Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 28 octobre 2013 à 15h00
Avenir et justice du système de retraites — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe :

… que vous aviez tant décriées, madame la ministre.

Il s’agit d’une énième réforme paramétrique, et non de la réforme systémique que mon groupe appelle de ses vœux depuis 2003. Notre réforme consisterait à mettre en place un régime unique par points ou en comptes notionnels.

En ne jouant que sur les paramètres de l’existant, la présente réforme ne fait que conserver et prolonger l’acquis. Au titre de la conservation, elle ne remet en cause ni l’âge d’ouverture des droits ni celui du taux plein, hérités de la réforme Woerth de 2010. La remise en cause de ces âges était pourtant, me semble-t-il, au programme du candidat Hollande. Au titre de la prolongation, la réforme accroît encore la durée de cotisation, augmente les taux et désindexe partiellement, comme l’ont fait les réformes précédentes.

C’est la raison pour laquelle l’intitulé « projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » est particulièrement trompeur, voire relève de l’imposture. Cette réforme n’est certainement pas de nature à garantir l’avenir du système de retraites, tant son ampleur financière est sous-dimensionnée par rapport aux besoins en jeu. Elle ne peut pas non plus garantir la justice du système, puisqu’elle ne s’attaque en rien à sa complexité, à son opacité, nées de la multiplicité des régimes, et, par conséquent, aux iniquités structurelles qui en découlent.

Je reviendrai sur ces deux points. Sur le plan strictement financier, il est évident que le compte n’y est pas. Le COR, estime que le déficit de tous les régimes est compris entre 20, 9 et 21, 3 milliards d’euros. Or la réforme ne devrait rapporter que 7, 6 milliards d’euros d’ici à 2020, résorbant essentiellement le déficit du régime général et des régimes de base associés.

Je ferai une remarque incidente : on nous explique que la réforme devrait également résorber le déficit du FSV, mais alors, il faut nous préciser par quelle mécanique, puisque les ressources du FSV proviennent pour l’essentiel d’une fraction de la contribution sociale généralisée, la CSG.

La réforme n’affectera que faiblement les déficits des régimes de base de l’État et équilibrés par lui, c’est-à-dire les principaux régimes spéciaux, et des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO. La réforme ne couvrirait donc qu’un tiers du déficit prévisionnel.

Et encore : est-ce garanti ? Ce n’est pas certain, si l’on se réfère aux hypothèses macroéconomiques particulièrement optimistes sur lesquelles se fonde la réforme : d’une part, un taux de chômage diminuant jusqu’à 7, 6 % en 2020, puis 4, 5 % en 2033, alors qu’il n’est jamais passé sous la barre des 9 % depuis vingt ans ; d’autre part, une croissance de 1, 6 % par an en moyenne de 2011 à 2020, alors que son taux sera pratiquement nul entre 2011 et 2014. Cela revient à espérer une croissance de 2, 5 % à partir de 2014. Autant rêver !

Bref, les paramètres de la réforme sont bien peu crédibles. Elle n’est donc pas à la hauteur de l’enjeu. Son ampleur financière est des plus limitées. À titre de comparaison, elle ne représente que le quart du produit de la réforme de 2010 ; vous voyez que je rends justice à cette dernière, monsieur Longuet. Il faudra évidemment une nouvelle réforme avant 2020 : exit la garantie de pérennité.

S’agit-il pour autant d’une réforme juste ? Pas davantage. Ce ne sont pas les quelques mesures de justice qu’elle comporte, dont la plus emblématique concerne la pénibilité, qui en font une réforme juste.

Je reviendrai sur la pénibilité, qui est au cœur du sujet. Bien entendu, nous ne pouvons que soutenir les mesures en faveur des assurés à la carrière heurtée, des jeunes actifs et des femmes ; il vient d’en être question. Je pense en particulier à l’élargissement du dispositif « carrières longues » et à la possibilité de valider toutes sortes de périodes supplémentaires : deux trimestres de chômage, les périodes d’apprentissage, les périodes de formation des demandeurs d’emploi ou encore l’ensemble des trimestres de maternité.

Il en va de même des mesures favorables aux non-salariés agricoles – octroi de points complémentaires, garantie d’une pension minimale de 75 % du SMIC – ou celles qui bénéficient aux assurés handicapés et à leurs aidants.

Cependant, si ces mesures comptent pour leurs bénéficiaires, elles ne représentent pas l’essentiel à l’échelle du système. Elles ne peuvent pas rendre la réforme équitable, dans la mesure où, d'une part, son économie générale ne l’est pas, et où, d'autre part, elles ne s’attaquent pas aux fondements mêmes des iniquités du système.

Je détaillerai ces deux points. Non, dans son économie générale, la présente réforme n’est pas équitable !

Premièrement, elle ne met pas à contribution tous les régimes de la même manière.

Deuxièmement, elle aboutit sans le dire à une baisse nette et substantielle des pensions. Le Gouvernement affirme, et c’est un point important, qu’elle est financée également par les entreprises, les salariés et les retraités : chaque catégorie en financerait un tiers. Il y a là tromperie. En réalité, la réforme met surtout à contribution les salariés, et plus encore les retraités.

Pour apprécier le partage réel des efforts, il convient de coupler les effets de la réforme avec les mesures prises au mois de mars 2013 par les régimes complémentaires. Elles sont censées combler la moitié du déficit prévisionnel de ces régimes à l’horizon 2020.

