Elle est d’ailleurs plébiscitée par nos concitoyens : selon un sondage Louis Harris du mois de septembre dernier, 73 % des Français se déclarent « tout à fait favorables » ou « plutôt favorables » à la convergence des régimes public, privé et spéciaux vers un régime unique. C’est même leur seul point de consensus.
Une telle réforme suppose que quatre facteurs soient réunis : un rapprochement du public et du privé, l’extinction des régimes spéciaux, la mise en place en contrepartie d’un système universel de prise en compte de la pénibilité et l’instauration d’une retraite minimale de solidarité revalorisée. Nos amendements s’articuleront autour de ces quatre axes.
Tout d’abord, un premier pas a été fait sur le rapprochement entre public et privé ; Jean-Pierre Caffet l’a rappelé tout à l’heure. Restent quelques différences notables, difficilement justifiables.
La première d’entre elles est le salaire de référence pris en compte. Le rapport Moreau proposait d’ailleurs de l’élargir dans la fonction publique, quitte à intégrer une part des primes dans le calcul. La proposition mérite d’être sérieusement étudiée. Par ailleurs, il n’est pas normal qu’il n’existe pas de caisse des agents d’État. De plus, les différences de règles en matière de pensions de réversion et d’avantages famille n’ont pas de raison d’être. Il convient de les aplanir, souvent d’ailleurs au profit des agents du public. Enfin, à partir du moment où l’on met en place un système de prise en compte de la pénibilité, les catégories dites d’active n’ont plus de raison d’être.
Ensuite, il est bien évident qu’ils n’ont également plus de raison d’être à partir du moment où la prise en charge de la pénibilité est modernisée et universalisée. En effet, ne l’oublions pas, les régimes spéciaux constituent les réponses d’hier à la pénibilité. Ces réponses sont aujourd’hui obsolètes avec le nouveau régime que nous vous proposons. Si l’extinction de ces régimes est progressive, en sifflet, elle pourrait dans un premier temps s’accompagner d’une accélération du calendrier d’augmentation des durées de cotisation.
Surtout, l’axe majeur d’une telle réforme est la mise en place d’un système universel de prise en compte de la pénibilité. Celui qui nous est proposé dans le présent projet de loi va dans le bon sens. Il constitue bien sûr un progrès par rapport au dispositif mis en place par la réforme de 2010, qui avait tendance à confondre un peu trop pénibilité et invalidité. D’ailleurs, notre groupe avait cherché à l’amender.
Cependant, la réforme proposée est problématique à plus d’un titre. Tout d’abord, et je ne reviendrai pas dessus, elle est peu équitable car elle ne concerne que le privé. Ensuite, comme l’ont souligné toutes les personnes auditionnées, elle est d’une complexité telle que l’on voit mal comment les petites entreprises pourront la mettre en œuvre. Cette complexité se retrouve à tous les stades du dispositif, à commencer par celui de la constitution ou de la reconstitution des périodes d’exposition au risque. Dans ces conditions, comment évaluer le montant de la cotisation ? C’est tout simplement l’applicabilité du dispositif qui est sujette à caution, particulièrement dans certains secteurs comme celui du bâtiment.
Un autre facteur de complexité, auquel il est plus facile de remédier, vient du fait qu’elle confond prévention de la pénibilité et prise en charge de la pénibilité à effet différé. Or cela nous semble à la fois une utopie et une erreur fondamentale.
C’est une utopie, parce qu’un tourneur fraiseur, par exemple, qui a fait ce métier toute sa vie, a beaucoup de mal à se reconvertir pour faire autre chose. Dans les TPE et les PME, vous m’expliquerez comment c’est envisageable.
C’est aussi une erreur conceptuelle, parce que la problématique de la prévention de la pénibilité est liée aux conditions de travail et à la formation professionnelle, mais ne concerne pas les retraites.
En revanche, la prise en charge de la pénibilité à effet différé est bien un problème de retraites, puisque c’est lié à l’espérance de vie. C’est la raison pour laquelle nous vous proposerons un amendement visant à recentrer le dispositif sur cette dernière question.
Enfin, le dernier axe est celui de la solidarité. On présente souvent les systèmes par points ou en comptes notionnels comme moins solidaires et redistributifs, car leur variable d’ajustement serait inévitablement le niveau des pensions. Rien n’est plus faux ! Il est des systèmes par annuité très peu redistributifs, comme aux États-Unis, et des systèmes en comptes notionnels très solidaires, comme en Suède.
Autrement dit, un régime unique par points n’écarte pas par nature la solidarité, bien au contraire. D’ailleurs, même le Gouvernement le prouve en attribuant dans cette réforme des points gratuits aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du régime des exploitants agricoles.