Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 28 octobre 2013 à 15h00
Avenir et justice du système de retraites — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un bonheur d'entendre notre collègue Jean Desessard, car il a la vertu de ceux qui, découvrant un monde, s’aperçoivent de choses très simples, en l’espèce, de ce que le roi est nu.

En effet, il ressort de l’examen de la réforme qui nous est proposée que, pour le Gouvernement, une seule évidence s'impose de l'analyse de la crise des régimes de retraite : le problème de la « bosse démographique » entre 2020 et 2035 lequel pourrait être résolu par la mobilisation de fonds grâce à l'allongement de la durée de cotisation.

Mais cet allongement pèsera sur les personnes âgées aujourd'hui de moins de 40 ans, qui subiront la double peine : cotiser pour elles-mêmes et payer les dettes des générations précédentes, qui n’auront pas eu le courage de tirer les leçons d'une analyse, hélas, monsieur Desessard, beaucoup plus grave et beaucoup plus sérieuse que votre truculente présentation, dans laquelle vous omettez des réalités importantes.

Tout d'abord, je voudrais rappeler une évidence. Le problème des retraites est national. Il doit être partagé par les majorités qui ont vocation – c'est la loi de la démocratie – à se succéder.

Chers collègues de la majorité, en ramenant l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans en 1982, vous aviez créé une situation nouvelle sans la financer. Nous avons fait notre part du travail : nous avons pris nos responsabilités avec les réformes de 1993, 2003, 2008, 2010 et même 2011. À aucun moment, madame le ministre, nous n’avons pu bénéficier d'un regard bienveillant, attentif, voire – pourquoi pas rêver ? – d'un soutien de l'opposition d’alors, comme cela a pu être le cas dans d'autres pays qui se sont attaqués au même problème. Or, lorsque l’on a vocation à gouverner le pays, l’on doit s'efforcer d’avoir une vision à long terme, allant bien au-delà que la prochaine élection !

Si nous n’avions pas mené à bien ces réformes, le COR évalue la charge de la dérive des retraites à 3 points de PIB pour 2020, et à 6, 5 points pour 2030. Excusez-moi du peu !

De surcroît, notre pays, avec 14, 4 % du PIB consacrés aux régimes de retraite, se situe déjà au troisième rang européen. Si nous n’avions pas réalisé ces réformes structurelles et paramétriques, il serait au premier rang.

Monsieur Desessard, c'est parce que les charges sociales sont lourdes et renchérissent le coût du travail que l'emploi est rare. Elles privent nos compatriotes de l'espérance de trouver un emploi.

J’en viens maintenant, madame le ministre, aux raisons pour lesquelles nous ne soutiendrons pas votre projet de loi.

Tout d’abord, il refuse l'analyse de fond, la prise en considération des éléments de long terme. Ainsi, vous ne tirez pas les conséquences de l'allongement de l'espérance de vie. Passer de trois cotisants pour un retraité à un cotisant et demi pour un retraité sur le très long terme implique simplement de changer de système : l'équilibre des Trente Glorieuses ne sera en effet plus jamais retrouvé.

Cette première observation mérite d'être complétée par une seconde qui renvoie dans les coulisses la peu convaincante théorie de la bosse. La vie active a elle-même changé. On le constate, madame la rapporteur, à la lecture de certains éléments de votre rapport.

Non seulement l'espérance de vie s'allonge, mais encore l'accès à la vie professionnelle se fait plus tard, les carrières sont moins linéaires et beaucoup plus aléatoires en raison de la concurrence liée à la globalisation et du progrès technologique.

En outre, les réserves de productivité, qui ont permis notamment aux régimes complémentaires d'être largement excédentaires pendant des décennies, ne sont plus disponibles.

De plus, élément nouveau dont personne ne parle, les carrières des salariés français seront de plus en plus internationales, ce qui implique la jonction de systèmes de retraites profondément différents. Nous vivons cette situation en Lorraine, où 70 000 travailleurs sont salariés au Luxembourg, en Allemagne, voire en Belgique, pays dont les régimes de retraite sont différents du nôtre. Or vous méconnaissez cette mutation.

Par ailleurs, que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en plaigne, il faut le constater : la vie familiale a, elle aussi, complètement changé. Cette évolution se traduit par une démographie qui ne suffit plus à assurer le renouvellement de notre population. Cessons de dire que le taux de natalité est un atout pour la France !

Le système du CNR, auquel vous faites référence, est merveilleux, mais il ne fonctionne que dans un pays aux frontières fermées, ayant la maîtrise de sa monnaie et dont la démographie est largement positive. Ces trois vérités ont disparu. Il serait temps pour vous que vous ouvriez les yeux !

