Vous l’aurez compris, notre opposition à ce projet de loi est aussi fondée sur un constat : l’austérité n’est pas la solution ; c’est le problème ! La réduction à tout prix de la dépense publique et sociale que vous assumez, dans la lignée des gouvernements précédents, ne fait qu’aggraver la crise. En entraînant des destructions massives d’emplois, elle provoque une chute drastique des cotisations sociales perçues, ce qui conduit aux déficits de la branche maladie et de la branche vieillesse, entraînant au final de nouvelles mesures récessives. Tout cela nous précipite dans un cercle vicieux, aux antipodes des aspirations des Français qui ont porté François Hollande au pouvoir.
Il faut dire que, en la matière, le Président de la République a donné le ton : sitôt élu, il a renoncé à renégocier le pacte de stabilité européen, qu’il condamnait la veille. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que M. Barroso ne se gêne pas aujourd’hui pour rappeler à la France l’exigence de mesures d’austérité significatives, notamment en matière de retraites.
Je le sais, madame la ministre, nous divergeons sur ce point, puisque vous considérez que cette réforme ne s’inscrit pas dans une politique d’austérité. Les retraités jugeront d’eux-mêmes. Ils subiront une perte de leur pouvoir d’achat avec l’article 4, qui reporte de six mois la date à laquelle leurs pensions seront réévaluées : 850 millions d’euros en 2014 et 2, 4 milliards d’euros en 2015 seront ainsi ponctionnés sur les pensions de retraite, le plus souvent déjà trop maigres.
Par ailleurs, selon vous, l’allongement de l’espérance de vie justifierait un allongement de la durée de cotisation. Mais cette raison n’est, pour nous, qu’un leurre ! Ce n’est pas essentiellement parce que les Français vivent plus longtemps que les comptes sociaux sont dans le rouge ! C’est parce que les politiques successives menées depuis plusieurs décennies contre l’emploi et les salaires, au nom de la liberté d’entreprendre puis de la compétitivité, ont privé la sécurité sociale des financements dont elle a structurellement besoin ! Le déficit de la sécurité sociale est, d’abord, un déficit artificiel et fabriqué.
Et, là encore, malheureusement, votre politique ne rompt pas avec celle qui a été conduite précédemment par la droite. Rappelons-le, chaque année, près de 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, dont une partie n’est pas compensée, sont accordés aux employeurs.
Ce mécanisme, introduit par M. Fillon, est particulièrement pernicieux, car il encourage les patrons à sous-payer leurs salariés. En effet, plus les salaires sont proches du SMIC, plus les réductions de cotisations sont importantes. Ainsi, si l’on ajoute exonérations et exemptions d’assiettes, tous les ans, ce sont plus de 100 milliards d’euros qui échappent au financement de notre système de protection sociale, dont une bonne partie au financement des retraites.
Au contraire, nous proposons – car nous faisons des propositions sur lesquelles je reviendrai – de mettre en place un système intelligent de cotisations sociales qui favorise les entreprises qui agissent pour l’emploi, la formation, les salaires, et qui pénalise les autres.
Il faut rappeler fortement que, contrairement à une idée trop souvent véhiculée aujourd’hui, notre pays n’a jamais été aussi riche. Depuis trente ans, le PIB, a été multiplié par deux. Et grâce à quoi ? Aux gains de productivité, aux sacrifices et à la précarisation du travail subis par les salariés !
En revanche, la répartition des richesses entre capital et travail n’a cessé d’évoluer, toujours au détriment de la rémunération des salariés et, donc, mécaniquement, du financement de notre système de protection sociale. Ainsi, nous le disons souvent, la part de richesses qui a bénéficié au capital sous la forme de versement de dividendes a augmenté par rapport à celle qui a profité aux salaires : 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros, ont été dédiés à la finance. Vous persistez pourtant à épargner ces revenus et à faire porter la totalité des sacrifices sur les salariés actifs et sur les retraités.
C’est donc dans la droite ligne de cette politique que s’inscrit l’engagement, que nous déplorons, pris par le Gouvernement devant les patrons réunis en université d’été de compenser la hausse des cotisations patronales pour la branche vieillesse par une réduction de cotisations sociales pour la branche famille. Ainsi, votre réforme n’est ni juste ni équilibrée !
