je veux simplement insister sur le fait qu’une réforme systémique ne constitue pas en elle-même une réponse aux enjeux de financement. C’est d’ailleurs ce que souligne le rapport du Conseil d’orientation des retraites de 2010, auquel il a été fait allusion à plusieurs reprises.

Une réforme systémique, un système de retraites par points ou en comptes notionnels, – je m’adresse également là à Françoise Laborde – c’est une architecture, une manière de compter, de décliner, d’organiser, de structurer nos retraites, mais cela ne dit rien des choix politiques que nous pouvons faire. Or il faut faire des choix quant à l’âge de départ en retraite, la durée de cotisation, la prise en compte ou non de la pénibilité, la prise en compte ou non des inégalités concernant les femmes ou les jeunes. Le système suédois en est une preuve : les problèmes de financement n’ayant quasiment pas été réglés, le gouvernement a été obligé de réintervenir pour bloquer la manière dont étaient comptabilisés les départs en retraite.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Il y a donc des choix politiques à faire qui ne disent rien de la manière dont s’organise et se structure ensuite un système de retraites. Nos choix sont ceux qui figurent dans cette réforme : nous n’avons pas voulu aller vers un régime de retraite par points, dont on voit d’ailleurs les limites avec les régimes de retraite complémentaire, qui ont, eux aussi, été amenés à faire des choix puisqu’il n’y a jamais d’ajustement automatique.

Monsieur Watrin – je m’adresse aussi à Laurence Cohen, même si elle n’en a pas parlé –, quelle drôle de manière d’engager le débat en annonçant d’emblée que, quoi qu’il arrive, le groupe CRC ne votera pas ce texte, mais qu’il a la volonté d’améliorer la rédaction de chacun des articles. Voilà qui ne favorise pas le dialogue constructif.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Pour ma part, j’aurais l’occasion d’y revenir, je pratiquerai volontiers ce type de dialogue.

Pierre Mauroy a mené – je remercie cette grande figure du socialisme – une importante réforme des retraites en 1982, qui tenait compte du fait que, à l’époque, l’espérance de vie, notamment des ouvriers et des mineurs de sa région, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

On en a reparlé en 2010 ! Ce n’est pas un temps si lointain !

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… était inférieure à soixante-cinq ans. Comment partir à la retraite à soixante-cinq ans quand on vit moins de soixante-cinq ans ? C’est quelque chose qui n’est pas envisageable.

J’ai moi-même cité le discours de Pierre Mauroy en 2010 lorsqu’il parlait de la retraite comme une ligne d’espoir et de vie.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

C’est pourquoi nous avons permis, en 2012, à ceux qui ont commencé à travailler tôt et dont l’espérance de vie est plus faible de partir dès soixante ans.

J’ajoute qu’aucun gouvernement n’a apporté autant de ressources extérieures au système de retraite, que ce soit au travers de la loi de finances rectificative ou des lois de financement de la sécurité sociale. Je ne crois pas – c’est peut-être une différence entre nous ! – que l’on puisse répondre à l’enjeu des retraites uniquement par des prélèvements supplémentaires.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

C'est la raison pour laquelle nous prévoyons l’allongement de la durée de cotisation.

Oui, monsieur Barbier, il est nécessaire de prendre en compte la pénibilité, mais il ne revient pas au seul système de retraites d’y remédier. C’est pourquoi notre réforme prévoit de soutenir la prévention de la pénibilité. Nous voulons, au travers des mécanismes mis en place, encourager, d’une part, les salariés à se former et, d’autre part, les entreprises à modifier les conditions de travail dans lesquelles évoluent leurs personnels, afin qu’il y ait davantage de prévention et moins de réparation.

J’ai bien entendu les multiples critiques émises par le groupe UMP sur ce projet de réforme.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Moins que vous ne le faisiez il y a quelques années !

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

À dire vrai, je ne m’attendais pas à autre chose. Toutefois, je n’ai pas entendu d’autres propositions, monsieur Longuet, si ce n’est celle de relever l’âge légal de départ en retraite à soixante-cinq ans, …

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… mais ce ne serait, avez-vous dit, qu’une étape.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Je ne sais pas jusqu’à quel âge il faudra travailler pour répondre à votre demande de réforme. En tout cas, il s’agit clairement d’une différence entre nous, que j’assume, que je porte et que je revendique.

Nous considérons, pour notre part, que le relèvement de l’âge légal de départ en retraite est injuste parce qu’il fait porter tout l’effort de restructuration du système sur ceux qui ont commencé à travailler jeune, …

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… alors que la durée de cotisation peut être modulée en fonction des conditions de travail.

Monsieur Bas, j’ai bien entendu vos leçons.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

C’est au fond le seul vœu que je puisse formuler. Mais je sais qu’il n’y avait dans votre esprit nul mépris à l’égard des chefs de bureau qui peuplent nos administrations ; vous avez été bien placé pour en reconnaître la compétence et la qualité.