Nous sommes tous attachés au système français de retraite par répartition, parce qu’il s'inscrit dans une volonté de solidarité, qui est le ciment d'une république. De surcroît, par définition, tout régime de retraite est financé par les actifs. En fait, toute la question est celle des modalités.

En revanche, nous ne pouvons que regretter la complexité de notre système – il ne peut en être autrement –, complexité parfois renforcée par les travailleurs eux-mêmes, salariés ou travailleurs indépendants, qui s'efforcent de construire des systèmes plus personnels en raison de leurs inquiétudes sur la viabilité des régimes de retraite.

Tout l'investissement des petits propriétaires bailleurs, par exemple, présente en réalité certains caractères d'un régime de retraite par capitalisation. En ayant recours aux mécanismes organisés par les différentes lois visant le financement des logements, ces propriétaires se constituent par précaution une forme de retraite complémentaire par capitalisation, qui n’est pas orientée vers l'actionnariat des entreprises et donc le développement économique.

Mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur un point. L'ambition redistributive du régime par répartition n’est plus en mesure d'être assurée si les curseurs de la durée de vie professionnelle ne sont pas fortement poussés dans le sens d'un allongement.

Le système français de retraite est profondément redistributif. Il est bon qu’il en soit ainsi, parce que les carrières peuvent être confrontées à des accidents de conjoncture ou bien à des choix familiaux. Ce système permet, par exemple, d'aider ceux qui ont été frappés par le chômage ou qui ont élevé des enfants. Ce soutien est peut-être insuffisant, madame Rossignol, mais il est plus important que celui que connaissent la plupart des autres systèmes européens.

Pour que ce système redistributif fonctionne, encore doit-il disposer des moyens nécessaires et cesser de se substituer aux éventuelles défaillances du marché du travail. Nous aborderons cette question lors du débat sur la prise en compte de la pénibilité. Certaines dépenses doivent être assurées par les employeurs, au terme d’un dialogue entre syndicats patronaux et syndicats de salariés, et ne doivent pas être supportées par les régimes de retraite qui n’en ont, hélas, pas la capacité.

En résumé, notre régime de retraite, qui était parfaitement légitime à l’époque des Trente Glorieuses, ne l'est plus à ce jour.

Enfin – je rejoins sur ce point mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe –, alors qu’il a l'ambition d'être universel, il est en réalité parfaitement rigide et méconnaît les droits acquis au fur et à mesure de la diversité des carrières et des efforts de chacun.

Les régimes de retraite complémentaire sont des régimes de retraite par points, tout comme l’IRCANTEC. Ce sont également des régimes par répartition, mais ils sont autocorrecteurs : lorsqu’ils dérivent vers un déséquilibre, ils se corrigent d'eux-mêmes, en jouant sur la valeur du point, pour revenir à une situation d'équilibre d'ensemble. Ils sont modernes.

Vous récusez par principe toute réflexion systémique, et vous condamnez par voie de conséquence notre système issu des Trente Glorieuses à exploser du fait de son incapacité à gérer des problèmes de structures lourds, longs et durables. Vous apparaissez comme les tenants de l'égoïsme d'une génération : encore une minute, monsieur le bourreau, nos concitoyens âgés de moins de 40 ans paieront pour nos propres erreurs et nous nous contenterons d'augmenter les cotisations !

À cet égard, je comprends l'exaspération des alliés de la majorité du groupe CRC, car l'essentiel de l'effort demandé en termes de cotisations, renchérissant le coût du travail ou diminuant le pouvoir d'achat, est d'abord supporté par les retraités eux-mêmes, en particulier par ceux qui ont eu des enfants, alors qu’ils sont particulièrement méritants. Vous pénalisez les familles ayant eu trois enfants et plus, qui ont pourtant permis l'équilibre du régime par répartition. Les retraités en général sont bel et bien les premiers contributeurs de votre réforme. En outre, vous rendez certains d’entre eux imposables, alors qu’ils ne l'étaient pas auparavant. N’oublions pas non plus les salariés !

Quant aux entreprises, madame la ministre, il serait agréable que vous dissipiez, devant la Haute Assemblée, une ambiguïté, qui fait sourire tous les spécialistes de l'économie française depuis l'université d'été du MEDEF. Vous nous dites, avec un aplomb merveilleux, que la hausse de cotisations de 0, 3 % sera partagée entre employeurs et salariés, alors que dans le même temps le Gouvernement indique que les employeurs seront indemnisés de ce surplus de cotisations. Seulement par qui seront-ils indemnisés ? Par des impôts prélevés sur la consommation ou sur les revenus, de sorte que la charge sera supportée en totalité par les retraités et par les actifs !

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