Pourtant, une autre réforme des retraites est possible, une réforme qui ne pénalise ni les salariés, ni les retraités, ni, surtout, notre jeunesse. François Hollande affirmait vouloir faire des jeunes sa priorité et demandait à être jugé sur les mesures qu’il prendrait à leur égard.
À ce stade, ce que nous retenons du présent projet de loi, c’est que son adoption aura pour effet de retarder leur entrée dans la vie active, de repousser l’âge auquel ils signeront leur premier contrat à durée indéterminée, de prolonger une précarité qu’ils subissent déjà trop injustement, et de les pénaliser au moment de la retraite, au risque de rompre le contrat de solidarité entre les générations.
Certes, madame la ministre, vous n’introduisez aucune mesure remettant directement en cause le principe de retraite par répartition auquel nous sommes attachés. Pourtant, vous confiez à un comité de suivi le soin de formuler des recommandations, notamment sur la proposition qui consiste à faire varier le montant des pensions en jouant sur le taux de remplacement. Naturellement, le Gouvernement ne sera pas obligé de mettre en œuvre ces simples recommandations.
Toutefois, l’inscription de ce principe dans la loi ne peut que nous conduire à nous interroger. Car certains à gauche, y compris ici même, au Sénat, soutiennent l’idée d’un basculement du régime actuel dans lequel le calcul des pensions s’effectue sur la base des droits individuels cumulés par les salariés, vers un régime dans lequel un gestionnaire pourra ajuster le niveau des pensions en fonction d’un montant prédéfini, jugé « économiquement » souhaitable.
De la même manière, vous rendez possible le déblocage anticipé du Fonds de réserve pour les retraites, ce qui traduit, vous l’avouerez, le peu de confiance en votre réforme pour sortir durablement les comptes sociaux de la situation de crise qu’ils connaissent !
Durant le débat, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’auront de cesse de porter une autre ambition collective, celle de redonner à la jeune génération confiance en notre système par répartition, tout en refusant le recul de société qui se prépare pour les classes populaires.
Cela nécessite des mesures d’urgence, à commencer par la taxation des revenus financiers des entreprises qui, à ce jour, ne participent pas au financement de notre protection sociale. Les actionnaires, les rentiers, les spéculateurs ont accaparé des milliards d’euros initialement destinés aux travailleurs.
Cette dérive du financement de notre économie contribue à faire pression sur les salaires et entraîne des destructions massives d’emplois. Soumettre ces revenus à cotisations sociales constituerait non seulement une mesure de justice, qui rapporterait entre 20 et 30 milliards d’euros pour la seule branche vieillesse, mais aussi le levier économique le plus efficace en vue de mettre fin à l’hémorragie d’emplois et, donc, de cotisations sociales.
Cela étant, le financement de notre système de sécurité sociale appelle également des mesures à plus long terme. Pour assurer un financement pérenne des retraites et d’un haut niveau, il faut assurer une augmentation significative de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons de moduler le taux des cotisations patronales de telle sorte que la Nation incite les entreprises à préférer la rémunération du travail à celle du capital.
Nous proposons également de mettre fin aux exonérations générales de cotisations sociales et de réduire les aides publiques à destination des entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Madame la ministre, le 7 septembre 2010, lors de la présentation d’une motion de rejet préalable du projet de loi Woerth-Sarkozy portant réforme des retraites, vous affirmiez, dès le début de votre intervention : « Vous faites des mesures démographiques le socle unique de votre projet ; nous pensons qu’une réforme durable passe aussi par la recherche de nouvelles ressources et la relance de l’emploi. »
C’est parce que nous partageons toujours vos propos de 2010 que nous ne pouvons que refuser le projet de réforme que vous défendez ce jour. En effet, non seulement celui-ci valide les reculs successifs de la droite, mais de surcroît il les aggrave en imposant, notamment, une énième augmentation de la durée de cotisation. Ce faisant, vous jetez encore plus aux oubliettes cette formidable conquête sociale qu’est la retraite à 60 ans à laquelle, pour leur part, les parlementaires communistes restent attachés.
Certes, vous me répondrez que, pour la première fois, un projet de loi portant sur les retraites traite de la question de la pénibilité sous un angle autre que celui de l’invalidité, prévoit des droits nouveaux pour les stagiaires, contient quelques avancées du point de vue des années d’études, de la prise en compte de la précarité extrême, de la maternité.