Monsieur Karoutchi, les comparaisons internationales doivent être faites avec une certaine prudence, car elles défient parfois ce que l’on imagine. Ainsi, de nombreux pays ont un âge légal de départ en retraite inférieur au nôtre : 60 ans au Canada, 61 ans en Suède, 62 ans aux États-Unis.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Et en Allemagne, pays dont on parle très souvent et dont vous, le groupe UMP et d’autres, parlez très souvent, la durée de cotisation est assez nettement inférieure à la nôtre.

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

De plus, l’âge légal de départ en retraite doit être porté à 67 ans…

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… à l’horizon 2029 ; cela prouve d’ailleurs que l’on peut s’inscrire dans la durée, contrairement à ce que vous semblez imaginer ! Soixante-sept ans, c’est l’équivalent, en France, de l’âge de la retraite à taux plein. Contrairement à ce que vous laissez penser, c’est effectivement 67 ans depuis la réforme de 2010 et non pas 62 ans !

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Il faut donc comparer ce qui est comparable : en Allemagne, les critères sont la durée de cotisation et l’âge de la retraite à taux plein, alors que nous avons en France la durée de cotisation, l’âge légal de départ à la retraite et l’âge de la retraite à taux plein. Aussi, les comparaisons internationales doivent bien sûr être maniées avec précaution.

Monsieur Husson, le travail qui sera mené au cours de l’année 2014 nous permettra de prendre en compte la diversité des entreprises dans la mise en place du compte pénibilité.

Monsieur Cantegrit, j’entends bien vos préoccupations quant au régime des Français de l’étranger. Sur ce sujet, des rapports vont être remis au Gouvernement, qui doivent nous permettre, au-delà de la question de l’assurance volontaire vieillesse, de réfléchir à la façon d’améliorer la situation, même si des mesures ont déjà été prises dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

Monsieur Desessard, vous avez relevé, avec votre talent habituel, qu’il s’agissait d’une réforme de gauche, qui contenait de nombreuses mesures de justice importantes. L’allongement de la durée de cotisation permet de prendre en compte une évolution de la société, qui est indéniable.

D’ailleurs, un jeune qui est aujourd’hui âgé de 25 ans, même en admettant qu’il soit amené à cotiser 43 annuités parce qu’il ne bénéficiera pas du compte pénibilité, vivra à la retraite deux ans de plus que celui qui part à la retraite cette année ou l’année prochaine.

Madame Laborde, je vous ai déjà en grande partie répondu. Je tiens toutefois à vous remercier d’avoir souligné l’importance des mesures en direction des jeunes, qu’il s’agisse de la prise en compte de trimestres d’études ou de stages.

Monsieur Antoinette, j’entends les préoccupations que vous exprimez sur l’outre-mer. Cependant, ce projet de loi n’est pas le bon véhicule législatif pour apporter des réponses aux inégalités ou aux différences d’espérance de vie…

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… qui résultent de la santé ou de l’environnement. C’est par exemple en matière de santé publique que nous pouvons avancer sur ces sujets.

Je tiens à remercier les orateurs du groupe socialiste du soutien qu’ils ont apporté à ce texte.

Je remercie tout particulièrement Claude Domeizel d’avoir rappelé qu’il fallait dire la vérité à nos concitoyens

M. Gérard Longuet s’exclame

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… que des efforts étaient nécessaires, …

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

… mais que, dans le même temps, des mesures de justice étaient apportées. Il a avec raison fait référence aux grandes figures du Conseil national de la Résistance et montré que ce qui nous paraît une évidence s’est progressivement construit ; aujourd'hui, nous devons aller de l’avant de la même manière.

Yves Daudigny a parlé d’une réforme d’espoir et de confiance. Ce sont des termes forts. Je le remercie également d’avoir salué la méthode de concertation adoptée par le Gouvernement, qui rompt avec ce qui prévalait dans le passé. Il a également mis l’accent sur l’allocation transitoire de solidarité, qui a pris le relais de l’allocation équivalent retraite, et les difficultés auxquelles les générations de 1952 et 1953 sont confrontées. Sur cette question, un rapport doit être remis et nous avons la volonté d’avancer.

Merci aussi à René Teulade d’avoir dit qu’il fallait rompre avec les slogans faciles et qu’il était nécessaire de consolider le rêve des jeunes générations qui veulent pouvoir bénéficier d’une retraite de bonne qualité. C’est à cela que nous œuvrons.

Mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de la dénaturation qu’a subie ce texte, ...

Debut de section - Permalien
Marisol Touraine, ministre

Pour ma part, quoi qu’il se soit passé en commission, j’aborde cette étape sénatoriale, comme celles qui l’ont précédée, avec disponibilité, ouverture d’esprit et volonté de dialogue, mais également avec la ferme détermination de garantir l’équilibre financier et social de ce texte.

C’est en effet un gage de cohérence pour tous ceux qui attendent de savoir comment se construira notre système de retraites dans l’avenir.

Quoi qu’il en soit, je vous renouvelle mes remerciements. Je souhaite que ce débat parlementaire soit à la hauteur de l’enjeu, l’avenir de notre système social. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Je suis saisi, par MM. Longuet, Cardoux et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (71, 2013–2014).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Gérard Longuet, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en début de séance, au nom du groupe UMP et en vertu de l’article 44, alinéa 5, de notre règlement, j’ai déposé une motion de renvoi à la commission. En effet, à nos yeux, ce texte ne répondait pas complètement – c’est un euphémisme ! – à l’objectif affiché dans son titre : garantir à la fois la pérennité et la justice du système de retraites.