Les entreprises ne contribueront que marginalement. En effet, pour éviter que la réforme ne pèse sur le coût du travail – c’est une bonne chose, car c’est bon pour l’emploi –, le Gouvernement a annoncé que l’augmentation de la cotisation patronale serait compensée par une fiscalisation partielle du financement de la branche famille. Il devrait en aller de même de la cotisation collective pénibilité. Nous attendons toutefois des éclaircissements, madame la ministre.

Cette neutralisation économique de la réforme est une bonne chose, car elle protège les emplois – elle en créera même peut-être – et contribue à l’équilibre financier général des retraites. Cela signifie que les entreprises ne financeront que l’augmentation de la cotisation employeur du régime complémentaire, pour un coût d’un milliard d’euros.

Les salariés contribueront à la réforme pour une part substantielle, à travers l’augmentation de 0, 3 point de la cotisation salariale de base et de 0, 1 point de la cotisation complémentaire. Cela représente un coût de presque 3 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 0, 4 %.

Pour l’essentiel, les mesures pèseront sur les retraités : fiscalisation de la majoration de pension pour les parents de trois enfants et plus, désindexation partielle des pensions du fait du décalage d’avril à octobre de leur revalorisation sur l’inflation et désindexation totale des pensions complémentaires, soit un coût total de 6 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 2 %.

Dès lors, d’ici à 2020, les entreprises contribueront à hauteur de 10 % des efforts, les salariés à hauteur de 30 % et les retraités à hauteur de 60 %. Le Gouvernement ne le dit pas ; pis, serais-je tenté d’ajouter, il le cache !

Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, la tendance devrait encore s’accentuer après 2020 : pour l’essentiel, l’augmentation de la durée de cotisation à 43 ans devrait se traduire par une baisse des pensions versées. En tenant compte également de leur désindexation, les retraites du privé pourraient baisser de 15 % à 25 % entre 2020 et 2040. Excusez du peu !

La variable d’ajustement est donc bien le niveau relatif des retraites. Parce qu’on doit un minimum de sincérité à nos concitoyens, nous demanderons la suppression des dispositions de report de la revalorisation des pensions.

Troisièmement, la réforme pénalise les familles et les jeunes. Après la menace de la mise sous condition de ressources des allocations, la double baisse du quotient familial et la réduction du congé parental, la fiscalisation de la majoration de pension pour enfants constitue une nouvelle atteinte à la politique familiale. Cette mesure profitera-t-elle pour autant aux retraités ? Il faudrait nous expliquer comment ce serait possible, puisque les majorations de pension sont financées par les caisses d’allocations familiales, les CAF, tandis que le produit de leur fiscalisation sera perçu par le fisc. De plus, en allongeant encore la durée de cotisation après 2020, la réforme pose un sérieux problème d’équité intergénérationnelle.

Le problème est inversé en matière de pénibilité.

Quatrièmement, dernière raison pour laquelle la réforme n’est pas équitable, même sa mesure d’équité la plus emblématique, qui concerne la pénibilité, n’est pas équitable ; seuls les salariés du privé en bénéficieront. Et encore : uniquement ceux qui se seront constitué des droits à partir de 2015.

La réforme n’est donc pas équitable dans son économie générale. C’est d’ailleurs bien pour cette raison que vous n’arrivez même pas à l’imposer à votre propre majorité, madame la ministre.

Rappelons-le, alors que vous bénéficiez à l’Assemblée nationale d’une confortable majorité, le texte n’y a été adopté qu’à une courte majorité, uniquement par les voix socialistes. Et encore : pas toutes ! Ensuite, il a tout bonnement été rejeté par la commission des affaires sociales du Sénat.

Une telle réforme ne peut pas rendre le système plus équitable. Elle demeure paramétrique, c’est-à-dire qu’elle ne remet pas en cause une architecture générale par nature source d’iniquités. Oui, notre système de retraites est fondamentalement inéquitable !

Aujourd’hui, deux assurés peuvent avoir deux carrières parfaitement comparables et se retrouver avec des droits à la retraite allant du simple au double, tout cela parce que les pensions sont fixées en fonction non pas de la carrière, mais du statut.

L’éclatement du système en une myriade de régimes aux règles différentes ne se justifie plus et crée des injustices qui ne peuvent plus être acceptées.

Seule la réforme systémique que nous appelons de nos vœux depuis plus de dix ans est susceptible d’y remédier. L’objectif final serait de mettre en place, comme cela a d’ailleurs déjà été fait dans plusieurs pays européens comme la Suède, l’Italie ou la Pologne, d’ici à 2030 au plus tard, un régime unique, universel, en points ou en comptes notionnels.

Quelles en seraient les modalités précises ? C’est évidemment à la Nation d’en décider. Mais le septième rapport du COR, daté du 27 janvier 2010, en a déjà détaillé les options et les modalités techniques. L’amendement que nous avons déposé vise à établir un calendrier pour la mise en œuvre de cette réforme : nous souhaitons que, sur la base du rapport du COR, le Gouvernement organise une conférence sociale et un débat national sur cette réforme systémique au premier semestre 2015, pour une mise en œuvre au premier semestre 2017.

En réalité, nous avions déjà fait inscrire le principe d’un tel débat sur ce thème dans la réforme de 2010.

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