La pérennité, parce que le projet de loi ne s’attaque qu’à une partie du déficit estimé, notamment par le COR, à 20, 7 milliards d’euros en 2020. Ainsi, il est question d’un apport et d’un soutien, comme la discussion générale l’a montré, essentiellement à la charge des retraités et des salariés, de 7, 6 milliards d’euros. Cela laisse évidemment une importante impasse, sur laquelle nous souhaitons obtenir des informations beaucoup plus complètes. Ne serait-ce que pour cette raison, le renvoi en commission se justifiait.

La justice, parce que, et c’est un point qui nous sépare, madame la ministre, nous considérons qu’un régime qui ne permet pas la flexibilité de la charge et de la recette au fur et à mesure de l’évolution des réalités économiques et de l’impact des mouvements de la société de long terme – les mouvements de la société vous sont familiers – n’est pas juste.

Ce texte méritait donc d’être approfondi pour que, sans évoquer un système d’ensemble, madame la ministre, vous puissiez au moins nous répondre sur les lancinantes questions de l’adaptation du régime de retraite aux réalités économiques de notre temps, telles qu’elles ont été évoquées notamment par mon collègue Jean-François Husson, sur le thème de la pénibilité, ou par mon collègue Philippe Bas, sur le thème plus général de l’équilibre du dispositif. Roger Karoutchi a rappelé, avec le bon sens que chacun lui connaît, que cette question des retraites devrait nous rapprocher car, comme je l’ai évoqué, par le jeu de l’alternance démocratique, nous aurons tous à rendre compte de la gestion de ce système collectif. Pour cette autre raison, le renvoi en commission s’imposait.

Je renonce pourtant à demander le renvoi de ce texte en commission. §

En effet, j’ai un immense respect pour notre présidente de commission et je ne conteste nullement la bonne volonté de Mme Demontès, dont le rapport méritait d’être lu et entendu. Mais un petit problème se pose : la commission ne fonctionne pas ! S’il en est ainsi, madame la ministre, c’est parce que, à l’origine, il y a un malentendu dans le contrat de votre majorité.

J’ai relu attentivement certaines déclarations émises lors de la campagne pour l’élection présidentielle. En fait, vous avez abordé l’épreuve du suffrage universel sur ce thème majeur des retraites, avec des positions suffisamment contradictoires pour que naissent des ambiguïtés, que vous ne parvenez pas à lever en cet instant.

Un candidat, qui, depuis, a été oublié, Dominique Strauss-Kahn, rappelait très crûment – c’est son habitude : parler direct, agir direct ! – que 60 ans n’étaient pas un tabou et qu’il nous fallait négocier avec les réalités. À l’autre extrémité du parti socialiste, M. Montebourg et Mme Ségolène royale – moins bien inspirée qu’elle ne le fut dans d’autres circonstances – déclaraient que c’était 60 ans et rien d’autre.

Entre les deux, le candidat Hollande et vous-même, madame la ministre, avez adopté des positions que même une longue pratique du jésuitisme ne me permettrait pas de comprendre

Sourires sur les travées de l'UMP

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Il se trouve que cela n’était pas possible et qu’il faut choisir.

Il y a trois ans, j’exerçais d’autres fonctions, celles de président du groupe auquel j’appartiens aujourd’hui, je me souviens d’avoir passé trois longues semaines au mois de juillet, le matin, l’après-midi, le soir, tard dans la nuit.

Mme Catherine Procaccia acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Rien ne trouvait grâce à vos yeux dans cette réforme de 2010, qui prolongeait celle de 2008, qui elle-même succédait à celle de 2003 et à celle de 1993, où le gouvernement d’Édouard Balladur avait eu le courage – pour être très honnête, un courage prudent, en plein mois de juillet – d’allonger la durée de cotisation des salariés du secteur privé sans s’attaquer aux salariés du secteur public. Depuis, nous avons découvert le thème de la convergence.

Aujourd’hui, vous héritez de cette contradiction entre le principe de réalité que doit assumer un gouvernement – c’est votre mission – et les espoirs qu’a fait naître l’ambiguïté de vos propos de 2012, après la démagogie absolue dont vous aviez fait montre avec votre opposition totale de 2010. Vous en subissez les effets concrets : il n’y a pas de majorité en commission.

Je retire donc cette motion de renvoi en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Pour disposer d’un temps de parole supplémentaire !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Cela ne servirait à rien ! Nous débattons du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, ce qui signifie que la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée n’est pas en mesure d’exprimer sa position.

Dans ces conditions, pourquoi diable perdre du temps ? Attaquons directement l’examen des articles : chaque groupe défendra ses convictions. La seule vérité à retenir, c’est que, à vouloir promettre tout à tous, vous avez créé une situation que vous n’êtes plus en mesure de gérer. Nous ferons donc en séance plénière un travail de commission. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La motion n° 1 est retirée.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente.